II. LA DOCTRINE D'INTERVENTION DE L'ÉTAT ACTIONNAIRE POURRAIT ÊTRE FORMALISÉE ET CLARIFIÉE DANS UN CONTEXTE AYANT ÉVOLUÉ DEPUIS LA CRISE ÉCONOMIQUE ET SANITAIRE DE 2020
Depuis la publication en 2014 des « lignes directrices pour l'État actionnaire »29(*), les perspectives d'évolution du périmètre des participations de l'État ont profondément changé.
Les exercice 2017 à 2019 ont correspondu de ce point de vue à une reprise des cessions mises en oeuvre par l'Agence des participations de l'État, avec notamment la cession partielle des actions détenues dans Engie et Safran pour un montant de recettes de 4 069 millions ou encore la cession totale des titres de Peugeot30(*) pour un montant de 1 920 millions d'euros. Cette période a été marquée par l'adoption de la loi « plan d'action pour la croissance et la transformation de l'économie (Pacte) » du 22 mai 201931(*) qui prévoyait la privation de la Française des Jeux (FDJ)32(*) dont 52 % des titres ont été cédés par l'État en 2019 pour un montant de 1 888 millions d'euros.
Le déclenchement en 2020 de la crise économique et sanitaire lié à l'épidémie de covid-19 a profondément perturbé les conditions de mise en oeuvre de la politique d'actionnariat public. D'une part plusieurs participations importantes du portefeuille ont bénéficié d'un soutien financier de l'État actionnaire pour faire face au ralentissement ou à l'interruption de l'activité dans certains secteurs, notamment celui des transports. La SNCF a bénéficié à ce titre d'une augmentation de capital à hauteur de 4 050 millions d'euros à la fin de l'année 2020. D'autre part l'évolution des conditions de marché ont justifié de ne pas mettre en oeuvre des opérations de cession programmées dont notamment la cession des titres d'ADP qui n'a pas eu lieu malgré les dispositions la prévoyant dans la loi « Pacte » du 22 mai 201933(*). La crise économique et sanitaire s'est donc traduite par un ralentissement notable des cessions significatives dans le périmètre de l'Agence des participations de l'État depuis 2020.
Nombre d'opérations de cession d'actions
d'un montant supérieur
à un milliard d'euros dans le
périmètre de l'APE
Source : commission des finances, d'après la documentation budgétaire
Parallèlement, le durcissement des relations internationales observé après la crise économique et sanitaire et le phénomène de « retour de la géopolitique »34(*) illustré par le déclenchement de la guerre en Ukraine le 24 février 2022 ont renforcé la dimension souveraine de la politique d'actionnariat public, notamment à travers la mise en lumière des actions de préférence et des actions spécifiques.
Actions de préférence et actions
spécifiques dans le portefeuille
des participations de
l'État
Pour préserver ses intérêts stratégiques dans les sociétés dans lesquelles il détient au moins une action, l'État dispose de deux leviers d'influence actionnariaux non-courants : les actions de préférence et les actions de droit commun.
En premier lieu, l'action de préférence est un instrument de droit commun régi par l'article L. 228-11 du code de commerce. Il permet de prévoir de rattacher à certaines actions des droits particuliers de toute nature, à titre temporaire ou permanent. Les droits particuliers rattachés à ces actions sont prévus par les statuts de la société et l'émission de ces actions doit être décidée par l'assemblée générale extraordinaire. L'État dispose d'une action de préférence dans plusieurs de ses participations directes dont par exemple la société Exxelia International au sein de laquelle l'action détenue par l'État a été convertie en action de préférence pour garantir les intérêts de la défense nationale dans le cadre du rachat de la société par le groupe américain Heico en 2023.
En second lieu, l'action spécifique est un instrument exorbitant du droit commun, prévu par l'ordonnance du 20 août 2014 relative à la gouvernance et aux opérations sur le capital des sociétés à participations publique35(*). Il permet à l'État de prendre unilatéralement la décision de transformée une action ordinaire qu'il détient en action spécifique. Cette décision, prise par décret en Conseil d'État, doit être motivée par la protection des intérêts essentiels du pays en matière d'ordre public, de santé publique, de sécurité publique ou de défense nationale.
Par surcroît, le périmètre des sociétés dans lesquelles l'État peut détenir une action spécifique fait l'objet d'une double délimitation. Premièrement la société doit être mentionnée dans l'annexe au décret du 9 septembre 2004 fixant le périmètre de l'Agences des participations de l'État36(*) dans sa version en vigueur au 1er janvier 2018 ou être cotée et détenue directement ou indirectement à hauteur de 5 % par Bpifrance. Deuxièmement l'activité de la société être incluse dans le champ des activités entrant dans le champ du contrôle des investissements étrangers en France (IEF)37(*), c'est-à-dire les activités dans le domaine de l'armement et les activités de nature à porter atteinte à l'ordre public, à la sécurité publique ou aux intérêts de la défense nationale.
L'État dispose d'une action spécifique dans plusieurs de ses participations directes principalement dans le domaine de la défense dont par exemple, dans le secteur des matériaux indispensables aux besoins de la défense nationale, la société Aubert & Duval pour laquelle le ministre de l'économie dispose d'un droit d'information particulier et peut notamment s'opposer aux décisions ayant pour effet de modifier les conditions d'exploitation de certains actifs stratégiques.
Source : commission des finances
Ces évolutions structurelles de l'environnement financier, économique et budgétaire dans lequel intervient l'Agence des participations de l'État pour mettre en oeuvre la stratégie relative aux prises de participations financières directes de l'État justifie d'engager un travail de formalisation de nouvelles lignes directrices de l'État actionnaire.
Le rapporteur spécial, à qui il a été indiqué que l'élaboration d'un nouveau document de référence sur la doctrine de prise de participation de l'État était en cours, sera attentif à l'aboutissement de cet exercice de formalisation et de clarification. Il relève également que cet exercice doit constituer une occasion pour assurer la bonne articulation entre les périmètres d'intervention des institutions de référence de l'actionnariat public, c'est-à-dire qu'il doit prendre en compte les doctrines d'intervention de la Caisse des dépôts et consignations38(*) et de la Banque publique d'investissement39(*).
* 29 La stratégie de l'État actionnaire a fait l'objet d'une communication en conseil des ministres le 15 janvier 2014.
* 30 Le groupe Peugeot a été intégré en janvier 2021 au groupe Stellantis.
* 31 Loi n° 2019-486 du 22 mai 2019 relative à la croissance et la transformation des entreprises.
* 32 III de l'article 137 de la loi n° 2019-486 du 22 mai 2019 relative à la croissance et la transformation des entreprises.
* 33 II de l'article 135 de la loi n° 2019-486 du 22 mai 2019 relative à la croissance et la transformation des entreprises.
* 34 Bruno Tertrais, 2023, La guerre des mondes. Le retour de la géopolitique et le choc des empires.
* 35 Art. 31-1 de l'ordonnance n° 2014-948 du 20 août 2014 relative à la gouvernance et aux opérations sur le capital des sociétés à participations publiques.
* 36 Annexe du décret n° 2004-963 du 9 septembre 2004 portant création du service à compétence nationale Agence des participations de l'État.
* 37 L. 151-3 du code monétaire et financier.
* 38 Art. L. 518-2 du code monétaire et financier.
* 39 Art. 1 A de l'ordonnance n° 2005-722 du 29 juin 2005 relative à la Banque publique d'investissement.