EXAMEN DES ARTICLES

Article 1er
Inscription de la qualité des sols au patrimoine commun de la Nation

Cet article tend à inscrire la qualité des sols au sein du patrimoine commun de la Nation.

La commission n'a pas adopté l'article 1er.

I. La promotion du bon état des sols, un enjeu insuffisamment pris en compte par le cadre juridique actuel, qui n'appréhende pas les sols comme un milieu, à la différence de l'air et de l'eau

A. Les sols constituent une ressource fragile et non renouvelable, dont la protection contribue à la santé et à de nombreuses activités humaines

Les sols sont soumis à diverses pressions anthropiques qui peuvent altérer leur état, perturber leurs fonctions écologiques et les services écosystémiques qu'ils rendent. Ils peuvent ainsi se dégrader sous l'effet de multiples processus dynamiques, comme l'érosion, le tassement, l'imperméabilisation ou encore leur contamination. Les activités humaines peuvent engendrer une baisse de la biodiversité et une diminution de la teneur en matière organique des sols. Qui plus est, le changement climatique accélère ces processus de dégradation.

En 2011, le Groupement d'intérêt scientifique sur les sols (Gis Sol) a publié un Rapport sur l'état des sols de France, qui dresse un « état des lieux nuancé » : l'artificialisation des sols et certaines contaminations diffuses ou locales constituent des points inquiétants, mais leur fertilité chimique n'appelle pas d'« alerte générale2(*) ». Cette étude souligne cependant que des incertitudes liées au manque de données et de recul sur les évolutions récentes demeurent.

Le rapport alerte enfin quant à l'irréversibilité de nombreux dommages causés aux sols, car ceux-ci doivent être appréhendés comme des « ressources non renouvelables » : ils ne sont pas en mesure de reconstituer leurs fonctions écologiques à l'échelle d'une vie humaine.

B. La prise en compte des sols par le droit est limitée, indirecte et partielle

1. Le droit international et européen n'assure qu'une protection modeste des sols

Afin de protéger les sols, plusieurs conventions internationales ont été conclues, notamment dans le cadre de l'Organisation des Nations unies. La Charte mondiale des sols a ainsi été adoptée en novembre 1981 par les États membres de l'Organisation des Nations unies pour l'alimentation et l'agriculture (FAO), et révisée le 8 juin 2015 à l'occasion de l'année internationale des sols. Le quinzième objectif du développement durable défini par l'Organisation des Nations unies en 2015 mentionne la nécessité d'« enrayer et inverser le processus de dégradation des sols ». La protection de la qualité des sols est également au coeur de la Convention des Nations unies sur la lutte contre la désertification (CLD) du 17 juin 1994. À une échelle régionale, a été conclu le 16 octobre 1998 un protocole d'application de la convention alpine de 1991 qui inclut des éléments de protection des sols.

La plupart de ces dispositions relèvent cependant de la « soft law » ou « droit mou », au caractère impératif et à la normativité limités. En outre, comme le note le professeur Oliver Ruppel, « bien que plusieurs conventions internationales reconnaissent l'importance de la conservation des sols, il n'existe pas de cadre global et transnational »3(*).

Le droit européen spécifique aux sols est également d'une ampleur limitée et d'une portée peu contraignante.

Le Conseil de l'Europe a adopté le 30 mai 1972 la charte européenne des sols, qui a ensuite été révisée en 2003. Cette charte définit ce qu'est un sol, énonce ses fonctions et fixe des recommandations relatives à son usage et à la lutte contre son éventuelle dégradation.

En droit de l'Union européenne, le sol ne fait pas l'objet d'une législation spécifique, contrairement à l'eau, par exemple, dont une directive-cadre fixe le régime juridique commun aux États membres et des normes de qualité à atteindre. En 2006, une proposition de directive, qui tendait à définir un cadre pour la protection des sols, avait été élaborée par la Commission européenne, mais ce projet n'a pas recueilli l'accord des États membres, et a en conséquence été retiré4(*). Une quinzaine d'années plus tard, la Commission a présenté une stratégie pour la protection des sols à l'horizon 20305(*). Son objet est de « récolter les fruits de sols en bonne santé pour les êtres humains, l'alimentation, la nature et le climat ». Dans la continuation de cette stratégie, elle a présenté une proposition de directive relative à la surveillance et à la résilience des sols le 5 juillet dernier. Ce texte a pour objectif de parvenir à un bon état des sols de l'Union européenne d'ici à 2050. Il tend notamment à mettre en place un cadre commun de surveillance et d'évaluation de l'état des sols dans l'ensemble de l'Union européenne et prévoit que les États membres réalisent une évaluation périodique de la santé de leurs sols, dans le cadre de districts de gestion des sols.

