N° 381

SÉNAT

SESSION ORDINAIRE DE 2023-2024

Enregistré à la Présidence du Sénat le 6 mars 2024

RAPPORT

FAIT

au nom de la commission des finances (1) sur le projet de loi autorisant l'approbation de l'avenant à la convention entre le Gouvernement de la République française et le Gouvernement du Grand-duché de Luxembourg en vue d'éviter les doubles impositions et de prévenir l'évasion et la fraude fiscales en matière d'impôts sur le revenu et la fortune (procédure accélérée),

Par M. Jean-Marie MIZZON,

Sénateur

(1) Cette commission est composée de : M. Claude Raynal, président ; M. Jean-François Husson, rapporteur général ; MM. Bruno Belin, Christian Bilhac, Jean-Baptiste Blanc, Emmanuel Capus, Thierry Cozic, Bernard Delcros, Thomas Dossus, Albéric de Montgolfier, Didier Rambaud, Stéphane Sautarel, Pascal Savoldelli, vice-présidents ; M. Michel Canévet, Mmes Marie-Claire Carrère-Gée, Frédérique Espagnac, M. Marc Laménie, secrétaires ; MM. Arnaud Bazin, Grégory Blanc, Mme Florence Blatrix Contat, M. Éric Bocquet, Mme Isabelle Briquet, M. Vincent Capo-Canellas, Mme Marie-Carole Ciuntu, MM. Raphaël Daubet, Vincent Delahaye, Vincent Éblé, Rémi Féraud, Mme Nathalie Goulet, MM. Jean-Raymond Hugonet, Éric Jeansannetas, Christian Klinger, Mme Christine Lavarde, MM. Antoine Lefèvre, Dominique de Legge, Victorin Lurel, Hervé Maurey, Jean-Marie Mizzon, Claude Nougein, Olivier Paccaud, Mme Vanina Paoli-Gagin, MM. Georges Patient, Jean-François Rapin, Teva Rohfritsch, Mme Ghislaine Senée, MM. Laurent Somon, Christopher Szczurek, Mme Sylvie Vermeillet, M. Jean Pierre Vogel.

Voir les numéros :

Sénat :

255 et 382 (2023-2024)

L'ESSENTIEL

Réunie le 6 mars 2024, sous la présidence de M. Claude Raynal, la commission des finances a examiné le rapport de M. Jean-Marie Mizzon sur le projet de loi n° 255 (2023-2024) autorisant l'approbation de l'avenant à la convention entre le Gouvernement de la République française et le Gouvernement du Grand-duché de Luxembourg en vue d'éviter les doubles impositions et de prévenir l'évasion et la fraude fiscales en matière d'impôts sur le revenu et la fortune. Le Sénat est la première assemblée saisie de ce projet de loi.

I. LA CONVENTION FISCALE ENTRE LA FRANCE ET LE LUXEMBOURG

À titre liminaire, il importe de préciser que la convention entre la France et le Luxembourg ne prévoyant pas de régime frontalier, les contribuables concernées relèvent de la catégorie des transfrontaliers. En effet, le statut de frontalier attribué à un contribuable est défini par voie conventionnelle entre deux États. Le droit fiscal international opère cette distinction entre les travailleurs frontaliers, d'une part, et les travailleurs transfrontaliers, d'autre part, qui se retrouve dans les conventions fiscales conclues par la France et dans la doctrine fiscale française.

A. LA CONVENTION BILATÉRALE DU 20 MARS 2018 A PERMIS DE MODERNISER LES RELATIONS FISCALES FRANCO-LUXEMBOURGEOISES

Les relations fiscales bilatérales franco-luxembourgeoises sont actuellement régies par la convention du 20 mars 2018. Cette nouvelle convention bilatérale est venue remplacer celle du 1er avril 1958, modifiée à quatre reprises, qui liait jusqu'alors les deux États en matière fiscale. La modernisation des relations bilatérales était attendue et nécessaire, pour tenir compte notamment des dernières avancées de l'Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE).

Cette convention intègre les derniers standards du modèle OCDE, notamment une clause modernisée de l'établissement stable, une définition modernisée de la résidence fiscale et une clause anti-abus générale.

