EXPOSÉ GÉNÉRAL
I. LA CONVENTION DU 20 MARS 2018 A RÉNOVÉ LES RELATIONS FISCALES ENTRE LA FRANCE ET LE LUXEMBOURG ET PRÉVOIT UN RÉGIME SPÉCIFIQUE D'IMPOSITION DES TÉLÉTRAVAILLEURS
A. LA CONVENTION DU 20 MARS 2018 A PERMIS DE MODERNISER LE CADRE DE LA RELATION FISCALE ENTRE LES DEUX ÉTATS, EN DÉPIT DE DIFFICULTÉS D'APPLICATION
1. La convention fiscale du 20 mars 2018 a renouvelé les relations fiscales entre la France et le Luxembourg
Les relations fiscales bilatérales franco-luxembourgeoises sont actuellement régies par la convention du 20 mars 2018 entre le Gouvernement de la République française et le Gouvernement du Grand-Duché de Luxembourg en vue d'éviter les doubles impositions et de prévenir l'évasion et la fraude fiscales en matière d'impôts sur le revenu et la fortune, approuvée par la loi n° 2019-130 du 25 février 2019.
Cette nouvelle convention bilatérale est venue remplacer la convention du 1er avril 1958, modifiée à quatre reprises, qui liait jusqu'alors les deux États en matière fiscale. La modernisation des relations bilatérales était attendue et nécessaire, pour tenir compte notamment des dernières avancées de l'Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE) en matière d'échange d'informations et de lutte contre la fraude et l'évasion fiscales. Elle poursuivait le triple objectif d'éviter les doubles impositions, d'accroître la sécurité juridique des opérateurs des deux pays et de renforcer les moyens de lutte contre la fraude et l'évasion fiscales.
S'inscrivant dans un contexte fiscal international rénové, la convention de 2018 tient compte des derniers standards définis dans le cadre des travaux BEPS (Base Erosion and Profit Shifting) conduits à partir de 2013 par l'OCDE, dont la convention multilatérale (CML) est l'aboutissement.
Dans le cadre des négociations, le Luxembourg a fait droit à plusieurs demandes de la France, parmi lesquelles :
- une clause anti-abus générale contre les montages ayant un objectif principalement fiscal (clause dite « Principal Purpose Test ») ;
- une définition de la résidence fiscale conforme à la pratique conventionnelle française visant à éliminer les situations de double exonération ;
- l'introduction d'une définition rénovée de l'établissement stable, conforme aux standards du projet BEPS, permettant de considérer comme étant un établissement stable toute personne qui agit exclusivement ou quasi-exclusivement pour le compte d'une entreprise à laquelle cette personne est étroitement liée sans que des arrangements de pure forme, tels que les schémas de commissionnaire, n'interdisent une telle qualification ;
- des avancées en matière de fiscalité immobilière, notamment la définition des dividendes ou de l'imposition des plus-values portant sur des titres de sociétés à prépondérance immobilière lorsqu'elles sont réalisées par des personnes domiciliées à l'étranger.
En contrepartie, le Luxembourg a obtenu plusieurs concessions. D'une part, la convention prévoit le maintien du principe de l'imposition par le pays source, présent dans la précédente convention, par opposition à l'imposition sur le lieu de résidence généralement privilégié par la France. D'autre part, elle précise que les travailleurs transfrontaliers qui ont recours au télétravail dans leur État de résidence sont soumis à l'impôt sur le revenu au titre de cette période télétravaillée dans l'État d'exercice de leur activité, dès lors que la période de télétravail est inférieure à 30 jours sur un an.
En outre, les deux parties se sont accordées pour retenir la méthode dite de l'imputation (ou du crédit d'impôt) afin d'éliminer les doubles impositions. Selon la rédaction de la convention antérieure à l'avenant du 10 octobre 2019, l'administration fiscale française octroie au résident un crédit d'impôt égal à l'impôt français pour les revenus dont l'imposition est exclusivement réservée au Luxembourg (a du 1 de l'article 22 de la convention de 2018) et un crédit d'impôt égal à l'impôt payé au Luxembourg, mais limité au montant de l'impôt français, pour les revenus dont l'imposition est partagée entre les deux États (b du 1 de l'article 22 de la convention de 2018).
