N° 310

SÉNAT

SESSION ORDINAIRE DE 2024-2025

Enregistré à la Présidence du Sénat le 6 février 2025

RAPPORT

FAIT

au nom de la commission des affaires européennes (1) sur la proposition de résolution européenne en application de l'article 73 quinquies du Règlement, visant à la création d'un fichier européen des comptes bancaires et assimilés,

Par M. André REICHARDT et Mme Florence BLATRIX CONTAT,

Sénateur et Sénatrice

(1) Cette commission est composée de : M. Jean-François Rapin, président ; MM. Alain Cadec, Cyril Pellevat, André Reichardt, Mme Gisèle Jourda, MM. Didier Marie, Claude Kern, Mme Catherine Morin-Desailly, M. Georges Patient, Mme Cathy Apourceau-Poly, M. Louis Vogel, Mme Mathilde Ollivier, M. Ahmed Laouedj, vice-présidents ; Mme Marta de Cidrac, M. Daniel Gremillet, Mmes Florence Blatrix Contat, Amel Gacquerre, secrétaires ; MM. Pascal Allizard, Jean-Michel Arnaud, François Bonneau, Mmes Valérie Boyer, Sophie Briante Guillemont, M. Pierre Cuypers, Mmes Karine Daniel, Brigitte Devésa, MM. Jacques Fernique, Christophe-André Frassa, Mmes Pascale Gruny, Nadège Havet, MM. Olivier Henno, Bernard Jomier, Mme Christine Lavarde, MM. Dominique de Legge, Ronan Le Gleut, Mme Audrey Linkenheld, MM. Vincent Louault, Louis-Jean de Nicolaÿ, Teva Rohfritsch, Mmes Elsa Schalck, Silvana Silvani, M. Michaël Weber.

Voir les numéros :

Sénat :

229 et 311 (2024-2025)

AVANT PROPOS

Mesdames, Messieurs,

Conformément à l'article 73 quinquies du Règlement du Sénat, la commission des affaires européennes est saisie d'une proposition de résolution européenne n° 229 (2024-2025) visant à la création d'un fichier européen des comptes bancaires et assimilés, présentée par Mme Nathalie Goulet et plusieurs de ses collègues.

Cette proposition de résolution européenne appelle à la création d'un fichier européen des comptes bancaires, en prenant pour modèle le fichier français des comptes bancaires, dénommé FICOBA. Un tel fichier est présenté comme un moyen de lutter plus efficacement contre le blanchiment d'argent et le financement du terrorisme, en permettant une meilleure coopération entre États membres.

Cette proposition de résolution européenne intervient alors qu'un nouveau paquet de mesures anti-blanchiment a été adopté au niveau européen en mai 2024 et doit s'appliquer intégralement à partir de 2029. Les rapporteurs André Reichardt et Florence Blatrix Contat ont cherché à évaluer si la création d'un fichier européen des comptes bancaires pouvait constituer un outil utile au service des investigations menées dans l'Union européenne pour lutter contre le blanchiment d'argent et le financement du terrorisme.

I. LE PAQUET ANTI-BLANCHIMENT ADOPTÉ EN MAI 2024 PAR L'UNION EUROPÉENNE APPORTE DE NOUVEAUX OUTILS POUR FACILITER LES ÉCHANGES D'INFORMATIONS BANCAIRES ENTRE LES ÉTATS MEMBRES

À la suite de scandales financiers impliquant des banques de l'Union européenne en 2018 et 20191(*), la Commission européenne a présenté en 2021 un nouveau paquet de mesures visant à lutter contre le blanchiment d'argent et le financement du terrorisme.

Adopté en mai 2024, ce paquet permet de renforcer et d'harmoniser les échanges d'informations bancaires entre États membres, via notamment la mise en place d'un système d'interconnexion des registres centralisés de comptes bancaires (A). L'application effective de ces mesures risque cependant de prendre du temps, compte tenu de la situation actuelle très disparate entre les États membres et de contraintes techniques (B).

A. UNE OBLIGATION POUR LES ÉTATS MEMBRES DE DISPOSER D'UN REGISTRE CENTRALISÉ DE COMPTES BANCAIRES COUPLÉE À L'INSTAURATION D'UN SYSTÈME D'INTERCONNEXION DES REGISTRES À L'ÉCHELLE DE L'UNION EUROPÉENNE

Constitué d'une directive et deux règlements2(*), le paquet anti-blanchiment adopté en mai 2024 permet de doter l'Union européenne de nouveaux outils en matière de centralisation et d'harmonisation des informations nécessaires aux enquêtes financières, en particulier s'agissant de l'accès aux informations relatives aux comptes bancaires.

Tout d'abord, la directive du 31 mai 2024 (dite 6ème directive anti-blanchiment) réitère l'obligation pour chaque État membre de disposer d'un registre de compte bancaire (RCB). En France, cette obligation est déjà remplie depuis 1971, date de création du fichier des comptes bancaires, dit FICOBA, qui recense tous les comptes bancaires ouverts en France, qu'il s'agisse de comptes courants, de comptes d'épargne, de comptes-titres ou de coffres-forts loués.

L'obligation de mettre en place un RCB figurait déjà dans la directive 2015/8493(*), dite 4ème directive anti-blanchiment (article 32 bis)4(*), qui constitue le cadre européen anti-blanchiment actuellement en vigueur. Les règles relatives aux autorités ayant accès à ces registres sont fixées par la directive 2019/11535(*). Ces autorités sont notamment les cellules de renseignement financier (CRF)6(*) et les autorités d'enquête et de poursuite de l'État membre ayant établi le registre centralisé des comptes bancaires.

