N° 144

SÉNAT

SESSION ORDINAIRE DE 2024-2025

Enregistré à la Présidence du Sénat le 21 novembre 2024

RAPPORT GÉNÉRAL

FAIT

au nom de la commission des finances (1) sur le projet de loi de finances, considéré comme rejeté par l'Assemblée nationale, pour 2025,

Par M. Jean-François HUSSON, 

Rapporteur général,

Sénateur

TOME III

LES MOYENS DES POLITIQUES PUBLIQUES ET DISPOSITIONS SPÉCIALES

(seconde partie de la loi de finances)

ANNEXE N° 18

JUSTICE

Rapporteur spécial : M. Antoine LEFÈVRE

(1) Cette commission est composée de : M. Claude Raynal, président ; M. Jean-François Husson, rapporteur général ; MM. Bruno Belin, Christian Bilhac, Jean-Baptiste Blanc, Michel Canévet, Emmanuel Capus, Thierry Cozic, Bernard Delcros, Thomas Dossus, Albéric de Montgolfier, Didier Rambaud, Stéphane Sautarel, Pascal Savoldelli, vice-présidents ; Mmes Marie-Carole Ciuntu, Frédérique Espagnac, MM. Marc Laménie, Hervé Maurey, secrétaires ; MM. Pierre Barros, Arnaud Bazin, Grégory Blanc, Mmes Florence Blatrix Contat, Isabelle Briquet, MM. Vincent Capo-Canellas, Raphaël Daubet, Vincent Delahaye, Vincent Éblé, Rémi Féraud, Stéphane Fouassin, Mme Nathalie Goulet, MM. Jean-Raymond Hugonet, Éric Jeansannetas, Christian Klinger, Mme Christine Lavarde, MM. Antoine Lefèvre, Dominique de Legge, Victorin Lurel, Jean-Marie Mizzon, Claude Nougein, Jean-Baptiste Olivier, Olivier Paccaud, Mme Vanina Paoli-Gagin, MM. Georges Patient, Jean-François Rapin, Mme Ghislaine Senée, MM. Laurent Somon, Christopher Szczurek, Mme Sylvie Vermeillet, M. Jean-Pierre Vogel.

Voir les numéros :

Assemblée nationale (17ème législ.) : 324, 459, 462, 468, 471, 472, 486, 524, 527, 540 et T.A. 8

Sénat : 143 et 144 à 150 (2024-2025)

L'ESSENTIEL

I. UNE HAUSSE DES CRÉDITS LIMITÉE PAR RAPPORT À LA TRAJECTOIRE PRÉVUE PAR LA LOI DE PROGRAMMATION

A. EN 2024, L'EXÉCUTION EST RENDUE PLUS DIFFICILE PAR UN DÉCRET D'ANNULATION ET DES SURGELS DE CRÉDITS

Comme la plupart des missions du budget général, la mission « Justice » a fait l'objet d'une annulation de crédits le 21 février 2024 (- 327,9 millions d'euros), puis de surgels successifs. Les crédits disponibles sont, à début novembre, inférieurs de 5,3 % au montant approuvé en loi de finances initiale, en prenant en compte les reports, annulations et gels, soit - 1,1 % pour les crédits de personnel et - 11,2 % pour les autres crédits.

Ces annulations et surgels ont impacté le fonctionnement courant et les dépenses immobilières. En particulier, des recrutements ou des renouvellements de contrats ont dû être reportés dans la protection judiciaire de la jeunesse.

B. LE BUDGET POUR 2025 REPRÉSENTE UN EFFORT IMPORTANT DE LA MISSION « JUSTICE » POUR PARTICIPER À LA MAÎTRISE DES DÉPENSES

Pour 2025, les crédits demandés sur la mission « Justice » s'élèvent à 11,9 milliards d'euros en autorisations d'engagement et 12,5 milliards d'euros en crédits de paiement, soit, à périmètre constant, une diminution de 16,6 % des autorisations d'engagement et une augmentation de 2,0 % des crédits de paiement par rapport à la loi de finances initiale pour 2024.

Évolution des crédits de la mission « Justice » par programme

(en millions d'euros et en pourcentage)

   

LFI 2024

PLF 2025 constant

Évolution 2025/2024 en %

PLF 2025 courant

   

en %

en valeur

en % hors inflation

166 - Justice judiciaire

AE

4 753,9

4 584,6

- 3,6 %

- 169,3

- 5,3 %

4 584,6

CP

4 544,0

4 567,1

+ 0,5 %

+ 23,1

- 1,3 %

4 567,1

107 - Administration pénitentiaire

AE

6 814,0

4 740,6

- 30,4 %

- 2 073,4

- 31,7 %

4 739,6

CP

5 003,0

5 243,4

+ 4,8 %

+ 240,4

+ 3,0 %

5 242,4

182 - Protection judiciaire de la jeunesse

AE

1 160,8

1 160,8

- 0,0 %

- 0,0

- 1,8 %

1 160,6

CP

1 125,9

1 141,1

+ 1,3 %

+ 15,1

- 0,4 %

1 141,0

101 - Accès au droit et à la justice

AE

736,2

744,1

+ 1,1 %

+ 7,9

- 0,7 %

798,1

CP

736,2

744,1

+ 1,1 %

+ 7,9

- 0,7 %

798,1

310 - Conduite et pilotage de la politique de la justice

AE

768,3

643,8

- 16,2 %

- 124,5

- 17,7 %

640,5

CP

747,1

707,8

- 5,3 %

- 39,3

- 6,9 %

704,6

355 - Conseil supérieur de la magistrature [P335]

AE

4,6

4,8

+ 4,1 %

+ 0,2

+ 2,3 %

4,8

CP

5,7

5,9

+ 3,5 %

+ 0,2

+ 1,7 %

5,9

Total

AE

14 237,8

11 878,7

- 16,6 %

- 2 359,2

- 18,0 %

11 928,3

CP

12 161,9

12 409,4

+ 2,0 %

+ 247,5

+ 0,2 %

12 459,1

Source : commission des finances, d'après les documents budgétaires

La priorité est donnée à l'accroissement des moyens humains par rapport aux nouveaux investissements, hors établissements pénitentiaires.

Depuis 2020, les moyens de la mission « Justice » ont connu une augmentation de 36,2 %, ou 16,8 % en euros constants, qui contraste avec une augmentation plus limitée entre 2015 et 2020.

Évolution à moyen terme des crédits de paiement de la mission « Justice »

(en milliards d'euros constants et courants)

Crédits de paiement (CP) consommés (2015 à 2023) ou prévus (2024 et 2025).

Source : commission des finances, d'après les documents budgétaires

Cette augmentation correspond toutefois à un ralentissement par rapport à la trajectoire prévue par la loi d'orientation et de programmation de la justice 2023-2027.

Cette loi a en effet prévu une hausse progressive des crédits de paiement du ministère (hors contribution aux pensions), de 8,86 milliards d'euros en 2022 à 10,75 milliards d'euros en 2027.

Crédits prévus en loi de programmation et réalisation

(en milliards d'euros)

Crédits hors contribution au compte d'affectation spéciale « Pensions », prévus dans les lois de programmation 2018-2022 et 2023-2027, et crédits consommés (2018 à 2023), prévus en loi de finances initiale (2024) ou en projet de loi de finances (2025).

Source : commission des finances, d'après les documents budgétaires

Une augmentation des crédits de quelque 250 millions d'euros pourrait toutefois être proposée par le Gouvernement au cours des débats parlementaires, ce qui limiterait à 250 millions d'euros environ l'écart entre les crédits ouverts par la loi de finances et ceux prévus par la loi de programmation.

C. L'ACCROISSEMENT DES MOYENS, QUI DEMEURE NÉCESSAIRE, DOIT S'ACCOMPAGNER D'UN MEILLEUR SUIVI ET D'UNE ÉVALUATION ACCRUE DE LA DÉPENSE

L'augmentation des moyens est une nécessité et la trajectoire prévue par la loi de programmation, éventuellement ralentie par la recherche d'économies qui s'impose comme une nécessité au budget de l'État, devra être reprise et poursuivie.

En effet, l'augmentation des crédits prévue par la loi de programmation, si elle peut marquer les esprits lorsqu'on l'exprime en euros courants (+ 21,3 %), ne représente en réalité qu'un accroissement des moyens de 7,5 % hors inflation. La quasi stabilité des crédits prévue en 2026 (+ 10 millions d'euros) et 2027 (+ 57 millions d'euros) conduirait même à une diminution en euros constants.

Le constat fait par les États généraux de la justice en 2021 et 2022 demeurent en effet d'actualité pour une large part en ce qu'ils décrivent une crise grave de la justice, dont l'insuffisance des moyens est l'une des raisons, comme le montrent les comparaisons avec des pays européens comparables.

Parmi les pays de PIB compris entre 20 000 et 40 000 euros par habitant, la justice française dispose du plus faible budget par habitant en pourcentage du PIB, avec la Lituanie.

L'augmentation des moyens doit toutefois s'accompagner d'une amélioration de l'évaluation.

Le travail d'objectivation des coûts, à travers notamment la publication d'un référentiel de la charge du travail des magistrats, doit enfin aboutir et les indicateurs associés à la mission devraient mieux refléter la performance réelle de la justice.

II. LES RESTRICTIONS BUDGÉTAIRES CONDUIRONT À UNE PLUS GRANDE SÉLECTIVITÉ DANS LES OBJECTIFS

A. LES RECRUTEMENTS, PRIORITÉ DU MINISTÈRE, S'APPUIENT SUR UNE POLITIQUE DE REVALORISATION DES MÉTIERS

La loi d'orientation et de programmation du ministère de la justice 2023-2027 prévoit la création nette sur cette période de 10 000 équivalents temps plein (ETP), dont 1 500 magistrats et 1 800 greffiers supplémentaires.

La revalorisation des métiers est nécessaire pour atteindre les objectifs de recrutements.

Dans l'administration pénitentiaire, les crédits pour 2025 financeront la poursuite de la mise en application des mesures déjà lancées, dont le passage des surveillants de catégorie C en B et des officiers de catégorie B en A. Il pourrait être fait appel à des surveillants adjoints, nouveau poste créé par la loi de programmation, pour remplacer des départs en retraite de surveillants titulaires.

La situation est comparable dans la justice judiciaire, qui connaîtra de nombreux départs en retraite dans les années à venir et a fait l'objet fin 2023 de mesures importantes pour les magistrats sur le plan des indemnités, et pour les greffiers sur le plan statutaire.

B. LA MODERNISATION DE LA FONCTION INFORMATIQUE : UNE NÉCESSITÉ POUR AMÉLIORER L'EFFICACITÉ DE LA JUSTICE TOUT EN MAÎTRISANT SES COÛTS

L'insuffisance des applicatifs et des équipements informatiques est régulièrement signalée. La visioconférence se développe dans des conditions matérielles souvent insatisfaisantes. Le manque d'interfaçage entre applications est source d'inefficacité et, de manière générale, les besoins des utilisateurs devraient être mis au centre des projets numériques comme l'a montré la dérive du projet Cassiopée.

Le second projet de transformation numérique (PTN) se poursuit afin de mettre à niveau l'informatique du ministère de la justice, mais les limitations budgétaires devraient réduire les ambitions en 2025. La transformation numérique demeure toutefois indispensable pour l'amélioration du service rendu aux usagers.

C. LES RESTRICTIONS BUDGÉTAIRES DOIVENT CONDUIRE À REPENSER LA STRATÉGIE IMMOBILIÈRE

Le projet de budget pour 2025 prévoit une relative préservation des crédits immobiliers du programme 107 « Administration pénitentiaire », car la construction de nouveaux établissements est plus que jamais indispensable pour éviter une dégradation supplémentaire de la situation dans les prisons.

Le taux d'occupation dans les maisons d'arrêt était de 142,4 % en 2023 et la « cible » fixée par les documents budgétaires est de 164,3 % en 2025.

Un plan de création nette de 15 000 places de prison entre 2018 et 2027 est en cours de réalisation, mais n'a produit à la mi-2024 que 4 521 places nettes. Les projets prennent du retard en raison de la difficulté de trouver le foncier, mais aussi à cause des oppositions locales. Il en est de même du projet de construction de 20 centres éducatifs fermés pour la protection judiciaire de la jeunesse.

Il faut toutefois souligner que les retards et les nombreuses malfaçons constatées reflètent les déficiences de la stratégie et du pilotage. Un bâtiment neuf qui a accueilli des détenus au printemps 2024 a ainsi dû fermer au mois de septembre parce que les installations d'eau chaude et de chauffage ne fonctionnaient pas. L'Agence pour l'immobilier de la justice (APIJ), interlocuteur des directions du ministère, devrait privilégier une plus grande standardisation dans les projets, notamment de prisons, et les usagers devraient, là encore, être mieux associés à la conception des projets.

Quant à l'immobilier judiciaire, il fait face à une dégradation importante du respect des coûts et des délais des grands projets de l'immobilier judiciaire.

Évolution du respect des coûts des délais des grands projets
immobiliers judiciaires

(en pourcentage de dépassement)

Source : commission des finances, à partir du projet annuel de performances

En 2025, toutefois, les restrictions budgétaires devraient conduire à privilégier le maintien en condition opérationnelle.

D. L'EFFICACITÉ DES MOYENS DE FONCTIONNEMENT ET D'INTERVENTION DOIT ÊTRE SYSTÉMATIQUEMENT EXAMINÉE, TOUT EN PRIVILÉGIANT LA RÉPONSE AUX BESOINS DE SÉCURISATION LES PLUS MANIFESTES

S'agissant des moyens de fonctionnement, l'attaque d'un fourgon pénitentiaire près de la commune d'Incarville, le 14 mai dernier, qui a causé la mort deux agents, a mis en lumière les failles de sécurité dans les opérations d'extraction judiciaire et, plus globalement, dans le milieu pénitentiaire. Il paraît, par exemple, très difficile de limiter la diffusion de téléphones portables dans les prisons, souvent livrés par drones.

D'autres coûts devraient faire l'objet d'une meilleure maîtrise. C'est tout particulièrement le cas des frais de justice, sur lesquels le ministère de la justice n'a que des moyens d'action limités. Leur coût est en hausse de 25 % en euros constants depuis 2017.

Évolution des frais de justice depuis 2017

(en millions d'euros courants)

Source : commission des finances, d'après les réponses au questionnaire budgétaire

Des actions peuvent être conduites au sein du ministère de la justice pour mieux maîtriser la hausse des frais de justice, mais il faut surtout conduire une action en commun avec d'autres administrations, en particulier le ministère de l'intérieur, pour parvenir à rationaliser la dépense. Le gardiennage de véhicules, par exemple, ou les interceptions téléphoniques représentent des coûts importants pour une utilité au service des enquêtes qui devrait être mieux examinée.

Enfin, l'aide juridictionnelle voit ses crédits stabilisés hors inflation, après une forte hausse depuis 2020. Cette évolution est surtout liée au niveau de l'unité de valeur servant au calcul de la rétribution des avocats, ainsi qu'à la hausse des dossiers éligibles. Certaines mesures d'économie sont prévues en 2025, dont le gel des plafonds d'éligibilité.

Réunie le mercredi 13 novembre 2024, sous la présidence de M. Claude Raynal, président, la commission des finances a décidé de proposer au Sénat l'adoption, sans modification, des crédits de la mission.

Réunie à nouveau le jeudi 21 novembre 2024, sous la présidence de M. Claude Raynal, président, la commission a confirmé définitivement ses votes émis sur toutes les missions, tous les budgets annexes, tous les comptes spéciaux et les articles rattachés aux missions, ainsi que les amendements qu'elle a adoptés, à l'exception des votes émis pour les missions « Culture », « Direction de l'action du Gouvernement », « Enseignement scolaire », « Médias, livre et industries culturelles », « Audiovisuel public », « Recherche et enseignement supérieur », ainsi que des comptes spéciaux qui s'y rattachent.

À la date du 10 octobre, date limite prévue par la loi organique relative aux lois de finances (LOLF) pour l'envoi des réponses au questionnaire budgétaire, le rapporteur spécial n'avait encore reçu aucune réponse.

PREMIÈRE PARTIE
LES CRÉDITS DE LA MISSION « JUSTICE » EN 2025

La mission « Justice » comprend l'ensemble des moyens budgétaires du ministère de la justice. Elle est composée de six programmes, qui recoupent les différentes directions « métier » du ministère de la justice :

le programme 166 « Justice judiciaire », qui regroupe les crédits relatifs aux juridictions judiciaires ;

le programme 107 « Administration pénitentiaire », relatif au service public pénitentiaire ;

le programme 182 « Protection judiciaire de la jeunesse », piloté par la direction de la protection judiciaire de la jeunesse (DPJJ), qui est chargée de l'ensemble des questions intéressant la justice des mineurs ;

le programme 101 « Accès au droit et à la justice », mis en oeuvre par le secrétariat général du ministère de la justice et qui dispose surtout des crédits relatifs à l'aide juridictionnelle ;

le programme 310 « Conduite et pilotage de la politique de la justice », placé sous la responsabilité du secrétariat général du ministère de la justice et qui regroupe les moyens de l'état-major, du secrétariat général, des directions législatives, de l'inspection générale de la justice, des délégations interrégionales du secrétariat général et des opérateurs de la mission, ainsi que les crédits alloués aux politiques transversales telles que l'informatique et la gestion des ressources humaines ;

le programme 335 « Conseil supérieur de la magistrature » (CSM) qui porte les crédits nécessaires à l'activité du CSM. 

La mission « Justice » ne retrace pas les crédits relatifs à la justice administrative, qui relèvent de la mission « Conseil et contrôle de l'État ».

Répartition par programme des crédits de paiement
de la mission « Justice » en 2025

(en millions d'euros et en %)

Source : commission des finances, d'après les documents budgétaires

La nouvelle hausse des crédits demandés sur la mission « Justice » en 2025 s'inscrit dans le cadre de l'adoption par le Parlement de la loi d'orientation et de programmation du ministère de la justice 2023-2027, mais reste inférieure à la trajectoire fixée par cette loi.

