N° 310

SÉNAT

SESSION ORDINAIRE DE 2024-2025

Enregistré à la Présidence du Sénat le 6 février 2025

RAPPORT

FAIT

au nom de la commission des affaires européennes (1) sur la proposition de résolution européenne en application de l'article 73 quinquies du Règlement, visant à la création d'un fichier européen des comptes bancaires et assimilés,

Par M. André REICHARDT et Mme Florence BLATRIX CONTAT,

Sénateur et Sénatrice

(1) Cette commission est composée de : M. Jean-François Rapin, président ; MM. Alain Cadec, Cyril Pellevat, André Reichardt, Mme Gisèle Jourda, MM. Didier Marie, Claude Kern, Mme Catherine Morin-Desailly, M. Georges Patient, Mme Cathy Apourceau-Poly, M. Louis Vogel, Mme Mathilde Ollivier, M. Ahmed Laouedj, vice-présidents ; Mme Marta de Cidrac, M. Daniel Gremillet, Mmes Florence Blatrix Contat, Amel Gacquerre, secrétaires ; MM. Pascal Allizard, Jean-Michel Arnaud, François Bonneau, Mmes Valérie Boyer, Sophie Briante Guillemont, M. Pierre Cuypers, Mmes Karine Daniel, Brigitte Devésa, MM. Jacques Fernique, Christophe-André Frassa, Mmes Pascale Gruny, Nadège Havet, MM. Olivier Henno, Bernard Jomier, Mme Christine Lavarde, MM. Dominique de Legge, Ronan Le Gleut, Mme Audrey Linkenheld, MM. Vincent Louault, Louis-Jean de Nicolaÿ, Teva Rohfritsch, Mmes Elsa Schalck, Silvana Silvani, M. Michaël Weber.

Voir les numéros :

Sénat :

229 et 311 (2024-2025)

AVANT PROPOS

Mesdames, Messieurs,

Conformément à l'article 73 quinquies du Règlement du Sénat, la commission des affaires européennes est saisie d'une proposition de résolution européenne n° 229 (2024-2025) visant à la création d'un fichier européen des comptes bancaires et assimilés, présentée par Mme Nathalie Goulet et plusieurs de ses collègues.

Cette proposition de résolution européenne appelle à la création d'un fichier européen des comptes bancaires, en prenant pour modèle le fichier français des comptes bancaires, dénommé FICOBA. Un tel fichier est présenté comme un moyen de lutter plus efficacement contre le blanchiment d'argent et le financement du terrorisme, en permettant une meilleure coopération entre États membres.

Cette proposition de résolution européenne intervient alors qu'un nouveau paquet de mesures anti-blanchiment a été adopté au niveau européen en mai 2024 et doit s'appliquer intégralement à partir de 2029. Les rapporteurs André Reichardt et Florence Blatrix Contat ont cherché à évaluer si la création d'un fichier européen des comptes bancaires pouvait constituer un outil utile au service des investigations menées dans l'Union européenne pour lutter contre le blanchiment d'argent et le financement du terrorisme.

I. LE PAQUET ANTI-BLANCHIMENT ADOPTÉ EN MAI 2024 PAR L'UNION EUROPÉENNE APPORTE DE NOUVEAUX OUTILS POUR FACILITER LES ÉCHANGES D'INFORMATIONS BANCAIRES ENTRE LES ÉTATS MEMBRES

À la suite de scandales financiers impliquant des banques de l'Union européenne en 2018 et 20191(*), la Commission européenne a présenté en 2021 un nouveau paquet de mesures visant à lutter contre le blanchiment d'argent et le financement du terrorisme.

Adopté en mai 2024, ce paquet permet de renforcer et d'harmoniser les échanges d'informations bancaires entre États membres, via notamment la mise en place d'un système d'interconnexion des registres centralisés de comptes bancaires (A). L'application effective de ces mesures risque cependant de prendre du temps, compte tenu de la situation actuelle très disparate entre les États membres et de contraintes techniques (B).

A. UNE OBLIGATION POUR LES ÉTATS MEMBRES DE DISPOSER D'UN REGISTRE CENTRALISÉ DE COMPTES BANCAIRES COUPLÉE À L'INSTAURATION D'UN SYSTÈME D'INTERCONNEXION DES REGISTRES À L'ÉCHELLE DE L'UNION EUROPÉENNE

Constitué d'une directive et deux règlements2(*), le paquet anti-blanchiment adopté en mai 2024 permet de doter l'Union européenne de nouveaux outils en matière de centralisation et d'harmonisation des informations nécessaires aux enquêtes financières, en particulier s'agissant de l'accès aux informations relatives aux comptes bancaires.

Tout d'abord, la directive du 31 mai 2024 (dite 6ème directive anti-blanchiment) réitère l'obligation pour chaque État membre de disposer d'un registre de compte bancaire (RCB). En France, cette obligation est déjà remplie depuis 1971, date de création du fichier des comptes bancaires, dit FICOBA, qui recense tous les comptes bancaires ouverts en France, qu'il s'agisse de comptes courants, de comptes d'épargne, de comptes-titres ou de coffres-forts loués.

L'obligation de mettre en place un RCB figurait déjà dans la directive 2015/8493(*), dite 4ème directive anti-blanchiment (article 32 bis)4(*), qui constitue le cadre européen anti-blanchiment actuellement en vigueur. Les règles relatives aux autorités ayant accès à ces registres sont fixées par la directive 2019/11535(*). Ces autorités sont notamment les cellules de renseignement financier (CRF)6(*) et les autorités d'enquête et de poursuite de l'État membre ayant établi le registre centralisé des comptes bancaires.

La 6ème directive anti-blanchiment enrichit en outre les informations contenues dans les RCB en y ajoutant les IBAN virtuels et comptes de crypto-actifs (contre uniquement les comptes de paiements, comptes bancaires et coffres-forts dans la 4ème directive anti-blanchiment). Elle harmonise également le format de ces RCB, afin d'en assurer une bonne exploitation, en premier lieu par les cellules de renseignement financier.

