B. METTRE FIN À L'IMPASSE FINANCIÈRE DANS LAQUELLE SE TROUVE FRANCE COMPÉTENCE IMPLIQUE UN RÉEXAMEN DES DISPOSITIFS QUE CET OPÉRATEUR FINANCE
1. Le reste à charge pour la mobilisation du CPF, adopté dans la LFI 2023, est entré en vigueur en avril 2024
Les droits à la formation professionnelle sont monétisés depuis la réforme de 2018 et peuvent être directement mobilisés par les titulaires du compte personnel de formation (CPF). Comme l'a souligné la Cour des comptes, ce dispositif, qui constitue l'un des deux principaux postes de dépenses de France compétences, s'inscrit « dans une logique dite « de guichet », contrairement aux autres dispositifs, financés par des enveloppes budgétaires fermées (...). Les dépenses liées au CPF sont, quant à elles, passées de 740 millions d'euros en 2018 à 2,7 milliards d'euros en 2021 »43(*).
Pour freiner cette très forte dynamique dépensière, plusieurs mesures ont été prises afin de responsabiliser les ministères et organismes certificateurs et de renforcer les exigences de qualité des certifications éligibles au CPF.
Des déréférencements sont intervenus et les taux de refus d'éligibilité des formations au CPF ont fortement augmenté en 2022. L'usage du CPF a également été sécurisé par l'obligation, depuis fin octobre 2022, d'utiliser le dispositif FranceConnect +, répondant à des exigences de sécurité renforcées, pour accéder au service dématérialisé géré par la Caisse des dépôts et consignations.
Enfin, l'article 212 de la loi de finances pour 2023 a introduit le principe d'une participation financière des bénéficiaires du CPF au financement de leur formation, par le biais d'une sorte de « reste à charge » dont serait exemptés les demandeurs d'emploi et les bénéficiaires pour lesquels l'employeur prend en charge une partie des coûts de la formation. Un an plus tard, cette disposition n'était toujours pas mise en oeuvre, faute de décret d'application.
Ce décret est finalement paru fin avril 202444(*), à la suite de l'annulation de crédits sur la mission « Travail et emploi » décidée en février 2024. Il a fixé le « reste à charge CPF » à la somme forfaitaire de cent euros. Les économies générées pour France Compétences par cette mesure ont permis de diminuer la subvention versée par l'État (cf. supra).
2. Des pistes d'économies existent s'agissant des projets de transition professionnelle (PTP)
Le dispositif des projets de transition professionnelle (PTP) finance la reconversion de plus de 18 000 salariés en 2023, avec des crédits de l'État délégués aux Associations Transition professionnelle (AT-Pro).
Le coût unitaire de ce dispositif est cependant très élevé - ce qui n'est pas illogique puisqu'il finance des reconversions (longues par définition) et non de simples actions de formation. Selon les inspections45(*), le coût moyen d'un PTP s'élève à 29 716 euros en moyenne pour 2023 (en hausse de 16 % depuis 2019), ce qui est largement supérieur au coût constaté pour d'autres dispositifs comme le FNE-Formation par exemple (907 euros par action de formation).
Le coût d'un PTP est composé de la prise en charge de la rémunération à hauteur de 100 % jusqu'à 2 SMIC, puis de 90 % au-delà pour un projet n'excédant pas 1200 heures de formation. La rémunération des bénéficiaires représente environ 70 % du coût total d'un PTP, le coût pédagogique 28 % et les frais de gestion 1 %.
Les inspections ont ainsi proposé plusieurs pistes d'économies, que l'administration a partiellement mises en oeuvre après le décret d'annulation de crédits début 2024 : il a ainsi été décidé de supprimer la part de crédits insuffisamment ciblés, en réservant le PTP aux plus de 30 ans (les bénéficiaires de moins de 30 ans ne représentant que 13 % de l'ensemble), ce qui a représenté une économie de 65 millions d'euros qui a été répercutée à la baisse sur la subvention versée par l'État à France Compétences.
3. Mettre fin au sous-financement de la formation professionnelle tout en préservant les incitations à l'embauche en apprentissage
La Cour des comptes46(*), les inspections en 202347(*) puis en 202448(*) et la commission des affaires sociales du Sénat dans son rapport sur France Compétences ont également recommandé de mobiliser des leviers en recettes pour financer les dépenses de l'opérateur.
Les inspections proposent en particulier d'engager le travail de rationalisation des dérogations concernant la taxe d'apprentissage. Il en va ainsi de la suppression du taux réduit de taxe d'apprentissage en Alsace-Moselle : le taux de recours à l'apprentissage dans les trois départements concernés est quasiment équivalent à celui observé au niveau national. Rien ne justifie, dès lors, le maintien d'un taux réduit de taxe d'apprentissage. Sa suppression pourrait rapporter 53 millions d'euros.
La rapporteure spéciale Ghislaine Senée relève que les inspections recommandent aussi de redynamiser la contribution supplémentaire à l'apprentissage (CSA) pour en augmenter le rendement et maintenir une logique d'incitation au recrutement d'apprentis. La CSA est en effet due par les entreprises de plus de 250 salariés redevables de la taxe d'apprentissage, à un taux dégressif en fonction de la part de contrats d'insertion professionnelle dans les effectifs de l'entreprise.
Or, la progression du nombre d'apprentis a mécaniquement fait baisser le rendement de la CSA. Il serait donc possible de rehausser les taux de la CSA pour augmenter son rendement et son caractère incitatif. Le rendement supplémentaire de la CSA pourrait être de 74 millions d'euros en cas de hausse des taux de 40 %.
* 43 Référé précité du 5 avril 2022.
* 44 Décret n° 2024-394 du 29 avril 2024 relatif à la participation obligatoire au financement des formations éligibles au compte personnel de formation.
* 45 IGF-Igas, « Revue des dépenses publiques d'apprentissage et de formation professionnelle », mars 2024.
* 46 Cour des comptes, La formation en alternance. Une voie en plein essor, un financement à définir, juin 2022.
* 47 IGF-Igas, rapport précité, juillet 2023.
* 48 IGF-Igas, « Revue des dépenses publiques d'apprentissage et de formation professionnelle », mars 2024.