I. LES CRÉDITS DEMANDÉS SUR LA MISSION « JUSTICE » CONNAISSENT UNE AUGMENTATION LIMITÉE ET SÉLECTIVE

La mission « Justice » représente, dans le projet de loi de finances, 3,0 % des crédits du budget général alloués aux dépenses des ministères1(*).

En incluant les moyens de l'État ne relevant pas de crédits budgétaires2(*), la justice, qui ne dispose pratiquement pas de dépenses fiscales ni de ressources affectées, représente 1,6 % des moyens globaux alloués par l'État aux politiques relevant du budget général.

A. EN 2024, L'EXÉCUTION EST RENDUE PLUS DIFFICILE PAR UN DÉCRET D'ANNULATION ET DES SURGELS DE CRÉDITS

Le 21 février, le Gouvernement a annulé par décret 10 milliards d'euros en autorisations d'engagement et 10,2 milliards d'euros en crédits de paiement, dont 327,9 millions d'euros en autorisations d'engagement et en crédits de paiement sur le périmètre de la mission « Justice »3(*).

Les annulations portent à hauteur de 23,6 millions d'euros sur les dépenses de personnel (titre 2), nécessitant un « pilotage resserré des emplois et des dépenses de masse salariale »4(*), et à hauteur de 304,3 millions d'euros sur les autres dépenses.

Crédits annulés par le décret du 21 février 2024
sur la mission « Justice »

(en euros)

 

AE = CP

107 - Administration pénitentiaire

117 598 514

dont titre 2

14 566 711

166 - Justice judiciaire

129 196 532

dont titre 2

4 778 445

182 - Protection judiciaire de la jeunesse

37 904 655

dont titre 2

787 470

310 - Conduite et pilotage de la politique de la justice

42 978 821

dont titre 2

3 492 382

335 - Conseil supérieur de la magistrature

199 068

Total mission « Justice »

327 877 590

Source : décret n° 2024-124 du 21 février 2024 portant annulation de crédits

Les annulations ont porté sur une partie de la réserve de précaution, qui a toutefois été reconstituée dès le mois d'avril à l'occasion d'un « surgel », puis renforcée au mois d'août.

Les annulations et surgels ont tout particulièrement concerné les crédits hors titre 2 des programmes 166 « Justice judiciaire » (- 14,2 %) et 107 « Administration pénitentiaire » (- 12,6 %)5(*).

Selon les témoignages reçus en audition, ces annulations et surgels ont impacté le fonctionnement courant et les dépenses immobilières.

S'agissant de la protection judiciaire de la jeunesse, des recrutements ou des renouvellements de contrats ont dû être reportés. Dans le secteur associatif habilité (SAH), le lancement des appels à projets pour trois structures d'internat socio-éducatif médicalisé pour adolescents (ISEMA), dédiées à la prise en charge de jeunes en situations complexes, initialement prévu en 2024, a dû être différé en fin d'année.

Les crédits disponibles sont, à début novembre, inférieurs de 5,3 % au montant approuvé en loi de finances initiale, en prenant en compte les reports, annulations et gels, soit - 1,1 % pour les crédits de personnel et - 11,2 % pour les autres crédits, alors que, au cours d'une année normale, ces crédits subissent seulement une mise en réserve à hauteur de 0,5 % pour les crédits de personnel et de 3 à 4 % pour les autres crédits.

Mouvements de crédits sur la mission « Justice »

(en millions d'euros)

Source : commission des finances, à partir du décret d'annulation et du fichier de données publié avec le projet de loi de finances de fin de gestion

Or le projet de loi de finances de fin de gestion, déposé le 6 novembre 2024, prévoit des annulations supplémentaires de crédits sur chacun des programmes de la mission « Justice ».

Ces annulations sont beaucoup plus importantes en autorisations d'engagement qu'en crédits de paiement. Elles portent principalement sur des crédits mis en réserve. Selon les explications annexées au projet de loi, elles tirent les conséquences de besoins moindres que prévu sur les crédits de personnel (programme 166) et opèrent un réajustement des dépenses en matière d'immobilier propriétaire (programmes 166 et 107) ou sur des dépenses de fonctionnement (programme 107).

Annulations de crédits prévues par le projet de loi de finances de fin de gestion

(en millions d'euros)

Source : commission des finances, à partir du projet de loi de finances de fin de gestion

B. LE BUDGET POUR 2025 REPRÉSENTE UN EFFORT IMPORTANT DE LA MISSION « JUSTICE » POUR PARTICIPER À L'EFFORT DE MAÎTRISE DES DÉPENSES

1. Une hausse limitée des crédits de paiement et une baisse marquée des engagements

Pour 2025, les crédits demandés sur la mission « Justice » s'élèvent à 11,9 milliards d'euros en autorisations d'engagement et 12,5 milliards d'euros en crédits de paiement, soit, à périmètre constant, une diminution de 16,6 % des autorisations d'engagement et une augmentation de 2,0 % des crédits de paiement par rapport à la loi de finances initiale pour 2024.

Hors inflation, la diminution est de 18,0 % en autorisations d'engagement et l'augmentation de 0,2 % en crédits de paiement.

La principale modification de périmètre est la rebudgétisation, sur le programme 101 « Accès au droit et à la justice », du fonds de financement des dossiers impécunieux, pour un montant de 54 millions d'euros en autorisations d'engagement et en crédits de paiement (voir infra).

Évolution des crédits de la mission « Justice » en euros courants et constants

(en millions d'euros et en pourcentage)

   

LFI 2024

PLF 2025 constant

Évolution 2025/2024 en %

PLF 2025 courant

   

En %

en valeur

En % hors inflation

166 - Justice judiciaire

AE

4 753,9

4 584,6

- 3,6 %

- 169,3

- 5,3 %

4 584,6

CP

4 544,0

4 567,1

+ 0,5 %

+ 23,1

- 1,3 %

4 567,1

107 - Administration pénitentiaire

AE

6 814,0

4 740,6

- 30,4 %

- 2 073,4

- 31,7 %

4 739,6

CP

5 003,0

5 243,4

+ 4,8 %

+ 240,4

+ 3,0 %

5 242,4

182 - Protection judiciaire de la jeunesse

AE

1 160,8

1 160,8

- 0,0 %

- 0,0

- 1,8 %

1 160,6

CP

1 125,9

1 141,1

+ 1,3 %

+ 15,1

- 0,4 %

1 141,0

101 - Accès au droit et à la justice

AE

736,2

744,1

+ 1,1 %

+ 7,9

- 0,7 %

798,1

CP

736,2

744,1

+ 1,1 %

+ 7,9

- 0,7 %

798,1

310 - Conduite et pilotage de la politique de la justice

AE

768,3

643,8

- 16,2 %

- 124,5

- 17,7 %

640,5

CP

747,1

707,8

- 5,3 %

- 39,3

- 6,9 %

704,6

355 - Conseil supérieur de la magistrature [P335]

AE

4,6

4,8

+ 4,1 %

+ 0,2

+ 2,3 %

4,8

CP

5,7

5,9

+ 3,5 %

+ 0,2

+ 1,7 %

5,9

Total

AE

14 237,8

11 878,7

- 16,6 %

- 2 359,2

- 18,0 %

11 928,3

CP

12 161,9

12 409,4

+ 2,0 %

+ 247,5

+ 0,2 %

12 459,1

Source : commission des finances, d'après les documents budgétaires

La diminution des autorisations d'engagement doit s'apprécier par rapport au niveau très élevé prévu en loi de finances en 2024, tout particulièrement dans le cadre des programmes immobiliers pénitentiaires.

Sur le moyen terme, les moyens de la mission « Justice » ont connu une augmentation de 36,2 % depuis 2020, ou 16,8 % en euros constants, qui contraste avec une augmentation plus limitée entre 2015 et 2020.

Évolution à moyen terme des crédits de paiement
de la mission « Justice »

(en milliards d'euros constants et courants)

Crédits de paiement (CP) consommés (2015 à 2023) ou prévus (2024 et 2025).

Source : commission des finances, d'après les documents budgétaires

De même, l'augmentation des engagements depuis 2020 reste soutenue, ce qui marque le lancement de nouveaux chantiers après une stagnation des investissements au cours des années antérieures.

Évolution à moyen terme des autorisations d'engagement
de la mission « Justice »

(en milliards d'euros constants et courants)

Autorisations d'engament (AE) consommées (2015 à 2023) ou prévues (2024 et 2025).

Source : commission des finances, d'après les documents budgétaires

2. Un ralentissement de la mise en oeuvre de la loi de programmation, qui pourrait être moins marqué que ce qui est prévu par le texte initial du projet de loi de finances

La loi d'orientation et de programmation du ministère de la justice 2023-20276(*) a prévu une hausse progressive des crédits de paiement du ministère (hors contribution aux pensions), de 8,86 milliards d'euros en 2022 à 10,75 milliards d'euros en 2027.

S'agissant des emplois, elle a prévu des créations nettes sur cette période de 10 000 équivalents temps plein (ETP) entre 2023 à 2027, dont 1 500 magistrats et 1 800 greffiers supplémentaires, y compris 605 ETP recrutés en gestion pour l'année 2022 au titre de la justice de proximité.

La période 2018-2022 avait déjà été marquée par une forte augmentation des moyens de la mission « Justice » (+ 27,3 %), allant même au-delà de ce que prévoyait la loi de programmation 2018-2022 (+ 18,6 %), par l'effet d'un effort marqué en 2021 et 2022.

Après une nouvelle hausse en 2023 (+ 6,6 %), inférieure toutefois en exécution au niveau prévu en loi de finances initiale, la loi de programmation 2023-2027 a prévu une poursuite de cet effort qui devait porter en quasi-totalité sur les années 2024 et 2025 (+ 11,5 % par rapport à la loi de finances initiale pour 2023, soit + 14,0 % par rapport à la consommation finalement réalisée cette année), les crédits devant ensuite être quasiment stables entre 2025 et 2027.

Les crédits du présent projet de loi de finances, s'ils étaient confirmés, représenteraient une hausse finalement plus limitée, à hauteur de 9,3 % par rapport à l'exécution 2023, ce qui supposerait une poursuite soutenue de la hausse des crédits jusqu'en 2027 (+ 4,9 % par rapport au projet de loi de finances pour 2025) pour atteindre l'objectif fixé par la loi de programmation dans son montant comme dans son calendrier final.

Crédits prévus en loi de programmation et réalisation

(en milliards d'euros)

Crédits hors contribution au compte d'affectation spéciale « Pensions », prévus dans les lois de programmation 2018-2022 et 2023-2027, et crédits consommés (2018 à 2023), prévus en loi de finances initiale (2024) ou en projet de loi de finances (2025).

Source : commission des finances, d'après les documents budgétaires

S'agissant des emplois, le projet de loi de finances prévoit la création de 619 ETP sur le périmètre du ministère de la justice, portant sur les effectifs de l'État, ceux des opérateurs du ministère étant stables. Cette hausse reste limitée par rapport à celle prévue par le projet de loi de finances pour 2024 (+ 1 925 ETP).

En outre, la trajectoire de hausse pluriannuelle des crédits semble fortement remise en cause pour certains programmes, si l'on en croit les documents budgétaires.

S'agissant du programme 166 « Justice judiciaire », les documents budgétaires prévoyaient l'an dernier que les crédits de paiement passeraient de 4,54 milliards d'euros en 2024 à 4,76 milliards d'euros en 2026. Cette année, les documents budgétaires prévoient un plafonnement des crédits à 4,56 milliards d'euros en 2025, puis une baisse jusqu'à 4,36 milliards d'euros en 2027.

Évolution pluriannuelle des crédits du programme 166 « Justice judiciaire »
prévue par les projets de loi de finances pour 2024 et pour 2025

(en millions d'euros)

Lecture : les dépenses en 2026 seraient de 4 760,1 milliards d'euros selon la prévision du projet de loi de finances pour 2024 et de 4 514,2 milliards d'euros selon la prévision du projet de loi de finances pour 2025.

Source : commission des finances, à partir des projets annuels de performance

La trajectoire pluriannuelle des autorisations d'engagement du programme 182 « Protection judiciaire de la jeunesse » en matière d'investissement est particulièrement surprenante, puisqu'elle indique que, d'un niveau de 53,9 millions d'euros en 2024 et 36,7 millions d'euros en 2025, les engagements chuteraient à 11,7 millions d'euros en 2026 et 1,0 million d'euros seulement en 2027. La même trajectoire, dans le projet annuel de performances annexé au projet de loi de finances pour 2024, prévoyait un niveau d'autorisations d'engagement de 43,4 millions d'euros en 2026.

Les documents budgétaires se rapportent toutefois au texte initial du projet de loi de finances qui, cette année, pourrait être significativement différent du texte de la loi qui sera finalement promulguée.

Le Gouvernement a en effet fait état, dès la présentation du projet de loi de finances le 10 octobre dernier, de son intention de demander, par voie d'amendement, une augmentation des crédits supérieure à celle que prévoit le texte initial. Les ministres l'ont confirmé lorsqu'ils sont venus présenter le projet de loi de finances devant la commission des finances.

Le Gouvernement a ainsi déposé deux amendements lors de l'examen en première lecture du projet de loi de finances par l'Assemblée nationale.

D'une part, les crédits sont réduits de 26,2 millions d'euros en autorisations d'engagement et en crédits de paiement, uniquement en titre 2, afin de tirer les conséquences de mesures prises sur l'ensemble des ministères (indemnités journalières, ajout de deux jours de carence).

D'autre part, les crédits sont augmentés de 249,6 millions d'euros en autorisations d'engagement et en crédits de paiement par rapport à ceux prévus par le projet de loi de finances initial, répartis comme suit :

- programme 166 « Justice judiciaire » : + 86,4 millions d'euros, dont + 33,2 millions d'euros en titre 2 ;

- programme 107 « Administration pénitentiaire » : + 96,3 millions d'euros, dont + 6,3 millions d'euros en titre 2 ;

- programme 182 « Protection judiciaire de la jeunesse » : + 12,3 millions d'euros, dont + 2,3 millions d'euros en titre 2 ;

- programme 310 « Conduite et pilotage de la politique de la justice » : + 50,3 millions d'euros, dont + 0,9 million d'euros en titre 2.

Près de la moitié de l'écart entre le texte initial du projet de loi de finances et la trajectoire de la loi de programmation serait ainsi comblée.

En outre, selon les informations communiquées au rapporteur spécial, les effectifs du ministère de la justice seront augmentés de 924 équivalents temps-plein (ETP) supplémentaires, s'ajoutant aux 619 ETP prévus par le texte initial du projet de loi de finances, soit une augmentation totale de 1 542 ETP, consacrés à la fois aux nouveaux établissements pénitentiaires et au renforcement des services judiciaires en appui des magistrats.

Le rapporteur spécial prend acte de ces annonces et se réjouit que la mise en oeuvre de la loi de programmation puisse se poursuivre. L'écart restant avec les crédits prévus, sans être négligeable, paraît supportable dans la mesure où certains projets prennent du retard et où tous les crédits n'auraient pas nécessairement été mobilisés en 2025. En tout état de cause, l'état particulièrement dégradé des finances publiques requiert un effort partagé entre l'ensemble des ministères, et celui de la justice fait partie de ceux qui en subiront le moins les conséquences.

Les analyses qui suivent, sauf mention contraire, se fondent sur le texte initial du projet de loi de finances et sur les documents publiés ou communiqués au rapporteur spécial.

C. LA PRIORITÉ EST DONNÉE À L'ACCROISSEMENT DES MOYENS HUMAINS PAR RAPPORT AUX NOUVEAUX INVESTISSEMENTS, HORS ÉTABLISSEMENTS PÉNITENTIAIRES

L'évolution des crédits, dans le présent projet de loi de finances, est marquée par une diminution des autorisations d'engagement de fonctionnement et d'investissement, ainsi que des crédits de paiement d'investissement.

Évolution des crédits par titre à périmètre constant

(en millions d'euros et en pourcentage)

   

LFI 2024

PLF 2025

Évolution 2025/2024 en euros

Évolution 2025/2024 en %

Titre 2 - Dépenses de personnel

AE=CP

7 131,1

7 320,0

+ 188,9

+ 2,6 %

Titre 3 - Dépenses de fonctionnement

AE

4 739,5

2 876,8

- 1 862,7

- 39,3 %

CP

2 966,6

3 057,0

+ 90,4

+ 3,0 %

Titre 5 - Dépenses d'investissement

AE

1 300,4

616,5

- 683,9

- 52,6 %

CP

997,3

968,2

- 29,1

- 2,9 %

Titre 6 - Dépenses d'intervention

AE

1 066,9

1 065,3

- 1,6

- 0,1 %

CP

1 066,9

1 064,2

- 2,7

- 0,3 %

Total

AE

14 237,8

11 878,6

- 2 359,2

- 16,6 %

CP

12 161,9

12 409,4

247,5

+ 2,0 %

Données du PLF 2025 au format de la LFI 2024 (hors rebudgétisation du fonds de financement des dossiers impécunieux).

Source : commission des finances, à partir des réponses au questionnaire du rapporteur spécial.

Les crédits de la mission « Justice » sont concentrés à plus des trois quarts sur les dépenses de personnel et de fonctionnement des programmes 166 « Justice judiciaire » et 107 « Administration pénitentiaire ».

Principaux postes de dépense sur la mission « Justice »

(en millions d'euros)

Source : commission des finances, à partir des documents budgétaires

Parmi ces postes, la chute des autorisations d'engagement entre 2024 et 2025 (- 2 359 millions d'euros) concerne principalement celles du programme 107 « Administration pénitentiaire » en dépenses de fonctionnement (- 1 888 millions d'euros).

S'agissant des crédits de paiement, la hausse de 247,4 millions d'euros pour la mission s'explique surtout :

- s'agissant du programme 107 « Administration pénitentiaire », par la hausse des dépenses de personnel et d'investissement de, respectivement, 122,4 millions d'euros et 103,7 millions d'euros ;

- s'agissant du programme 166 « Justice judiciaire », par la hausse des dépenses de personnel et des dépenses de fonctionnement de, respectivement, 46,8 millions d'euros et 68,9 millions d'euros, alors que les dépenses d'investissement diminuent de 93,3 millions d'euros.

