B. UNE DISCUSSION DES PLF ET PLFSS SOUS LA SURVEILLANCE DE L'UNION EUROPÉENNE ET DES MARCHÉS FINANCIERS
1. La France est à nouveau sous procédure de déficit excessif depuis juillet 2024
La clause dérogatoire générale du pacte de stabilité, déclenchée lors du déclenchement de la crise sanitaire, ne s'applique plus depuis juin 2024.
Par ailleurs, en 2023, le déficit et la dette publics de la France ont atteint respectivement 5,5 points de PIB et 110,6 points de PIB.
En conséquence, le 26 juillet 2024, le Conseil de l'Union européenne a adopté une décision établissant l'existence d'un déficit excessif7(*).
2. La Commission et le Conseil doivent prochainement se prononcer sur le PSMT de la France
La réforme du pacte de stabilité d'avril 2024 remplace les programmes de stabilité et les programmes nationaux de réforme (PNR) par un document unique : les plans budgétaires et structurels nationaux à moyen terme (désignés par le sigle PSMT ou PMT)8(*).
La France a transmis son PSMT 2025-2031 à la Commission et au Conseil fin octobre 2024. Ceux-ci doivent prochainement se prononcer, et en particulier accepter l'extension de la période d'ajustement à sept ans.
a) Depuis la réforme du pacte de stabilité d'avril 2024, un nouveau document se substitue aux programmes de stabilité : le PSMT
Le PSMT doit être transmis tous les quatre ans (normalement avant le 30 avril, mais en 2024 avant le 20 septembre - ce délai ayant été repoussé à fin octobre dans le cas de la France).
Bien qu'un nouveau PSMT doive nécessairement être présenté tous les quatre ans, la trajectoire d'ajustement, normalement de quatre ans, peut être étendue jusqu'à sept ans en contrepartie de divers engagements. Ainsi, dans le cas de la France, la période d'ajustement de quatre ans (soit 2025-2028) peut être prolongée jusqu'à sept ans (2025-2031), sous réserve de l'accord du Conseil.
Un rapport d'avancement annuel devra être transmis à la Commission européenne chaque année en avril, comme l'actuel programme de stabilité.
L'indicateur opérationnel unique utilisé pour piloter l'ajustement est celui dit de « dépenses nettes »9(*), qui correspond schématiquement, selon la terminologie française, à un effort structurel10(*) primaire.
La réforme d'avril 2024 du pacte de stabilité
Le pacte de stabilité et de croissance (PSC), ou « pacte de stabilité », prévoit, dans le protocole n° 12 au traité sur l'Union européenne (TUE) relatif aux déficits excessifs, que les États de l'Union européenne ne doivent pas avoir de déficit public supérieur à 3 points de PIB et une dette publique supérieure à 60 points de PIB.
Il comprend deux volets :
- un volet dit « préventif »11(*), concernant l'ensemble des États. C'est dans ce cadre que chaque État membre devait transmettre chaque année en avril à la Commission un programme de stabilité et un programme. Ces deux documents sont remplacés depuis la réforme d'avril 2024 par un plan budgétaire et structurel national à moyen terme (PSMT), devant être transmis tous les quatre ans (cf. infra) ;
- un volet dit « correctif »12(*), concernant les États en situation de déficit excessif. Le volet « correctif » prévoit diverses procédures. Il prévoit quatre étapes : décision, par le Conseil, que l'État est en déficit excessif ; recommandation, par le Conseil, de prendre une « action suivie d'effets » ; décision, par le Conseil, que l'État n'a pas pris d' « action suivie d'effets » (et mise en demeure de prendre une telle action) ; décision, par le Conseil, que l'État ne s'est pas conformé à une mise en demeure, ce qui peut le cas échéant donner lieu à des sanctions.
Les textes d'application de ces dispositions ont connu diverses modifications, en particulier en novembre 2011 après la crise des dettes souveraines (réforme dite « six-pack », en référence aux six textes les mettant en oeuvre) et en avril 202413(*).
