B. LE PROTOCOLE ANNEXÉ À LA CONVENTION DU 20 MARS 2018 PRÉVOIT UN FORFAIT DE TÉLÉTRAVAIL PERMETTANT UNE IMPOSITION DANS L'ÉTAT D'EXERCICE DE L'ACTIVITÉ
La distinction entre travailleur frontalier et travailleur transfrontalier
Le droit fiscal international opère une distinction entre les travailleurs frontaliers, d'une part, et les travailleurs transfrontaliers, d'autre part. Cette distinction se retrouve dans les conventions fiscales conclues par la France et dans la doctrine fiscale française.
Au sens strict, un travailleur frontalier est un contribuable qui relève du statut de frontalier, défini par voie conventionnelle entre deux États. Schématiquement, un travailleur frontalier est un salarié qui a son foyer permanent d'habitation dans la zone frontalière d'un État contractant, exerce son activité professionnelle dans la zone frontalière de l'autre État contractant et retourne normalement chaque jour dans le premier État.
La définition de la zone frontalière varie selon les conventions. Dans le cas de la convention fiscale franco-italienne du 5 octobre 19892(*), la zone frontalière est constituée des régions d'Italie et des départements de France limitrophes de la frontière. La convention fiscale franco-espagnole3(*) précise, quant à elle, que la zone frontalière correspond à une profondeur de 20 kilomètres situés de part et d'autre de la frontière.
La définition d'un statut de frontalier au sein d'une convention fiscale permet aux États parties de déroger aux standards du droit fiscal international. Ce dernier prévoit un principe d'imposition dans l'État d'exercice de l'activité. Le modèle de convention de l'OCDE prévoit, par principe, l'imposition dans l'État d'exercice de l'activité des rémunérations perçues par les salariés résidant dans un État et exerçant leur activité professionnelle dans un autre État (article 15 du modèle).
Les conventions fiscales bilatérales conclues par la France avec l'Allemagne4(*), l'Espagne, l'Italie et la Suisse5(*) (hors canton de Genève6(*)), prévoient un régime frontalier. Ces différents régimes prévoient tous un principe d'imposition dans l'État de résidence des salaires des travailleurs frontaliers, sous réserve de ne pas dépasser un seuil de jours en-dehors de la zone frontalière. Les conventions franco-suisse et franco-allemande prévoient une compensation par l'État de résidence d'une partie des pertes fiscales de l'État d'exercice de l'activité.
Dans le cas de la Belgique, la convention du 10 mars 1964 prévoyait également un régime frontalier. À la demande de la Belgique, il a été supprimé par l'avenant du 12 décembre 2008. Un régime transitoire est néanmoins prévu pour les résidents de France travaillant en Belgique jusqu'en 2030.
Un travailleur transfrontalier est un contribuable résident d'un État qui traverse la frontière pour exercer une activité professionnelle dans un autre État, frontalier de la France. Le travailleur transfrontalier ne bénéficie pas du régime de frontalier. En particulier, en l'absence d'un tel régime, la règle d'imposition des revenus dans l'État d'exercice de l'activité s'applique.
Les travailleurs transfrontaliers peuvent être soit des contribuables qui ne remplissent pas les conditions pour bénéficier du régime frontalier prévu par la convention bilatérale avec l'État d'exercice de leur activité, notamment la condition de résidence dans la zone frontalière, soit des contribuables exerçant leur activité dans un État dont la convention bilatérale avec la France ne prévoit pas de régime frontalier.
L'absence de régime frontalier au sein d'une convention fiscale bilatérale ne fait pas obstacle à ce que les États contractants insèrent dans la convention des dispositions spécifiques relatives au travail transfrontalier.
Source : commission des finances
1. Le paragraphe 3 du protocole annexé à la convention du 20 mars 2018 prévoit un forfait de 29 jours de télétravail au cours duquel s'applique le principe d'imposition dans l'État d'exercice de l'activité
Le paragraphe 1 de l'article 14 de la convention du 20 mars 2018 pose le principe d'imposition exclusive des revenus d'emploi dans l'État d'exercice de l'activité. Cet article couvre les salaires, traitements et autres rémunérations similaires.