En proportion des crédits, les dépenses de personnel de tous les programmes augmentent7(*), en particulier celles de l'administration pénitentiaire (+ 3,8 %). En revanche, les dépenses d'investissement augmentent de 20,0 % pour l'administration pénitentiaire et de 14,7 % pour la protection judiciaire de la jeunesse, mais diminuent de 25,8 % pour la justice judiciaire.

Principaux facteurs d'évolution des crédits de la mission « Justice »
entre la LFI 2024 et le PLF 2025

(en millions d'euros)

182 - PJJ : programme 182 « Protection judiciaire de la jeunesse ». 310 - Contrôle : programme 310 « Conduite et pilotage de la politique de la justice ».

Source : commission des finances, à partir des documents budgétaires

Le Gouvernement justifie l'évolution des crédits par la volonté de poursuivre les chantiers immobiliers déjà lancés, notamment le plan de création de 15 000 places de prison, et de renforcer les effectifs pénitentiaires et judiciaires8(*).

1. Une augmentation des emplois inférieure à 2024, mais qui demeure une priorité

Le texte initial du projet de loi de finances prévoit une augmentation des effectifs de 619 équivalents temps plein (ETP), dont 270 ETP pour les services judiciaires et 349 ETP dans l'administration pénitentiaire.

Les dépenses de personnel seraient de 5,1 milliards d'euros, en augmentation de 188,9 millions d'euros par rapport à la loi de finances initiale pour 2024, soit + 2,6 %. Toutefois cette augmentation concerne principalement les crédits consacrés au financement des pensions à travers la contribution au compte d'affectation spéciale (CAS) « Pensions », qui augmentent de 139,7 millions d'euros, soit + 5,7 %.

La masse salariale, c'est-à-dire les dépenses de personnel hors CAS « Pensions », est en augmentation de 49,0 millions d'euros, soit + 1,0 %. Le financement en année pleine des revalorisations indiciaires déjà engagées représente 28 millions d'euros.

Évolution des crédits de personnel entre 2024 et 2025

(en millions d'euros)

Source : commission des finances, à partir des réponses au questionnaire du rapporteur spécial

Sur le programme 166 « Justice judiciaire », l'augmentation du coût des pensions est lié à la hausse du taux employeur, passant de 74,6 % en 2024 à 78,6 % en 2025. Hors CAS « Pensions », la hausse est de 0,2 %, permettant selon le projet annuel de performances la création de 270 emplois supplémentaires, dont 125 magistrats et 145 greffiers.

Le nombre de magistrats recrutés en 2025 serait donc bien inférieur aux 343 créations prévues pour 2025 par la loi organique du 20 novembre 2023 relative à l'ouverture, à la modernisation et à la responsabilité du corps judiciaire9(*). Pour respecter la trajectoire prévue par la loi organique et le nombre total de 1 500 recrutements de magistrats prévu par la loi de programmation, il faudrait recruter 424 magistrats en 2026 et autant en 2027, au lieu de 315 si la trajectoire avait été maintenue.

Par ailleurs, aucun recrutement d'attaché de justice n'est prévu, ce qui pose la question de la mise en oeuvre de cette profession introduite par la loi d'orientation et de programmation du 20 novembre 2023 en remplacement de la catégorie des juristes assistants.

Les attachés de justice

« Le magistrat est recentré sur ses missions juridictionnelles et dispose d'une équipe juridictionnelle pluridisciplinaire à ses côtés. Une fonction d'assistance auprès des magistrats est ainsi créée, l'attaché de justice qui peut être fonctionnaire ou contractuel, et se substitue aux actuels juristes assistants. Le champ d'intervention de ces nouveaux attachés de justice est élargi par rapport aux juristes assistants. Le magistrat, véritable chef d'équipe est davantage formé, dès sa prise de fonction, à l'animation d'équipe et les différents agents nommés dans les fonctions d'attachés de justice bénéficient d'une formation dispensée par l'École nationale de la magistrature.

Les attachés de justice bénéficient d'une passerelle simplifiée vers la magistrature, permettant ainsi de constituer de véritables viviers venant renforcer l'autorité judiciaire. »

Source : rapport annexé au projet de loi d'orientation et de programmation du ministère de la justice 2023-2027

Enfin, le programme 166 a connu, courant 2024, un renfort temporaire de 140 agents pour les Jeux olympiques et paralympiques sur les catégories C et techniques.

S'agissant du programme 107 « Administration pénitentiaire », les 349 emplois créés sont destinés exclusivement aux nouveaux établissements qui entreront en service dans le cadre du plan de construction de 15 000 places de prison supplémentaires lancé en 2017. Ce nombre comprend 304 personnels de surveillance. Ils doivent donc s'ajouter au remplacement des départs, estimés à 2 413 ETP (départs en retraite, disponibilités, congés parentaux...).

La hausse de la masse salariale, hors contribution au CAS « Pensions » et hors mesures de transfert, est de 39,9 millions d'euros, soit + 1,8 % par rapport à la loi de finances initiale pour 2024. Elle doit financer les nouveaux recrutements ainsi que l'application en année pleine des mesures de revalorisation de la filière surveillance.

2. Des crédits de fonctionnement, d'investissement et d'intervention soumis à la contrainte budgétaire

Les crédits de fonctionnement de la mission « Justice » sont en augmentation de 90,4 millions d'euros en crédits de paiement (+ 3,0 %) par rapport à la loi de finances initiale 2024, à périmètre constant, mais en diminution de 1 862,7 millions d'euros en autorisations d'engagement.

Évolution des crédits de fonctionnement entre 2024 et 2025

(en millions d'euros)

Différence entre le projet de loi de finances pour 2025 et la loi de finances initiale pour 2024, à périmètre constant, pour les autorisations d'engagement (AE) et crédits de paiement (CP).

Source : commission des finances, à partir des réponses au questionnaire du rapporteur spécial

La forte diminution des autorisations d'engagement doit s'apprécier par rapport au niveau élevé prévu en loi de finances initiale pour 2024 afin d'assurer, notamment, le lancement de marchés de gestion déléguée sur la période 2024-2029 (966,4 millions d'euros en autorisations d'engagement) et l'ouverture de nouveaux établissements et structures (889 millions d'euros en autorisations d'engagement).

La direction de l'administration pénitentiaire estime que les crédits de fonctionnement prévus par le texte initial du projet de loi de finances ne permettraient pas de couvrir l'ensemble des dépenses ayant fait l'objet de la signature du protocole d'accord, suite au drame d'Incarville10(*), laquelle nécessiterait une mobilisation complémentaire de 30 millions d'euros en 2025. Le rapporteur spécial reviendra sur ce point infra.

Les crédits d'investissement font partie des crédits les plus impactés en 2025 par les restrictions budgétaires.

Évolution des crédits d'investissement entre 2024 et 2025

(en millions d'euros)

Différence entre le projet de loi de finances pour 2025 et la loi de finances initiale pour 2024, à périmètre constant, pour les autorisations d'engagement (AE) et crédits de paiement (CP).

Source : commission des finances, à partir des réponses au questionnaire du rapporteur spécial

S'agissant du programme 166 « Justice judiciaire », la perspective pluriannuelle du programme est caractérisée par une forte baisse des dépenses d'investissement, qui passeraient de 362 millions d'euros en 2024 à 268 millions d'euros en 2025 et 120 millions d'euros en 2026 et 2027. L'an dernier, au contraire, il ressortait du projet annuel de performances que les dépenses d'investissement du programme 166 devaient passer à 521 millions d'euros en 2025 pour revenir à 388 millions d'euros en 2026.

Sur le programme 107 « Administration pénitentiaire », les importants chantiers déjà lancés peuvent expliquer un ralentissement des nouveaux engagements, mais aussi rendent et rendront nécessaire dans les années à venir l'ouverture de crédits de paiement importants au fur et à mesure de l'avancement des constructions.

Selon la direction de l'administration pénitentiaire, toutefois, la poursuite du plan 15 000 selon le rythme prévu nécessiterait environ 60 millions d'euros supplémentaires, en autorisations d'engagement comme en crédits de paiement, par rapport à ceux prévus par le projet de loi de finances.

Enfin, les dépenses d'intervention, d'un montant de 1 065,3 millions d'euros en autorisations d'engagement et 1064,2 millions d'euros en crédits de paiement (hors rebudgétisation du fonds de financement des dossiers impécunieux), sont quasiment stables par rapport à 2024.

Ces dépenses correspondent surtout aux crédits du secteur associatif habilité (SAH)11(*), financé à hauteur de 293,2 millions d'euros par le programme 382 (en baisse de 6,6 millions d'euros par rapport au projet de loi de finances initiale pour 2024), et à l'aide juridictionnelle financée à hauteur de 661,1 millions d'euros sur ce titre par le programme 101 (en hausse de 2,5 millions d'euros).

II. L'ACCROISSEMENT DES MOYENS, QUI DEMEURE NÉCESSAIRE, DOIT S'ACCOMPAGNER D'UN MEILLEUR SUIVI ET D'UNE ÉVALUATION ACCRUE DE LA DÉPENSE

Le rapporteur spécial porte la même appréciation sur l'évolution des crédits de la mission « Justice » en 2025 que celle portée au cours des années précédentes de hausse très élevée des crédits : si cette dynamique doit être poursuivie et soutenue, elle ne doit pas consister en un blanc-seing donné au ministère et au Gouvernement.

L'augmentation des moyens est une nécessité et la trajectoire prévue par la loi de programmation, éventuellement ralentie par la recherche d'économies qui s'impose comme une nécessité au budget de l'État, devra être reprise et poursuivie.

Toutefois le ministère devra, dans le même temps, poursuivre et amplifier ses efforts d'évaluation de la qualité des actions entreprises et de leur coût par rapport à la satisfaction des besoins. Les citoyens ne comprendraient pas que des moyens financiers ainsi déployés n'aient pas des conséquences visibles sur la qualité du service public de la justice.

A. L'AMÉLIORATION DU SERVICE PUBLIC DE LA JUSTICE PASSE NÉCESSAIREMENT PAR L'OCTROI DE CRÉDITS ET LE RECRUTEMENT DE PERSONNELS

1. La loi de programmation vise seulement à combler les lacunes les plus urgentes du système judiciaire et pénal

Les hausses de crédits prévues par la loi de programmation constituent en grande partie un rattrapage de l'inflation.

L'augmentation des crédits prévue par l'article 1er de la loi de programmation, si elle peut marquer les esprits lorsqu'on l'exprime en euros courants (+ 21,3 %), ne représente en réalité qu'un accroissement des moyens de 7,5 % hors inflation. La quasi-stabilité des crédits prévue en 2026 (+ 10 millions d'euros) et 2027 (+ 57 millions d'euros) conduirait même à une diminution en euros constants.

Évolution des crédits de la mission selon la trajectoire définie
en loi de programmation 2023-2027, hors contribution au CAS Pensions

(en milliards d'euros et en CP)

Source : commission des finances, d'après les documents budgétaires et les hypothèses d'inflation du Gouvernement

En conséquence, la loi de programmation a pour ambition, non de faire de la justice un axe véritablement privilégié de l'action publique, mais de combler une partie de ses retards.

Le constat fait par les États généraux de la justice en 2021 et 2022 demeure en effet d'actualité pour une large part en ce qu'ils décrivent une crise grave de la justice. À une défiance de plus en plus grande envers la justice, que connaissent de nombreux pays, se superpose une crise plus propre à notre pays, celle du service public de la justice. L'écart entre les attentes et les résultats est considérable. Les retards ou le sentiment que le système judiciaire ne pourra pas leur venir en aide pousse de nombreuses victimes à renoncer tout simplement.

Le comité des États généraux identifie comme explications à cette défaillance de la politique publique de la justice, d'une part la succession de réformes ponctuelles, d'autre part une grave insuffisance des moyens, aussi bien humains que financiers.

Or le constat des États généraux n'est pas le seul à objectiver ainsi le sentiment qu'on également de nombreux citoyens confrontés à l'état insatisfaisant du service public de la justice. À cet égard, la comparaison avec les autres États européens est éclairante.

2. Même accrus, les moyens accordés à la justice demeurent plus faibles que dans les pays comparables à la France

Le rapport annuel de la Commission européenne pour l'efficacité de la justice (CEPEJ) permet d'obtenir une estimation de l'importance donnée par chaque pays, dans une perspective comparatiste, à son système judiciaire12(*). Cette étude n'inclut pas les crédits consacrés aux prisons.

Le CEPEJ estime le budget exécuté du système judiciaire français à 77,2 euros par habitant en 2002, ce qui est inférieur à la moyenne des pays européens en pourcentage du PIB.

Les délais sont plus longs en France que la médiane des pays européens, sauf pour les affaires administratives en troisième instance.

Durée d'écoulement du stock d'affaires pendantes

(en jours)

La durée d'écoulement du stock d'affaires pendantes est le temps théorique nécessaire pour qu'une affaire pendante soit résolue, compte tenu du rythme de travail actuel des tribunaux.

Source : CEPEJ, Systèmes judiciaires européens - Rapport d'évaluation 2024

Parmi les pays de PIB compris entre 20 000 et 40 000 euros par habitant, la justice française dispose du plus faible budget par habitant en pourcentage du PIB, avec la Lituanie, sachant que la France est en fait située presque à la limite haute de cette catégorie (38 547 euros de PIB par habitant) et la Lituanie près de la limite basse (23 576).

Toutefois, ce constat concerne surtout les tribunaux et le ministère public : le budget consacré à l'aide judiciaire est l'un des plus importants parmi les pays de PIB par habitant intermédiaire.

Budget exécuté du système judiciaire des pays de PIB par habitant
comparable à la France

(en euros par habitant et en pourcentage du PIB)

Source : CEPEJ, Systèmes judiciaires européens - Rapport d'évaluation 2024

Même l'augmentation des moyens entre 2020 et 2022, estimée en France à + 7 % par le CEPEJ, a été plus marquée dans le reste de l'Europe (+ 13 %). Il faut reconnaître que cette période, marquée par la crise sanitaire, a entraîné des hausses de budget dans de nombreux pays européens pour financer notamment les dépenses d'informatisation (+ 24 %) ou les frais de justice (+ 21 %).

Le manque de moyens en France apparaît d'autant plus notable que, dans des pays à traditions judiciaires différentes, de nombreuses affaires se règlent, sans doute plus qu'en France, sans faire l'objet d'un procès et donc avec une moindre charge pour l'État.

Il est toutefois nécessaire de noter que ces chiffres remontent à l'exécution des moyens en 2022 et que l'augmentation des crédits depuis cette année devrait contribuer à rapprocher la France des autres pays européens, sans certainement combler entièrement l'écart.

B. LES CRÉDITS SUPPLÉMENTAIRES DOIVENT ÊTRE LÉGITIMÉS PAR UNE ÉVALUATION PLUS RIGOUREUSE DE LEUR UTILISATION

Comme l'ont indiqué les États généraux de la justice, « l'augmentation des moyens est une condition du redressement, mais elle doit être mise au service d'une gestion plus rigoureuse et d'une vision dynamique et prospective de l'institution. Elle implique des évaluations rigoureuses et transparentes de leur utilisation »13(*).

Le comité des États généraux recommandait ainsi la mise en place d'un système d'évaluation des chefs de tribunal judiciaire et l'instauration d'une évaluation des chefs de cours d'appel et des magistrats de la Cour de cassation, à travers la mise en place d'un mécanisme d'évaluation à 360° par un comité indépendant composé de membres nommés notamment par le garde des sceaux et le Conseil supérieur de la magistrature. Tous les magistrats font en effet l'objet d'évaluations régulières, à l'exception des chefs de cour d'appel et des conseillers à la Cour de cassation.

Toutefois, c'est sur l'évaluation de l'efficacité de la dépense que le rapporteur spécial mettra l'accent.

En effet, une meilleure performance de l'argent employé doit être recherchée, la finalité étant l'amélioration de la qualité et de la rapidité du service public de la justice. Si la justice retrouve peu à peu - partiellement - les moyens dont elle aurait dû toujours disposer, elle doit en même temps faire l'objet d'une meilleure évaluation de la manière dont elle utilise ces moyens.

1. Le travail d'objectivation des coûts doit être poursuivi

L'évaluation doit d'abord porter sur la détermination des coûts.

À cet égard, il est regrettable que le référentiel de la charge de travail des magistrats n'ait toujours pas été publié. La question n'est pourtant pas nouvelle : en 2018, la Cour des comptes constatait que « depuis plus de vingt ans, des groupes de travail ont ainsi été mis en place à l'initiative de la DSJ14(*) ou de certaines juridictions pour objectiver la charge de travail des magistrats »15(*).

Alors que des groupes de travail ont travaillé sur la question depuis deux ans, la publication de leurs conclusions a été encore une fois repoussée l'été dernier. Or une objectivation des coûts est indispensable pour justifier les hausses de crédits demandées.

L'évaluation doit ensuite porter sur l'analyse des résultats.

2. Les indicateurs de performances doivent mieux refléter la qualité du service public rendu aux usagers

Sur ce plan, le dispositif de performance de la mission « Justice » demeure perfectible.

S'il est préférable d'éviter une trop grande instabilité des définitions d'indicateurs afin de faciliter leur suivi année après année, certains indicateurs semblent peu adaptés à une mesure réelle de l'efficacité de la justice.

À titre d'exemple, l'indicateur 1.2 du programme 166 « Justice judiciaire » constate une amélioration de la proportion d'affaires pénales terminées en moins de douze mois, mais ce chiffre ne distingue pas entre les procédures de comparution immédiate, par définition rapides, et les autres. L'amélioration peut donc correspondre au moins autant au choix fait par la politique pénale de favoriser les procédures rapides qu'à une amélioration de l'efficacité de la justice en tant que telle. C'est ce que reconnaît le commentaire de l'indicateur le reconnaît : « le délai moyen de traitement des convocations par officier de police judiciaire est de 12 mois (en 2023) alors qu'il était de 11,6 mois en 2022. De même, le délai moyen de traitement des affaires ayant fait l'objet d'une instruction est de 51,7 mois alors qu'il était de 48,5 mois en 2022 ». L'amélioration formelle de cet indicateur, trop synthétique, masque la réalité de la dégradation des délais.