Dans le cas du volet « préventif » :
- la réforme de 2024 instaure les plans budgétaires et structurels nationaux à moyen terme (PSMT), que chaque État membre doit présenter tous les quatre ans, au Conseil et à la Commission « au plus tard le 30 avril de la dernière année du plan en vigueur ». À compter du 1er mai 2032, le Haut Conseil des finances publiques (HCFP) devra obligatoirement émettre un avis (que le Gouvernement a choisi de solliciter s'agissant du PSMT transmis à la Commission européenne fin octobre 2024). Ces documents de substituent aux programmes de stabilité et aux programmes nationaux de réforme (PNR) ;
- dans le cas des États en déficit excessif, lors de la phase d'élaboration du PSMT, la Commission transmet une « trajectoire de référence ». La durée de la période d'ajustement, et donc du PSMT, est normalement de quatre ans mais peut être étendue jusqu'à sept ans sous certaines conditions14(*) ;
- chaque État membre soumet à la Commission, au plus tard le 30 avril de chaque année, un rapport d'avancement annuel ;
- l'indicateur opérationnel unique utilisé pour piloter l'ajustement est celui dit de « dépenses nettes »15(*), qui correspond schématiquement, selon la terminologie française, à un effort structurel16(*) primaire.
Dans l'hypothèse où un PSMT ne serait pas soumis dans les délais impartis ou serait rejeté à deux reprises par le Conseil, la Commission peut proposer au Conseil d'endosser sa trajectoire de référence comme la trajectoire du plan et d'imposer un ajustement sur quatre ans et non sur sept ans.
Dans le cas du volet « correctif », la recommandation du Conseil demandant à l'État membre de prendre une « action suivie d'effets » fixe non seulement, comme auparavant, un délai pour la correction du déficit excessif, mais également « une trajectoire de correction des dépenses nettes qui garantisse que le déficit public reste ou soit ramené et maintenu sous la valeur de référence dans le délai fixé dans la recommandation ».
Lorsque la procédure de déficits excessifs a été ouverte sur la base du critère du déficit, « la trajectoire de correction des dépenses nettes est compatible avec un ajustement structurel annuel minimal d'au moins 0,5 % du PIB à titre de référence ». Sur la période 2025-2027, la Commission a la possibilité de soustraire de ce seuil de 0,5 point de PIB la charge d'intérêt, à condition que l'État membre concerné donne certaines garanties de réforme17(*).
b) Selon le PSMT, un retour du déficit public sous 3 points de PIB en 2029
La Commission européenne a communiqué le 21 juin 2024 aux États membres ses « trajectoires de référence ».
La date limite fixée aux États membres pour la présentation des PSMT était fixée au 20 septembre 2024. Dans le cas de la France, elle a été repoussée à la fin octobre 2024.
Le projet de PSMT, qui devait être transmis au Parlement au plus tard le 15 octobre, ne l'a été que le 20 octobre18(*). Bien qu'intitulé « PSMT 2025-2028 » (du fait de la nécessité de présenter tous les quatre ans un nouveau PSMT), il porte sur une période de sept ans (soit jusqu'en 2031).
Le tableau ci-après indique la trajectoire d'ajustement prévue par le PSMT pour l'ensemble des administrations publiques. Le déficit repasserait sous le seuil de 3 points de PIB en 2029.
Trajectoire d'ajustement prévue par le PSMT
PSMT : plan budgétaire et structurel national à moyen terme.
Source : PSMT
Selon le PSMT, « la trajectoire proposée dans le PSMT de la France retient ainsi un ASP moyen de 0,78 point de PIB potentiel par an sur la période d'ajustement 2025-2031. Cet ASP moyen est supérieur à la fois aux exigences minimales communiquées par la Commission le 21 juin 2024 et celles établies avec les hypothèses sous-jacentes au PLF 2025 et à ce PSMT ».
