B. LE PROGRAMME 158 : UNE ENVELOPPE PLUS LIMITÉE ET ÉGALEMENT EN BAISSE
Le programme 158 finance les réparations aux victimes de spoliations et aux orphelins de victimes de persécutions antisémites ou d'actes de barbarie perpétrés pendant la seconde guerre mondiale.
Il recouvre deux actions correspondant à trois indemnisations : l'action 01 « indemnisation des orphelins de la déportation et des victimes de spoliation du fait des législations antisémites en vigueur pendant l'Occupation » et l'action 02 « indemnisation des victimes d'actes de barbarie durant la seconde guerre mondiale », étant précisé que l'indemnisation de l'action 02 s'adresse aux orphelins des victimes d'actes de barbarie.
Les crédits affectés à ce programme s'inscrivent dans une trajectoire baissière : 91,5 millions d'euros (AE=CP) pour la LFI 2023, 88,1 millions d'euros pour la LFI 2024 et 85,35 millions d'euros pour le PLF 2025. La grande majorité de ces crédits finance les rentes d'indemnisation des orphelins de victimes de violences antisémites ou d'actes de barbarie : 74,1 millions d'euros y sont consacrés pour le PLF 2025, soit 87 % des crédits du programme. La trajectoire baissière des crédits du programme s'explique essentiellement par la baisse du nombre des crédirentiers, qui sont en moyenne très âgés.
Ces crédits sont très majoritairement des crédits d'intervention qui sont reversés à l'ONaCVG, qui a la charge du paiement concret des indemnités. L'ONaCVG a ainsi bénéficié d'un transfert de crédits de 83,3 millions d'euros (AE et CP) en provenance du programme 158.
17 ETPT sont rémunérés par le programme 158, un nombre stable par rapport à 2024. La CIVS compte également 24 collaborateurs qui ne sont pas sous plafond d'emploi, dont la rémunération est portée par les crédits du programme 158. Ces derniers ne représentent cependant que 20 % des crédits de titre 2 de la CIVS, les 80 % restant servant à rémunérer les 17 ETPT prévus en loi de finances. Ces 24 collaborateurs sont les membres du collège délibérant de la CIVS, les magistrats instructeurs, le rapporteur général et le commissaire du Gouvernement.
1. Indemnisation des orphelins : la réduction du nombre de crédirentiers
Cette réparation recouvre l'indemnisation des orphelins de victimes d'actes antisémites de l'action 01 et l'indemnisation des orphelins de victimes d'actes de barbarie commis pendant la seconde guerre mondiale de l'action 02. Ces deux types d'indemnisation sont ici regroupés car ils obéissent à des régimes identiques.
Les droits afférents aux orphelins d'actes antisémites ont été aménagés en 2000 et sont régis par le décret n° 2000-657 du 13 juillet 2000 sur les orphelins dont les parents ont été victimes d'actes antisémites. Les droits prévus par l'action 02 ont été eux aménagés en 2004 et sont régis par le décret n° 2004- 751 du 27 juillet 2004.
Les orphelins allocataires peuvent choisir entre une indemnisation en capital, s'élevant à 27 440,82 euros, et une rente viagère mensuelle. La rente viagère est revalorisée de 2,5 % par an. Cette dernière valait 678,94 euros au 1er janvier 2024 et son montant prévu pour 2025 est de 695,91 euros. Ces indemnisations sont exonérées d'imposition sur le revenu.
La modalité de revalorisation de cette rente est déliée de toute considération de nature économique et est traditionnellement plus dynamique que l'inflation. C'est le cas en 2024, après deux années 2022 et 2023 où l'inflation, particulièrement importante, avait été plus dynamique.
L'instruction des dossiers est réalisée par le département « reconnaissance et réparations » de l'ONaCVG. Les décisions accordant une mesure de réparation financière relèvent réglementairement du Premier ministre et le paiement des indemnisations est réalisé par l'ONaCVG. Dans ce cadre, les crédits servant aux indemnisations sont reversés à l'ONaCVG par les services du Premier ministre. Ainsi, l'immense majorité des crédits affectés au programme 158 est in fine reversée à l'ONaCVG.