De même, la réduction du délai d'écoulement des stocks devant les cours d'assises, qui passe de 16,8 à 14,8 mois entre 2022 et 2023 (indicateur 1.3) résulte en réalité de la transmission de certains dossiers devant les nouvelles cours criminelles départementales, entraînant une baisse de 20 % du nombre d'affaires portées devant les assises.

DEUXIÈME PARTIE
LES OBSERVATIONS DU RAPPORTEUR SPÉCIAL

La loi d'orientation et de programmation du ministère de la justice 2023-2027 n'a pas seulement fixé des objectifs chiffrés de moyens financiers et humains.

Elle a aussi, à la suite des États généraux de la justice, défini une ambition de transformation globale de l'activité de la justice dans ses trois principales dimensions.

En premier lieu, la politique de ressources humaines doit mettre à profits les moyens nouveaux pour se transformer et réorganiser l'environnement de travail.

En second lieu, l'accélération de la transformation numérique, qu'il s'agisse de la mise à jour des applications obsolètes ou de l'élaboration de solutions nouvelles, apparaît comme une condition de la capacité du monde de la justice à répondre à la hausse de la charge de travail et à l'aspiration des citoyens à un meilleur service public de la justice.

Enfin, l'inacceptable situation des prisons, comme les besoins de la justice judiciaire et de la protection judiciaire de la jeunesse, doit amener à poursuivre les investissements dans la rénovation et la construction de locaux.

Ces objectifs stratégiques ne pourront toutefois être atteints sans apporter à la justice les moyens de fonctionnement nécessaires à la bonne exécution de ces missions.

Or la dynamique impulsée par la loi de programmation doit, comme toutes les fonctions de l'État, s'adapter aux économies que la situation financière du pays impose désormais. La dégradation des finances publiques, dont l'ampleur était encore insoupçonnée lors des débats de la loi de programmation, impose de réexaminer même des politiques aussi nécessaires.

Le rapporteur spécial comprend cette contrainte et considère que le ministère de la justice ne peut s'en exonérer totalement. Il apparaît donc nécessaire de faire des choix et, en cas de besoin, d'accepter de repousser les projets dont l'urgence est la moins avérée, afin de préserver les mesures les plus essentielles, telles que la poursuite de la construction de places de prison, les recrutements dans les fonctions indispensables à l'accroissement de la charge de travail du ministère ou - afin d'éviter des coûts de rénovation futurs - l'entretien de l'ensemble des infrastructures numériques et des bâtiments du ministère.

I. LES RECRUTEMENTS, PRIORITÉ DU MINISTÈRE, S'APPUIENT SUR UNE POLITIQUE DE REVALORISATION DES MÉTIERS

Le ministère de la justice fait partie de ceux dans lesquels l'élément humain est le plus important. Malgré l'importance des projets immobiliers (voir infra), près de 60 % des crédits sont consacrés aux dépenses de personnel, contre un peu plus d'un quart sur l'ensemble du budget général. Il n'est dépassé que par le ministère de l'éducation nationale (près de 95 %) et celui de l'intérieur (près de 75 %).

Les États généraux de la justice ont constaté la nécessité de répondre à un manque criant de moyens humains, résultant de l'insuffisance des crédits mais aussi de la perte d'attractivité d'un grand nombre de métiers judiciaires.

Le rapporteur spécial partage ce constat, qui s'applique aussi à l'administration pénitentiaire et à la protection judiciaire de la jeunesse. Il constate que la revalorisation des métiers, déjà engagée, est indispensable pour permettre au ministère de faire face aux recrutements prévus par la loi de programmation.

A. UN PLAN DE RECRUTEMENT SOUTENU RESTE NÉCESSAIRE POUR RÉPONDRE AUX NOUVEAUX BESOINS, MAIS AUSSI POUR FAIRE FACE À LA ROTATION DES PERSONNELS

L'augmentation des effectifs prévue par la loi de programmation se poursuit et s'appuie sur la revalorisation des métiers.

Les emplois sous plafond de la mission « Justice », mesurés en équivalents temps plein travaillé (ETPT)16(*), sont en croissance de 1 687 ETPT entre l'exécution 2021 et l'exécution 2023.

La loi d'orientation et de programmation du ministère de la justice 2023-2027 prévoit la création nette de 10 000 emplois sur le quinquennat, dont 2 308 équivalents temps plein (ETP) réalisés en 2023 et 1 916 ETP prévus en 2024, emplois des opérateurs inclus.

Le plafond d'autorisation des emplois accompagne ces mouvements avec une hausse de 901 ETPT dans le projet de loi de finances pour 2025 par rapport à la loi de finances initiale pour 2024, dont 460 ETPT en faveur des services judiciaires.

Cette trajectoire est toutefois très différenciée selon les catégories de personnels.

Trajectoire des emplois sous plafonds de la mission « Justice »

(en équivalents temps plein travaillés ou ETPT)

Source : commission des finances, à partir des réponses au questionnaire du rapporteur spécial

Les catégories A et les magistrats ont connu jusqu'à présent la hausse la plus rapide en ETPT, ce qui traduit le plan de recrutement pour les magistrats (+ 9,1 % en cinq ans), mais aussi la revalorisation des statuts des personnels : l'augmentation des emplois travaillés de personnel d'encadrement de catégorie A, qui est de + 23,6 % pour la seule année 2025, illustre le passage de certains greffiers de la catégorie B à la catégorie A, en application de la réforme statutaire des greffes (voir infra).

B. LA REVALORISATION DES MÉTIERS SOUTIENT LES RECRUTEMENTS DANS L'ADMINISTRATION PÉNITENTIAIRE

Dans l'administration pénitentiaire, une enveloppe de 26,7 millions d'euros est accordée au titre des mesures catégorielles, mais se limitera au financement de mesures déjà lancées sur les exercices précédents. Ces mesures incluent la poursuite de la réforme de la filière de surveillance (24,4 millions d'euros), la mise en oeuvre de la réforme de la filière technique (1,5 million d'euros), l'extension en année pleine de la mesure de revalorisation des cadres de la direction de l'administration pénitentiaire (0,7 million d'euros) et une nouvelle annuité du plan de requalification du personnel administratif permettant l'accès d'agents de catégorie C à la catégorie B (0,07 million d'euros en statutaire et 0,08 million d'euros en indemnitaire).

Dans l'administration pénitentiaire, une réforme conduit au passage des surveillants de catégorie C en B et des officiers de catégorie B en A, s'ils exercent leur droit d'option. Cette réforme a accru de plus de 2 300 le nombre des personnels d'encadrement et, symétriquement, à réduit de 2 300 le nombre des personnels dans les métiers du greffe et du commandement, tout en maintenant à un niveau stable le nombre des personnels de surveillance.

Selon les indications données au rapporteur spécial, grâce à ces mesures statutaires les métiers de l'administration pénitentiaire commenceraient à attirer des policiers, alors que c'est plutôt le mouvement inverse qui prédominait auparavant.

Afin de faciliter les recrutements, la loi de programmation a également créé le statut de surveillant pénitentiaire adjoint, recruté par la voie contractuelle17(*).

Le rapporteur spécial a approuvé la création de cette nouvelle filière de recrutement dans son rapport d'information sur le plan 15 00018(*), soulignant qu'elle devrait permettre de recruter des profils différents, qui n'auraient pas forcément envisagé de passer le concours ou qui ne souhaitent pas déménager à l'issue de leur première affectation.

Le recrutement de surveillants adjoints pourrait permettre, en 2025, de compenser des départs à la retraite importants. Ils apparaissent comme un substitut aux surveillants recrutés par concours : ils sont regroupés avec les surveillants issus de concours dans la catégorie des « personnels de surveillance », pour lesquels 1 898 recrutements sont prévus en 2025, dont 1 650 primo-recrutements, en remplacement de 1 593 sorties dont 700 départs en retraite, soit un schéma d'emploi de + 305 équivalents temps plein (ETP).

Le projet annuel de performances indique certes qu'aucun poste de contractuel n'est prévu lors de l'élaboration du budget et qu'il sera fait appel à eux en fonction du niveau de saturation des concours de surveillants. Toutefois, selon le secrétariat général du ministère de la justice, le nombre élevé des départs en retraite devrait nécessiter le recrutement de surveillants contractuels en 2025.

C. LES SERVICES JUDICIAIRES BÉNÉFICIENT AUSSI DE LA REVALORISATION DES MÉTIERS, NÉCESSAIRE POUR FAIRE FACE AU RENOUVELLEMENT DES PERSONNELS FACE AUX DÉPARTS EN RETRAITE

La question des départs en retraite constitue aussi un enjeu dans les services judiciaires.

Ainsi, près d'un tiers des 26 000 effectifs actuellement gérés dans les greffes partiraient en retraite dans les dix prochaines années19(*).

Les départs en retraite sont également nombreux chez les magistrats. Le rythme de remplacement des magistrats du siège augmente en cassation (20 % en 2023 contre 13 % en 2022) en raison du nombre élevé de départs à la retraite de magistrats qualifiés, ce qui a un impact sur le rythme de décisions rendues en raison du temps nécessaire pour acquérir la technique de cassation20(*).

Les services judiciaires sont également concernés par la revalorisation des métiers. Les réformes importantes intervenues en 2023 sont entrées en vigueur en année pleine en 2024.

En octobre 2023, les magistrats judiciaires ont ainsi connu une revalorisation de rémunération de 1 000 euros par mois en moyenne, la plus importante depuis 1996. Le coût en année pleine devrait s'élever à 111,2 millions d'euros.

Pour mémoire, la rémunération des magistrats comprend notamment une prime forfaitaire, attribuée à raison de la fonction exercée, et une prime modulable, dont le montant dépend de la contribution du magistrat au bon fonctionnement de l'institution judiciaire, notamment en tenant compte des attributions spécifiques qui lui ont été confiées et du surcroît d'activité résultant d'absences prolongées de magistrats.

Désormais, la prime forfaitaire n'est plus exprimée en pourcentage du traitement indiciaire brut perçu par le magistrat mais consiste en des montants fixes définis par grade, par échelon ou par emploi. Une majoration de la prime forfaitaire est prévue, sous la forme d'un complément annuel, pour tenir compte des sujétions propres à certaines fonctions. De même, la prime modulable n'est plus exprimée en pourcentage du traitement indiciaire brut mais en montant brut annuel.

Le montant moyen mensuel brut de la revalorisation s'élève à 1 032 euros par magistrat.

En outre, les réflexions sur la convergence indiciaire des magistrats judiciaires par rapport aux magistrats administratifs se poursuivront également en 2025.

Alors que les magistrats ont connu une réforme indemnitaire, les métiers du greffe, pour leur part, ont été concernés par une réforme statutaire majeure suite à un protocole d'accord signé en octobre 2023.

Le protocole d'accord sur les métiers du greffe

Le garde des sceaux et trois organisations syndicales ont signé le 26 octobre 2023 un protocole d'accord sur les métiers de greffe qui prévoyait :

- une revalorisation indiciaire supplémentaire à la fin 2023 ;

- une modification de la grille statutaire des greffiers au début 2024 ;

- la création d'un cours de cadre-greffier de catégorie A, qui devait compter 3 200 greffiers, soit près d'un quart du corps ;

- un plan de requalification des adjoints administratifs faisant fonction de greffiers.

Source : commission des finances

Cette réforme statutaire porte ses fruits sur l'attractivité du métier. Il a été indiqué au rapporteur spécial pendant ses auditions que le nombre de candidats au dernier concours de greffiers avait été deux fois plus élevé qu'au concours précédent.

D. LA PROTECTION JUDICIAIRE DE LA JEUNESSE A CONNU UNE ANNÉE HEURTÉE POUR LA GESTION DE SON PERSONNEL

S'agissant de la protection judiciaire de la jeunesse, la situation budgétaire a conduit à de véritables difficultés en milieu d'année, avec le décalage dans le temps, très contesté sur le terrain, de recrutements d'agents publics contractuels ou titulaires. Si ces difficultés sont liées aux mesures de régulation budgétaire (annulation par le décret du 21 février, surgel du mois de juillet), l'impact budgétaire de la prime « Jeux olympiques », liée à une mobilisation particulièrement élevée, semble avoir été mal anticipée.

Le garde des sceaux du gouvernement démissionnaire a obtenu un dégel de 3 millions d'euros, la réserve de précaution du programme passant de 19,9 millions d'euros à 16,1 millions d'euros. Il a également confié à l'Inspection générale de la Justice une mission d'évaluation sur le pilotage des effectifs de contractuels et de la masse salariale en 2024 à la protection judiciaire de la jeunesse.

II. LA MODERNISATION DE LA FONCTION INFORMATIQUE : UNE NÉCESSITÉ POUR AMÉLIORER L'EFFICACITÉ DE LA JUSTICE TOUT EN MAÎTRISANT SES COÛTS

En 2022, la Cour des comptes notait, dans une enquête sur le plan de transformation numérique demandée par la commission des finances du Sénat21(*), constatait le retard considérable accumulé par le ministère de la justice, « marqué par des infrastructures informatiques vieillissantes et sous-dimensionnées, des applications obsolètes et des équipements insuffisants ». Elle note encore, dans un rapport récent, que le ministère de la justice reste en retard sur le plan de la transformation numérique : à titre d'exemple, c'est le seul ministère qui n'a mis en accès libre aucun jeu de données, malgré les objectifs fixés dans le cadre de la politique d'ouverture des données de l'État22(*).

Deux plans de transformation numérique (PTN) successifs cherchent à résorber cette dette technique. Toutefois le rapporteur spécial a constaté lors de ses auditions que les manquements pointés par la Cour des comptes et, en 2021, par les États généraux de la justice demeuraient une réalité quotidienne pour les agents du ministère et qu'ils affectaient leur capacité à assurer un service public de la justice de qualité.

A. FACE À LA NUMÉRISATION DE LA SOCIÉTÉ, LE MINISTÈRE DE LA JUSTICE DOIT DISPOSER D'OUTILS ET DE COMPÉTENCES À LA HAUTEUR

1. Le recours à l'externalisation : une facilité à court terme, le risque à moyen terme d'une perte de contrôle

Le premier plan de transformation numérique prévoyait un renforcement des effectifs des professionnels du numérique du ministère à hauteur de 260 agents.

La Cour des comptes, dans l'enquête précitée, critiquait le recours massif à l'externalisation. Le rapporteur spécial partage ce souci : si l'externalisation est parfois nécessaire pour avoir recours à des compétences trop spécifiques ou ponctuelles pour justifier un recrutement ad hoc, un recours excessif à l'externalisation crée une dépendance à l'égard d'un faible nombre de prestataires. Un certain degré de maîtrise interne des applications critiques pour le fonctionnement des services est nécessaire dans toute administration.

C'est pourquoi la direction interministérielle du numérique (Dinum) pousse les ministères, et notamment celui de la justice, à identifier des fonctions à internaliser ou ré-internaliser. Il est certainement plus difficile de recruter des personnels que de confier un marché à une société extérieure, tout particulièrement dans un secteur où les opportunités d'emploi ne manquent pas, d'où un taux de rotation des personnels élevé.

Un taux suffisamment élevé de personnels internes est toutefois nécessaire pour garantir la maîtrise interne des applicatifs. La maîtrise des techniques numériques peut en outre constituer un enjeu de sécurité pour certains établissements.

2. Une amélioration des équipements et une refonte des applicatifs à poursuivre

La crise sanitaire a poussé à la généralisation des outils de visioconférence. Le drame d'Incarville conduit également à une utilisation accrue de cet outil, qui permet d'éviter des transferts de détenus : en 2023, elle a permis d'éviter plus de 30 000 extractions judiciaires23(*). Le souci d'économie ou de gain de temps va dans le même sens.

Toutefois, plusieurs personnes auditionnées par le rapporteur spécial ont fait part de l'insatisfaction des magistrats par rapport à la qualité et la fiabilité des équipements de visioconférence. En tout état de cause, la visioconférence ne paraît pas adaptée à tous les stades de la procédure, dont certains exigent parfois un contact plus direct.

La situation est plus difficile encore pour de nombreux applicatifs, décrits au rapporteur spécial comme obsolètes.

Le rapporteur spécial souligne la nécessité de parvenir enfin à une numérisation de la procédure pénale, en lien entre les différentes administrations concernées. L'hétérogénéité des outils peut en effet conduire à de graves inefficiences, comme celles qu'il avait constatées lors d'un précédent travail relatif aux amendes pénales24(*).

Des questions d'interfaçage demeurent, par exemple entre l'outil Cassiopée et la direction générale des finances publiques (DGFiP).

Il souligne également la nécessité de placer l'utilisateur au coeur des projets informatiques. Des exemples lui ont été transmis sur l'étonnante inadaptation de certains applicatifs aux modes de travail des utilisateurs : Cassiopée, par exemple, comprend un nombre excessif de trames de décisions, souvent inadaptées et qui demandent en conséquence des modifications manuelles à l'origine d'importantes pertes de temps.

L'absence de prise en compte des besoins des utilisateurs, en particulier des magistrats, a d'ailleurs constitué l'une des causes des retards considérables du projet Cassiopée identifiées par la Cour des comptes dans une enquête demandée par la commission des finances, de sorte que la nouvelle application était plus complexe à utiliser et répondait moins bien aux besoins que la précédente25(*).

B. LES PLANS DE TRANSFORMATION NUMÉRIQUE ONT FIXÉ UNE AMBITION FORTE

Le premier plan de transformation numérique (PTN), doté de 530 millions d'euros sur la période 2018-2022, était divisé en trois axes : adaptation du socle technique et des outils de travail, évolutions des applications et soutien aux utilisateurs.

Une enquête de la Cour des comptes, commandée par la commission des finances du Sénat, a constaté en janvier 2022 les limites de ce plan, qui avait « uniquement répondu à la nécessité de rattraper le retard numérique du ministère ». Elle a notamment recommandé de faire évoluer la gouvernance en association les utilisateurs finaux et en diminuant le niveau d'externalisation de la fonction informatique.

