C. EN CAS DE REJET DU PLFSS, DES INCERTITUDES SUR LA POSSIBILITÉ JURIDIQUE DE LA SÉCURITÉ SOCIALE DE CONTINUER À S'ENDETTER

1. Pour la deuxième fois, un rejet du Placss par les deux chambres du Parlement
a) Les Placss, ancienne première partie des PLFSS

Troisième projet de loi de financement de la sécurité sociale (PLFSS) examiné dans le cadre organique issu de la loi organique relative aux lois de financement de la sécurité sociale (Lolfss) du 14 mars 202220(*), le présent PLFSS est le deuxième à compter seulement trois parties (et non quatre).

En effet, pour la deuxième fois cette année, l'ancienne première partie, relative aux comptes de l'exercice clos, a fait l'objet d'un texte séparé, débattu par le Parlement à la fin du printemps : le projet de loi d'approbation des comptes de la sécurité sociale (Placss).

b) Le récent rejet du Placss 2023 par chacune des deux chambres du Parlement

Comme le Placss 2022, le Placss 2023 a été rejeté par chacune des deux chambres du Parlement. Du fait de la dissolution de l'Assemblée nationale, ce rejet a eu lieu seulement les 15 et 22 octobre 2024 (cf. encadré ci-après).

Dans le cas du Sénat, ces rejets s'expliquent, malgré une incontestable amélioration dans le cas du Placss 2023, par une qualité des comptes et une conformité des annexes à la loi organique toujours insuffisantes, ainsi que par l'absence d'effort de redressement des comptes sociaux du précédent Gouvernement.

Conformité du Placss aux exigences organiques

 

Placss 2022

Placss 2023

Exactitude des comptes

Refus de certification des comptes 2022 de la Cnaf et de la branche famille

Impossibilité de certifier les comptes 2023 de la Cnaf et de la branche famille

 

Absence de prise en compte dans le tableau patrimonial de la correction de 5 Md€ apportée par la LFSS 2023 sur les recettes 2021 à l'initiative du Sénat

 

Dernier indicateur renseigné des Repss (moyenne)

Année n-2 (2020)

Année n-1 (2022)

Évaluation des niches

Aucune

Lors du dépôt : 13 % des niches correspondant à 20 % du montant

Source : Commission des affaires sociales du Sénat

Le rejet par le Parlement des projets de loi d'approbation
des comptes de la sécurité sociale pour les années 2022 et 2023

Le rejet du Placss 2022

Le Placss a été déposé à l'Assemblée nationale le 24 mai 2023.

Le 6 juin 2023, l'Assemblée nationale, après avoir adopté l'article liminaire et l'article premier, rejeté l'article 2 (non adopté) et supprimé par amendements l'article 3, a rejeté l'ensemble du texte.

Le 3 juillet 2023, le Sénat a adopté une motion de sa commission des affaires sociales tendant à opposer la question préalable.

Le rejet du Placss 2023

Le Gouvernement a déposé une première fois le Placss 2023 le 31 mai 202421(*), conformément à l'article L.O. 111-6 du code de la sécurité sociale, qui prévoit que le Placss est déposé « avant le 1er juin ».

Le 5 juin 2024, la commission des affaires sociales de l'Assemblée nationale a supprimé ou rejeté l'ensemble des articles, rejetant de ce fait l'ensemble du projet de loi22(*).

En application du principe dit de « table rase », les textes en cours d'examen à l'Assemblée nationale lors de la dissolution sont caducs. Ainsi, le Gouvernement a déposé une seconde fois le Placss 2023, le 19 juillet 202423(*).

La commission des affaires sociales de l'Assemblée nationale a une seconde fois rejeté le texte, le 25 septembre 2024. Le 15 octobre 2024, l'Assemblée nationale a rejeté le texte, par une motion de rejet préalable du groupe La France insoumise-Nouveau front populaire.