17 907 demandes ont été déposées depuis 200013(*) au titre de l'indemnisation des orphelins de victimes d'actes antisémites, dont seulement 4 depuis 2022. Aucune n'a été déposée lors du premier semestre de 2024. 13 664 décisions d'attribution et 703 rejets ont été prononcés. 205 contestations ont été déposées à l'encontre des décisions de rejet. Toutes ont été rejetées par le juge administratif.
En ce qui concerne le dispositif de l'action 02, 34 799 demandes ont été déposées depuis 200414(*), dont 3415(*) depuis 2022. 22 810 décisions d'attribution ont été prononcées. 1 044 recours ont été formés contre ces décisions, dont 492 recours portant sur une demande de revalorisation du capital ou de rétroactivité de la rente. Aucun de ces 492 recours n'a prospéré. Les 552 recours restants contestent une décision de rejet. Seuls 30 recours ont abouti à une annulation.
Si de nouvelles demandes au titre de ces deux dispositifs continuent d'être enregistrées, le nombre de ces dernières est particulièrement faible. Étant donné qu'une absence de réponse dans un délai de 4 mois vaut décision de rejet et que le nombre de nouveaux dossiers est désormais particulièrement faible, les crédits affectés à ces indemnités ont désormais vocation à baisser au rythme du nombre des crédirentiers.16(*)
3 278 personnes sont actuellement crédirentières du dispositif d'indemnisation des orphelins de victimes d'actes antisémites et 5 534 autres le sont du dispositif de l'action 02.
2. La nécessité d'une réforme d'équité du dispositif de l'action 02 relatif à l'indemnisation des orphelins de victimes d'actes de barbarie
Le rapporteur spécial estime que le dispositif d'indemnisation des orphelins de victimes d'actes de barbarie pourrait être étendu, les dispositions du décret ouvrant des droits aux orphelins de « victimes d'actes de barbarie », notion définie comme des personnes « placées dans l'incapacité de se défendre et qui sont décédées du fait d'actes n'entrant pas dans le cadre d'un affrontement armé et relevant de la plus extrême inhumanité »
Cette définition exclut notamment :
- les membres de la Résistance ;
- les membres de l'armée régulière ;
- les orphelins de victimes des bombardements et des affrontements armés entre Allemands et Alliés.
3. La réparation des spoliations antisémites, une budgétisation en fonction des dossiers traités par la CIVS
Le décret n° 2018- 829 du 1er octobre 2018 modifiant le décret n° 99-778 du 10 septembre 1999 sur la réparation des spoliations antisémites régit le régime de ces indemnités. Il institue auprès du Premier ministre la Commission pour l'indemnisation des victimes de spoliations (CIVS), chargée « de rechercher et de proposer les mesures de réparation, de restitution ou d'indemnisation appropriées ». Une modification de 2018 étend les compétences de la CIVS.
Les crédits affectés à ce pan de l'action 01 sont minoritaires dans le programme. Ils s'élèvent à 11,2 millions d'euros (en AE = CP) pour 2025, en légère hausse par rapport à la dotation de 2024 qui s'élevait à 10,8 millions d'euros. Les crédits affectés aux spoliations sont directement facteur des dossiers en cours de traitement et peuvent varier fortement d'une année sur l'autre, indépendamment de toute considération gestionnaire.
Les indemnités accordées peuvent être mises à la charge de l'État français ou, en application des accords de Washington passés entre le Gouvernement des États-Unis et celui de la France, le 21 mars 2001, imputées sur les fonds du Fonds social juif unifié lorsqu'il s'agit d'indemniser des avoirs bancaires spoliés.
Deux tendances de fond se dégagent cependant : la première est une baisse du nombre de recommandations annuelles. Moins de 1 000 recommandations sont prononcées en 2010, moins de 500 en 2013 et moins de 200 depuis 2021. La deuxième, conséquence de la première, est que les prévisions d'indemnisations sont, malgré des variations annuelles parfois fortes, globalement en baisse.
La CIVS a cependant connu un rebond budgétaire en 2018 du fait de l'entrée en vigueur du décret n° 2018- 829 du 1er octobre 2018, qui prévoit une faculté d'auto-saisine de la CIVS. Le même décret permet également au ministère de la Culture de saisir la CIVS en matière de biens culturels.