Les États généraux de la justice ont également souligné l'insuffisance des outils numériques mis à disposition des juridictions.

En conséquence, un second plan de transformation numérique (PTN 2) a été présenté dans le cadre de la loi de programmation 2023-2027 afin d'aller au-delà d'un rattrapage numérique pour répondre à huit objectifs stratégiques.

Les huit objectifs stratégiques du PTN 2

1 - Redresser le patrimoine fonctionnel et technique du ministère de la justice (améliorer le réseau, résorber la dette technique, poursuivre la modernisation des applications et équipements en associant les personnels).

2 - Faire émerger une architecture ouverte et évolutive (créer un cadre de cohérence partagé et respecté, un système d'information modulaire et découplé, des référentiels de données transverses).

3 - Construire un socle système d'information flexible, sécurisé et résilient.

4 - Mettre la valeur de la donnée au coeur des réflexions (open data, aide à la décision, qualité et gouvernance de la donnée).

5 - Aligner progressivement les compétences et les pratiques sur l'état de l'art (articulation du cadre juridique et du développement du numérique, nouvelle méthode de réalisation des produits numériques, tournée vers l'utilisateur, internalisation des ressources et compétences clés).

6 - Optimiser les services aux utilisateurs (numériser les flux de travail et faciliter la manipulation par les acteurs, identité numérique, chaîne de soutien modernisée, environnement de travail numérique de l'agent).

7 - Prendre en compte les exigences de sécurité dans la conception et dans tout le cycle de vie des produits numériques (nouvelle organisation de la sécurité des systèmes d'information et protection des données).

8 - Déployer et faire vivre une gouvernance permettant de soutenir les activités du numérique.

Source : rapport annexé à la loi d'orientation et de programmation du ministère de la justice 2023-2027

Ces objectifs se traduisent dans plusieurs chantiers :

- le soutien au quotidien dans les juridictions : déploiement de techniciens informatiques, amélioration des accès réseau, mise à niveau du parc informatique ;

- la dématérialisation, à travers un projet « zéro papier 2027 » ;

- le renforcement du socle technique, c'est-à-dire des applications existantes ;

- une nouvelle organisation de conduite des projets applicatifs, en mode projet, selon les recommandations de la Dinum, la déficience du pilotage constituant une carence trop souvent relevée dans les projets informatiques26(*) ;

- le développement de grands projets communs transversaux, évoqués infra.

Selon les informations recueillies par le rapporteur spécial, 127 techniciens ont ainsi été déployés dans les juridictions, ainsi que des ambassadeurs de la transformation numérique. Des audits de l'état du numérique sont également réalisés dans des juridictions telles que Bordeaux, Bobigny et Rouen.

Le lancement du PTN 2 a indéniablement créé des espoirs importants d'amélioration des équipements et de meilleure conduite des projets, après des quasi-échecs tels que celui du projet Cassiopée. Ces espoirs risquent toutefois d'être partiellement déçus par les restrictions budgétaires.

C. LES RESTRICTIONS BUDGÉTAIRES EN 2025 RISQUENT DE LIMITER FORTEMENT LES DÉVELOPPEMENTS D'OUTILS NOUVEAUX

Les crédits demandés pour l'informatique ministérielle sont de 210,7 millions d'euros en autorisations d'engagement et de 235,2 millions d'euros en crédits de paiement, soit une diminution, respectivement, de 32,8 % en autorisations d'engagement et de 13,6 % en crédits de paiement.

Évolution des dépenses d'informatique ministérielle

(en millions d'euros)

Source : commission des finances, à partir des réponses au questionnaire du rapporteur spécial

L'enveloppe de 235,2 millions d'euros, inscrite à l'action 09 « Action informatique ministérielle » du programme 310 « Conduite et pilotage de la politique de la justice », se compose de deux parties.

La première est dédiée aux dépenses de fonctionnement qui portent sur la mise à niveau du « socle informatique », à hauteur de 103,1 millions d'euros en crédits de paiement. Elle doit notamment permettre de financer les postes de travail et l'environnement de travail numérique de l'agent, les solutions d'impression, de téléphonie et de visioconférence, les dépenses d'hébergement applicatif dans des centres de données, la maintenance matérielle et applicative et enfin la formation et le soutien aux utilisateurs.

La seconde partie de l'enveloppe concerne le développement applicatif.

En 2025, il est prévu de refondre des systèmes trop anciens, en mettant en oeuvre Portalis pour remplacer les vieilles applications utilisées dans la procédure civile, Prisme pour remplacer une application qui a connu de graves pannes en 2023, ASTREA pour remplacer l'application du casier judiciaire.

Il est également prévu, dans le cadre du deuxième plan de transformation numérique, de développer la dématérialisation pour améliorer les procédures métier, ainsi que les outils d'intelligence artificielle.

Les projets sont nombreux. Le projet annuel de performances recense les grands projets informatiques du ministère, recensés dans le panorama des grands projets numériques de l'État et qui font à ce titre l'objet d'un suivi par la Dinum.

Les grands projets informatiques du ministère de la justice et leur coût

(coût au lancement, en millions d'euros)

Source : commission des finances, à partir du projet annuel de performances

Enfin, les dépenses concernent l'ensemble des branches d'activité du ministère de la justice.

Répartition des dépenses informatiques d'investissement en 2023

(en millions d'euros)

 

Autorisations d'engagement

Crédits de paiement

Domaine des personnes placées sous-main de justice

17,2

15,9

Domaine de la justice civile

11,0

13,0

Domaine de la justice pénale

31,0

30,2

Domaine de la protection judiciaire de la jeunesse

3,1

2,4

Domaines transverses

94,6

99,6

Total

157,0

161,2

Source : rapport annuel de performances 2023

En 2025, toutefois, il sera difficile de faire avancer l'ensemble de ces projets au rythme prévu antérieurement.

Selon l'administration, ces crédits permettent d'assurer le maintien en condition opérationnelle (MCO) du socle numérique et des applications informatiques existantes, mais imposera une révision de certains des objectifs du plan de transformation numérique. En outre, les renouvellements d'ordinateurs portables, par exemple, pourraient être ralentis.

Au total, le rapporteur spécial comprend bien la nécessité de faire contribuer l'ensemble des branches de l'administration aux économies dans un objectif d'assainissement des finances publiques, mais constate que les restrictions budgétaires risquent d'entraver la nécessaire transformation numérique du ministère de la justice et de retarder l'amélioration du service rendu aux usagers.

III. LES RESTRICTIONS BUDGÉTAIRES DOIVENT CONDUIRE À REPENSER LA STRATÉGIE IMMOBILIÈRE

Le ministère de la justice fait partie des ministères qui possèdent un parc immobilier relativement important avec 4,2 millions de mètres carrés, comparable au ministère de l'économie et de finances mais situé loin derrière les trois grands ministères « immobiliers » (éducation nationale et enseignement supérieur, armées et intérieur)27(*).

Il dispose d'une agence en propre, l'Agence publique pour l'immobilier de la justice (APIJ) pour les grands projets, ainsi que de services propres : antennes immobilières du secrétariat général (conduite d'opérations de taille limitée, gestion technique du patrimoine des juridictions et de la protection judiciaire de la jeunesse), directions interrégionales de la direction de l'administration pénitentiaire.

Au regard de la nature même des métiers de la justice, articulés autour des juridictions, des établissements et centres pénitentiaires ou destinés aux mineurs, l'immobilier est un aspect essentiel pour apprécier la programmation des crédits demandés. Les investissements immobiliers sont d'autant plus importants qu'ils doivent répondre à des besoins croissants, du fait de la hausse des recrutements et du niveau de l'activité juridictionnelle et pénitentiaire.

C'est un domaine dans lequel le ministère de la justice ne se montre pas exemplaire en gestion. Alors que les conférences immobilières prévoient une sanctuarisation de ces dépenses d'investissement, des crédits de paiement d'un montant de 20 millions d'euros ont été redéployés de l'immobilier « propriétaire » vers les frais de justice sur le programme 166 « Justice judiciaire ». De manière encore plus étonnante, à ces 20 millions d'euros s'ajoutent 9 millions d'euros transférés depuis ce poste vers d'autres postes que l'administration n'est pas en mesure d'identifier. Le programme 107 « Administration pénitentiaire », en revanche, a appliqué les consignes de la conférence immobilière28(*).

La mission subit toujours les conséquences des contrats de partenariat public-privé (PPP) en cours, aucun nouveau PPP n'ayant été conclu depuis 2014 par le ministère de la justice. Ces contrats ont pesé sur les marges financières de la mission, en 2023, pour un montant de 267,7 millions d'euros en autorisations d'engagement et 304,7 millions d'euros en crédits de paiement.

A. LE PLAN « 15 000 » DOIT SE POURSUIVRE EN LUI ASSOCIANT UN PILOTAGE PLUS EFFICACE

Le projet de budget pour 2025 prévoit une relative préservation des crédits immobiliers du programme 107 « Administration pénitentiaire », comparativement aux autres programmes de la mission « Justice ».

En matière d'investissement immobilier, le budget pénitentiaire finance deux catégories d'opérations.

En premier lieu, les opérations menées par les services déconcentrées mobilisent, en 2025, 141,5 millions d'euros en autorisations d'engagement et en crédits de paiement, contre 184,5 millions d'euros en autorisations d'engagement et 131,5 millions d'euros en crédits de paiement dans le projet annuel de performances pour 2024. Ces opérations sont surtout dédiées à l'entretien et la maintenance des établissements pénitentiaires.

La seconde catégorie est celle des opérations menées par l'APIJ, qui bénéficient de 264 millions d'euros en autorisations d'engagement et 414,8 millions d'euros en crédits de paiement, après un niveau très élevé d'autorisations d'engagement (528,4 millions d'euros) et moins élevé de crédits de paiement (321,1 millions d'euros) en 2024.

1. La construction de nouveaux établissements est plus que jamais indispensable pour éviter une dégradation supplémentaire de la situation dans les prisons

Ces opérations correspondent notamment au « plan 15 000 ». Ce plan fait l'objet d'une attention particulière du rapporteur spécial, qui lui a consacré l'an dernier un rapport de contrôle budgétaire29(*).

Le plan de création de 15 000 places supplémentaires en établissements pénitentiaires a été annoncé en 2018. C'est le quatrième programme de ce type depuis la fin des années 1980, les programmes précédents n'ayant jamais permis de faire face à l'accroissement du besoin.

Le programme immobilier pénitentiaire doit se poursuivre avec, selon les documents budgétaires, l'accroissement de la capacité de la maison d'arrêt de Nîmes, la création de la structure d'accompagnement à la sortie (SAS) de Ducos, le centre pénitentiaire des Baumettes 3 et la livraison des premières phases des opérations du centre pénitentiaire de Baie-Mahault et de la maison d'arrêt de Basse Terre.

Le rapporteur spécial souligne que la poursuite du plan est absolument nécessaire, en raison de la situation extrêmement préoccupante des prisons françaises : le taux d'occupation dans les maisons d'arrêt, selon l'indicateur 3.1 du projet annuel de performances, était de 142,4 % en 2023 et la cible est 164,3 % en 2025. Or les cibles fixées par les indicateurs de performances sont souvent optimistes, ce qui laisse craindre un taux d'occupation encore plus élevé. La réception des grands établissements, en 2027, permettrait seulement de ramener le taux d'occupation à un niveau de 155 %.

Or la mise en oeuvre du plan est lente. Au 1er juillet 2023, 14 établissements avaient été livrés, représentant 4 281 places brutes mais seulement 2 771 places nettes après prise en compte des fermetures d'établissements. Un an plus tard, au 1er juillet 2024, le nombre d'établissements livrés était égal à 22, pour 6 494 places brutes ou 4 521 places nettes. 8 établissements pénitentiaires étaient en travaux sur les 28 opérations restant à livrer.

En conséquence, pour 20 opérations les travaux n'ont pas encore commencé : 5 sont en phase d'études de conception, 10 font l'objet d'un appel d'offres en vue du choix du groupement constructeur et 5 opérations en sont aux études préalables.

Le rapporteur spécial constate que, si certaines opérations rencontrent peu de difficultés d'implantation, d'autres doivent faire à la difficulté de trouver des terrains. Les raisons peuvent être techniques ou environnementales, mais dans certains cas les élus ou les riverains s'opposent à l'installation de prisons sur leur commune. En particulier, des démarches contentieuses retardent les opérations de Muret, de Tremblay-en-France et d'Orléans.

Les retards par rapport au calendrier initial sont conséquents puisque 7 000 places nettes devaient être livrées entre 2017 et 2022, puis 8 000 places entre 2023 et 202730(*). Le garde des sceaux a ainsi reconnu, le 10 novembre, que l'objectif de création nette de 15 000 places ne serait pas tenu en 202731(*).

Les coûts et les délais font ainsi l'objet de dépassements souvent importants, et qui tendent à s'aggraver avec le temps. L'écart entre les coûts révisés et les coûts prévisionnels atteindrait 33,9 % en 2024, contre 17,9 % seulement l'année précédente ; le projet annuel de performances prévoit une diminution au cours des prochaines années. Les retards, qui dépassent 20 %, s'accroîtraient encore en 2025 avant de connaître un léger reflux. Toutefois la baisse en 2025 s'explique en fait par l'intégration d'opérations dans l'actualisation des cibles.

Évolution du respect des coûts des délais des grands projets immobiliers

(en pourcentage de dépassement)

Source : commission des finances, à partir du projet annuel de performances

Les écarts moyens ne donnent toutefois qu'une vision sommaire de la diversité des situations. Les écarts budgétaires dépassent ou s'approchent de 80 % pour certains projets (Noisy, Orléans, Saint-Laurent-du-Maroni).

Le projet annuel de performances n'apporte que des explications sommaires à ces écarts, évoquant pour les écarts calendaires les retards causés par la crise des matériaux.

2. Les retards et les malfaçons reflètent les déficiences de la stratégie et du pilotage

Le rapporteur spécial constate que des réorientations seront sans doute nécessaires face aux difficultés d'avancement de certains projets. Il considère surtout qu'une réflexion est nécessaire sur le pilotage des projets.

L'existence d'une agence spécialisée dans l'immobilier de la justice telle que l'APIJ ne va pas forcément de soi. Une agence plus large, au service de plusieurs ministères, bénéficierait d'effets d'échelle. Or les enjeux du ministère de la justice sont très différents d'une direction à une autre : le programme d'une opération pénitentiaire est extrêmement spécifique et n'a que peu à voir avec celui d'un palais de justice, qui se rapproche plus de celui d'un immeuble de bureaux classique.

Au total, toutefois, l'existence d'une agence spécifique au ministère de la justice permet d'apporter aux équipes de ce ministère un interlocuteur proche, tout en réunissant des compétences spécifiques de gestion de projet.

Le rapporteur spécial constate toutefois que ce mode de gestion ne garantit pas la qualité du résultat produit. De nombreuses malfaçons lui ont été rapportées lors de ses visites dans des établissements ou de ses auditions. Il a ainsi constaté que, deux ans après la livraison du centre pénitentiaire de Mulhouse-Lutterbach, une facture de 600 000 euros avait dû être réglée pour remplacer le châssis de fenêtres insuffisantes pour aérer les locaux et trop faciles à démonter.

Très récemment encore, un bâtiment entièrement rénové à Fleury-Mérogis, pour un coût de 57 millions d'euros, inauguré par le garde des sceaux en 2023, a dû fermer en septembre 2024, six mois après l'installation des détenus, en raison, notamment, de dysfonctionnements des installations d'eau chaude et de chauffage.

Le rapporteur spécial considère que les projets sont construits de manière trop isolée les uns des autres. Les établissements pénitentiaires ont des particularités communes, qui les distinguent très fortement des autres types de construction. En conséquence, il considère qu'un programme général devrait être défini pour ce type d'établissement, qu'il conviendrait ensuite de décliner en fonction du terrain disponible et du type d'établissement à construire. Une plus grande standardisation, sans chercher à tout prix le « geste » architectural, permettrait certainement d'apprendre des erreurs passées et de réduire les risques de malfaçon.

En outre, les équipes qui seront en charge des bâtiments, en l'occurrence les personnels de surveillance, ne sont pas suffisamment associés à la conception des bâtiments. Leur expérience aiderait à éviter des erreurs trop flagrantes qui peuvent concerner non seulement l'utilisation des bâtiments au quotidien, mais aussi leur sécurité.

Il renouvelle en conséquence sa recommandation de mettre en place un comité d'audit auprès de l'APIJ, composé de membres des directions du budget, de l'immobilier de l'État et de l'administration pénitentiaire, ainsi que de professionnels de l'immobilier.

B. LA CONSTRUCTION DES 20 NOUVEAUX CENTRES ÉDUCATIFS FERMÉS EST ÉGALEMENT RALENTIE

Les crédits immobiliers de la protection judiciaire de la jeunesse sont en hausse de 4 % afin de poursuivre la construction des nouveaux centres éducatifs fermés.

1. La trajectoire immobilière prévue par la loi de programmation devra être ralentie

Simultanément au lancement du plan « 15 000 » concernant les places en établissement pénitentiaire, a été annoncée la construction de 20 centres éducatifs fermés (CEF).

En 2025, 4,6 millions d'euros sont prévus en crédits de paiement pour la poursuite du programme de construction de six nouveaux CEF. Ces crédits seront consacrés aux études de maîtrise d'oeuvre des CEF de Haute-Saône et de Mayotte ainsi qu'au début des travaux du CEF de l'Oise.

Comme pour les établissements pénitentiaires, la construction de centres éducatifs fermés doit faire face à la difficulté croissante d'identification du foncier disponible, ainsi qu'à des procédures diverses qui entraînent des retards considérables.

L'acquisition du foncier n'a pas pu aboutir pour le CEF du Pas-de-Calais. Quant aux CEF prévus en Ariège, en Seine-et-Marne et dans le Calvados, selon les informations communiquées au rapporteur spécial, ils n'ont pas pu ouvrir en 2024 comme prévu et sont repoussés à 2025 pour les deux premiers et fin 2026 pour le troisième. Seul le CEF prévu en Guyane a ouvert comme prévu, ainsi que celui situé en Eure-et-Loir, qui a réouvert après d'importants travaux de rénovation.