La 6ème directive anti-blanchiment enrichit en outre les informations contenues dans les RCB en y ajoutant les IBAN virtuels et comptes de crypto-actifs (contre uniquement les comptes de paiements, comptes bancaires et coffres-forts dans la 4ème directive anti-blanchiment). Elle harmonise également le format de ces RCB, afin d'en assurer une bonne exploitation, en premier lieu par les cellules de renseignement financier.

Par ailleurs, la 6ème directive anti-blanchiment prévoit la mise en place d'un système d'interconnexion européen entre les registres de comptes bancaires. Ce système doit être mis au point par la Commission européenne au plus tard le 10 juillet 2029, et dont elle assurera ensuite le fonctionnement. Ce système vise à permettre à chaque État membre d'interroger les RCB des autres États membres. Cette interconnexion doit permettre aux cellules de renseignement financier d'obtenir plus rapidement les informations transfrontières sur les détenteurs des comptes ainsi renseignés. Il n'est donc pas institué à proprement parler un registre commun à l'échelle européenne, mais bien une interconnexion entre 27 registres nationaux de comptes bancaires.

L'accès à ce système d'interconnexion des registres n'est ouvert qu'aux seules cellules de renseignement financier, aux autorités d'enquête et de poursuite et, dans certains cas, à l'Autorité européenne de lutte contre le blanchiment de capitaux (ALBC), nouvellement créée.

L'ensemble des dispositions de la 6ème directive anti-blanchiment directive doivent être transposées au plus tard le 10 juillet 2027.

La création de l'Autorité européenne de lutte contre le blanchiment d'argent et le financement du terrorisme (ALBC)

Une des mesures clés du paquet anti-blanchiment est la création de la nouvelle autorité européenne en charge de la LCB-FT (ALBC, ou AMLA en anglais) dont le siège sera situé à Francfort-sur-le-Main, en Allemagne. Ses activités doivent débuter mi-2025.

L'ALBC aura pour mission, d'une part, la supervision directe et indirecte du secteur financier et, d'autre part, de coordonner l'action des cellules de renseignement financier des États membres. L'autorité doit s'attacher à empêcher l'utilisation du système financier de l'Union à des fins de blanchiment des capitaux et de financement du terrorisme (LBC-FT).

L'ALBC supervisera directement au moins 40 entités sélectionnées sur la base de leur profil de risque. La procédure de sélection débutera au plus tard le 1er juillet 2027 et sera achevée dans un délai de six mois à compter de la date de début du processus de sélection. Les entités sélectionnées entreront ensuite sous la supervision directe de l'ALBC à compter du 1er janvier 2028. L'ALBC veillera à ce qu'elles se conforment aux obligations prévues par le paquet anti-blanchiment de 2024 et procèdera, pour cela, à des contrôles et évaluations tant au niveau du groupe supervisé que des entités prises individuellement.

En cas de violations graves, systématiques ou répétées des exigences directement applicables, l'ALBC aura le pouvoir d'infliger des sanctions pécuniaires aux entités directement supervisées.


* 1 Ces cas ont concerné les banques danoises Danske et ING, lettonne ABLV, maltaise Pilatus et suédoises Swedbank et Nordea.

* 2 Règlement (UE) 2024/1620 du Parlement européen et du Conseil du 31 mai 2024 instituant l'Autorité de lutte contre le blanchiment de capitaux et le financement du terrorisme ; règlement (UE) 2024/1624 du Parlement européen et du Conseil du 31 mai 2024 relatif à la prévention de l'utilisation du système financier aux fins du blanchiment de capitaux ou du financement du terrorisme ; directive (UE) 2024/1640 du Parlement européen et du Conseil du 31 mai 2024 relative aux mécanismes à mettre en place par les États membres pour prévenir l'utilisation du système financier aux fins de blanchiment de capitaux ou de financement du terrorisme.

* 3 Directive (UE) 2015/849 du Parlement Européen et du Conseil du 20 mai 2015 relative à la prévention de l'utilisation du système financier aux fins du blanchiment de capitaux ou du financement du terrorisme, modifiant le règlement (UE) n° 648/2012 du Parlement européen et du Conseil et abrogeant la directive 2005/60/CE du Parlement européen et du Conseil et la directive 2006/70/CE de la Commission.

* 4 L'article 32 bis instaurant l'obligation de créer ce registre a été introduite par la directive 2018/843, dite AMLD5, modifiant AMLD4. La directive n'utilisait pas le terme de registre des comptes bancaires, mais faisait uniquement référence à un mécanisme automatisé centralisé permettant d'accéder aux informations relatives aux comptes bancaires.

* 5 Directive (UE) 2019/1153 du Parlement européen et du Conseil du 20 juin 2019 fixant les règles facilitant l'utilisation d'informations financières et d'une autre nature aux fins de la prévention ou de la détection de certaines infractions pénales, ou des enquêtes ou des poursuites en la matière.

* 6 En France, Tracfin. Ces cellules ont pour mission de mission de recevoir et d'analyser les déclarations d'opérations suspectes et les autres informations concernant des faits suspects susceptibles de relever du blanchiment, des infractions sous-jacentes associées ou du financement du terrorisme.

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