Par ailleurs, la 6ème directive anti-blanchiment prévoit la mise en place d'un système d'interconnexion européen entre les registres de comptes bancaires. Ce système doit être mis au point par la Commission européenne au plus tard le 10 juillet 2029, et dont elle assurera ensuite le fonctionnement. Ce système vise à permettre à chaque État membre d'interroger les RCB des autres États membres. Cette interconnexion doit permettre aux cellules de renseignement financier d'obtenir plus rapidement les informations transfrontières sur les détenteurs des comptes ainsi renseignés. Il n'est donc pas institué à proprement parler un registre commun à l'échelle européenne, mais bien une interconnexion entre 27 registres nationaux de comptes bancaires.

L'accès à ce système d'interconnexion des registres n'est ouvert qu'aux seules cellules de renseignement financier, aux autorités d'enquête et de poursuite et, dans certains cas, à l'Autorité européenne de lutte contre le blanchiment de capitaux (ALBC), nouvellement créée.

L'ensemble des dispositions de la 6ème directive anti-blanchiment directive doivent être transposées au plus tard le 10 juillet 2027.

La création de l'Autorité européenne de lutte contre le blanchiment d'argent et le financement du terrorisme (ALBC)

Une des mesures clés du paquet anti-blanchiment est la création de la nouvelle autorité européenne en charge de la LCB-FT (ALBC, ou AMLA en anglais) dont le siège sera situé à Francfort-sur-le-Main, en Allemagne. Ses activités doivent débuter mi-2025.

L'ALBC aura pour mission, d'une part, la supervision directe et indirecte du secteur financier et, d'autre part, de coordonner l'action des cellules de renseignement financier des États membres. L'autorité doit s'attacher à empêcher l'utilisation du système financier de l'Union à des fins de blanchiment des capitaux et de financement du terrorisme (LBC-FT).

L'ALBC supervisera directement au moins 40 entités sélectionnées sur la base de leur profil de risque. La procédure de sélection débutera au plus tard le 1er juillet 2027 et sera achevée dans un délai de six mois à compter de la date de début du processus de sélection. Les entités sélectionnées entreront ensuite sous la supervision directe de l'ALBC à compter du 1er janvier 2028. L'ALBC veillera à ce qu'elles se conforment aux obligations prévues par le paquet anti-blanchiment de 2024 et procèdera, pour cela, à des contrôles et évaluations tant au niveau du groupe supervisé que des entités prises individuellement.

En cas de violations graves, systématiques ou répétées des exigences directement applicables, l'ALBC aura le pouvoir d'infliger des sanctions pécuniaires aux entités directement supervisées.

B. DES MODALITÉS TECHNIQUES ENCORE À PRÉCISER ET DES SITUATIONS TRÈS HÉTÉROGÈNES SELON LES ÉTATS MEMBRES, QUI FONT CRAINDRE DES DÉLAIS SUPPLÉMENTAIRES POUR LA MISE EN SERVICE DU SYSTÈME D'INTERCONNEXION

Si l'adoption du paquet de mai 2024 contient des mesures bienvenues pour renforcer l'action de l'Union européenne en matière de lutte contre le blanchiment d'argent et le financement du terrorisme, leur application effective soulève plusieurs questions.

D'abord, s'agissant de l'obligation de disposer d'un registre centralisé des comptes bancaires, la situation reste encore très variable selon les États membres. Alors même que cette exigence date de 2018 et non du paquet anti-blanchiment de 2024, de nombreux États membres peinent toujours à mettre en oeuvre un tel registre.

D'après un rapport de la Commission européenne datant de 20197(*), outre la France, seuls 14 États membres avaient mis en place un tel registre à l'été 20198(*). Sur demande des rapporteurs, la direction générale du Trésor a sollicité 12 autres États membres afin de savoir s'ils avaient mis en place ce registre depuis 2019. Au 4 février 2025, elle avait eu confirmation que la Suède, la Finlande, la Slovaquie et la Hongrie avaient constitué un RCB, mais que tel n'était pas le cas de l'Estonie.

Les rapporteurs déplorent qu'il soit impossible, près de 8 ans après l'adoption de la 5ème directive anti-blanchiment, de disposer d'un bilan complet de l'instauration d'un registre des comptes bancaires dans chacun des États membres. Sans registres nationaux, il ne peut y avoir, par définition, de système d'interconnexion satisfaisant. Les rapporteurs appellent donc à l'adoption rapide d'un registre centralisé des comptes bancaires dans les États membres où ce registre n'existe pas encore. Il s'agit d'un préalable indispensable à la mise en oeuvre du système d'interconnexion européen. À défaut, l'ambition fixée par le paquet anti-blanchiment de 2024 restera vaine.

Par ailleurs, des interrogations se posent s'agissant des modalités pratiques et informatiques du système d'interconnexion.

Afin de faciliter la consultation des données par les différents États membres, la Commission européenne doit définir, par voie d'actes d'exécution, les spécifications techniques et les procédures nécessaires pour connecter les RCB des États membres au système d'interconnexion. Elle peut également établir, par voie d'actes d'exécution, le format à respecter pour la communication des informations aux mécanismes automatisés centralisés. Ce système doit être établi d'ici le 10 juillet 2029.

Interrogé par les rapporteurs, Tracfin a estimé que les délais fixés par le paquet anti-blanchiment, s'ils paraissent lointains, sont en réalité très ambitieux. La 6ème directive anti-blanchiment doit être transposée d'ici le 10 juillet 2027. Or, la diversité des formats actuels des registres centralisés de comptes bancaires selon les pays, voire leur absence dans certains cas, rendent les objectifs difficilement atteignables. Tracfin a particulièrement alerté sur les travaux informatiques nécessaires pour assurer l'interconnexion, qui doit être au point seulement 2 ans après l'objectif de 2027 d'un registre par État membre. L'ampleur de la tâche est particulièrement vaste, d'autant plus que des garanties doivent être apportées pour s'assurer de la protection cyber de ces infrastructures.