La progression des crédits est toutefois insuffisante pour poursuivre les travaux au rythme prévu par la loi de programmation.

Selon les éléments communiqués au rapporteur spécial, le financement des travaux de construction et de rénovation des unités éducatives d'accueil des jeunes (UEAJ) au titre du plan insertion se verrait réduit. La réduction de l'enveloppe correspondrait à l'abandon d'un projet de construction d'UEAJ sur les dix restantes inscrites en programmation.

De même, l'ensemble des projets de création de structures du SAH validés lors des précédents budgets, qui ont connu des décalages de calendrier, seraient suspendus, dont la création de quatre dispositifs socio-éducatifs médicalisés et d'une structure de prise en charge de mineurs victimes de prostitution, ainsi que le soutien à l'investissement des CEF.

2. Les moyens de fonctionnement associés sont soumis à une forte pression

La construction de nouveaux CEF implique nécessaire une augmentation des moyens de fonctionnement.

Les crédits consacrés au secteur associatif habilité (SAH), auquel sont confiés la plupart des CEF, sont en 2025 de 293,2 millions d'euros en crédits de paiement, en baisse de 2,2 % par rapport à la loi de finances initiale pour 2024 mais en hausse de 2,2 % par rapport aux crédits disponibles en 2024.

Crédits affectés au secteur associatif habilité (SAH)

(en millions d'euros)

Source : commission des finances, à partir des réponses au questionnaire budgétaire et du projet annuel de performances

Ces crédits doivent couvrir l'évolution des dépenses de fonctionnement courant et de structure avec un taux d'inflation estimé à 1,7 % et une évolution de la masse salariale de 0,5 %.

En pratique, le budget alloué pour 2025, avant augmentation éventuelle par voie d'amendement, ne devrait pas permettre de financer ni l'extension du Ségur32(*), dont le montant pour la direction de police judiciaire de la jeunesse est estimé à 3 millions d'euros annuels. Les frais de fonctionnement des centres éducatifs fermés dont l'ouverture est prévue pour 2025, soit 3 millions d'euros également, pourraient également être difficiles à assumer.

C. L'IMMOBILIER JUDICIAIRE SE CONCENTRE SUR LE MAINTIEN EN CONDITION OPÉRATIONNELLE

La loi d'orientation et de programmation 2023-2027 a constaté que le parc judiciaire « est aujourd'hui saturé sous l'effet des augmentations successives d'effectifs depuis une dizaine d'années » : la hausse des effectifs de 10 % a dû se faire dans un parc dont la surface est stable autour de 2,1 millions de mètres carrés.

Si une circulaire de la Première ministre en date du 8 février 2023 a fixé un objectif global de réduction des surfaces de 25% dans les administrations33(*), les effets sur la saturation du parc immobilier ne peuvent être que très progressifs.

Or les crédits prévus par le projet de loi de finances pour 2025 pour l'immobilier judiciaire propriétaire sont de 268,6 millions d'euros, en diminution de 93 millions d'euros, ce qui, selon le projet annuel de performances, ne couvrira que les opérations d'ores et déjà en chantier.

Hors contrats de partenariat, les crédits sont de 149,2 millions d'euros.

Les priorités de l'immobilier judiciaire pour 2023-2027 sont :

- d'accueillir les nouveaux effectifs dans des configurations prenant en considération les nouveaux modes de travail (équipe juridictionnelle, télétravail) ainsi que les besoins nouveaux dans l'exercice de la justice, notamment la retransmission vidéo sur différentes salles d'audience pour certains procès ;

- d'améliorer la situation des juridictions sur le plan fonctionnel en accroissant les capacités d'accueil du public, notamment en salle d'audience, tout en mettant en oeuvre les orientations gouvernementales en matière de sobriété immobilière.

La direction des services judiciaires travaille à cet égard en collaboration avec le service de l'immobilier ministériel du secrétariat général et l'Agence publique pour l'immobilier de la justice (APIJ).

Les crédits prévus par le projet de loi de finances seront répartis entre le paiement des opérations en cours suivies par les départements immobiliers (mise en accessibilité, rénovation des infrastructures courant faible...), les opérations confiées aux mêmes départements immobiliers dans le cadre de la programmation 2018-2022, les opérations confiées à l'APIJ et les contrats de partenariat public-privé.

Répartition des crédits de l'immobilier propriétaire sur le programme 166

(en millions d'euros)

Source : commission des finances, à partir du projet annuel de performances

Aux crédits de l'immobilier propriétaire s'ajoutent ceux de l'immobilier occupant, d'un montant de 257,0 millions d'euros en crédits de paiement. Ces crédits correspondent à des dépenses immobilières liées à l'occupation des locaux (fluides, loyers, nettoyage, entretien, etc.) prises en charge par les cours d'appel, l'École nationale des greffes, le casier judiciaire national et la Cour de cassation.

Ces crédits sont en hausse de 3 % par rapport à ceux de la loi de finances initiale pour 2024, qui étaient de 248,8 millions d'euros, en raison de l'évolution des effectifs.

Le rapporteur spécial note une dégradation importante du respect des coûts et des délais des grands projets de l'immobilier judiciaire. La durée révisée des projets serait supérieure de 38,0 % à celle prévue à l'origine, alors que l'écart était de + 20,1 % en 2022. La dégradation est encore plus importante pour les budgets, qui seraient en dépassement de 45,3 % en 2025 contre 14,95 % en 202234(*).

Les explications invoquées sont les évolutions ou modifications des programmes immobiliers, notamment en application de la loi d'orientation et de programmation, la tension sur les prix en outre-mer en raison du manque d'entreprises dans le secteur du BTP et l'inflation des coûts des matériaux et de l'énergie.

Évolution du respect des coûts des délais des grands projets immobiliers

(en pourcentage de dépassement)

Source : commission des finances, à partir du projet annuel de performances

Des difficultés ponctuelles, comme les mesures de contamination au plomb sur le chantier du palais de justice de l'île de la Cité à Paris, peuvent aussi entraîner des retards.

Le rapporteur spécial prend acte des explications avancées, mais regrette que l'évolution très négative de ces indicateurs, tout particulièrement en prévision sur les années à venir, ne pousse pas à une réflexion sur l'amélioration du pilotage des projets, qui devrait par exemple permettre de limiter les modifications de programme en cours de réalisation des projets.

La situation est d'ailleurs très variable selon les sites. Alors que, sur les opérations de Dieppe et de Nanterre, le coût révisé est égal au coût prévisionnel, certains font l'objet d'un surcoût supérieur à 100 %, comme à Nantes (+ 103 %) et à Meaux (+ 159 %).

IV. L'EFFICACITÉ DES MOYENS DE FONCTIONNEMENT ET D'INTERVENTION DOIT ÊTRE SYSTÉMATIQUEMENT EXAMINÉE, TOUT EN PRIVILÉGIANT LA RÉPONSE AUX BESOINS DE SÉCURISATION LES PLUS MANIFESTES

A. APRÈS LE DRAME D'INCARVILLE, LA QUESTION DE LA SÉCURITÉ DES PERSONNELS ET DE LA SÉCURISATION DES BÂTIMENTS

L'attaque du fourgon pénitentiaire survenue le 14 mai, près de la commune d'Incarville, a suscité une très forte émotion dans l'administration pénitentiaire et, au-delà, dans l'ensemble du monde de la justice.

Elle a suscité une réflexion sur les conditions de sécurisation des opérations d'extraction judiciaire mais aussi, parfois, sur leur opportunité même alors que la visioconférence, comme on l'a vu supra, permet dans certains cas d'apporter une réponse plus simple aux besoins de contact entre un magistrat et un détenu.

Un protocole d'accord a été signé le 21 mai par le garde des sceaux avec certaines organisations syndicales. Sans se limiter à la nécessaire sécurisation des véhicules pendant les déplacements, il a entériné la nécessité d'accélérer le déploiement de dispositifs de brouillage des téléphones en détention et de dispositifs anti drones.

La direction de l'administration pénitentiaire a en effet fait part au rapporteur spécial des difficultés posées par l'intrusion des téléphones portables au coeur même des prisons, qui atteint des proportions difficilement imaginables et encore moins acceptables.

Les livraisons de téléphones portables sont en effet très courantes dans les prisons : des dizaines de milliers téléphones ou d'accessoires de téléphones sont saisis chaque année. Elles passent souvent par des drones qu'il est difficile de bloquer entièrement : l'objectif est de mettre en place des dispositifs anti-drones dans 60 établissements à la fin 2024 et dans 30 établissements supplémentaires en 2025, contre 38 au printemps dernier.

Dans le même temps, des dispositifs de brouillage des téléphones portables sont déployés progressivement, mais les techniques sont très difficiles à mettre en place et manquent d'efficacité. Elles peuvent nuire aux personnes résidant dans le voisinage de la prison sans empêcher complètement les communications dans certaines cellules de celle-ci. Le plus urgent est sans doute de déployer ce type de dispositif dans les sections des établissements pénitentiaires où se trouvent les détenus les plus dangereux.

Sur le plan budgétaire, les crédits de la brique « Sécurisation et maintenance des sites » du programme 107 sont pourtant en diminution dans le projet de loi de finances pour 2025, avec 116,5 millions d'euros en autorisations d'engagement et 104,2 millions d'euros en crédits de paiement, contre 139,4 millions d'euros en autorisations d'engagement et 120,7 millions d'euros en crédits de paiement dans le projet de loi de finances pour 2024.

Cette diminution porte sur les dispositifs de sécurisation active (équipements de sécurisation des entrées et sorties de personnes, armes, munitions...) comme passive (déploiement de dispositifs de sécurisation du parc immobilier).

Le projet annuel de performances indique certes qu'une partie des crédits a vocation à financer la mise en oeuvre du protocole signé avec les organisations syndicales, mais l'administration a confirmé au rapporteur spécial que les crédits prévus dans la lettre plafond ne permettent pas de couvrir l'ensemble des dépenses ayant fait l'objet de la signature du protocole d'accord, lesquels nécessiteraient en 2025 une mobilisation complémentaire de 30 millions d'euros en autorisations d'engagement et en crédits de paiement.

Le rapporteur spécial souligne la nécessité, tout particulièrement dans ces circonstances, de respecter l'engagement pris auprès des personnels. L'ouverture supplémentaire de crédits promise par le Gouvernement en cours d'examen du projet de loi de finances devra permettre de couvrir cette dépense supplémentaire.

B. LA MAÎTRISE DES FRAIS DE JUSTICE, UN SUJET BUDGÉTAIRE MAJEUR EN 2025

Le coût des frais de justice serait en 2025 de 742,7 millions d'euros, soit une hausse de 10,2 % par rapport à 2024.

Sur le moyen terme, la hausse des frais de justice est considérable, puisqu'elle atteint + 5,2 % par an depuis 2017. La hausse est de 25 % en euros constants. Si une partie de cette hausse peut résulter, comme l'a indiqué la direction des services judiciaires au rapporteur spécial, d'une sincérisation par intégration de frais facturés sur d'autres postes, la hausse n'en demeure pas moins considérable.

Évolution des frais de justice depuis 2017

(en millions d'euros courants)

Source : commission des finances, d'après les réponses au questionnaire budgétaire

Les frais de justice sont des « quasi dépenses de guichet », car elles sont liées à l'exercice même de la justice et au volume de l'activité pénale, de sorte que l'administration de la justice dispose de peu de leviers pour la modérer.

L'essentiel des frais de justice constitue en effet une dépense engagée par les officiers de police judiciaire (OPJ) et par les magistrats dans le cadre des procédures judiciaires. Elle concerne principalement les expertises génétiques et médicales mais aussi financières, informatiques ou balistiques, ou encore le recours aux auxiliaires ou collaborateurs de la justice (huissiers, traducteurs, interprètes, délégués du procureur, etc.).

La part des frais de justice pénale représente la très grande majorité des frais de justice totaux en 2022.

Le difficile pilotage des frais de justice provient, d'une part, de leur dynamisme, lié à l'activité juridictionnelle - elle-même pour partie liée au recrutement de nouveaux magistrats - et, d'autre part, de leur manque de prévisibilité et de l'importance des charges à payer qui se sont accumulées au cours des années.

1. Des actions peuvent être conduites au sein du ministère de la justice pour mieux maîtriser la hausse des frais de justice

Un plan de maîtrise des frais de justice a été lancé depuis plusieurs années. En 2023 et 2024, il se traduit notamment par la mise en place de tableaux de bord mensuels prévisionnels, qui permettent de mieux anticiper les dépenses et d'identifier les sources de coût.

La direction des services judiciaires (DSJ) cherche à conseiller les magistrats sur le coût des prestations demandées et à diffuser une culture du coût. Une comitologie est mise en place afin de susciter des échanges sur les procédures, les outils et les actions de contrôle interne. Des référents frais de justice sont déployés dans les juridictions.

La DSJ expérimente également des services centralisateurs régionalisés des frais de justice, afin d'harmoniser les procédures de contrôle, de mettre en application des dispositions réglementaires et de fluidifier la chaîne de la dépense.

Enfin, des actions de formation et de sensibilisation sont conduites à destination tant des personnels du réseau judiciaire que des acteurs externes, notamment ceux du ministère de l'intérieur (officiers de police judicaire).

Par ailleurs, la DSJ tente d'internaliser les interprètes afin de réduire les coûts d'interprétariat.

S'agissant de la traduction de documents ou des comptes rendus de réunions, les technologies actuelles devraient permettre, au moins dans une partie des cas, de réduire considérablement les coûts aussi bien que les délais par recours à des technologies de traduction automatique. Ces technologies, basées sur l'intelligence artificielle, posent toutefois des enjeux de confidentialité et de sécurité lorsque les documents écrits ou sonores doivent être transmis à des serveurs informatiques appartenant aux grandes sociétés du numérique, situés à l'étranger.

2. Seule une action conduite en commun avec d'autres administrations, en particulier le ministère de l'intérieur, permettra de rationaliser la dépense

Le rapporteur spécial souligne que la maîtrise des frais de justice n'est pas possible par une seule action des acteurs de la justice judiciaire.

Les frais de justice peuvent en effet être impactés par des mesures prises par d'autres ministères, telles que la revalorisation des tarifs d'expertise psychiatrique conduite par le ministère de la santé.

Surtout, la maîtrise des frais de justice dépend surtout de la coopération avec le ministère de l'intérieur.

Le gardiennage de véhicules entraîne des coûts importants, pendant de longues durées, qui sont mal tracés et pourraient être évités par un meilleur suivi des véhicules entreposés dans les fourrières. Un travail a ainsi été engagé sur le déploiement au sein du réseau judiciaire du logiciel « système d'information des fourrières » développé par le ministère de l'intérieur35(*).

Une source particulière de coûts signalée au rapporteur spécial est celle des commandes d'expertises faites par les enquêteurs. La majorité des frais de justice ont pour fait générateur la décision d'un officier de police judiciaire.

Le développement de techniques d'enquête de plus en plus sophistiquées et coûteuses pèse en effet lourdement sur les frais de justice. Il a été indiqué au rapporteur spécial que les interceptions judiciaires ont été généralisées ces dernières années dans des affaires où leur apport paraît au mieux douteux, sans prendre en compte le coût qu'elles représentent.

Le rapporteur spécial souligne en conséquence la nécessité d'engager une maîtrise des frais de justice en lien étroit avec la direction générale de la police nationale (DGPN) et la direction générale de la gendarmerie nationale (DGGN), afin de déterminer les domaines dans lesquels une rationalisation des coûts reste possible sans entraver la qualité des investigations.

À cet égard, la montée en charge de la plateforme nationale des interceptions judiciaires (PNIJ) depuis 2022 doit permettre de réduire les frais de géolocalisation. Elle apporterait une économie estimée à 34,5 millions d'euros en 2025 par la suppression du recours à plusieurs prestataires.

De même, des actions de pilotage, de communication et de déploiement du système d'information des fourrières (SIF) font attendre une économie de 8,4 millions d'euros sur les frais de gardiennage, grâce à une réduction de 10 % du stock des véhicules conservés.

D'autres mesures permettent également de réaliser des économies estimées à plusieurs millions d'euros : diffusion d'une grille des tarifs et des temps pour les expertises informatiques, meilleure mise en concurrence des laboratoires d'analyse génétique, dématérialisation de la signification des frais. La suppression du caractère obligatoire des expertises psychiatriques pour certains délits représenterait également une économie supplémentaire, mais nécessiterait une mesure législative.

C. L'AIDE JURIDICTIONNELLE : SUR LA VOIE D'UNE STABILISATION DES COÛTS ?

1. Les crédits demandés au titre de l'aide juridictionnelle se stabilisent en euros constants

Les crédits demandés au titre de l'aide juridictionnelle sur le programme 101 « Accès au droit et à la justice » atteindraient 661 millions d'euros en 2025.

Ces crédits sont en forte hausse depuis 2020.

Évolution des crédits budgétaires et
du nombre d'admissions au titre de l'aide juridictionnelle

(en millions d'euros constants et en milliers d'admissions)

Source : commission des finances, d'après les données transmises dans le questionnaire budgétaire

Le montant des crédits budgétaires par admission a connu une hausse de près de 40 %, hors inflation, en 2020 et 2021, avant d'entamer une décrue depuis 2022.

Crédits budgétaires par admission à l'aide juridictionnelle

(en euros constants par admission)

Source : commission des finances, d'après les données transmises dans le questionnaire budgétaire et les documents budgétaires

Toutefois, l'évolution des coûts ne dépend pas directement de l'inflation, mais surtout du niveau de l'unité de valeur servant au calcul de la rétribution des avocats, ainsi que de la hausse des dossiers éligibles. Celle-ci a augmenté de 12,5 % sur deux ans en 2021 et 2022.

La réforme de la justice pénale des mineurs, la création des conventions locales relatives à l'aide juridique (CLAJ) et la revalorisation des rétributions versées aux auxiliaires non avocats dont les interventions sont tarifées contribuent également à la hausse des coûts. Les rétributions versées à ceux des auxiliaires autres qu'avocats dont les interventions sont tarifées ont ainsi été revalorisées.