2. La protection des sols est imparfaitement mise en oeuvre par le droit de l'environnement

À l'heure actuelle, les sols ne bénéficient pas d'un corpus de dispositions juridiques aussi complet que l'air et l'eau portant spécifiquement sur leur protection et la reconnaissance des fonctions qu'ils remplissent. « Par comparaison, l'eau et l'air font l'objet d'une protection large »6(*). L'air et l'atmosphère sont ainsi l'objet du titre Ier du livre II du code de l'environnement, et l'eau et les milieux aquatiques et marins, de celui du titre II du même livre.

Un titre spécifique dudit livre est également consacré aux sols, le titre IV, dont l'objet porte sur les « Sols et sous-sols ». Il n'est cependant constitué que de deux articles, qui concernent la « politique nationale de prévention et de gestion des sites et sols pollués » (art. L. 241-1) et les sondages et forages destinés à la surveillance et au prélèvement d'eau souterraine (art. L. 241-2). Il ne comprend pas de définition des sols ni de critères de qualité analogues à ceux existant pour l'eau.

En revanche, les sols sont bien mentionnés au deuxième alinéa de l'article L. 110-1 du code de l'environnement, qui en définit les principes généraux.

Le premier alinéa de cet article définit la notion de « patrimoine commun de la nation ». Cette notion a été introduite par l'article 1er de la loi du 2 février 1995 relative au renforcement de la protection de l'environnement. Ce patrimoine était alors défini comme comprenant les « espaces, ressources et milieux naturels, les sites et paysages, les espèces animales et végétales, la diversité et les équilibres biologiques auxquels ils participent ».

Cet article a pour finalité de « doter le droit de l'environnement d'un corps de principes directeurs permettant à la société civile de se saisir de la matière et de la faire vivre »7(*). Ces principes sont « destinés à inspirer l'action des pouvoirs publics »8(*).

Ce patrimoine commun de la Nation est actuellement défini comme comprenant « les espaces, ressources et milieux naturels terrestres et marins, les sons et odeurs qui les caractérisent, les sites, les paysages diurnes et nocturnes, la qualité de l'air, la qualité de l'eau, les êtres vivants et la biodiversité ».

Les sols n'y ont pas été inclus. Néanmoins, l'article 1er de la loi du 8 août 2016 pour la reconquête de la biodiversité, de la nature et des paysages a inséré un deuxième alinéa au sein de l'article L. 110-1 du code de l'environnement précisant que « les processus biologiques, les sols et la géodiversité concourent à la constitution de ce patrimoine ». Sans être inclus au sein du patrimoine commun de la Nation, les sols y participent ainsi à titre subsidiaire.

Le texte initial du Gouvernement ne contenait pas cette notion et précisait uniquement que « Les processus biologiques et la géodiversité concourent à la constitution de ce patrimoine. » C'est au cours de l'examen du texte en première lecture à l'Assemblée nationale que la mention des sols comme concourant à la constitution du patrimoine commun de la Nation a été ajoutée.

Cependant, lors des deux lectures du texte, le Sénat s'y est opposé. Le rapporteur du texte, Jérôme Bignon, n'a eu de cesse de souligner que « cette mention est inutile dans la mesure où la notion de “géodiversité” inclut déjà “les sols” »9(*). Par-delà le caractère superfétatoire du terme, son ajout posait également des questions quant à sa force normative difficilement appréhendable. Cette difficulté est encore d'actualité. Au cours de son audition, la direction générale de l'aménagement, du logement et de la nature (DGALN) a indiqué que « la jurisprudence ne permet pas d'apprécier la portée normative du I de l'article L. 110-1 du code de l'environnement ». En outre, lors des débats parlementaires de l'époque, plusieurs sénateurs avaient exprimé leur crainte que la mention des sols dans la loi puisse mener à des restrictions du droit de propriété10(*) et, notamment, à l'interdiction de certaines pratiques agricoles comme les labours11(*).