Comparaison des conventions bilatérales conclus avec des États frontaliers de la France selon le régime fiscal des frontaliers et des transfrontaliers
Régime fiscal des travailleurs frontaliers et transfrontaliers |
État concerné |
Imposition dans l'État d'exercice de l'activité |
Andorre, Belgique (depuis 2012), canton de Genève, Luxembourg |
Imposition dans l'État de résidence, avec compensation de l'État d'exercice de l'activité |
Allemagne, Suisse (hors canton de Genève) |
Imposition dans l'État de résidence, sans compensation de l'État d'exercice de l'activité |
Italie, Espagne, Monaco |
Note : le canton de Genève verse une compensation financière au profit des départements de l'Ain et de la Haute-Savoie aux fins de dédommager ces derniers des infrastructures et services publics à hauteur de 3,5 % des rémunérations brutes perçues par les salariés concernés.
Source : commission des finances
Néanmoins, lors de la négociation de la convention de 2018, le Luxembourg a obtenu l'insertion dans le protocole annexe d'une clause relative au régime d'imposition des télétravailleurs.
Le paragraphe 3 du protocole stipule que, pour l'application du paragraphe 1 de l'article 14 : « un résident d'un État contractant qui exerce un emploi dans l'autre État contractant et qui, au cours d'une période imposable, est physiquement présent dans le premier État et/ou dans un État tiers pour y exercer un emploi durant une ou des périodes n'excédant pas au total 29 jours, est considéré comme exerçant effectivement son emploi dans l'autre État durant toute la période imposable ». Cette stipulation permet de considérer l'État de source des revenus comme l'État d'exercice de l'activité.
Cette clause vise les travailleurs transfrontaliers télétravaillant dans leur État de résidence. Elle est exclusivement de nature fiscale. Lorsqu'ils télétravaillent moins de 30 jours par an dans leur État de résidence, les transfrontaliers continueront d'être imposés dans l'État d'exercice de leur activité. Lorsqu'ils dépassent ce seuil conventionnel, les travailleurs transfrontaliers sont imposés dans leur État de résidence.
Trois raisons ont pu justifier l'inclusion d'une telle clause dans la convention franco-luxembourgeoise :
- d'abord, en l'absence de régime frontalier entre la France et le Luxembourg, la règle de droit international d'imposition dans l'État d'exercice de l'activité s'applique ;
- ensuite, la nature des emplois concernés se prête au télétravail. Environ 53 % des emplois exercés par des transfrontaliers au Luxembourg sont télétravaillables7(*) ;
- enfin, le Luxembourg a pu s'appuyer, au cours des négociations, sur l'existence de clauses similaires dans les conventions fiscales bilatérales conclues avec les autres États frontaliers du Grand-Duché. Les conventions fiscales entre le Luxembourg et l'Allemagne et entre le Luxembourg et la Belgique prévoient ainsi des durées maximales respectives de 19 et 24 jours de télétravail au cours desquelles s'applique le principe d'imposition dans l'État d'exercice de l'activité.
2. Les modalités d'application du protocole ont été précisées par un accord amiable entre les autorités compétentes françaises et luxembourgeoises
Afin de préciser l'application du paragraphe 3 du protocole annexé à la convention, les gouvernements français et luxembourgeois se sont accordés sur ses modalités de mise en oeuvre par le biais d'un accord amiable en date du 16 juillet 2020.
En premier lieu, l'accord amiable précise le mode de décompte des 29 jours de télétravail.
D'une part, il prévoit un principe général de prise en considération des « jours où le salarié est physiquement présent dans l'État de sa résidence et/ou dans un État tiers pour y exercer son emploi ». Chaque fraction de journée est comptabilisée comme un jour plein dans le décompte des 29 jours autorisés et les journées de formation y sont également intégrées.
D'autre part, cet accord précise la méthode de décompte dans certaines hypothèses particulières, ainsi :
- en cas d'activité à temps partiel ou d'activité exercée pendant une partie de l'année, le seuil de 29 jours est réduit proportionnellement en fonction du temps de travail prévu au contrat de travail ou de la durée du contrat ;
- en cas d'activité exercée au cours d'une même année dans le cadre de plusieurs contrats de travail distincts, le seuil de 29 jours est apprécié de façon annuelle et globale.
À l'inverse, ne sont pas pris en compte dans le décompte du forfait de 29 jours, les jours pendant lesquels la présence physique du salarié dans son État de résidence ou dans un État tiers n'est pas justifiée par l'exercice de cette activité. Les jours de congé, jours de repos hebdomadaires, jours fériés, jours d'incapacité de travail pour cause de maladie ou cas de force majeure ne sont donc pas comptabilisés.
