B. LA MAÎTRISE DES FRAIS DE JUSTICE, UN SUJET BUDGÉTAIRE MAJEUR EN 2025
Le coût des frais de justice serait en 2025 de 742,7 millions d'euros, soit une hausse de 10,2 % par rapport à 2024.
Sur le moyen terme, la hausse des frais de justice est considérable, puisqu'elle atteint + 5,2 % par an depuis 2017. La hausse est de 25 % en euros constants. Si une partie de cette hausse peut résulter, comme l'a indiqué la direction des services judiciaires au rapporteur spécial, d'une sincérisation par intégration de frais facturés sur d'autres postes, la hausse n'en demeure pas moins considérable.
Évolution des frais de justice depuis 2017
(en millions d'euros courants)
Source : commission des finances, d'après les réponses au questionnaire budgétaire
Les frais de justice sont des « quasi dépenses de guichet », car elles sont liées à l'exercice même de la justice et au volume de l'activité pénale, de sorte que l'administration de la justice dispose de peu de leviers pour la modérer.
L'essentiel des frais de justice constitue en effet une dépense engagée par les officiers de police judiciaire (OPJ) et par les magistrats dans le cadre des procédures judiciaires. Elle concerne principalement les expertises génétiques et médicales mais aussi financières, informatiques ou balistiques, ou encore le recours aux auxiliaires ou collaborateurs de la justice (huissiers, traducteurs, interprètes, délégués du procureur, etc.).
La part des frais de justice pénale représente la très grande majorité des frais de justice totaux en 2022.
Le difficile pilotage des frais de justice provient, d'une part, de leur dynamisme, lié à l'activité juridictionnelle - elle-même pour partie liée au recrutement de nouveaux magistrats - et, d'autre part, de leur manque de prévisibilité et de l'importance des charges à payer qui se sont accumulées au cours des années.
1. Des actions peuvent être conduites au sein du ministère de la justice pour mieux maîtriser la hausse des frais de justice
Un plan de maîtrise des frais de justice a été lancé depuis plusieurs années. En 2023 et 2024, il se traduit notamment par la mise en place de tableaux de bord mensuels prévisionnels, qui permettent de mieux anticiper les dépenses et d'identifier les sources de coût.
La direction des services judiciaires (DSJ) cherche à conseiller les magistrats sur le coût des prestations demandées et à diffuser une culture du coût. Une comitologie est mise en place afin de susciter des échanges sur les procédures, les outils et les actions de contrôle interne. Des référents frais de justice sont déployés dans les juridictions.
La DSJ expérimente également des services centralisateurs régionalisés des frais de justice, afin d'harmoniser les procédures de contrôle, de mettre en application des dispositions réglementaires et de fluidifier la chaîne de la dépense.
Enfin, des actions de formation et de sensibilisation sont conduites à destination tant des personnels du réseau judiciaire que des acteurs externes, notamment ceux du ministère de l'intérieur (officiers de police judicaire).
Par ailleurs, la DSJ tente d'internaliser les interprètes afin de réduire les coûts d'interprétariat.
S'agissant de la traduction de documents ou des comptes rendus de réunions, les technologies actuelles devraient permettre, au moins dans une partie des cas, de réduire considérablement les coûts aussi bien que les délais par recours à des technologies de traduction automatique. Ces technologies, basées sur l'intelligence artificielle, posent toutefois des enjeux de confidentialité et de sécurité lorsque les documents écrits ou sonores doivent être transmis à des serveurs informatiques appartenant aux grandes sociétés du numérique, situés à l'étranger.
2. Seule une action conduite en commun avec d'autres administrations, en particulier le ministère de l'intérieur, permettra de rationaliser la dépense
Le rapporteur spécial souligne que la maîtrise des frais de justice n'est pas possible par une seule action des acteurs de la justice judiciaire.
Les frais de justice peuvent en effet être impactés par des mesures prises par d'autres ministères, telles que la revalorisation des tarifs d'expertise psychiatrique conduite par le ministère de la santé.
Surtout, la maîtrise des frais de justice dépend surtout de la coopération avec le ministère de l'intérieur.
Le gardiennage de véhicules entraîne des coûts importants, pendant de longues durées, qui sont mal tracés et pourraient être évités par un meilleur suivi des véhicules entreposés dans les fourrières. Un travail a ainsi été engagé sur le déploiement au sein du réseau judiciaire du logiciel « système d'information des fourrières » développé par le ministère de l'intérieur35(*).
Une source particulière de coûts signalée au rapporteur spécial est celle des commandes d'expertises faites par les enquêteurs. La majorité des frais de justice ont pour fait générateur la décision d'un officier de police judiciaire.
Le développement de techniques d'enquête de plus en plus sophistiquées et coûteuses pèse en effet lourdement sur les frais de justice. Il a été indiqué au rapporteur spécial que les interceptions judiciaires ont été généralisées ces dernières années dans des affaires où leur apport paraît au mieux douteux, sans prendre en compte le coût qu'elles représentent.
Le rapporteur spécial souligne en conséquence la nécessité d'engager une maîtrise des frais de justice en lien étroit avec la direction générale de la police nationale (DGPN) et la direction générale de la gendarmerie nationale (DGGN), afin de déterminer les domaines dans lesquels une rationalisation des coûts reste possible sans entraver la qualité des investigations.
À cet égard, la montée en charge de la plateforme nationale des interceptions judiciaires (PNIJ) depuis 2022 doit permettre de réduire les frais de géolocalisation. Elle apporterait une économie estimée à 34,5 millions d'euros en 2025 par la suppression du recours à plusieurs prestataires.
De même, des actions de pilotage, de communication et de déploiement du système d'information des fourrières (SIF) font attendre une économie de 8,4 millions d'euros sur les frais de gardiennage, grâce à une réduction de 10 % du stock des véhicules conservés.
D'autres mesures permettent également de réaliser des économies estimées à plusieurs millions d'euros : diffusion d'une grille des tarifs et des temps pour les expertises informatiques, meilleure mise en concurrence des laboratoires d'analyse génétique, dématérialisation de la signification des frais. La suppression du caractère obligatoire des expertises psychiatriques pour certains délits représenterait également une économie supplémentaire, mais nécessiterait une mesure législative.
* 35 Rapport annuel de performances de la mission « Justice » en 2023.