Près d'un an après son adoption au niveau de l'Union européenne, le paquet anti-blanchiment soulève ainsi déjà de nombreuses interrogations. Les rapporteurs appellent donc à une mobilisation rapide de la Commission européenne pour prendre les actes d'exécution concernant les spécifications techniques et les procédures nécessaires pour connecter les registres nationaux de comptes bancaires entre eux. À défaut, le délai fixé à juillet 2029, déjà ambitieux, ne pourra pas être tenu.

II. S'INSPIRANT DU FICOBA FRANÇAIS, LA PROPOSITION DE RÉSOLUTION EUROPÉENNE ENTEND CRÉER UN FICHIER EUROPÉEN DES COMPTES BANCAIRES, QUI POURRAIT CONSTITUER UN OBJECTIF À PLUS LONG TERME

La proposition de résolution européenne entend s'inspirer du fichier français des comptes bancaires (FICOBA) pour créer un fichier européen des comptes bancaires. Les caractéristiques du FICOBA méritent d'être rappelées (A) avant d'examiner l'opportunité d'un registre commun au niveau de l'Union européenne plutôt qu'un système d'interconnexion de 27 registres nationaux (B).

A. LE FICOBA NE DONNE ACCÈS QU'À L'IDENTITÉ DES DÉTENTEURS DE COMPTES BANCAIRES EN FRANCE, ET NON AU DÉTAIL DES OPÉRATIONS NI AU SOLDE

Le FICOBA a été créé en 1971 et sert à recenser l'ensemble des comptes de toute nature enregistrés en France (comptes bancaires, postaux, d'épargne, détentions de coffres...). Il fournit aux personnes habilitées des informations sur les comptes détenus par une personne ou une société.

L'article 1649 A du code général des impôts prévoit que les administrations publiques, les établissements ou organismes soumis au contrôle de l'autorité administrative, les établissements bénéficiant des dispositions des articles L. 511-22 et L. 511-23 du code monétaire et financier pour leurs opérations avec des résidents français et toutes personnes qui reçoivent habituellement en dépôt des valeurs mobilières, titres ou fonds doivent déclarer à l'administration des impôts l'ouverture et la clôture des comptes de toute nature ainsi que, depuis le 14 février 2020, la location de coffres-forts (ces derniers étant traités comme des comptes bancaires). Ces déclarations alimentent l'application du FICOBA, système automatisé dont la direction générale des finances publiques (DGFiP) est responsable au sens de la loi n° 78-17 du 6 janvier 1978 relative à l'informatique, aux fichiers et aux libertés.

Les déclarations d'ouverture, de clôture ou de modification de comptes comportent les renseignements suivants :

- nom et adresse de l'établissement qui gère le compte ;

- numéro, nature, type et caractéristique du compte ;

- date et nature de l'opération déclarée (ouverture, clôture, modification) ;

- nom, prénom, date et lieu de naissance, adresse du titulaire du compte, plus le numéro SIRET des entrepreneurs individuels.

Pour les personnes morales, sont enregistrés les noms, forme juridique, numéro SIRET et adresse.

Le fichier ne fournit aucune information sur les opérations effectuées sur le compte ou sur son solde.

Le FICOBA est utilisé par les services de la DGFiP dans le cadre de ses missions de contrôle de l'impôt et de son recouvrement. Ainsi, il permet aux services de contrôle de recenser les comptes ouverts au nom d'une personne qui fait l'objet d'un contrôle, la consultation permettant au service d'effectuer, le cas échéant, un droit de communication auprès de l'établissement teneur de compte pour obtenir les relevés du compte ou certaines opérations ciblées (copie de chèque par exemple). L'obtention des relevés de compte, par le biais du droit de communication, est utile notamment dans le cas des contrôles de professionnels qui se sont placés en situation d'opposition à un contrôle fiscal.

Le FICOBA peut également être un outil au service de Tracfin pour ses missions d'enquête dans la lutte contre le blanchiment d'argent et le financement du terrorisme. Tracfin peut connaitre grâce au FICOBA l'identité de détenteurs de comptes en France mais doit ensuite interroger les banques pour connaitre le détail des informations bancaires.

Le FICOBA reste donc un outil indirect au service de la lutte contre le blanchiment d'argent et le financement du terrorisme. Dans le cas où un fichier européen de comptes bancaires serait créé, la seule consultation du fichier ne serait donc pas suffisante pour mener des investigations. Les cellules de renseignement financier (CRF) restent les acteurs habilités pour obtenir des informations auprès des banques.

Le FICOBA est avant tout un annuaire des comptes bancaires présents en France. Dans le cas d'un FICOBA européen, comme dans celui d'une interconnexion des fichiers nationaux, le rôle des CRF reste central. Ils doivent, dans ces deux cas de figure, solliciter leurs homologues étrangers pour qu'ils interrogent la banque de l'État en question pour obtenir des informations bancaires détaillées.

B. LA POSITION DES RAPPORTEURS : ASSURER L'APPLICATION DU PAQUET DE MAI 2024, SANS NÉGLIGER DE PARVENIR À TERME À UN FICHIER EUROPÉEN DES COMPTES BANCAIRES

Les rapporteurs ont interrogé la direction générale du Trésor, la direction générale des finances publiques, l'Autorité bancaire européenne et Tracfin afin de les interroger sur la plus-value de créer un fichier européen des comptes bancaires, en complément du système d'interconnexion de 27 registres nationaux prévu par le paquet anti-blanchiment de mai 2024.

Il en ressort deux observations principales.

D'abord, il a été avancé que la mise en place d'un tel fichier exigerait de rouvrir un cycle de négociations au niveau européen sur la lutte contre le blanchiment, alors même que plus de 3 ans de discussions ont été nécessaires pour aboutir au paquet de mai 2024. Les mesures de 2024 étant difficiles à mettre en application, compte tenu notamment des délais restreints, il conviendrait de concentrer l'énergie sur la mise en oeuvre de ce paquet. Loin d'être effective, l'existence d'un registre national de compte bancaire dans chaque État membre devrait être la priorité.