En deuxième lieu, l'accord amiable indique les principes d'imposition de la rémunération en cas de dépassement de la limite des 29 jours. Dans cette dernière hypothèse, le contribuable perd le bénéfice du paragraphe 3 du protocole de la convention du 20 mars 2018. Conformément au paragraphe 1 de l'article 14 de la convention, l'État de résidence récupère le droit d'imposer la rémunération reçue au titre d'un emploi salarié à compter du premier jour et à hauteur du temps où le salarié a été effectivement présent dans son État de résidence ou dans un État tiers afin d'y exercer cet emploi.
En troisième lieu, l'accord stipule que, pour bénéficier du dispositif prévu au paragraphe 3 du protocole, il appartient au contribuable résident d'un État contractant d'apporter les éléments de preuve permettant d'attester de sa présence physique sur le territoire de l'autre État contractant.
Ces éléments peuvent notamment comprendre un contrat de travail ou une attestation de l'employeur, des feuilles nominatives de pointage des heures de travail, des documents de transport nominatifs, des factures nominatives en rapport avec des frais de séjour, des documents relatifs à des achats ou frais de restauration, des listes de présence émargées à des réunions ou des formations ou des ordres de mission nominatifs.
À la connaissance du rapporteur, le respect de la limite des 29 jours ne fait actuellement l'objet d'aucun contrôle spécifique. Les revenus déclarés par les travailleurs transfrontaliers sont contrôlés par les services fiscaux des territoires concernés comme pour l'ensemble des autres contribuables.
Par ailleurs, du fait de la crise sanitaire, l'accord amiable du 16 juillet 2020 indique que les jours télétravaillés de janvier à juin 2020 ont fait l'objet d'une neutralisation pour le décompte de la période de 29 jours. Cet accord avait été prolongé à deux reprises les 27 août et 7 décembre 2020, jusqu'au 30 juin 2022, compte tenu du caractère de cas de force majeure que constituait la crise sanitaire.
Dans le contexte de la crise sanitaire, la France a conclu des accords similaires avec l'Allemagne8(*), la Belgique9(*), l'Italie et la Suisse10(*). S'agissant de la Belgique et de la Suisse, les accords amiables passées avec la France stipulaient que les jours de travail à domicile en raison des mesures de restriction prises pour lutter contre les effets de la crise sanitaire ne sont pas pris en considération dans le décompte des seuils de télétravail. S'agissant de l'Allemagne, l'accord amiable se borne à rappeler les règles fixées par un précédent accord amiable du 16 février 2006, prévoyant que les jours de télétravail sont réputés effectués dans la zone frontalière. Ces accords prévoient également des mesures de neutralisation en faveur des travailleurs transfrontaliers.
* 2 Convention entre le Gouvernement de la République française et le Gouvernement de la République italienne en vue d'éviter les doubles impositions en matière d'impôts sur le revenu et sur la fortune et de prévenir l'évasion et la fraude fiscales signée le 5 octobre 1989.
* 3 Convention entre la République française et le Royaume d'Espagne en vue d'éviter les doubles impositions et de prévenir l'évasion et la fraude fiscales en matière d'impôts sur le revenu et sur la fortune signée le 10 octobre 1995.
* 4 Convention entre la République française et République fédérale d'Allemagne en vue d'éviter les doubles impositions et d'établir des règles d'assistance administrative et juridique réciproque en matière d'impôts sur le revenu et sur la fortune ainsi qu'en matière de contributions des patentes et de contributions foncières signée le 21 juillet 1959.
* 5 Accord entre le Gouvernement de la République française et le Conseil fédéral suisse du 11 avril 1983.
* 6 Sont couverts par l'accord du 11 avril 1983 les cantons de Berne, Soleure, Bâle-Ville, Bâle-Campagne, Vaud, Valais, Neufchâtel et Jura.
* 7 Jonathan I. DINGLE et Brent NEIMAN, How Many Jobs Can be Done at Home, Becker Friedman Institute for Economics at the University of Chicago, June 2020.
* 8 Accord du 13 mai 2020 entre la France et l'Allemagne.
* 9 Accord du 13 mai 2020 entre la France et la Belgique.
* 10 Accord du 13 mai 2020 entre la France et la Suisse.