Les effets des réformes intervenues avant 2023 sont progressifs : révision de la rétribution de certains contentieux, extension de la présence obligatoire d'un avocat, par exemple lors de la garde à vue ou de l'audition libre d'un mineur ou de l'audience d'une personne faisant l'objet de soins sans consentement. L'accroissement du nombre et de la durée des gardes à vue contribue également à l'augmentation des coûts.

Au total, le ministère de la justice ne dispose que de marges de manoeuvre limitées sur ces facteurs de coûts, qui sont considérés avant tout comme des dépenses de guichet.

Des mesures d'économies sont tout de même prévues en 2025, selon les éléments communiqués au rapporteur spécial :

- le gel des plafonds d'éligibilité à l'aide juridictionnelle, qui sont revalorisés chaque année en fonction de l'évolution constatée des prix à la consommation hors tabac ;

- la suppression de l'aide juridictionnelle partielle, octroyée avec un taux de 25% ou de 55% de couverture des honoraires d'avocat ;

- une ponction sur la trésorerie de la caisse des règlements pécuniaires des avocats (CARPA) en fin d'exercice budgétaire.

Le rapporteur spécial souligne que ces évolutions ne seraient pas anodines, dans la mesure où elles pourraient limiter l'accès à l'aide juridictionnelle pour des personnes à revenus modestes. Il conviendra qu'une ponction sur la trésorerie de la CARPA ne porte pas atteinte aux versements effectués pour les avocats sur la fin de l'année.

Par ailleurs, le délai de traitement des demandes d'aide juridictionnelle, qui sont instruites par les bureaux d'aide juridictionnelle, s'est encore accru en 2023, à hauteur de 54,3 jours, contre 53,1 jours en 2022 et 49,8 jours en 2021. Le Gouvernement prévoyait initialement une cible de 38 jours en 2022. Le projet annuel de performances fixe un objectif moins ambitieux de moins de 50 jours en 2024 et moins de 45 jours en 2025, pour l'atteinte duquel l'appropriation progressive du nouveau système d'information de l'aide juridictionnelle (SIAJ) est présentée comme un facteur de réussite.

En effet, alors que le nombre de demandes d'admission à l'aide juridictionnelle est considérable, l'importance de la dématérialisation de ces procédures doit être soulignée. Or, force est de constater que celle-ci est toujours insuffisante puisque seulement 11 % des demandes ont été déposées et traitées par voie dématérialisée en 2023, en légère hausse par rapport à 2022 (8 %). Les ambitions ont d'ailleurs été largement revues à la baisse : alors qu'une cible à plus de 50 % était fixée jusqu'en 2023, cette cible a été ramenée à 20 % depuis l'an dernier36(*).

Le SIAJ a pourtant été déployé à partir de 2023. Il vise à simplifier et dématérialiser de bout en bout le traitement de l'aide juridictionnelle. Un site internet permet au justiciable de déposer et de suivre sa demande d'aide juridictionnelle, tandis que les juridictions disposent d'une application qui évite la manipulation de dossiers sur papier. Un outil informatique national contribue également à l'homogénéisation des pratiques en matière d'instruction des dossiers.

2. Les moyens alloués à l'aide aux victimes reçoivent une nouvelle revalorisation

Les crédits dédiés à l'aide aux victimes s'établissent dans le projet de loi de finances pour 2025 à un niveau de 51,0 millions d'euros, en hausse de 4,5 millions d'euros par rapport à la loi de finances pour 2024.

Cette ligne suit une hausse continue de 12,0 % par an en moyenne depuis 2020.

Évolution des crédits de l'aide aux victimes

(en millions d'euros)

Source : commission des finances, à partir des documents budgétaires

Ces crédits, qui consistent surtout en crédits d'intervention (38,5 millions d'euros), financent à titre principal des réseaux d'associations locales d'aide aux victimes.

En 2023, les associations subventionnées par les cours d'appel et agréées au niveau ministériel ont ainsi accueilli et orienté, de manière gratuite et confidentielle, près de 400 000 victimes d'infractions pénales.

La hausse des crédits permet de développer les activités d'accueil des victimes, de développer les consultations avec des juristes ou des psychologues et de renforcer la prise en charge des femmes victimes de violences. Il s'agit notamment de déployer plus largement les « téléphones grave danger » (plus de 6 000 téléphones déployés en juillet 2024), qui peuvent être attribués par le procureur de la République aux personnes victimes de violences conjugales ou de viol : en 2023, plus de 3 200 appels ont entraîné une intervention des forces de l'ordre.

Les crédits de fonctionnement, à hauteur de 12,4 millions d'euros, financent notamment le numéro de téléphone « 116 006 », service d'assistance téléphonique à destination de toutes les victimes.

3. Le fonds de financement des dossiers impécunieux est intégré au programme 101

Le périmètre de la mission « Justice » est modifié par la création d'une action 06 « Subvention au fonds de financement des dossiers impécunieux », dotée de 54 millions d'euros, dans le programme 101 « Accès au droit et à la justice », dispositif précédemment financé par une quote-part des intérêts servis par la Caisse des dépôts et consignations sur les fonds déposés dans le cadre des procédures de redressement et liquidation judiciaires.

Ces sommes alimentent le fonds de financement des dossiers impécunieux, qui verse une rémunération au liquidateur ou un mandataire judiciaire qui intervient dans une procédure relative à une entreprise en difficulté, lorsque la réalisation des actifs de l'entreprise ne suffit pas à assurer sa rémunération.

La nouvelle rédaction de l'article 2 de la loi organique relative aux lois de finances, qui entre en vigueur à compter de 2025, prohibe en effet l'affectation d'une taxe à un fonds qui ne dispose pas de la personnalité morale. L'article 33 du projet de loi de finances prévoit donc le reversement des montants correspondants au budget général de l'État, lequel financera désormais le fonds par des crédits budgétaires de même montant, inscrits au programme 101.

La budgétisation de cette ressource, qui ne faisait pas l'objet précédemment d'un plafonnement, apporte un progrès du point de vue de l'information du Parlement. Le montant ne figurait en effet pas dans les documents budgétaires avant le présent projet de loi de finances37(*). Elle contribue également au respect du principe d'universalité budgétaire.

Le rapporteur spécial constate que les crédits inscrits dans cette nouvelle action correspondent au besoin estimé pour l'année 2025.

Cette budgétisation a toutefois pour effet de soumettre ces fonds à la possibilité de régulation budgétaire en cours d'année, voire de révision en loi de finances. Il souligne la nécessité de continuer à assurer, en tout état de cause, la rémunération des mandataires de justice intervenant dans les dossiers impécunieux et de consulter l'ensemble des parties prenantes si ce mécanisme de rémunération ne suffisait pas à l'avenir.

EXAMEN PAR L'ASSEMBLÉE NATIONALE

En première lecture, l'Assemblée nationale n'ayant pas adopté la première partie du projet de loi, celui-ci est considéré comme rejeté en application du troisième alinéa de l'article 119 du Règlement de l'Assemblée nationale.

En conséquence, sont considérés comme rejetés les crédits de la mission « Justice ».

EXAMEN EN COMMISSION

Réunie le mercredi 20 novembre 2024, sous la présidence de M. Claude Raynal, président, la commission des finances a procédé à l'examen du rapport de M. Antoine Lefèvre, rapporteur spécial, sur la mission « Justice ».

M. Claude Raynal, président. - Nous poursuivons nos travaux avec l'examen des crédits de la mission « Justice ». Je salue la présence de Mmes Lauriane Josende et Dominique Vérien, rapporteures pour avis de la commission des lois.

M. Antoine Lefèvre, rapporteur spécial de la mission « Justice ». - Le budget de la mission « Justice » dans le projet de loi de finances pour 2025 est de 12,5 milliards d'euros en crédits de paiement (CP).

Par rapport au budget prévu en loi de finances initiale pour 2024, il est en hausse de 108 millions d'euros, hors contribution aux pensions et à périmètre constant. Mais, si on le compare à la trajectoire prévue par la loi de programmation adoptée il y a un an à peine, alors ce budget est inférieur de 500 millions d'euros au niveau qu'il devrait atteindre.

Il n'est donc pas contestable que la mission « Justice », comme la plupart des missions du budget général qui nous sont présentées par les autres rapporteurs spéciaux, participe pleinement à l'effort de maîtrise des dépenses caractérisant ce projet de loi de finances.

Le ministère de la justice a déjà participé à l'effort en 2024, car il n'a pas été épargné par le décret d'annulation du 21 février, puis par les surgels et dégels successifs. Ainsi a-t-on vu la protection judiciaire de la jeunesse, sous la pression budgétaire, repousser en plein été des renouvellements de contrats, ce qui a été mal compris, c'est le moins qu'on puisse dire.

Nous savons tous que le précédent gouvernement a découvert une chute dans les recettes et que des mesures devaient être prises, mais la succession de mesures réglementaires mal coordonnées est-elle la meilleure manière de gérer une crise des finances publiques ? Un projet de loi de finances rectificative, au printemps, aurait permis de débattre publiquement des mesures budgétaires à prendre avec le Parlement, et de tracer un cadre plus clair pour les services du ministère. De même, le contexte politique a conduit Bercy, pendant l'été, à préparer le projet de loi de finances pour 2025 au terme d'échanges beaucoup plus limités que d'habitude avec le ministère de la justice : ce n'est pas une bonne pratique.

Dans cette situation, des choix devront être faits en 2025. La priorité est donnée à la poursuite de l'augmentation des moyens humains, avec la création de 619 équivalents temps plein (ETP), dont 270 ETP pour les services judiciaires, soit 125 magistrats et 145 greffiers, et 349 ETP dans l'administration pénitentiaire. La progression des moyens est donc préservée, mais reste inférieure au rythme prévu, qui était par exemple de 343 postes de magistrats en 2025. Dans l'administration pénitentiaire, les nouveaux surveillants seront affectés exclusivement aux nouveaux établissements : il ne s'agit pas d'un surplus dans les établissements existants.

Cette augmentation des effectifs s'appuie sur une politique de revalorisation des métiers, indispensable pour attirer et retenir les personnels. Les magistrats ont connu fin 2023 une revalorisation indemnitaire, tandis qu'une importante réforme du statut des greffiers était conduite. La revalorisation des métiers dans les prisons permet, là aussi, d'attirer plus de candidats, même si les départs en retraite rendent plus difficiles les recrutements.

S'agissant de l'immobilier de la justice, celui de la justice judiciaire risque de se limiter en 2025 à une maintenance en condition opérationnelle, faute de pouvoir lancer de nouveaux projets.

Quant aux prisons, la création de 15 000 places, annoncée comme un objectif en 2017, n'est pas un luxe : elle permettra tout au plus de contenir l'inflation du nombre des détenus et de la surpopulation carcérale. La poursuite du « plan 15 000 » reste et doit rester une priorité du budget.

Ce plan a toutefois connu des retards, notamment en raison d'oppositions locales, et je souligne la nécessité d'un pilotage plus efficace de ces projets, car j'ai constaté trop de malfaçons dans les établissements livrés récemment. Je plaide pour une plus grande standardisation des programmes, gage de réduction des coûts et des délais, mais surtout de réduction des risques d'erreur.

La construction de vingt centres éducatifs fermés accueillant des mineurs, qui a fait l'objet de la même ambition, subit les mêmes retards pour des raisons similaires ; en outre les moyens de fonctionnement associés risquent de ne pas suivre, selon le budget prévu par le projet de loi de finances.

Les autres dépenses sont soumises à de fortes restrictions, ce qui pourrait par exemple impacter la modernisation de la fonction informatique. Sur ce point, les moyens prévus par le projet de loi de finances ne permettront probablement pas de poursuivre au rythme prévu le plan de transformation numérique. Des choix devront être faits, alors que l'obsolescence de nombreux applicatifs est une difficulté forte au quotidien pour les magistrats et leurs équipes. Les utilisateurs, trop souvent, ont été mis de côté dans la conduite des projets informatiques et le résultat produit ne correspond pas à leurs besoins.

La sécurisation des locaux, en particulier dans les prisons, ne saurait en revanche être mise de côté pour des raisons budgétaires. En mai dernier, l'attaque d'un fourgon pénitentiaire ayant causé la mort de deux agents a suscité une grande émotion et une nécessaire réflexion sur le transport des détenus, qui serait moins souvent nécessaire si les systèmes de visioconférence étaient de meilleure qualité, et sur les conditions de détention. Des quantités invraisemblables de téléphones et autres produits sont livrés par drones, et les services des prisons peinent à lutter contre ce phénomène grandissant. Des systèmes de lutte contre les drones sont en cours de déploiement, mais le brouillage des téléphones est techniquement difficile et coûteux. L'effort doit être poursuivi et, de manière générale, les engagements pris auprès des personnels en matière de sécurisation devront être tenus.

Un domaine où des économies sont possibles et nécessaires est celui des frais de justice, qui connaissent une véritable explosion : moins de 500 millions d'euros en 2017, près de 750 millions d'euros en 2025. On m'a parlé de frais de gardiennage de véhicules incontrôlés et de demandes d'expertises psychiatriques ou d'interceptions téléphoniques judiciaires très coûteuses, pour une utilité souvent discutable. Le ministère de la justice et le ministère de l'intérieur devraient mieux coopérer à ce sujet, sans nuire à la qualité des enquêtes.

Enfin, l'aide juridictionnelle ouverte aux personnes dont les ressources sont insuffisantes est sur la voie d'une stabilisation des coûts, après une forte hausse depuis 2020.

Je comprends la nécessité de participer à l'effort collectif de redressement des finances publiques. Il convient toutefois de rappeler la crise profonde que traversent le monde de la justice et le service public de la justice dans notre pays, rappelée par les États généraux de la justice en 2021 et constatée au quotidien par nos concitoyens.

Le retard accumulé par la France par rapport à ses voisins européens en termes de moyens prouve que cette politique de l'État, qui est presque aussi ancienne que l'État lui-même, a souffert de décennies d'oubli que l'augmentation actuelle des moyens ne compense que très partiellement. La justice française dispose du plus faible budget par habitant en pourcentage du PIB parmi les pays de richesse comparable en Europe, et les délais y sont bien plus longs.

Le budget devra donc être réévalué au cours des débats : le Gouvernement a annoncé qu'un amendement sera présenté. Son montant devrait être de 250 millions d'euros, ce qui permettra de combler la moitié de l'écart entre le projet de loi de finances et la trajectoire de la loi de programmation.

Il faut bien sûr s'en féliciter, tout en prenant ces annonces non comme un blanc-seing, mais comme une incitation à améliorer le service public de la justice rendu aux citoyens et à développer l'évaluation au sein du ministère : le travail d'objectivation des coûts doit être poursuivi et certains indicateurs de performance sont à améliorer.

En conclusion, mes chers collègues, l'augmentation modérée des crédits de la mission « Justice » figurant dans le projet de loi de finances pour l'année 2025 est indispensable. Je vous proposerai d'adopter ces crédits en l'état, en attendant l'amendement du Gouvernement.

Mme Lauriane Josende, rapporteure pour avis de la commission des lois sur la mission « Justice ». - Nous partageons l'essentiel du contenu du rapport d'Antoine Lefèvre, notamment le constat selon lequel la justice française est en souffrance et a besoin de moyens. La loi d'orientation et de programmation du ministère de la justice a été largement soutenue par le Sénat. Il faut poursuivre dans cette voie !

Il nous a été dit que les économies projetées porteraient principalement sur l'immobilier et le numérique. Toutes les personnes que nous avons entendues en audition nous l'ont dit : au-delà des moyens, la justice a surtout besoin de réformes structurelles.

Mme Dominique Vérien, rapporteure pour avis de la commission des lois sur la mission « Justice ». - Lors de l'examen de la loi d'orientation et de programmation du ministère de la justice, dont j'étais rapporteure, nous demandions 1 500 magistrats, 1 800 greffiers et 10 000 personnels supplémentaires pour que la justice fonctionne plus rapidement. Cependant, des économies devront être réalisées, comme partout ailleurs. Il semble qu'elles porteront plutôt sur les dépenses d'immobilier et d'informatique. Or ce dernier point est un sujet de préoccupation depuis plusieurs années.

Rendre la dépense plus efficace est une source d'économie. Une autre piste à explorer consisterait à récupérer davantage de fonds. Le taux de recouvrement des amendes est notamment très faible. Nous n'avons qu'à gagner à le rendre plus performant. Une réflexion structurelle est de toute façon nécessaire pour améliorer l'efficacité de la dépense. Si certains projets immobiliers doivent être mis en attente, l'important sera de préserver les moyens humains.

M. Jean-François Husson, rapporteur général. - Je suis aussi pleinement en accord avec Antoine Lefèvre.

J'avais plaidé pour une révision de l'ensemble des budgets, y compris ceux qui sont associés à une loi de programmation. Cette révision survient dans le cadre de la préparation budgétaire de l'année 2025. Nous n'échapperons pas à un nouvel examen ni à de nouveaux ajustements, mais ils ne sont pas encore d'actualité.

M. Emmanuel Capus. - Je partage l'analyse du rapporteur général sur la nécessité de continuer à augmenter les crédits relatifs aux personnels judiciaires. Les économies devant porter sur l'immobilier, les projets de construction de centre pénitentiaire vont-ils bien éviter les retards ? Je pense en particulier à la future prison d'Angers. Seulement 4 521 places de prison ayant été créées sur les 15 000 places prévues, nous ne pouvons-nous permettre de prendre plus de retard.

Mme Isabelle Briquet. - Merci à notre rapporteur pour sa présentation exhaustive. Malgré une légère hausse, le budget de la justice reste inférieur aux prévisions initialement inscrites dans la loi de programmation. Ce n'est pas sans conséquence. Ce budget n'est pas à la hauteur des enjeux et met le système judiciaire sous pression.

Bien qu'en augmentation, le nombre de créations de postes demeure insuffisant pour compenser la surcharge de travail des juridictions. En outre, le recul des investissements dans l'immobilier et la technologie nous inquiète.