Par ailleurs, la mise en place d'un fichier européen des comptes bancaires soulèverait des questions en termes de souveraineté et de respect des libertés publiques.

La création d'un fichier commun impliquerait que des informations concernant les comptes bancaires, particulièrement sensibles du point de vue de la protection de la vie privée, figurent dans une base de données dont l'administration échapperait aux États membres. A l'heure actuelle, dans le cadre de la coopération entre CRF, un État membre peut restreindre l'accès de son registre aux autorités d'un autre État membre aux seuls cas où les autorités de ce dernier ont des raisons justifiées de croire qu'il pourrait exister des informations pertinentes relatives aux comptes bancaires dans cet État9(*). Avec la création d'un fichier européen, ce droit de regard des autorités nationales disparaitrait. Avec le système d'interconnexion des RCB, ce droit est maintenu.

Les personnes auditionnées ont insisté sur le saut en termes de souveraineté que constituerait ce fichier européen. Ils ont également alerté sur le risque que certaines administrations d'États membres partenaires puissent facilement utiliser à mauvais escient les informations contenues dans ce fichier commun.

Les rapporteurs sont conscients de ces deux écueils. Ils considèrent néanmoins que la création d'un fichier européen des comptes bancaire pourrait être un objectif à long terme, une fois appliqué le paquet adopté en mai 2024. Ce fichier présenterait en effet l'avantage de centraliser les informations et de permettre un gain de temps, profitable dans la lutte contre le blanchiment d'argent. Le respect des données et la protection des informations sensibles nationales méritent d'être pris en compte et devront faire l'objet d'une attention particulière.

L'interconnexion des registres nationaux pourrait alors être considérée comme une première étape, avant d'en franchir - si besoin - une seconde avec la création d'un fichier européen des comptes bancaires. Les rapporteurs considèrent que la perspective de ce second objectif obligera à une évaluation du dispositif d'interconnexion et pourrait servir d'accélérateur pour la mise en oeuvre des mesures de 2024.

La directive de 2024 souffrant de difficultés de mise en oeuvre, il convient d'exercer une pression politique pour renforcer véritablement, et non pas seulement sur le papier, la lutte contre le blanchiment d'argent et le financement du terrorisme.

Dès lors, la position des rapporteurs s'organise autour de quatre principes :

- accélérer le déploiement dans chaque État membre d'un registre national des comptes bancaires ;

- exiger de la Commission européenne la prise rapide des mesures nécessaires au déploiement du système d'interconnexion des registres nationaux des comptes bancaires ;

- évaluer à partir de 2029 la mise en oeuvre du système d'interconnexion des registres des comptes bancaires, en s'assurant notamment de l'homogénéité des formats des registres nationaux ;

- après évaluation du système d'interconnexion des registres nationaux, examiner l'opportunité de créer un fichier européen des comptes bancaires.

EXAMEN EN COMMISSION

La commission des affaires européennes, réunie le jeudi 6 février 2025, a engagé le débat suivant :

M. Jean-François Rapin, président. - Mes chers collègues, je commence cette réunion par un point d'agenda, pour vous indiquer que nous nous retrouverons la semaine prochaine, le mercredi 12 février, pour examiner une proposition de résolution européenne de nos collègues Pascale Gruny et Jacques Fernique sur la directive relative aux dimensions et poids maximaux des véhicules autorisés en trafic national et international. Il s'agira d'évoquer le sujet des « mégacamions ».

Nous nous réunirons ensuite le jeudi 13 au matin. Je vous présenterai alors deux communications, la première sur le projet de loi portant diverses dispositions d'adaptation au droit de l'Union européenne en matière économique, financière, environnementale, énergétique, de transport, de santé et de circulation des personnes, dit projet de loi DDADUE, et la seconde sur le projet relatif à la résilience des infrastructures critiques et au renforcement de la cybersécurité, pour évoquer les enjeux de surtransposition, notre commission ayant un rôle de vigie en la matière.

Un calendrier prévisionnel de nos travaux vous sera adressé aujourd'hui, pour couvrir la période allant jusqu'à la suspension. Je réunirai le bureau de la commission avant celle-ci, le mercredi 19 février, sous la forme d'un petit-déjeuner, afin d'organiser le travail des prochains mois au regard des nombreuses initiatives qui vont être lancées par la Commission européenne.

Par ailleurs, la proposition de loi relative à la consultation du Parlement sur la nomination de membres français dans certaines institutions européennes, que j'ai déposée et que vous avez été nombreux à co-signer, sera examinée en séance le 4 mars à 21 h 30.

Nous nous réunissons ce matin pour examiner le rapport de nos collègues André Reichardt et Florence Blatrix Contat sur la proposition de résolution européenne visant à la création d'un fichier européen des comptes bancaires et assimilés, déposée par notre collègue Nathalie Goulet.

La France dispose d'un fichier recensant l'ensemble des comptes bancaires détenus dans le pays. Tel n'est pas le cas de tous les États membres de l'Union européenne. La mise en place d'un système d'interconnexion des registres des comptes bancaires à l'échelle de l'Union européenne a toutefois été adoptée l'an dernier, dans le cadre du paquet de mesures visant à lutter contre le blanchiment d'argent et le financement du terrorisme.

Dans ce contexte, je laisse le soin à André Reichardt et Florence Blatrix Contat de nous faire part de leur analyse de cette proposition de résolution européenne.

M. André Reichardt, rapporteur. - Monsieur le Président, mes chers collègues, le 8 janvier dernier, Nathalie Goulet et plusieurs de nos collègues ont déposé une proposition de résolution européenne visant à créer un fichier européen des comptes bancaires. Ce fichier européen prendrait pour modèle le fichier national des comptes bancaires et assimilés (FICOBA) français, qui recense l'ensemble des comptes bancaires détenus en France. L'objectif affiché de ce fichier européen serait de permettre de mieux lutter contre la fraude et le contre le blanchiment d'argent à l'échelle de l'Union européenne, en assurant un accès facilité et centralisé aux informations bancaires des différents États membres.