3. Un cadre normatif de protection des sols incomplet, qui s'explique par la nature transverse des sols et leur lien étroit avec le droit de propriété

Le sol est un milieu transverse, difficilement détachable des écosystèmes de surface. Cette caractéristique se manifeste au niveau normatif : il y a une « difficulté d'isoler les dispositions propres à cette composante de celles touchant les milieux naturels en surface »12(*). En outre, comme l'Ademe l'a souligné auprès du rapporteur, « le sol est un milieu moins bien connu du grand public et moins visible que les enjeux liés à l'air et l'eau ». Enfin, les sols peuvent être appréhendés selon plusieurs approches. Le sol n'est pas qu'un milieu naturel, c'est aussi un support de culture ou encore, pour le code de l'urbanisme, une surface utilisable pour des constructions et des aménagements. Le sol est également le fondement du droit de propriété. La « propriété du sol » est ainsi mentionnée à l'article 552 du code civil.

C. Les sols sont néanmoins protégés de façon partielle ou indirecte par des dispositions juridiques disparates

1. La protection de certaines zones ou sols spécifiques fait l'objet de dispositions juridiques ad hoc

Certains types de sols font l'objet de dispositions spécifiques. C'est le cas des sites et sols pollués : l'article L. 241-1 du code de l'environnement définit les principes de la politique nationale les concernant. De même, le livre IV du code forestier énonce des dispositions tendant à assurer la protection des sols de montagne contre l'érosion. Les préfets peuvent en outre définir des « zones d'érosion », assorties d'un programme d'actions afin d'en limiter l'ampleur, sur le fondement de l'article L. 114-1 du Code rural et de la pêche maritime.

2. Les dispositions relatives à la lutte contre l'artificialisation des sols tendent à limiter la consommation foncière des sols

L'article 194 de la loi du 22 août 2021 portant lutte contre le dérèglement climatique et renforcement de la résilience face à ses effets a posé les principes de la stratégie communément dénommée « Zéro artificialisation nette » : diminuer de moitié le rythme de l'artificialisation nouvelle entre 2021 et 2031 par rapport à la période 2011-2021 et atteindre à l'horizon 2050 l'objectif « ZAN » : autant ou plus de surfaces « renaturées » que de surfaces artificialisées. Ces dispositions ont pour objectif de limiter la surconsommation foncière des sols. En effet, comme l'a mis en avant la fédération nationale des syndicats d'exploitants agricoles, l'artificialisation « progresse sur les sols agricoles et empêche l'infiltration et la rétention de l'eau ». Cette approche reste toutefois comptable : le sol est soit artificialisé, soit non artificialisé, sans que ses qualités intrinsèques soient directement prises en compte.

3. La réglementation relative à protection de l'eau, des milieux et des écosystèmes assure indirectement la protection des sols

Si la nature transversale du sol a constitué un frein à l'édiction de normes le visant directement, elle a également conduit à sa protection indirecte à travers de nombreuses dispositions du droit de l'environnement ayant trait à l'eau, aux milieux et aux écosystèmes.

« En dehors de la lutte contre l'érosion, les mesures juridiques ayant un effet de protection sur les sols, dans le droit de l'urbanisme et celui de l'environnement, ont d'abord visé à protéger l'eau »13(*). À titre d'exemple, la définition impérative en application de l'article L. 1321-2 du code de la santé publique d'un « périmètre de protection immédiate » autour des points de captage d'eau potable garantit la protection des sols compris dans ce périmètre contre leur contamination par des polluants.

Par ailleurs, les dispositions relatives à la protection des milieux bénéficient, entre autres, aux sols. C'est notamment le cas de la réglementation relative aux installations classées pour la protection de l'environnement énoncée au titre Ier du livre V du code de l'environnement. De même, les évaluations environnementales et les études d'impact comprennent un volet consacré aux sols.