Le 16 octobre 2024, la commission des affaires sociales du Sénat a adopté une motion tendant à opposer la question préalable. Le 22 octobre 2024, le Sénat a adopté cette motion, et donc rejeté le projet de loi.

c) L'absence de conséquence juridique d'un rejet du Placss
(1) Le rejet du Placss n'empêche pas l'examen du PLFSS

Pour favoriser le « chaînage vertueux » entre Placss et PLFSS, l'article L.O. 111-7-1 du code de la sécurité sociale prévoit que « le projet de loi de financement de l'année ne peut être mis en discussion devant une assemblée avant l'adoption de la loi d'approbation des comptes de la sécurité sociale afférente à l'année qui précède celle de la discussion dudit projet de loi de financement ».

Le Conseil constitutionnel, dans sa décision n° 2022-836 DC du 10 mars 2022 sur la loi organique relative aux lois de financement de la sécurité sociale, a précisé qu'il suffisait, pour que cette disposition soit satisfaite, que le Placss ait été examiné par l'assemblée concernée24(*).

Le rejet du Placss relatif à un exercice n n'empêche donc pas l'examen du PLFSS relatif à l'exercice n+2.

(2) Les montants figurant dans une Lacss n'ont pas de conséquence pratique et peuvent être modifiés par une LFSS ultérieure

Par ailleurs, dans l'hypothèse où un Placss serait adopté, les montants y figurant n'auraient pas de conséquence pratique et pourraient être modifiés par une LFSS ultérieure.

En effet, les Lacss ne se distinguent pas en cela des anciennes premières parties des LFSS. Ainsi, après que le Parlement, à l'initiative de la commission des affaires sociales du Sénat, avait minoré le solde 2021 de 5 milliards d'euros dans la première partie du PLFSS 2023, afin de prendre en compte un refus de certification de la Cour des comptes25(*), les LFSS ultérieures ont systématiquement retenu les montants figurant dans le texte initial.

Les caisses n'ont d'ailleurs tiré aucune conséquence, dans leurs comptes, de la modification apportée par le Parlement au PLFSS 2023.

2. Les conséquences d'un éventuel rejet du PLFSS ne sont pas connues

Les conséquences, juridiques et autres, d'un éventuel rejet du PLFSS par le Parlement, ne sont en revanche pas connues.

a) L'absence de procédure prévue par la Constitution ou la loi organique

Le tableau ci-après synthétise les règles constitutionnelles et organiques applicables au PLF et au PLFSS si le Parlement ne se prononce pas dans le délai constitutionnel et si le Parlement rejette le texte.

Conséquences d'un éventuel rejet du PLFSS

 

PLF

PLFSS

Si le Parlement ne se prononce pas dans le délai constitutionnel

 

 

Délai

Art. 47 C et 40 Lolf : 70 jours

Art. 47-1 C : 50 jours

Procédure

Art. 47 C et 40 Lolf : mise en oeuvre par ordonnance

Art. 47-1 C : mise en oeuvre par ordonnance

Si le Parlement rejette le texte

Art. 47 C et 45 Lolf : autorisation de percevoir les impôts (1re partie PLF ou loi spéciale) et ouverture par décret des services votés

?

C : Constitution. Lolf : loi organique relative aux lois de finances. PLF : projet de loi de finances. PLFSS : projet de loi de financement de la sécurité sociale.

Source : Commission des affaires sociales du Sénat

Si le Parlement ne se prononce pas dans le délai constitutionnel (de 70 jours pour le PLF et 40 jours pour le PLFSS), le Gouvernement peut mettre en oeuvre le projet de loi par ordonnance.

Si le Parlement rejette le texte, une mise en oeuvre par ordonnance n'est bien entendu pas possible.

Il convient toutefois d'assurer la continuité de la vie nationale. Ainsi, dans le cas du PLF, la Constitution et la loi organique prévoient que le Gouvernement doit obtenir du Parlement l'autorisation de percevoir les impôts (dans la première partie du PLF ou dans une loi spéciale) et ouvrir par crédit les services votés.