Cette proposition de résolution européenne intervient alors qu'un nouveau paquet de mesures pour lutter contre le blanchiment d'argent et le financement du terrorisme a été adopté au niveau européen en mai 2024. En plus de créer une Autorité européenne de lutte contre le blanchiment de capitaux et le financement du terrorisme (ALBC), le paquet de mai 2024 prévoit la mise en place d'un système d'interconnexion des registres des comptes bancaires à l'échelle de l'Union européenne.

Avec ma collègue Florence Blatrix Contat, nous avons été chargés d'examiner cette proposition de résolution européenne. Nous avons cherché à évaluer l'utilité de créer un fichier européen des comptes bancaires, au regard notamment des mesures déjà adoptées en mai 2024 et qui doivent être transposées d'ici juillet 2027. Pour nourrir nos travaux, nous avons entendu la direction générale du Trésor, la direction générale des finances publiques, l'Autorité bancaire européenne et enfin Tracfin, la cellule française de renseignement financier, qui est un opérateur majeur de la lutte contre le blanchiment d'argent.

Nous organiserons notre propos en trois parties : d'abord, quelle est la situation actuelle en matière de partage d'informations bancaires à l'échelle européenne ? Ensuite, le paquet anti-blanchiment de mai 2024 apporte-t-il des réponses satisfaisantes ? Pour finir, quelle est, dès lors, notre position sur cette proposition de résolution européenne ?

Mme Florence Blatrix Contat, rapporteure. - Je commence donc par vous décrire la situation actuelle en matière d'accès aux informations bancaires dans le cadre de la lutte contre la fraude et le blanchiment.

La France a la chance de bénéficier depuis 1971 d'un registre centralisé de comptes bancaires avec le FICOBA. Ce fichier est un annuaire de l'ensemble des comptes bancaires enregistrés en France, que ce soit les comptes bancaires, les comptes d'épargne, les comptes-titres ou même les coffres-forts. Le FICOBA permet de disposer de l'identité des détenteurs des comptes et indique les dates d'ouverture, de modification et de clôture d'un compte. Il ne comporte en revanche aucune information sur les opérations effectuées sur le compte ou sur son solde. La direction des finances publique gère le FICOBA et l'administration fiscale se sert de ce fichier dans le cadre de ses missions de contrôle de l'impôt et de son recouvrement.

Parmi les personnes habilitées à consulter le FICOBA figurent également Tracfin, la cellule française de renseignement financier. Tracfin peut consulter le FICOBA pour déterminer, par exemple, dans quelle banque établie en France une personne soupçonnée de blanchiment détient un compte. Une fois cette information obtenue, Tracfin doit solliciter les banques - via le mécanisme du droit de communication - pour obtenir des informations détaillées sur les opérations ou sur le solde de ce compte. J'insiste : si les informations bancaires « primaires » sont accessibles sur le FICOBA, les informations bancaires détaillées sont obtenues par Tracfin auprès des banques. L'utilité du FICOBA est de savoir où chercher.

Qu'en est-il dans le cas de demande d'informations auprès d'un autre État membre ? Dans ce cas-là, Tracfin doit solliciter la cellule homologue de renseignement financier pour avoir des informations « primaires ». Cette simple demande peut aujourd'hui prendre beaucoup de temps. En effet, contrairement à la France, certains États membres ne disposent pas d'un FICOBA ; ils n'ont pas de registre national des comptes bancaires. Dans ces pays, la cellule de renseignement financier qui souhaiterait obtenir une liste de tous les comptes bancaires détenus par une personne soupçonnée de blanchiment doit alors formuler une « demande générale » à toutes les banques de son pays. Vous devinez bien que les délais peuvent alors être très longs, et que cette coopération européenne apparaît bien peu efficace...

M. André Reichardt, rapporteur. - C'est précisément pour remédier à ces difficultés que la Commission européenne avait présenté en juillet 2021 une proposition de nouveau paquet législatif de lutte contre le blanchiment d'argent. Après trois ans de négociations, la 6ème directive anti-blanchiment et deux règlements anti-blanchiment ont été adoptés en mai 2024.

Cette 6ème directive anti-blanchiment impose à chaque État membre de mettre en place un registre des comptes bancaires et prévoit le déploiement d'un système d'interconnexion européen des registres nationaux.

L'obligation de disposer d'un registre des comptes bancaires dans chaque État membre figurait déjà dans la 5ème directive anti-blanchiment de 2018. Compte tenu du retard pris par de nombreux États membres, la 6ème directive réitère donc cette exigence et la complète en incluant les IBAN virtuels et les comptes de crypto-actifs dans ces registres. Dans un rapport de juillet 2019, la Commission européenne notait que seuls 14 États membres - dont la France avec le FICOBA - avaient mis en place un registre des comptes bancaires à l'été 2019. Nous avons sollicité la direction générale du Trésor pour actualiser ces chiffres. Elle a eu confirmation que quatre États supplémentaires avaient constitué un registre, mais que tel n'était pas le cas de l'Estonie. Cette lacune est d'autant plus notable que des scandales de blanchiment d'argent avaient touché plusieurs banques des pays baltes en 2018 et 2019. Pour les 8 autres pays concernés, nous n'avons pas d'information. 7 ans après l'adoption de la 5ème directive anti-blanchiment, il n'est pas acceptable de ne pas disposer de bilan complet de l'instauration des registres des comptes bancaires à travers l'Union européenne !

Le mécanisme d'interconnexion des registres nationaux doit permettre aux cellules de renseignement financier d'accéder directement aux informations contenues dans les registres des comptes bancaires, sans passer par leurs homologues. Le droit d'accès à ce système d'interconnexion n'est ouvert qu'aux cellules de renseignement financier, et dans certains cas, à l'Autorité européenne de lutte contre le blanchiment. Ce système doit être mis au point par la Commission européenne au plus tard le 10 juillet 2029. Les spécifications techniques et les procédures nécessaires pour assurer cette interconnexion doivent être précisées par la voie d'actes d'exécution pris par la Commission européenne.