La Commission et le Conseil devront se prononcer dans les prochains mois sur le PSMT. En outre, d'ici la fin 2024, la Commission européenne doit recommander au Conseil d'adopter des recommandations aux États membres afin qu'ils engagent une « action suivie d'effets » pour corriger leur déficit dans un délai donné.
c) Le PSMT n'indique pas de trajectoire de solde à moyen terme pour les administrations de sécurité sociale
Contrairement aux programmes de stabilité, le PSMT n'indique pas la ventilation sur la période de programmation de l'objectif de solde entre catégories d'administrations publiques.
Par ailleurs, ces informations, habituellement présentes dans le rapport économique, social et financier (Resf) annexé au PLF, ne figurent pas dans le Resf 2025.
Il n'est donc pas possible de savoir sur quelle hypothèse de trajectoire du solde des administrations de sécurité sociale repose la programmation à moyen terme du Gouvernement.
La commission des affaires sociales souligne la nécessité que l'instauration des PSMT ne se traduise pas, par rapport aux programmes de stabilité, par une perte d'information en ce qui concerne les sous-jacents de la programmation relatifs aux administrations de sécurité sociale.
3. La France sous la surveillance des marchés financiers
La France continue à se financer à de faibles taux, d'environ 3 % pour les obligations à dix ans.
Toutefois sa situation par rapport à ses partenaires s'est dégradée depuis la dissolution de l'Assemblée nationale. Ainsi, à la même échéance l'Allemagne se finance à environ 2,25 %, ce qui représente un écart de taux (ou « spread ») d'environ 0,75 point (75 points de base), contre 50 points de base avant la dissolution de l'Assemblée nationale. Par ailleurs, alors que la France empruntait habituellement à un taux inférieur à ceux des États d'Europe du Sud, celui-ci est depuis juin 2024 supérieur à celui du Portugal (environ 2,75 %) et depuis septembre 2024 analogue à celui de l'Espagne, et se rapproche désormais de celui de l'Italie (3,5 %).
Le 11 octobre 2024, l'agence Fitch Ratings a maintenu la note de la France à AA-, mais avec une perspective négative. Le 25 octobre, l'agence Moody's a également maintenu la note de la France en l'assortissant d'une perspective négative.
Cette situation vient de la dégradation de la situation des finances publiques de la France, de manière non seulement absolue, mais aussi relative, par rapport aux autres États membres de la zone euro. En 2023, le déficit et la dette publics de la France ont été de respectivement 5,5 et 110,6 points de PIB. Seul un État membre a eu un déficit public plus élevé (l'Italie à 7,4 points de PIB) ; et seuls deux États membres ont eu une dette publique plus élevée (l'Italie à 137,3 points de PIB, et la Grèce à 161,9 points de PIB).
La crise des dettes souveraines de 2010-2012 illustre le fait qu'un État disposant d'un taux d'endettement élevé et perdant la confiance des investisseurs sur sa capacité à réduire son déficit, peut, en l'absence d'une banque centrale jouant le rôle de prêteur en dernier ressort19(*), connaître une hausse autoréalisatrice de ses taux d'intérêt rendant sa dette insoutenable, et le contraignant à un ajustement budgétaire rapide et douloureux.
Il convient donc de faire preuve de vigilance. Le refus par le Parlement d'un effort d'ajustement significatif, a fortiori l'adoption de mesures de nature à creuser encore les déficits, pourrait susciter une perte de confiance des marchés, qui pourrait être aggravée si elle se doublait d'une crise politique entre États membres de la zone euro.
* 7 Les autres pays concernés par une procédure de déficit excessif sont, au sein de la zone euro, l'Italie (qui, avec un déficit de 7,4 points de PIB en 2023, est le seul État de la zone euro à avoir eu un déficit supérieur à celui de la France), la Belgique, Malte et la Slovaquie.
* 8 En anglais, « National Medium-Term Fiscal-Structural Plans » (MTP).
* 9 Les « dépenses nettes » sont en effet définies comme « les dépenses publiques, déduction faite des dépenses d'intérêts, des mesures discrétionnaires en matière de recettes, des dépenses relatives aux programmes de l'Union entièrement compensées par des recettes provenant de fonds de l'Union, des dépenses nationales de cofinancement des programmes financés par l'Union, des éléments cycliques des dépenses liées aux indemnités de chômage et des mesures ponctuelles et autres mesures temporaires ».
