III. DE SÉRIEUSES INTERROGATIONS QUANT À LA CAPACITÉ DE LA PROPOSITION DE LOI CONSTITUTIONNELLE À ATTEINDRE LES OBJECTIFS ÉNONCÉS

La constitutionnalisation de la Charte doit permettre, selon l'exposé des motifs, de s'affranchir d'une doctrine de l'Union européenne accusée de libéralisme « autoritaire » et de préserver les services publics d'une inflation normative nuisant à leur qualité. La commission a toutefois exprimé ses doutes quant à la capacité du texte proposé à atteindre de telles fins.

En effet, premièrement, la constitutionnalisation d'une norme ou d'un principe ne permet pas à ce dernier de s'extraire du respect du droit communautaire, en vertu de la primauté du droit européen, reconnue tant par le juge français qu'européen. Du reste, rien n'indique que le cadre juridique de l'Union européenne nuise réellement à la qualité des services publics. S'il est vrai que l'Union européenne impose une conformité des services d'intérêt économique général aux principes de concurrence, notamment en vertu de l'article 14 du traité sur le fonctionnement de l'Union européenne (TFUE), des limites ont été admises à ce principe afin de permettre aux services « d'accomplir en droit ou en fait la mission particulière qui leur a été impartie ». Le Protocole n° 26 au TFUE exclut d'ailleurs les services non économiques d'intérêt général de l'application de ce principe de concurrence.

La quête constante d'amélioration de la qualité des services publics, à laquelle est attachée la commission, ne semble donc pas nécessiter une remise en cause de la conciliation du droit interne avec le droit de l'UE.

Deuxièmement, alors que la proposition de loi entend limiter l'inflation normative pesant sur les services publics, le contenu de la Charte, davantage politique que juridique, et souvent imprécis, risque, d'une part, de rendre nécessaire une déclinaison législative ou réglementaire des principes et des normes de gestion créées et, d'autre part, d'aboutir à une multiplication des contentieux. Elle contribuerait donc directement à la complexification administrative et juridique qui mine la réactivité des services publics et que déplorent régulièrement les collectivités comme les citoyens.

La volonté de recourir à une réforme constitutionnelle pour protéger les services publics interroge d'autant plus que ces derniers font déjà l'objet de garanties de niveau constitutionnel, le Conseil constitutionnel ayant consacré comme « exigences constitutionnelles propres au service public » les principes d'égalité1(*), de continuité2(*) et de neutralité3(*). L'ajout de certains principes affiliés, comme la proximité ou l'accessibilité, apparait donc superfétatoire, contraire à l'intelligibilité du droit et propice à la multiplication du contentieux.


* 1 Décision du Conseil constitutionnel n° 2001-446 DC IVG du 27 juin 2001.

* 2 Décision du Conseil constitutionnel n° 79-105 DC du 25 juillet 1979.

* 3 Décision du Conseil constitutionnel n° 86-217 DC du 18 septembre 1986.

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