S'agissant de ce système d'interconnexion, nous avons deux sujets de préoccupation. D'abord, il ne pourra se mettre en place et ne pourra être efficace qu'à la condition que tous les États membres se soient dotés un registre national. Or, ce n'est toujours le cas. La priorité doit donc être donnée au déploiement des registres nationaux dans chacun des États membres. Ensuite, nous attendons que la Commission européenne prenne les mesures d'exécution nécessaires à la préparation de ce système d'interconnexion. La négociation de ces actes, qui rentrent dans le cadre de la comitologie, n'a pas été initiée par la Commission européenne à ce jour.

Mme Florence Blatrix Contat, rapporteure. - J'en viens maintenant à notre position sur la proposition de résolution européenne qui nous est soumise. Nous pensons d'abord que la priorité doit être de faire appliquer le paquet anti-blanchiment adopté en mai 2024. La France fait figure de modèle en Europe avec le FICOBA, dispositif connu et éprouvé depuis 50 ans. Il faut que, de la même manière, chaque État membre se dote d'un registre centralisé des comptes bancaires, comme le prévoit la législation européenne. C'est un préalable indispensable si l'on veut ensuite mettre en place le système d'interconnexion des registres nationaux. Trois ans de négociation ont été nécessaires pour parvenir à un consensus sur le paquet anti-blanchiment de mai 2024. Appeler à la création à court terme d'un fichier européen des comptes bancaires obligerait à rouvrir un nouveau cycle de négociations, alors même que les travaux de transposition de la 6ème directive anti-blanchiment débutent à peine.

Nous considérons ensuite qu'il faut également de toute urgence préparer la mise en oeuvre du système d'interconnexion des registres nationaux des comptes bancaires. L'échéance est fixée à juillet 2029, perspective qui peut paraitre lointaine mais qui est en réalité ambitieuse, compte tenu de la difficulté technique de ces opérations et du coût qu'elles représentent pour les États membres. La Commission européenne doit publier les actes d'exécution pour permettre de préparer au mieux cette échéance.

Nous proposons donc d'attendre la mise en place complète du paquet anti-blanchiment de 2024 avant de songer à mettre en place un fichier européen des comptes bancaires. Il conviendra d'examiner à terme l'opportunité et la faisabilité de créer un tel fichier, après évaluation des mesures introduites par le paquet anti-blanchiment de 2024. Si le système d'interconnexion des registres ne donne pas satisfaction, ou s'il tarde trop à se mettre en oeuvre, une initiative sur un fichier européen pourrait être lancée.

Nous attirons l'attention sur le fait qu'un fichier européen des comptes bancaires pourrait soulever des questions en termes de respect des libertés publiques et de souveraineté. Les informations relatives aux comptes bancaires constituent des données à caractère personnel particulièrement sensibles du point de vue de la protection de la vie privée. Il serait ainsi problématique qu'elles figurent dans une base de données dont l'administration échapperait aux États membres. Il s'agirait d'un pas important en termes d'intégration européenne, qui pourrait ne pas être partagé par plusieurs États membres.

Vous l'avez compris, nous n'excluons pas à terme de parvenir à un fichier européen des comptes bancaires, mais nous pensons que la priorité doit être donnée à l'application du paquet anti-blanchiment de 2024, et tout particulièrement au déploiement du système d'interconnexion des registres nationaux.

M. Jean-François Rapin, président. - Je vous remercie pour votre travail sur cette proposition de résolution européenne, pour laquelle vous proposez quelques modifications.

Mme Florence Blatrix Contat, rapporteure. - Nous considérons qu'un fichier bancaire européen nécessiterait de longues négociations qui ne sont pas certaines d'aboutir, et poserait la question de la détention de données bancaires sensibles par d'autres États membres. Il nous semble donc préférable de s'assurer d'abord que chaque État membre se dote d'un registre national - sur le modèle du FICOBA - et de viser ensuite à une harmonisation et une interconnexion des fichiers bancaires nationaux.

M. Jean-François Rapin, président. - Qui peut accéder au FICOBA ?

M. André Reichardt, rapporteur. - La liste des autorités habilitées à consulter ce fichier comprend notamment l'administration fiscale, Tracfin ou encore la Haute Autorité pour la transparence de la vie publique (HATVP).

M. Jean-François Rapin, président. - Proposez-vous des amendements à cette proposition de résolution européenne ?

M. André Reichardt, rapporteur. - Nous proposons une modification du texte pour rappeler le contexte du paquet de textes européens adopté en mai 2024 pour lutter contre le blanchiment d'argent. Nous proposons d'ajouter les alinéas 10, 11, 12 suivants : « Considérant que les règlements (UE) 2024/1620 et (UE) 2024/1624 ainsi que la directive (UE) 2024/1640 du 31 mai 2024 permettent de renforcer la coopération au niveau de l'Union européenne en matière de lutte contre le blanchiment des capitaux et le financement du terrorisme ; considérant que les dispositifs découlant de ces textes ne pourront s'appliquer efficacement qu'à condition que tous les États membres disposent d'un registre centralisé de comptes bancaires ; considérant que le système d'interconnexion des registres centralisés de comptes bancaires nécessite pour sa mise en oeuvre l'adoption de mesures d'application par la Commission européenne ; ».

Nous proposons également les ajouts des alinéas 16 à 18 suivants : « demande d'accélérer le déploiement dans chaque État membre d'un registre national de comptes bancaires ; demande à la Commission européenne de prendre rapidement les mesures nécessaires au déploiement du système d'interconnexion des registres nationaux de comptes bancaires ; propose d'évaluer à partir de 2029 la mise en oeuvre du système d'interconnexion des registres de comptes bancaires, en s'assurant notamment de l'homogénéité des formats des registres nationaux ; ».