Cette faculté d'auto-saisine, que le rapporteur avait appelée de ses voeux dans son rapport sur la CIVS17(*), a été mise en oeuvre 10 fois depuis l'entrée en vigueur du décret.
La CIVS se coordonne avec la Mission de recherche et de restitution des biens culturels spoliés entre 1933 et 1945 (M2RS) du ministère de la culture. CIVS et M2RS ont signé une convention le 1er juillet 2019 pour coordonner leur action.
Dans ce cadre :
- la M2RS peut saisir la CIVS ;
- la CIVS peut confier les recherches de provenance pour les dossiers de spoliations culturelles au M2RS. 47 dossiers ont ainsi été confiés au 31 juillet 2024. La CIVS et la M2RS se rencontrent tous les trimestres pour un suivi partagé des cas de spoliation dont la CIVS a confié l'instruction à la M2RS ;
- la CIVS et la M2RS partagent leurs ressources d'archives et leurs travaux de recherche.
La distinction entre les deux entités relève de leurs périmètres respectifs : la CIVS est compétente pour toute spoliation antisémite sous l'occupation et la M2RS est compétente pour toute spoliation de bien culturel entre 1933 et 1945.
Si le rapporteur salue le degré élevé de coordination entre les deux entités, l'intégration importante de leurs activités respectives le conduit à s'interroger sur la pertinence de l'existence de deux entités distinctes ayant en charge de missions très similaires et travaillant en partie sur les mêmes dossiers.
Une difficulté doit être mise en exergue : celle des parts réservées. La situation se présente dans le cas où, se prononçant sur une demande d'indemnisation, la CIVS constate l'existence d'une pluralité d'ayants droit sans pour autant les identifier précisément. L'hypothèse est courante étant donné que chaque génération supplémentaire augmente le nombre d'ayants droits et que les spoliations ont eu lieu il y a environ 80 ans. La Cour des comptes, dans un rapport de septembre 2011, avait ainsi relevé que sur les 30 000 dossiers examinés alors par la CIVS, une recommandation sur deux comportait des parts ainsi réservées, sans qu'un suivi attentif de ces parts ne soit mis en oeuvre.
Valant 27,5 millions d'euros à la fin de l'année 2015, le montant total des parts en attente de versement s'élevait à 24,4 millions d'euros au 31 juillet 2024. Il est précisé que plus de 3 millions d'euros ont été versés au titre des parts réservés sur cette période mais que les recommandations réalisées entre-temps par la CIVS augmentent le volume des parts réservées devant être versées.
En toute hypothèse, le montant des parts réservées demeure considérable et il doit être déduit des évaluations rendant compte de l'activité d'indemnisation de la commission. Depuis l'entrée en vigueur du décret du 5 janvier 2024 instituant une commission pour la restitution des biens et l'indemnisation des victimes de spoliations antisémites et pris en application des articles L. 115-3, L. 115-4 et L. 451-10-1 du code du patrimoine, la recherche des ayants droit figure désormais parmi les compétences explicites de la CIVS.
Outre le travail toujours en cours de mise à jour des parts réservées, la CIVS a conclu avec le Cercle des généalogistes juifs une convention visant à identifier les bénéficiaires potentiels de ses recommandations. Par ailleurs, un mécénat de compétence a été mis en oeuvre par le ministère de la culture avec des experts de la généalogie.
* 13 Au 30 juin 2024.
* 14 Au 30 juin 2024.
* 15 Les deux dispositifs indemnisant des préjudices subis pendant la deuxième guerre mondiale, la très grande majorité des personnes susceptible de demander une indemnité l'a déjà fait et très peu de demandeurs potentiels demeurent, expliquant le nombre très faible de nouvelles demandes.
* 16 Cette baisse est cependant ralentie par la revalorisation automatique de 2,5 % des rentes au 1er janvier de chaque année.
* 17 Rapport d'information n° 550 (2017-2018) de M. Marc LAMÉNIE, fait au nom de la commission des finances, déposé le 6 juin 2018.