II. L'ACCROISSEMENT DES MOYENS, QUI DEMEURE NÉCESSAIRE, DOIT S'ACCOMPAGNER D'UN MEILLEUR SUIVI ET D'UNE ÉVALUATION ACCRUE DE LA DÉPENSE

Le rapporteur spécial porte la même appréciation sur l'évolution des crédits de la mission « Justice » en 2025 que celle portée au cours des années précédentes de hausse très élevée des crédits : si cette dynamique doit être poursuivie et soutenue, elle ne doit pas consister en un blanc-seing donné au ministère et au Gouvernement.

L'augmentation des moyens est une nécessité et la trajectoire prévue par la loi de programmation, éventuellement ralentie par la recherche d'économies qui s'impose comme une nécessité au budget de l'État, devra être reprise et poursuivie.

Toutefois le ministère devra, dans le même temps, poursuivre et amplifier ses efforts d'évaluation de la qualité des actions entreprises et de leur coût par rapport à la satisfaction des besoins. Les citoyens ne comprendraient pas que des moyens financiers ainsi déployés n'aient pas des conséquences visibles sur la qualité du service public de la justice.

A. L'AMÉLIORATION DU SERVICE PUBLIC DE LA JUSTICE PASSE NÉCESSAIREMENT PAR L'OCTROI DE CRÉDITS ET LE RECRUTEMENT DE PERSONNELS

1. La loi de programmation vise seulement à combler les lacunes les plus urgentes du système judiciaire et pénal

Les hausses de crédits prévues par la loi de programmation constituent en grande partie un rattrapage de l'inflation.

L'augmentation des crédits prévue par l'article 1er de la loi de programmation, si elle peut marquer les esprits lorsqu'on l'exprime en euros courants (+ 21,3 %), ne représente en réalité qu'un accroissement des moyens de 7,5 % hors inflation. La quasi-stabilité des crédits prévue en 2026 (+ 10 millions d'euros) et 2027 (+ 57 millions d'euros) conduirait même à une diminution en euros constants.

Évolution des crédits de la mission selon la trajectoire définie
en loi de programmation 2023-2027, hors contribution au CAS Pensions

(en milliards d'euros et en CP)

Source : commission des finances, d'après les documents budgétaires et les hypothèses d'inflation du Gouvernement

En conséquence, la loi de programmation a pour ambition, non de faire de la justice un axe véritablement privilégié de l'action publique, mais de combler une partie de ses retards.

Le constat fait par les États généraux de la justice en 2021 et 2022 demeure en effet d'actualité pour une large part en ce qu'ils décrivent une crise grave de la justice. À une défiance de plus en plus grande envers la justice, que connaissent de nombreux pays, se superpose une crise plus propre à notre pays, celle du service public de la justice. L'écart entre les attentes et les résultats est considérable. Les retards ou le sentiment que le système judiciaire ne pourra pas leur venir en aide pousse de nombreuses victimes à renoncer tout simplement.

Le comité des États généraux identifie comme explications à cette défaillance de la politique publique de la justice, d'une part la succession de réformes ponctuelles, d'autre part une grave insuffisance des moyens, aussi bien humains que financiers.

Or le constat des États généraux n'est pas le seul à objectiver ainsi le sentiment qu'on également de nombreux citoyens confrontés à l'état insatisfaisant du service public de la justice. À cet égard, la comparaison avec les autres États européens est éclairante.

2. Même accrus, les moyens accordés à la justice demeurent plus faibles que dans les pays comparables à la France

Le rapport annuel de la Commission européenne pour l'efficacité de la justice (CEPEJ) permet d'obtenir une estimation de l'importance donnée par chaque pays, dans une perspective comparatiste, à son système judiciaire12(*). Cette étude n'inclut pas les crédits consacrés aux prisons.

Le CEPEJ estime le budget exécuté du système judiciaire français à 77,2 euros par habitant en 2002, ce qui est inférieur à la moyenne des pays européens en pourcentage du PIB.

Les délais sont plus longs en France que la médiane des pays européens, sauf pour les affaires administratives en troisième instance.

Durée d'écoulement du stock d'affaires pendantes

(en jours)

La durée d'écoulement du stock d'affaires pendantes est le temps théorique nécessaire pour qu'une affaire pendante soit résolue, compte tenu du rythme de travail actuel des tribunaux.

Source : CEPEJ, Systèmes judiciaires européens - Rapport d'évaluation 2024

Parmi les pays de PIB compris entre 20 000 et 40 000 euros par habitant, la justice française dispose du plus faible budget par habitant en pourcentage du PIB, avec la Lituanie, sachant que la France est en fait située presque à la limite haute de cette catégorie (38 547 euros de PIB par habitant) et la Lituanie près de la limite basse (23 576).

Toutefois, ce constat concerne surtout les tribunaux et le ministère public : le budget consacré à l'aide judiciaire est l'un des plus importants parmi les pays de PIB par habitant intermédiaire.

Budget exécuté du système judiciaire des pays de PIB par habitant
comparable à la France

(en euros par habitant et en pourcentage du PIB)

Source : CEPEJ, Systèmes judiciaires européens - Rapport d'évaluation 2024

Même l'augmentation des moyens entre 2020 et 2022, estimée en France à + 7 % par le CEPEJ, a été plus marquée dans le reste de l'Europe (+ 13 %). Il faut reconnaître que cette période, marquée par la crise sanitaire, a entraîné des hausses de budget dans de nombreux pays européens pour financer notamment les dépenses d'informatisation (+ 24 %) ou les frais de justice (+ 21 %).

Le manque de moyens en France apparaît d'autant plus notable que, dans des pays à traditions judiciaires différentes, de nombreuses affaires se règlent, sans doute plus qu'en France, sans faire l'objet d'un procès et donc avec une moindre charge pour l'État.

Il est toutefois nécessaire de noter que ces chiffres remontent à l'exécution des moyens en 2022 et que l'augmentation des crédits depuis cette année devrait contribuer à rapprocher la France des autres pays européens, sans certainement combler entièrement l'écart.


* 12 Le budget du système judiciaire, tel que défini par la CEPEJ, comprend les budgets alloués aux tribunaux, au ministère public et à l'aide judiciaire.

Partager cette page