II. APRÈS « LES ANNÉES FOLLES »36(*), LA NÉCESSITÉ D'UNE RÉFORME DU FINANCEMENT DE L'APPRENTISSAGE ET DE LA FORMATION PROFESSIONNELLE

A. LE DÉSÉQUILIBRE FINANCIER DE FRANCE COMPÉTENCES PERSISTE MALGRÉ LA SUBVENTION VERSÉE PAR L'ÉTAT

1. France Compétences : un opérateur dans une « impasse financière »37(*)

Établissement public à caractère administratif, France compétences a été créé en 2019, en application de la loi n° 2018-771 du 5 septembre 2018 pour la liberté de choisir son avenir professionnel, par fusion de quatre organismes préexistants38(*).

Les missions de France Compétences

France compétences est chargée de répartir le versement des contributions à la formation professionnelle et à l'apprentissage aux différents acteurs concernés, principalement les opérateurs de compétences (Opco), la Caisse des dépôts et consignations, pour le financement du compte personnel de formation (CPF), les régions, pour le financement des centres de formation d'apprentis (CFA), mais aussi l'État, au titre de la formation des demandeurs d'emploi.

France compétences assure également une fonction de régulation et de contrôle. Elle établit notamment le répertoire national des certifications professionnelles (RNCP) et le répertoire spécifique, habilite les instances de labellisation pouvant délivrer aux formations la certification Qualiopi et émet des recommandations sur le niveau et les règles de prise en charge du financement de l'alternance.

Source : commission des finances du Sénat, d'après la Cour des comptes (juin 2023)

France compétences bénéficie de ressources affectées, principalement la contribution unique à la formation professionnelle et à l'alternance (Cufpa), ainsi que d'autres contributions ou participations des employeurs (contribution au financement du compte personnel de formation pour les titulaires d'un contrat à durée déterminée, contribution supplémentaire à l'apprentissage, participation au financement de la formation des professions non salariées...).

Le produit de ces ressources est de l'ordre de 11,5 milliards d'euros en 2024. Elles permettent à France Compétences de financer l'alternance pour environ deux tiers, et divers dispositifs de formation professionnelle pour le tiers restant. Plus de la moitié des fonds de formation professionnelle alimentent le compte personnel de formation (CPF).

France Compétences s'est immédiatement trouvée dans une situation financière très déséquilibrée, avec un déficit de 4,6 milliards d'euros en 2020 qui n'a cessé de s'aggraver les années suivantes : en 2022, le déficit de France Compétences aurait été de 7,4 milliards d'euros sans les deux « subventions exceptionnelles », pour un montant total de 4 milliards d'euros, versées par l'État en cours d'exercice, malgré l'absence d'une telle subvention dans la programmation initiale pour 2022.

En 2024, malgré la budgétisation d'une dotation de l'État de 2,5 milliards d'euros en faveur de France Compétences, le budget initial de l'opérateur présentait encore un déficit prévisionnel de plus d'un milliard d'euros.

Budget initial de France Compétences pour 2024

(en millions d'euros)

RESSOURCES

14 144

Contributions

11 488

dont Cufpa et CSA

10 908

dont autres contributions

580

Excédent de trésorerie

0

Dotation de l'État

2 363

Report de crédits du PIC

250

Autres

43

EMPLOIS

15 181

Formation des demandeurs d'emploi

800

Transitions Pro

500

Projets de reconversion et de transition professionnelle

43

Conseil en évolution professionnelle

81

Alternance

10 418

dont péréquation inter-branches

6 443

dont actions de l'alternance

3 600

dont aide au permis de conduire

47

dont dotation régions "fonctionnement des CFA"

138

dont dotation régions "investissement des CFA"

180

dont financement complémentaire CNFPT

10

Compte personnel de formation

2 200

Fonds divers

1 062

Dépenses de fonctionnement

20

Dépenses d'investissement

4

Intérêt sur concours bancaires

53

SOLDE PRÉVISIONNEL

- 1 037

Source : commission des finances du Sénat, d'après France Compétences

Les facteurs du déséquilibre financier de France Compétences sont en effet structurels, et sont apparus dès 2020. Comme l'a souligné la Cour des comptes39(*), les implications financières de la réforme de 2018 n'ont fait l'objet que d'évaluations sommaires et insuffisamment étayées.