* 10 L'effort structurel est une notion introduite par le ministère du budget au sujet du projet de loi de finances pour 2004. Il s'agit de l'évolution du solde structurel, corrigée de l'évolution spontanée du ratio recettes/PIB (découlant des fluctuations spontanées de l'élasticité des recettes au PIB). Concrètement, il se définit comme la somme (en points de PIB) de la diminution du ratio dépenses/PIB potentiel et des mesures nouvelles sur les recettes.
* 11 Le volet préventif a pour base juridique l'article 121 du traité sur le fonctionnement de l'Union européenne (TFUE), relatif à la coordination des politiques économiques.
* 12 Le volet correctif a pour base juridique l'article 126 du TFUE, relatif aux déficits excessifs.
* 13 Règlement (UE) 2024/1263 du Parlement européen et du Conseil du 29 avril 2024 relatif à la coordination efficace des politiques économiques et à la surveillance budgétaire multilatérale et abrogeant le règlement (CE) n° 1466/97 du Conseil (volet préventif) ; règlement visant à accélérer et à clarifier la mise en oeuvre de la procédure concernant les déficits excessifs et règlement (UE) 2024/1264 du Conseil du 29 avril 2024 modifiant le règlement (CE) n° 1467/97 visant à accélérer et à clarifier la mise en oeuvre de la procédure concernant les déficits excessifs (volet correctif).
* 14 L'État membre doit s'engager à mettre en oeuvre « un ensemble pertinent de réformes et d'investissements » se conformant à certains critères en matière de croissance potentielle, de viabilité budgétaire, de réponses aux priorités communes de l'Union de respect des recommandations, de niveau d'investissement public.
* 15 Les « dépenses nettes » sont en effet définies comme « les dépenses publiques, déduction faite des dépenses d'intérêts, des mesures discrétionnaires en matière de recettes, des dépenses relatives aux programmes de l'Union entièrement compensées par des recettes provenant de fonds de l'Union, des dépenses nationales de cofinancement des programmes financés par l'Union, des éléments cycliques des dépenses liées aux indemnités de chômage et des mesures ponctuelles et autres mesures temporaires ».
* 16 L'effort structurel est une notion introduite par le ministère du budget au sujet du projet de loi de finances pour 2004. Il s'agit de l'évolution du solde structurel, corrigée de l'évolution spontanée du ratio recettes/PIB (découlant des fluctuations spontanées de l'élasticité des recettes au PIB). Concrètement, il se définit comme la somme (en points de PIB) de la diminution du ratio dépenses/PIB potentiel et des mesures nouvelles sur les recettes.
* 17 Il faut que l'État membre « explique comment il garantira la réalisation des réformes et des investissements répondant aux principaux défis relevés dans le cadre du Semestre européen, en particulier dans les recommandations par pays, et comment il répondra aux priorités communes fixées dans le règlement (UE) 2024/1263, conformément à l'objectif consistant à réaliser une transition écologique et numérique et à renforcer les capacités de défense ».
* 18 Comme la présidente de l'Assemblée nationale l'a souligné en séance publique le 21 octobre 2024, au début du débat d'orientation et de programmation des finances publiques (le Gouvernement n'ayant transmis le projet de PSMT que la veille, soit le dimanche 20 octobre).
* 19 On peut rappeler à cet égard que le Transmission Protection Instrument (TPI) mis en place en 2022, qui permet à la BCE d'acheter sur le marché secondaire des obligations d'États membres, a pour objet de « lutter contre une dynamique de marché injustifiée, désordonnée qui représente une menace grave pour la transmission de la politique monétaire au sein de la zone euro ». Pour être éligible, un État membre doit mettre en oeuvre « des politiques budgétaire et macroéconomique saines et soutenables », ce qui implique « le respect du cadre budgétaire de l'UE » (notamment « ne pas faire l'objet d'une procédure de déficit excessif ») et « la soutenabilité budgétaire » (BCE, communiqué de presse du 22 juillet 2022).