Toutefois, en raison de contestations émises par les travailleurs transfrontaliers, un avenant en date du 10 octobre 2019 a précisé la rédaction de la convention de 2018 sur la méthode d'élimination des doubles impositions. La rédaction initiale de la convention laissait ouverte la possibilité pour la France d'imposer le différentiel entre l'impôt effectivement acquitté au Luxembourg et le montant théoriquement dû en France après l'application des règles d'imposition françaises. Sans constituer une double imposition, cette possibilité aurait conduit les travailleurs transfrontaliers à être imposés dans un second temps sur cette différence par l'administration fiscale en France.

B. LE PROTOCOLE ANNEXÉ À LA CONVENTION PRÉVOIT UN FORFAIT DE TÉLÉTRAVAIL PERMETTANT UNE IMPOSITION DANS L'ÉTAT D'EXERCICE DE L'ACTIVITÉ

Lors de la négociation de la convention de 2018, le Luxembourg a obtenu l'insertion dans le protocole annexe d'une clause relative au régime d'imposition des télétravailleurs.

Le paragraphe 3 du protocole annexé à la convention prévoit que, lorsqu'ils télétravaillent moins de 29 jours par an dans leur État de résidence, les transfrontaliers continueront d'être imposés dans l'État d'exercice de leur activité. Lorsqu'ils dépassent ce seuil conventionnel, les travailleurs transfrontaliers sont imposés dans leur État de résidence.

Cette clause est exclusivement de nature fiscale et ne limite en rien le télétravail des transfrontaliers à 29 jours. Toutefois, au-delà de ce seuil, le partage d'imposition qui découle de ce dépassement entraîne un double prélèvement à la source assis sur deux assiettes distinctes, l'un pour l'impôt dû au Luxembourg et l'autre pour l'impôt dû en France.

Afin de préciser l'application du paragraphe 3 du protocole annexé à la convention, les gouvernements français et luxembourgeois se sont accordés sur ses modalités de mise en oeuvre par le biais d'un accord amiable en date du 16 juillet 2020.

Cet accord précise le mode de décompte des 29 jours de télétravail. Il indique les principes d'imposition de la rémunération en cas de dépassement de la limite des 29 jours et stipule que, pour bénéficier du dispositif prévu au paragraphe 3 du protocole, il appartient au contribuable résident d'un État contractant d'apporter les éléments de preuve permettant d'attester de sa présence physique sur le territoire de l'autre État contractant.

À la connaissance du rapporteur, le respect de la limite des 29 jours ne fait actuellement l'objet d'aucun contrôle spécifique.

Comparaison des conventions bilatérales
conclues avec des États frontaliers de la France

Régime fiscal des travailleurs frontaliers et transfrontaliers

État concerné

Imposition dans l'État d'exercice de l'activité

Andorre, Belgique (depuis 2012), canton de Genève, Luxembourg

Imposition dans l'État de résidence, avec compensation de l'État d'exercice de l'activité

Allemagne, Suisse (hors canton de Genève)

Imposition dans l'État de résidence, sans compensation de l'État d'exercice de l'activité

Italie, Espagne, Monaco

Note : le canton de Genève verse une compensation financière au profit des départements de l'Ain et de la Haute-Savoie aux fins de dédommager ces derniers des infrastructures et services publics à hauteur de 3,5 % des rémunérations brutes perçues par les salariés concernés.

Source : commission des finances

II. UN AVENANT QUI VIENT ASSOUPLIR LA FACULTÉ POUR LES TRANSFRONTALIERS DE TÉLÉTRAVAILLER

A. L'AVENANT ALLONGE LA DURÉE DU FORFAIT DE TÉLÉTRAVAIL ET ÉTEND SON APPLICATION À CERTAINS CONTRIBUABLES PERCEVANT DES RÉMUNÉRATIONS PUBLIQUES

Dans le contexte de sortie de la crise sanitaire, la France et le Luxembourg se sont accordés sur un relèvement du forfait de télétravail de 29 à 34 jours.

Cet accord politique s'est traduit par la négociation et la signature le 7 novembre 2022 d'un avenant à la convention fiscale du 20 mars 2018.

L'article 1er de l'avenant étend la durée du forfait de télétravail de 29 à 34 jours. Désormais, le seuil de 34 jours conditionne le régime d'imposition des contribuables en télétravail. En-deçà des 34 jours, le contribuable est réputé exercer son activité dans l'État de son employeur et continue d'être imposé dans l'État d'exercice de l'activité. Au-delà des 34 jours de télétravail, le principe d'imposition dans l'État de résidence s'applique dès le premier jour de télétravail.