Aucune disposition constitutionnelle ou organique ne prévoit en revanche ce qui se passe en cas de rejet du PLFSS par le Parlement.

b) Une disposition ne pouvant normalement figurer que dans une LFSS : l'autorisation de la sécurité sociale à recourir à l'emprunt

On pourrait a priori supposer que, les LFSS étant d'instauration récente (elles résultent d'une révision constitutionnelle de 1996), le rejet d'un PLFSS par le Parlement n'entraînerait pas d'autre difficulté que l'absence de mise en oeuvre des changements législatifs qu'il contient.

Certes, la situation est différente de celle du budget de l'État. La sécurité sociale n'a pas besoin d'une autorisation de percevoir les cotisations sociales ou de réaliser les dépenses. Par ailleurs, l'autorisation de percevoir les impôts affectés résulte de la loi de finances, leur affectation aux différentes branches étant prévue par l'article L. 131-8 du code de la sécurité sociale, régulièrement modifiée par les LFSS26(*).

Toutefois l'article L.O. 111-3-4 du code de la sécurité sociale prévoit que la LFSS de l'année « arrête la liste des régimes obligatoires de base et des organismes concourant à leur financement habilités à recourir à des ressources non permanentes, ainsi que les limites dans lesquelles leurs besoins de trésorerie peuvent être couverts par de telles ressources ». L'article L.O. 111-3-4 précité fait partie de la subdivision du code de la sécurité sociale relative aux « dispositions obligatoires » des LFSS, qui sont aussi, par nature, des dispositions exclusives (c'est-à-dire ne pouvant figurer dans un autre texte).

Ainsi, l'article 13 du présent PLFSS autorise en particulier l'Agence centrale des organismes de sécurité sociale (Acoss) et la Caisse nationale de retraite des agents des collectivités locales (CNRACL) à recourir à l'emprunt afin de couvrir leurs besoins de trésorerie, pour un montant de respectivement 65 milliards d'euros et 13,2 milliards d'euros.

En l'absence de telles dispositions, la sécurité sociale ne pourrait pas s'endetter, et certaines prestations ne pourraient donc être versées.

On pourrait envisager qu'en cas de rejet du PLFSS par le Parlement, le Gouvernement dépose un projet de loi ad hoc fixant ces plafonds d'emprunt, en espérant que le Conseil constitutionnel ne le censure pas27(*).


* 20 Loi organique n° 2022-354 du 14 mars 2022 relative aux lois de financement de la sécurité sociale.

* 21 Projet de loi d'approbation des comptes de la sécurité sociale de l'année 2023, n° 2714, déposé le vendredi 31 mai 2024.

* 22 La commission a supprimé l'article liminaire (recettes, dépenses et solde des administrations de sécurité sociale) et l'article 1er (approbation des tableaux d'équilibre relatifs à l'exercice 2023) et rejeté les articles 2 (Ondam, recettes affectées au FRR et dette amortie par la Cades) et 3 (tableau patrimonial et couverture des déficits).

* 23 Projet de loi d'approbation des comptes de la sécurité sociale pour l'année 2023, n° 4, déposé le vendredi 19 juillet 2024.

* 24 « Ces dispositions ne sauraient, sans porter atteinte à l'article 34 de la Constitution, faire obstacle à la mise en discussion du projet de loi de financement de l'année dès lors que le projet de loi d'approbation des comptes de la sécurité sociale a été examiné. » (Considérant 18).

* 25 Comme indiqué dans le rapport de la rapporteure générale sur le Placss 2022, les soldes pour 2020 et 2021 devaient être respectivement majoré et minoré de 5 milliards d'euros. Il s'agissait de prendre en compte le refus de la Cour des comptes de certifier les comptes 2021 de la branche recouvrement, en raison d'une erreur sur l'exercice d'imputation de cotisations des indépendants.

* 26 Dans leur article dit « article tuyau » (article 8 du présent PLFSS).

* 27 Après la censure totale du PLF pour 1980 (à cause du non-respect de l'ordre d'examen des parties), le Gouvernement avait fait adopter une loi ad hoc autorisant l'État à continuer de percevoir l'impôt, ce que le Conseil constitutionnel avait accepté (cf. décision 79-111 DC du 30 décembre 1979), au nom du principe de « continuité de la vie nationale ».

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