Des affaires plus complexes pourraient être laissées en attente pour privilégier le traitement des urgences, ce qui alimente le phénomène de surpopulation carcérale. À Limoges, la situation est particulièrement critique.

Le retard pris dans la modernisation des services de la justice, le manque de crédits informatiques et l'absence de renouvellement des outils et processus sont pointés du doigt chaque année. A-t-on évalué les démarches en cours et celles qui restent à mener ?

Au vu de ces réserves, il est impossible, à ce stade, au groupe Socialiste, Écologiste et Républicain (SER) d'approuver les crédits de la mission.

M. Michel Canévet. - Les moyens informatiques mis en oeuvre sont-ils suffisants pour faire véritablement évoluer la justice ? Le recours à la visioconférence a-t-il été développé, notamment pour éviter les transferts de détenus pour des auditions ?

La déclaration récente du garde des sceaux annonçant que l'objectif de construction de 15 000 nouvelles places de prison d'ici à 2027 ne pourrait pas être tenu a de quoi nous inquiéter. Le rapporteur spécial a-t-il des informations à ce sujet ?

Par ailleurs, des investissements sont-ils prévus pour améliorer l'efficacité énergétique des bâtiments du ministère de la justice ?

Enfin, le rapporteur spécial a-t-il des idées précises de mesures à mettre en oeuvre pour accentuer la mutualisation des dépenses entre les ministères de l'intérieur et de la justice ?

M. Grégory Blanc. -L'administration pénitentiaire peine à recruter. Comment la valorisation de ses métiers s'inscrit-elle dans la perspective du plan de construction de 15 000 places de prison ? Cela ne servirait à rien de construire des bâtiments si l'on n'a personne pour y travailler...

L'Agence publique pour l'immobilier de la justice (Apij) prend en charge les aménagements prévus sur le périmètre de construction des nouvelles prisons, par exemple à Angers, mais les aménagements réalisés alentour ne sont pris en charge, ni par l'État, ni par les collectivités territoriales autres que les communes concernées. Cela peut entraîner certains retards. Des enveloppes pourraient-elles être mobilisées pour débloquer ces projets ?

Quels impacts les annonces faites par le Premier ministre dans sa déclaration de politique générale en faveur de peines de prison courtes et immédiatement exécutées auront-elles sur les prisons, si des mesures législatives sont prises en ce sens ?

M. Albéric de Montgolfier. - Au ministère de la justice comme dans d'autres administrations, les questions immobilières sont gérées par des personnels dont ce n'est pas la compétence et cela ne me semble pas pertinent.

La circulaire relative au recours à la visioconférence en matière pénale se heurte à des obstacles législatifs ou réglementaires. Ainsi, il faut l'accord d'un détenu en détention préventive pour pouvoir l'entendre en audition par ce biais. Ne pourrait-on lever ce type d'obstacle ? La visioconférence présente d'importants avantages sécuritaires, en limitant les transferts de détenus, et constitue une source d'économie de postes.

M. Pascal Savoldelli. - Je suis effaré par le taux d'occupation des prisons : 164,3 % en moyenne. Certes, la question des moyens est importante, mais les 15 000 nouvelles places de prison ne résoudront pas tout ! Nous avons besoin de réformes structurelles.

Pas moins de 327,9 millions d'euros de crédits ont été annulés, et des surgels successifs ont été décidés, sur le fonctionnement courant et les dépenses immobilières. Puis on nous a annoncé un amendement du Gouvernement porteur de 250 millions d'euros de crédits. Que faut-il comprendre et à quoi faut-il s'attendre concrètement ?

M. Antoine Lefèvre, rapporteur spécial. - Le plan de construction de 15 000 places de prison, sur lequel j'ai fait un rapport d'étape l'an dernier, a effectivement connu quelques ralentissements. Nicole Belloubet, alors garde des sceaux, avait expliqué qu'il ne fallait pas envisager ce programme sur un quinquennat, mais sur deux, et les débuts ont été difficiles. L'actuel garde des sceaux a lui-même reconnu que l'objectif ne pourrait être atteint dans les délais impartis. Plusieurs établissements seront livrés en 2025.

Nous avons constaté un ralentissement sur les crédits de la justice judiciaire. Je n'ai pas d'informations précises concernant la future prison d'Angers. Toutefois, le ralentissement des dépenses immobilières ne signifie pas que tous les travaux de maintenance ou d'investissement seront gelés. Des crédits existent, mais dont nous ne connaissons pas encore l'affectation exacte.

La surpopulation carcérale cause effectivement d'importantes difficultés. Certains de nos concitoyens me disent qu'ils ne pleureront pas sur les conditions d'incarcération de gens qui l'ont bien cherché... Il faut penser néanmoins à la dignité de leurs conditions d'accueil et aux conditions de travail des agents de l'administration pénitentiaire. La surpopulation, ça veut dire des matelas par terre dans les cellules, avec des problématiques d'insalubrité.

Les crédits informatiques se sont améliorés d'année en année. De plus, des ordinateurs ultraportables avaient été fournis aux magistrats pendant la crise du covid-19 pour qu'ils puissent travailler à distance. Il reste cependant des efforts importants à fournir sur les applicatifs. Ainsi, aucun applicatif fiable n'étant partagé par la direction générale des finances publiques (DGFiP) et le ministère de la justice, j'avais noté que pas moins de 600 000 fiches d'amendes pénales devaient être ressaisies manuellement. Cette méthode n'est pas fiable et entraîne des pertes de recettes. La réponse pénale est en outre insatisfaisante, car certaines personnes passent à côté d'une nécessaire sanction.

La secrétaire générale du ministère, dont la fonction a été récemment créée, est pleinement mobilisée sur cette question. On relève une meilleure coordination avec les magistrats et les personnels des greffes pour trouver des applicatifs répondant aux besoins.

Les matériels de visioconférence ne sont pas suffisamment performants. Néanmoins, certaines solutions s'améliorent. Les deux principaux syndicats de magistrats, que j'ai entendus en audition, m'ont signalé que l'usage de la visioconférence se heurtait à des obstacles culturels et générationnels. Certains magistrats s'y opposent ainsi pour des questions de principe. La période du covid-19 a toutefois suscité des évolutions. Il n'est pas nécessaire de faire venir un détenu au tribunal, donc de mobiliser une escorte pénitentiaire, simplement pour lui signifier une peine ou un report. Les frais s'en trouvent diminués, et la sécurité renforcée. Je vous ai rappelé en effet le drame survenu en mai 2024 lors du transfert d'un prisonnier.

Une meilleure coordination est nécessaire entre les ministères de l'intérieur et de la justice pour optimiser les dépenses. Ainsi, certaines demandes d'expertise ne sont pas absolument nécessaires.

L'École nationale d'administration pénitentiaire (Enap), qui se trouve à Agen, propose, depuis quelques années, deux sessions de formation de surveillants pénitentiaires pour répondre aux besoins de recrutement du secteur. Il faut se préparer en outre à un nombre important de départs à la retraite. La revalorisation statutaire, notamment pour les agents pénitentiaires, a contribué à améliorer le recrutement.

Pour le moment, tous les postes créés concernent les nouveaux établissements, non les établissements existants.

La secrétaire générale prend la mesure des difficultés relatives au pilotage des projets par l'Apij. L'Agence est centrée sur l'immobilier de la justice, et particulièrement sur le plan de construction de 15 000 places de prison. Je plaide pour ma part pour une standardisation des projets architecturaux. À titre d'exemple, les fenêtres du centre pénitentiaire de Mulhouse-Lutterbach ont été mal conçues, leur remplacement coûtera 600 000 euros. De même, un bâtiment récemment livré à Fleury-Mérogis a dû être vidé peu après sa livraison parce qu'il présentait des problèmes de fourniture d'eau chaude.

Un meilleur pilotage de l'Apij est donc nécessaire, associant les personnels pénitentiaires en amont, pour éviter ce genre de difficultés.

Le ministère de la justice doit également travailler sur les peines alternatives, car on ne peut miser uniquement sur le tout carcéral. Le bracelet électronique se développe, comme d'autres solutions. Ce sont des pistes à travailler. Ce travail est d'autant plus important que la surpopulation carcérale nuit à la réinsertion, qui est l'un des objectifs de l'emprisonnement.

Enfin, au 1er juillet 2024, 6 494 places brutes du plan « 15 000 places » ont été livrées, soit 4 521 places nettes. Nous sommes donc assez loin du compte.

La commission a décidé de proposer au Sénat d'adopter, sans modification, les crédits de la mission « Justice ».

*

* *

Réunie à nouveau le jeudi 21 novembre 2024, sous la présidence de M. Claude Raynal, président, la commission a confirmé définitivement ses votes émis sur toutes les missions, tous les budgets annexes, tous les comptes spéciaux et les articles rattachés aux missions, ainsi que les amendements qu'elle a adoptés, à l'exception des votes émis pour les missions « Culture », « Direction de l'action du Gouvernement », « Enseignement scolaire », « Médias, livre et industries culturelles », « Audiovisuel public », « Recherche et enseignement supérieur », ainsi que des comptes spéciaux qui s'y rattachent.

LISTE DES PERSONNES ENTENDUES

Secrétariat général du ministère de la justice

- Mme Carine CHEVRIER, secrétaire générale ;

- M. Philippe CLERGEOT, directeur, secrétaire général adjoint.

Direction des services judiciaires (DSJ)

- M. Roland DE LESQUEN, directeur adjoint des services judiciaires ;

- M. Thomas PARISOTTO, adjoint au chef de bureau du budget.

Direction de l'administration pénitentiaire (DAP)

- M. Sébastien CAUWEL, directeur ;

- Mme Laurence VENEZ-LOPEZ, cheffe de service de l'administration ;

- M. Philippe GICQUEL, sous-directeur du pilotage et du soutien des services.

Direction de la protection judiciaire de la jeunesse (DPJJ)

- Mme Marie LÉON, adjointe à la directrice ;

- M. Hervé HUBERT, sous-directeur du pilotage et de l'optimisation des moyens.

Direction du budget

- M. Bao NGUYEN-HUY, adjoint à la sous-directrice SD8 ;

- Mme Louise MESNARD, cheffe de bureau justice et médias ;

- M. Pierre TAMBRUN, adjoint à la cheffe de bureau justice et médias.

Conseil national des barreaux

- Mme Anne-Sophie LÉPINARD, présidente de la commission Accès au droit et à la justice ;

- M. Jacques-Édouard BRIAND, conseiller au cabinet de la Présidence en charge des affaires budgétaires, économiques et financières de la Protection sociale des avocats ;

- Mme Nancy RANARIVELO, chargée de mission à la Direction des affaires publiques.

Syndicat de la magistrature

- Mme Kim REUFLET, présidente ;

- Mme Judith ALLENBACH, membre du bureau ;

Union syndicale de la magistrature

- M. Ludovic FRIAT, président ;

- Mme Stéphanie CAPRIN, vice-présidente ;

- Mme Rachel BECK, secrétaire nationale.

LA LOI EN CONSTRUCTION

Pour naviguer dans les rédactions successives du texte, le tableau synoptique de la loi en construction est disponible sur le site du Sénat à l'adresse suivante :

https://www.senat.fr/dossier-legislatif/pjlf2025.html


* 1 Crédits du budget général mesurés sur le périmètre des dépenses de l'État défini par la loi de programmation des finances publiques 2023-2027, c'est-à-dire hors contributions au compte d'affectation « Pensions », hors charge de la dette et hors remboursements et dégrèvements.

* 2 Crédits budgétaires, dépenses fiscales, prélèvements sur recettes et ressources affectées, tels que retracés à l'état F du projet de loi de finances.

* 3  Décret n° 2024-124 du 21 février 2024 portant annulation de crédits.

* 4  Rapport relatif au décret n° 2024-124 du 21 février 2024 portant annulation de crédits.

* 5 Rapport entre le montant des crédits mis en réserve et les crédits totaux ouverts (loi de finances initiale et mouvements, dont reports et annulations).

* 6 Loi n° 2023-1059 du 20 novembre 2023 d'orientation et de programmation du ministère de la justice 2023-2027.

* 7 À l'exception du programme 101 « Accès au droit et à la justice », qui ne dispose pas de crédits de personnel.

* 8 Dossier de presse du projet de loi de finances pour 2025.

* 9  Loi organique n° 2023-1058 du 20 novembre 2023 relative à l'ouverture, à la modernisation et à la responsabilité du corps judiciaire, étude d'impact, p. 58 : « l'objectif de permettre le recrutement puis l'arrivée en juridiction de 1 500 magistrats entre 2023 et 2027 se répartit ainsi : + 200 en 2023, + 327 en 2024, + 343 en 2025 et + 315 en 2026 et 2027, en cohérence avec la trajectoire budgétaire fixée dans le projet de loi de programmation et d'orientation de la justice ».

* 10 Le 14 mai, près de la commune d'Incarville (Eure-et-Loir), un fourgon de l'administration pénitentiaire a subi une attaque d'une grande violence, causant la mort d'un gardien et d'un officier, ainsi que trois blessés graves.

* 11 Ces crédits correspondent aux prestations réalisées par les établissements et services du secteur associatif habilité à la demande du juge des enfants, des juges d'instruction et des magistrats du parquet. Ils recouvrent l'ensemble des coûts de ces prestations : dépenses de personnel et de fonctionnement, mais également d'investissements, de provisions, de frais de siège et de charges financières.

* 12 Le budget du système judiciaire, tel que défini par la CEPEJ, comprend les budgets alloués aux tribunaux, au ministère public et à l'aide judiciaire.

* 13 Rendre justice aux citoyens, rapport du comité des États généraux de la justice, avril 2022.

* 14 Direction des services judiciaires.

* 15 Cour des comptes, Approche méthodologique des coûts de la justice, communication à la commission des finances de l'Assemblée nationale, décembre 2018.

* 16 Les équivalents temps plein (ETP) représentent les effectifs en place à une durée donnée, indépendamment des mouvements d'effectifs en cours d'année : 1 agent à mi-temps représente 0,5 ETP. Les équivalents temps plein travaillé (ETPT) mesurent la quantité de travaillé effectuée par ces personnels : le même agent à mi-temps, s'il a été recruté le 1er juillet, représente 0,25 ETPT la première année et 0,5 ETPT l'année suivante.

* 17 Article 14 de la loi n° 2023-1059 du 20 novembre 2023 d'orientation et de programmation du ministère de la justice 2023-2027.

* 18  15 000 places de détention supplémentaires et 20 nouveaux centres éducatifs fermés en 2027 : mission impossible ?, rapport d'information n° 37 (2023-2024), déposé le 18 octobre 2023, présenté au nom de la commission des finances du Sénat.

* 19 Réponses au questionnaire budgétaire.

* 20 Projet annuel de performances de la mission « Justice », annexé au projet de loi de finances pour 2025.

* 21 Cour des comptes, Point d'étape du plan de transformation numérique du ministère de la justice, janvier 2022.

* 22 Cour des comptes, Le pilotage de la transformation numérique de l'État par la direction interministérielle du numérique, avril 2024.

* 23 Projet annuel de performances de la mission « Justice », annexé au projet de loi de finances pour 2025.

* 24 En 2017, le Trésor public a dû effectuer la ressaisie manuelle des informations comprises dans 500 000 relevés de condamnation pénales transmises par les tribunaux correctionnels, les cours d'appel et les cours d'assises ( Amendes pénales : l'urgente modernisation du recouvrement, rapport d'information n° 330 (2018-2019), présenté par Antoine Lefèvre, rapporteur spécial, au nom de la commission des finances du Sénat, déposé le 20 février 2019.

* 25 Cour des comptes, La conduite des grands projets numériques de l'État, enquête réalisée à la demande de la commission des finances du Sénat, juillet 2020.

* 26 La Cour des comptes, dans son enquête précitée sur la conduite des projets numériques de l'État, constate que sept directeurs de projets se sont succédé sur le projet Cassiopée entre 2001 et 2014, et que les responsabilités respectives de chaque intervenant n'étaient pas clairement définies.

* 27 Inspection générale des finances, Immobilier de l'État : une nouvelle architecture pour professionnaliser, avril 2003.

* 28 Cour des comptes, note d'exécution budgétaire sur la mission « Justice » en 2023.

* 29  15 000 places de détention supplémentaires et 20 nouveaux centres éducatifs fermés en 2027 : mission impossible ?, Rapport d'information n° 37 (2023-2024), fait par Antoine Lefèvre, rapporteur spécial, au nom de la commission des finances du Sénat, déposé le 18 octobre 2023.

* 30 Programme 15 000 places, dossier de presse du ministère de la justice, 2017.

* 31 Didier Migaud, garde des sceaux, entretien sur France Inter, 10 novembre 2024.

* 32 En juillet 2020, les accords du Ségur de la santé ont consacré 8,2 milliards d'euros à la revalorisation des métiers des établissements de santé et des établissement d'hébergement pour personnes âgées dépendantes (EHPAD) ainsi qu'à l'attractivité de l'hôpital public. Ces accords ont été par la suite étendus à d'autres activités, notamment dans le secteur sanitaire, social et médico-social privé à but non lucratif.

* 33 Nouvelle doctrine d'occupation des immeubles tertiaires de l'État, circulaire n° 6392/SG de la Première ministre, 8 février 2023.

* 34 Indicateur 1.2 « Respect des coûts et des délais des grands projets immobiliers » du programme 310 « Conduite et pilotage de la politique de la justice » de la mission « Justice ».

* 35 Rapport annuel de performances de la mission « Justice » en 2023.

* 36 Cible de l'indicateur de performances 1.2 « Part des demandes d'aide juridictionnelle déposées et traitées par voie dématérialisée », projets annuels de performance des projets de loi de finances pour 2023, 2024 et 2025.

* 37 L'annexe « Voies et moyens », tome 1, ne mentionne le versement de la quote-part des intérêts au fonds de financement des dossiers impécunieux que depuis le projet de loi de finances pour 2024, sans donner alors d'évaluation pour son montant. Le même document, annexé au projet de loi de finances pour 2025, indique que la recette prévisionnelle est de 54 millions d'euros.

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