b) Des incertitudes à prendre en compte
(1) Incertitudes relatives au déroulement du rendez-vous citoyen
La réforme du service national est caractérisée par de nombreuses incertitudes, voire par certains risques de malentendus qui tiennent à la nouveauté des principes mis en oeuvre. Ces incertitudes concernent tant le rendez-vous citoyen que le volontariat.
Le " rendez-vous citoyen ", conçu comme l'occasion de parvenir à une " rénovation de l'esprit de la citoyenneté " [14] à travers la prise de conscience, par les jeunes, du " lien qui les unit entre eux et qui fait aussi la République ", procède d'un pari. Il aurait certes été possible d'asseoir cette période sur des bases moins ambitieuses et moins exigeantes, en se bornant à l'évaluation sanitaire et scolaire de la jeunesse, l'information sur les volontariats, les carrières militaires et les engagements dans les forces de réserve. Une telle formule aurait probablement permis d'éviter l'aventure qui consiste à occuper quelque 1 200 jeunes pendant cinq jours consécutifs, en internat, en faisant alterner exposés théoriques, activités sportives, tests et activités de détente. Les problèmes liés à l'encadrement d'un tel effectif de jeunes issus d'horizons très différents se seraient posés de manière beaucoup moins complexe. Certes, votre rapporteur souscrit à la démarche qui a conduit à faire du rendez-vous citoyen un élément d'une politique destinée à lutter contre la montée de l'individualisme qui caractérise notre société, en encourageant les jeunes à participer à une " citoyenneté active " [15] , et en favorisant le brassage social auquel ne peut plus contribuer le service national selon l'ancien système. Il semble toutefois impossible d'éluder le fait que le rendez-vous citoyen sera ce que l'expérience permettra.
Si, en effet, 74 % des jeunes gens interrogés [16] déclarent une certaine bonne volonté à l'égard du rendez-vous citoyen (36 % tout à fait favorables, et 38 % plutôt favorables), 10 % affirment d'ores et déjà leur opposition au système. Or ces 10 % sont susceptibles d'introduire des perturbations dans le bon déroulement du rendez-vous citoyen.
Par ailleurs, il n'est pas exclu que l'expérimentation qui se déroulera dès le printemps 1997 à Mâcon fasse apparaître des temps morts dans le programme du rendez-vous citoyen tel qu'il a été mis en forme par la Direction centrale du service national. Dans cette perspective éventuelle, votre rapporteur s'interroge sur la nécessité de figer à l'avance une durée qui, au lieu des cinq jours prévus par le projet de loi, pourrait être réduite éventuellement à quatre, sans pour autant remettre en cause l'esprit de la réforme.
(2) Incertitudes relatives au volontariat
Le rendez-vous citoyen n'est pas le seul aspect audacieux de la réforme du service national.
Le volontariat peut également, en effet, être considéré comme un pari. A cet égard, deux risques de nature différente sont susceptibles d'affecter le déroulement de la réforme. Le premier résulte des conséquences, pour les organismes d'accueil, des caractéristiques de la ressource volontaire. Le deuxième risque tient à l'émergence éventuelle d'un volontariat " à deux vitesses", où les motivations professionnelles joueraient un plus grand rôle que la volonté de dévouement.
(a) Une ressource par nature aléatoire
Il est évident qu'aucune estimation sérieuse ne saurait permettre d'évaluer quantitativement la future ressource volontaire, et que les effectifs envisagés par grande catégorie de service en marge du présent projet de loi ne correspondent qu'à des plafonds définis en fonction des moyens budgétaires.
Par ailleurs, votre rapporteur a précédemment commenté les difficultés qui résultent des limites juridiques apportées par le projet de loi à l'emploi des volontaires, puisqu'il est exclu de confier à ceux-ci une mission indispensable au " fonctionnement normal " des organismes d'accueil, et qui pourrait être accomplie dans le cadre d'un emploi permanent.
Face à de telles contraintes -ressource aléatoire et utilisable pour autant qu'on lui confie des tâches relativement inutiles- on peut probablement s'attendre à certaines réticences des organismes d'accueil . L'attitude de la Gendarmerie à l'égard du volontariat semble préfigurer les réticences. Il est, en effet, très significatif que la Gendarmerie tire argument du projet de loi pour demander la création, sous enveloppe, d'une nouvelle catégorie d'engagés dont le statut correspondrait de manière plus satisfaisante aux missions de la gendarmerie. Cette réaction peut être transposée dans les autres organismes d'accueil, dont certains pourraient chercher une ressource de substitution , permettant d'éviter le recours à un volontariat jugé trop incertain. Le ministère des Affaires étrangères pourrait ainsi étudier de nouvelles possibilités d'emploi de recrutés locaux , tandis que les entreprises françaises à l'étranger pourraient être conduites à privilégier le recours à des stagiaires de préférence aux volontaires.
(b) Un risque de volontariat à deux vitesses
Un sondage portant sur l'attitude des jeunes gens à l'égard du nouveau service national [17] met en évidence le souci prioritaire d' " obtenir des facilités pour trouver un emploi à la fin du service " (40 %), de " suivre une formation " (18 %), de percevoir une " rémunération suffisante " (19 %). En revanche le fait d'être " utile à la société " ne semble prioritaire que pour 7 % des jeunes interrogés.
S'il existe chez les jeunes une " générosité dormante " [18] à encourager, comme l'estime le ministère de la défense, cette générosité s'exprimera d'autant plus volontiers que les activités proposées coïncideront avec le souci d'insertion professionnelle des jeunes. On peut dès lors craindre l'apparition progressive d'un volontariat " à deux vitesses " : les affectations susceptibles d'offrir les perspectives les plus motivantes en matière d'accès à l'emploi rencontreraient plus de succès que le volontariat faisant appel à la générosité pure. Notons toutefois que dans un contexte purement volontaire, on ne saurait parler d'inégalité entre les différentes formes d'activité du volontariat, puisque celles-ci auront été choisies par les volontaires auxquelles elles seront confiées.