Nous avons retenu la date de 2029 pour l'évaluation car c'est la date à laquelle l'interconnexion des registres nationaux doit être effective. Cette échéance peut sembler lointaine mais il s'agit d'un objectif ambitieux qui nécessite d'importants investissements et suppose de régler de nombreux problèmes informatiques. Et même si on arrive à faire ce travail au sein de l'Union européenne, il restera de nombreux pays en dehors de ces obligations. Pour preuve, la Russie et la Chine ne sont pas membres du Groupe d'action financière (GAFI) - organisation intergouvernementale de surveillance du blanchiment de capitaux et du financement du terrorisme. Le GAFI classe les pays selon les mesures prises pour lutter contre le blanchiment de capitaux et le financement du terrorisme ; les pays figurent ainsi sur une liste blanche, noire ou grise.

Par ailleurs, 13 % des français détiennent des comptes en crypto-monnaie, ce qui complexifie encore la lutte contre le blanchiment d'argent.

Il nous semble qu'il faut d'abord appliquer le paquet anti-blanchiment de mai 2024 avant d'aller vers un fichier européen des comptes bancaires. Nous proposons ainsi l'ajout d'un alinéa 19 à la proposition de résolution : « souhaite que l'Union européenne examine à terme l'opportunité et la faisabilité d'un fichier européen des comptes bancaires et assimilés ; ».

Nous proposons enfin une modification de l'alinéa 20 qui serait ainsi rédigé : « invite le Gouvernement à faire valoir cette position dans les négociations au Conseil ».

Nous nous sommes félicités du consensus trouvé sur le texte relatif au narcotrafic, qui comprend un volet consacré à la lutte contre le blanchiment d'argent, mais je reste inquiet concernant sa mise en oeuvre effective. Quels sont nos moyens de contrôle ? Nous pouvons compter sur le paquet anti-blanchiment de mai 2024 mais certaines dispositions ne seront effectives qu'en 2029. Par ailleurs, cet encadrement ne concerne que les pays de l'Union européenne et non les autres pays dans lesquels peut exister aujourd'hui du blanchiment d'argent.

Mme Florence Blatrix Contat, rapporteure. - Je pense que le sujet des crypto-monnaies est une problématique essentielle dont il faudra s'emparer dans la lutte contre le blanchiment d'argent. Lors de nos auditions, il nous a été indiqué que la proportion de Français détenant de la cryptomonnaie devrait exploser. Ce fait contraste avec les propos tenus par le gouverneur honoraire de la Banque de France, Christian Noyer, que nous avons auditionné mardi, conjointement avec la commission des finances. M. Noyer relevait que les cryptomonnaies présentent les caractéristiques d'une « pyramide de Ponzi », qui pourrait donc finir par s'effondrer.

M. Jean-François Rapin, président. - Nous avons eu une audition très intéressante du directeur général de Tracfin, il y a un peu plus d'un an, dans le cadre des travaux sur la proposition de résolution européenne relative à la prévention et à la lutte contre la corruption dans l'Union européenne. Peut-être pourrions-nous organiser une nouvelle audition pour l'entendre sur le sujet des cryptomonnaies.

M. André Reichardt, rapporteur. - Comme vous le savez, Nathalie Goulet, auteur de la proposition de résolution européenne, est rapporteure de la commission d'enquête aux fins d'évaluer les outils de la lutte contre la délinquance financière, la criminalité organisée et le contournement des sanctions internationales, en France et en Europe, et de proposer des mesures face aux nouveaux défis. Les travaux de cette commission d'enquête vont mettre en lumière, je pense, l'absence de ce fichier européen des comptes bancaires ou en tout cas de fichiers nationaux harmonisés. L'existence d'un fichier européen ou d'un système d'interconnexion des registres nationaux permet un gain de temps par rapport à des fichiers nationaux. En effet, dans la situation actuelle, Tracfin ne peut pas interroger directement une banque d'un autre État membre ; il doit interroger son homologue qui va consulter son fichier bancaire national.

M. Jean-François Rapin, président. - Nous pourrions entendre, en audition, le parquet européen, qui s'intéresse aux fonds de l'Union européenne, mais dont on pourrait imaginer une extension des compétences au sujet du blanchiment d'argent, à l'image de l'extension envisagée en matière environnementale. La position française semble cependant être de laisser Europol et Eurojust traiter de ces sujets.

La commission adopte, à l'unanimité, les amendements proposés par les rapporteurs puis la proposition de résolution européenne.

PROPOSITION DE RÉSOLUTION EUROPÉENNE
VISANT À LA CRÉATION D'UN FICHIER EUROPÉEN DES COMPTES BANCAIRES ET ASSIMILÉS

Le Sénat,

Vu l'article 88-4 de la Constitution,

Vu l'article 73 quinquies du Règlement du Sénat,

Vu l'article 83 du traité sur le fonctionnement de l'Union européenne (TFUE),

Vu le règlement (UE) 2024/1620 du Parlement européen et du Conseil du 31 mai 2024 instituant l'Autorité de lutte contre le blanchiment de capitaux et le financement du terrorisme et modifiant les règlements (UE) n° 1093/2010, (UE) n° 1094/2010 et (UE) n° 1095/2010,

Vu le règlement (UE) 2024/1624 du Parlement européen et du Conseil du 31 mai 2024 relatif à la prévention de l'utilisation du système financier aux fins du blanchiment de capitaux ou du financement du terrorisme,

Vu la directive (UE) 2024/1640 du Parlement européen et du Conseil du 31 mai 2024 relative aux mécanismes à mettre en place par les États membres pour prévenir l'utilisation du système financier aux fins du blanchiment de capitaux ou du financement du terrorisme, modifiant la directive (UE) 2019/1937, et modifiant et abrogeant la directive (UE) 2015/849,

Considérant que la lutte contre la fraude fiscale et le blanchiment de capitaux est essentielle pour préserver l'équité fiscale, garantir la stabilité économique et financière, et empêcher le financement d'activités criminelles ou terroristes ;