En outre, la très forte dynamique des entrées en apprentissage, dispositif passé d'un fonctionnement contingenté à un fonctionnement en enveloppe ouverte avec la loi « Avenir professionnel »40(*) de 2018 et « dopé » par l'élargissement du bénéfice de l'aide exceptionnelle aux employeurs aux grandes entreprises et aux apprentis de l'enseignement supérieur, a contribué à alourdir considérablement les charges de l'opérateur, sans que ses ressources ne bénéficient d'une évolution comparable.

2. Une subvention de l'État abaissée à 2 milliards d'euros pour 2025

Pour 2025, une subvention de l'État à France compétences de 2,0 milliards d'euros est inscrite dans le projet de loi de finances au programme 103 « Accompagnement des mutations économiques et développement de l'emploi ». Le versement d'une subvention pérenne permettant à France Compétences de faire face au déséquilibre structurel de ses ressources et de ses charges, répond notamment à une recommandation de la Cour des comptes41(*) et de la commission des affaires sociales du Sénat42(*).

En 2025, cette dotation serait significativement réduite, passant de 2 500 millions d'euros dans la LFI pour 2024 à 2 026 millions d'euros dans le PLF pour 2025, soit une diminution de 474 millions d'euros (- 19,0 %). Toutefois, en comparaison avec l'exécution attendue pour 2024, la diminution de la subvention versée à France Compétences en 2025 paraît moins importante, dans la mesure où une diminution de 312 millions d'euros, non budgétée en LFI, a été décidée en cours d'exercice 2024 en raison du décret du 21 février 2024 d'annulation de crédits.

Si les rapporteurs spéciaux ne contestent pas la nécessité que l'État soutienne France Compétences, ils remarquent que la subvention versée à cet opérateur conduit dans les faits à faire financer en partie l'apprentissage et la formation professionnelle directement par l'État, alors que ces dispositifs devraient être intégralement financés par France Compétences, grâce des ressources (Cufpa, etc.) dédiées.

Évolution du montant de la subvention versée à France Compétences

(en millions d'euros)

2021

2022

2023

Exécution attendue 2024

PLF 2025

0

4 000

1 596

2 188

2 026

Source : commission des finances du Sénat

De fait, le coût pour l'État du soutien direct à France Compétences a été de 4 milliards d'euros en 2022, de 1,6 milliards en 2023 et de 2,2 milliards d'euros en 2024. Pour 2025, ce coût s'établirait à 2 milliards d'euros, ce qui porterait le coût cumulé des dotations versées à France Compétences entre 2022 et 2025 à 9,8 milliards d'euros.

Il convient donc de s'interroger sur la pertinence de certains dispositifs financés par France Compétences. Si quelques avancées ont eu lieu en 2023 et en 2024, ce réexamen approfondi doit se poursuivre.


* 36 Coquet B., «  Apprentissage : un bilan des années folles », OFCE Policy Brief n° 117, juin 2023.

* 37 Cour des comptes, La formation professionnelle des salariés. Après la réforme de 2018, une stratégie nationale à définir et un financement à stabiliser, juin 2023.

* 38 Conseil national de l'emploi, de la formation et de l'orientation professionnelles (Cnefop), deux instances paritaires, le Comité paritaire interprofessionnel national pour l'emploi et la formation (Copanef) et le Fonds paritaire de sécurisation des parcours professionnels (FPSPP), et la Commission nationale de la certification professionnelle (CNCP).

* 39 Cour des comptes, référé S2022-072, France Compétences, une situation financière préoccupante, 9 juin 2023.

* 40 Loi n° 2018-771 du 5 septembre 2018 pour la liberté de choisir son avenir professionnel.

* 41 Cour des comptes, La formation professionnelle des salariés. Après la réforme de 2018, une stratégie nationale à définir et un financement à stabiliser, juin 2023.

* 42 «  France compétences face à une crise de croissance » - Sénat - Rapport d'information n° 741 (2021-2022) de Frédérique Puissat, Corinne Féret et Martin Lévrier - 29 juin 2022.

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