Le choix du nombre de 34 jours s'inscrit en cohérence avec la politique conventionnelle du Grand-Duché. Ce dernier a récemment renégocié les conventions bilatérales avec la Belgique et l'Allemagne pour élever le seuil de télétravail en-deçà duquel continue à s'appliquer le principe d'imposition dans l'État d'exercice de l'activité à 34 jours. Cette renégociation d'ensemble permet de placer les travailleurs transfrontaliers sur un pied d'égalité, quel que soit leur pays d'origine.

L'article 2 de l'avenant doit permettre aux contribuables résidents d'un État contractant et qui travaillent dans le secteur public de l'autre État contractant, de bénéficier des stipulations relatives au télétravail.

Cette clause a été intégrée dans l'avenant à la demande du Luxembourg afin d'aligner le régime des personnes employées dans le secteur public sur celui applicable dans le secteur privé. Le secteur public luxembourgeois est également largement dépendant de la main-d'oeuvre frontalière.

L'avenant prévoit enfin de compléter le paragraphe 3 du protocole annexé à la convention par une clause de revoyure. Celle-ci stipule que les États parties se rencontreront avant le 31 décembre 2024 pour déterminer les conditions qui s'appliqueront aux résidents concernés par l'avenant à compter du 1er janvier 2025. Elle prévoit l'éventualité de la conclusion d'un nouvel avenant.

B. UN AVENANT QUI OFFRE UNE FLEXIBILITÉ ACCRUE AUX TRAVAILLEURS TRANSFRONTALIERS, SANS CONSTITUER UNE RÉPONSE PÉRENNE À LA PROBLÉMATIQUE DU TÉLÉTRAVAIL DES TRANSFRONTALIERS

L'augmentation du forfait de télétravail constitue un équilibre entre la nécessité de faciliter la mobilité transfrontalière et la préservation des intérêts du Trésor.

D'une part, cette mesure de simplification administrative était souhaitée par les transfrontaliers français comme par leurs employeurs luxembourgeois. Pour rappel, au dernier trimestre 2022, près de 224 000 salariés transfrontaliers travaillaient au Luxembourg (soit 47 % du total des salariés du Luxembourg). Au sein du total des transfrontaliers, 121 000 étaient des résidents français, les deux premiers départements de résidence de ces transfrontaliers étant la Moselle et la Meurthe-et-Moselle.

D'autre part, en termes d'impact fiscal, l'entrée en vigueur de l'avenant devrait entraîner un manque à gagner pour le Trésor français. La conclusion de cet avenant revient en effet pour la France à renoncer à son droit d'imposer les activités concernées.

L'avenant du 7 novembre 2022 à la convention franco-luxembourgeoise préserve l'équilibre recherché entre simplification de la situation administrative des travailleurs transfrontaliers et protection des intérêts du Trésor public.

Pour cette raison, le rapporteur recommande l'adoption du présent projet de loi.

Cependant, compte tenu des attentes des travailleurs transfrontaliers, cet avenant apparaît comme une solution provisoire à la problématique du télétravail des transfrontaliers français. C'est pour cette raison que la France a tenu, à l'occasion de la négociation de l'avenant, l'inclusion d'une clause de revoyure afin de laisser ouverte la possibilité d'une nouvelle négociation sur cette question.

À cet égard, encourager davantage le télétravail des travailleurs transfrontaliers pourrait s'accompagner d'une compensation financière versée par le Luxembourg en contrepartie du renoncement par la France à une partie de ses recettes fiscales. Le principe d'une compensation financière viendrait contrebalancer l'imposition exclusive des revenus d'activité dans l'un des deux États, sur le modèle de l'avenant du 27 juin 2023 à la convention fiscale franco-suisse du 9 septembre 2023.

Par ailleurs, l'étude d'impact annexée au présent projet de loi apparait insuffisante. Si l'objet de l'avenant est limité à l'augmentation du seuil de télétravail et à son extension à certains contribuables percevant des rémunérations publiques, certaines données essentielles sont absentes de ce document. Le rapporteur rappelle la nécessité de renforcer la qualité des études d'impact des conventions fiscales.

La commission des finances a adopté le projet de loi sans modification.

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