Considérant qu'il est impératif de renforcer les mécanismes de transparence et de contrôle, en facilitant l'identification des comptes bancaires suspects à l'échelle européenne ;

Considérant que les règlements (UE) 2024/1620 et (UE) 2024/1624 ainsi que la directive (UE) 2024/1640 du 31 mai 2024 permettent de renforcer la coopération au niveau de l'Union européenne en matière de lutte contre le blanchiment des capitaux et le financement du terrorisme ;

Considérant que les dispositifs découlant de ces textes ne pourront s'appliquer efficacement qu'à condition que tous les États membres disposent d'un registre centralisé de comptes bancaires ;

Considérant que le système d'interconnexion des registres centralisés de comptes bancaires nécessite pour sa mise en oeuvre l'adoption de mesures d'application par la Commission européenne ;

Considérant qu'il est nécessaire d'établir un outil commun à l'échelle européenne pour centraliser et partager les données financières afin d'harmoniser les pratiques entre les États membres ;

Considérant qu'il est du ressort de l'Union européenne de créer les mécanismes nécessaires pour faire face à une criminalité financière transnationale qui exploite les failles dans l'absence de coordination européenne ;

Appelle en conséquence au renforcement de la coopération européenne en matière d'échange de données financières ;

Demande d'accélérer le déploiement dans chaque État membre d'un registre national de comptes bancaires ;

Demande à la Commission européenne de prendre rapidement les mesures nécessaires au déploiement du système d'interconnexion des registres nationaux de comptes bancaires ;

Propose d'évaluer à partir de 2029 la mise en oeuvre du système d'interconnexion des registres de comptes bancaires, en s'assurant notamment de l'homogénéité des formats des registres nationaux ;

Souhaite que l'Union européenne examine à terme l'opportunité et la faisabilité d'un fichier européen des comptes bancaires et assimilés ;

Invite le Gouvernement à faire valoir cette position dans les négociations au Conseil.

LA RÉSOLUTION EN CONSTRUCTION

Pour naviguer dans les rédactions successives du texte, le tableau synoptique de la résolution en construction est disponible sur le site du Sénat à l'adresse suivante :

https://www.senat.fr/tableau-historique/ppr24-229.html

LISTE DES PERSONNES ENTENDUES

Mardi 28 janvier 2025

- Direction générale des finances publiques :

o Mme Carole MAUDET, sous-directrice du pilotage, de l'expertise juridique et du contrôle fiscal ;

o Alexandra BARREAU-JOUFFROY, cheffe du bureau SJCF 1B Expertise juridique et publications fiscales ;

- Direction générale du Trésor :

o M. Gabriel CUMENGE, sous-directeur des banques et des financements d'intérêt général ;

o M. Guillaume LESQUOY, adjoint au chef du bureau « Lutte contre la criminalité financière » ;

- Autorité bancaire européenne :

o M. François-Louis MICHAUD, directeur exécutif ;

o Mme Carolin GARDNER, cheffe de l'unité de lutte contre le blanchiment de capitaux et le financement du terrorisme ;

o M. Philippe ALLARD, chef de l'unité « Gouvernance et affaires extérieures ».

Lundi 3 février 2025

- Traitement du renseignement et action contre les circuits financiers clandestins (TRACFIN) :

o M. Antoine MAGNANT, directeur.


* 1 Ces cas ont concerné les banques danoises Danske et ING, lettonne ABLV, maltaise Pilatus et suédoises Swedbank et Nordea.

* 2 Règlement (UE) 2024/1620 du Parlement européen et du Conseil du 31 mai 2024 instituant l'Autorité de lutte contre le blanchiment de capitaux et le financement du terrorisme ; règlement (UE) 2024/1624 du Parlement européen et du Conseil du 31 mai 2024 relatif à la prévention de l'utilisation du système financier aux fins du blanchiment de capitaux ou du financement du terrorisme ; directive (UE) 2024/1640 du Parlement européen et du Conseil du 31 mai 2024 relative aux mécanismes à mettre en place par les États membres pour prévenir l'utilisation du système financier aux fins de blanchiment de capitaux ou de financement du terrorisme.

* 3 Directive (UE) 2015/849 du Parlement Européen et du Conseil du 20 mai 2015 relative à la prévention de l'utilisation du système financier aux fins du blanchiment de capitaux ou du financement du terrorisme, modifiant le règlement (UE) n° 648/2012 du Parlement européen et du Conseil et abrogeant la directive 2005/60/CE du Parlement européen et du Conseil et la directive 2006/70/CE de la Commission.

* 4 L'article 32 bis instaurant l'obligation de créer ce registre a été introduite par la directive 2018/843, dite AMLD5, modifiant AMLD4. La directive n'utilisait pas le terme de registre des comptes bancaires, mais faisait uniquement référence à un mécanisme automatisé centralisé permettant d'accéder aux informations relatives aux comptes bancaires.

* 5 Directive (UE) 2019/1153 du Parlement européen et du Conseil du 20 juin 2019 fixant les règles facilitant l'utilisation d'informations financières et d'une autre nature aux fins de la prévention ou de la détection de certaines infractions pénales, ou des enquêtes ou des poursuites en la matière.

* 6 En France, Tracfin. Ces cellules ont pour mission de mission de recevoir et d'analyser les déclarations d'opérations suspectes et les autres informations concernant des faits suspects susceptibles de relever du blanchiment, des infractions sous-jacentes associées ou du financement du terrorisme.

* 7 Rapport de la Commission européenne du 24 juillet 2019, présenté au Parlement européen en application de l'article 32 bis de la directive 2015/849.

* 8 Allemagne, Autriche, Belgique, Bulgarie, Croatie, Espagne, Grèce, Italie, Lettonie, Lituanie, Portugal, Roumanie, Slovénie, Tchéquie.

* 9Article 4, paragraphe 1 bis de la directive 2019/1153 telle que modifiée par la directive 2024/1654.

Partager cette page