Les méthodes d'élimination des
doubles impositions
selon le modèle de convention fiscale de
l'OCDE
Le modèle de convention fiscale de l'OCDE concernant le revenu et la fortune propose deux méthodes pour éliminer les doubles impositions :
- la méthode dite d'exonération ou d'exemption (article 23 A du modèle). Si le résident de l'État A perçoit ou possède des revenus imposables dans l'État B, l'État A exempte d'impôt ces revenus. Il peut toutefois les prendre en compte pour déterminer le montant de l'impôt à percevoir sur le reste des revenus ;
- la méthode d'imputation, via une déduction d'impôt (article 23 B du modèle). Si le résident de l'État A perçoit ou possède des revenus imposables dans l'État B, l'État A accorde, sur l'impôt qu'il perçoit du contribuable et calculé sur la base du montant total des revenus, une déduction d'un montant égal à l'impôt sur le revenu payé dans l'État B.
Source : commission des finances
2. En raison de contestations émises par les travailleurs transfrontaliers, un avenant du 10 octobre 2019 a précisé la rédaction de la convention sur la méthode d'élimination des doubles impositions
La rédaction initiale de l'article 22 de la convention du 20 mars 2018 a soulevé des inquiétudes parmi les travailleurs transfrontaliers. En effet, il n'était pas certain que ces derniers puissent bénéficier du crédit d'impôt égal au montant de l'impôt français pour les revenus seulement imposables au Luxembourg, comme le prévoyait le b du 1 de l'article 22.
La convention laissait ainsi ouverte la possibilité pour la France d'imposer le différentiel entre l'impôt effectivement acquitté au Luxembourg et le montant théoriquement dû en France après l'application des règles d'imposition françaises. Sans constituer une double imposition, cette possibilité aurait conduit les travailleurs transfrontaliers à être imposés dans un second temps sur cette différence par l'administration fiscale en France.
Cette inquiétude s'est trouvée renforcée par l'entrée en vigueur au 1er janvier 2017 d'une réforme de l'impôt sur le revenu luxembourgeois favorable aux ménages percevant des revenus modestes. Cette réforme a accentué le différentiel de fiscalité entre les deux États.
Pour remédier à cette incertitude, la convention du 20 mars 2018 a été modifiée par un avenant du 10 octobre 2019, dont l'approbation a été autorisée par la loi n° 2021-68 du 27 janvier 2021. L'avenant a réécrit le paragraphe 1 de l'article 22 de la convention, relatif à l'élimination des doubles impositions par la France (la partie relative à l'élimination des doubles impositions par le Luxembourg demeurant inchangée), et clarifie les règles d'imposition par catégorie de revenus et de contribuables. Il stipule que les doubles impositions en matière de revenus d'emploi et immobilier sont éliminées par l'octroi d'un crédit d'impôt égal au montant de l'impôt français (et non plus luxembourgeois) correspondant à ces revenus. Cette rédaction est d'un effet équivalent à la méthode de l'exemption.
L'avenant a ainsi permis de s'assurer que le principe selon lequel les revenus d'emploi ne sont imposés que dans l'État où se déroule cet emploi était bien respecté, tout comme le principe d'imposition des revenus immobiliers par l'État dans lequel se situent ces biens.
Outre cette nouvelle rédaction issue de l'avenant du 10 octobre 2019, l'administration fiscale française admet, depuis le 1er octobre 2021, que les résidents de France percevant certains revenus de source luxembourgeoise peuvent exceptionnellement solliciter, pour l'imposition de leurs revenus 2020 à 2022, l'application des stipulations de la convention fiscale de 1958 relatives à l'élimination de la double imposition. Ils peuvent donc bénéficier de la méthode dite de l'exemption. Initialement limitée aux revenus des années 2020 et 2021, cette mesure de tolérance a été étendue aux revenus de 20221(*).
Selon les réponses au questionnaire du rapporteur, cette mesure de tolérance sera, de nouveau et pour la dernière fois, applicable aux revenus perçus en 2023.
* 1 BOFIP - INT - Convention fiscale entre la France et le Luxembourg - Dispositions diverses (BOI-INT-CVB-LUX-30).