Enfin la Politique agricole commune (PAC) comprend des mesures de protection des sols agricoles. Les mesures agro-environnementales et climatiques (MAEC) mises en oeuvre volontairement par certains agriculteurs et les bonnes conditions agricoles et environnementales (BCAE) qui y sont définies tendent en effet à préserver la qualité des sols.

II. L'inscription de la qualité des sols au patrimoine commun de la Nation a pour objectif de leur conférer le même statut symbolique que l'air et l'eau

L'article 1er de la proposition de loi tend à inscrire la qualité des sols au sein du patrimoine commun de la Nation, défini à l'alinéa 1er de l'article L. 110-1 du code de l'environnement. Actuellement, les sols sont mentionnés parmi les éléments qui concourent à la constitution de ce patrimoine, énumérés au deuxième alinéa du même article. Cette modification placerait les sols sur un pied d'égalité avec les autres milieux : la qualité de l'eau et la qualité de l'air font en effet partie dudit patrimoine.

Cette disposition consacrerait ainsi l'intérêt que porte la société à ses sols. L'objectif d'une telle consécration des sols dans notre patrimoine commun est en effet de guider l'action des pouvoirs publics en matière de préservation des sols. Sans être directement mobilisable de façon autonome à l'occasion d'un contentieux, cette mention à valeur symbolique constituerait un moyen d'éclairer le régime juridique et la portée des différentes dispositions de protection des sols.

III. La position de la commission : une consécration essentiellement symbolique à la normativité limitée

La commission partage pleinement le constat scientifique selon lequel les sols forment un milieu précieux, fragile et menacé, dont il est nécessaire d'assurer la protection. C'est d'ailleurs la raison pour laquelle elle a organisé en décembre dernier une table ronde14(*) en présence de spécialistes des sols et du droit de l'environnement consacrée à la santé des sols et aux évolutions normatives relatives à l'occupation et aux usages des sols.

La commission ne peut donc que partager l'ambition de cet article : il est nécessaire d'assurer la préservation de la vie des sols en raison des services écosystémiques qu'ils remplissent. Toutefois, elle a considéré que l'ajout de la qualité des sols au patrimoine commun de la Nation ne permettait pas de répondre pas à cet impératif.

L'effectivité juridique d'une telle disposition est sujette à caution ; elle contribuerait en revanche à allonger la liste des composantes du patrimoine commun de la Nation, rendant plus complexe la hiérarchisation de l'action publique environnementale. La commission relève également que la protection des sols et de leur qualité peut être renforcée, sans que leur reconnaissance au titre de patrimoine commun de la Nation ne soit préalablement nécessaire.

La mention, actuellement en vigueur, selon laquelle les sols concourent à la constitution de ce patrimoine semble à la commission plus appropriée à leurs spécificités, car elle met en avant le rôle central des sols dans le bon fonctionnement des autres milieux et leur interdépendance avec les écosystèmes aquatiques, dont ils sont difficilement séparables.

La commission n'a pas adopté l'article 1er.

Article 2
Création d'un chapitre consacré à la santé des sols dans le code de l'environnement et instauration d'un diagnostic de performance écologique

Cet article tend à créer un chapitre dédié aux sols dans le code de l'environnement, au sein duquel serait :

- précisée la nature des services écosystémiques remplis par les sols ;

- créée la stratégie nationale pour la protection et la résilience des sols ;

- et instauré un diagnostic de performance écologique des sols.

Considérant que ces évolutions sont porteuses de complexité et d'un risque de contrariété avec le droit de l'Union européenne en cours d'élaboration, la commission n'a pas adopté l'article 2.

I. Le sol, un milieu physique complexe et utile à de nombreuses activités que le droit n'a pas défini

A. Le sol, un support fondamental des activités humaines réduit par le droit à sa dimension surfacique

Les sols font l'objet d'une « omniprésence silencieuse » dans les codes de l'urbanisme et de l'environnement : alors qu'ils sont au fondement des infrastructures et des constructions et qu'ils contribuent notamment à la régulation des milieux aquatiques, le droit fait paradoxalement peu de cas des sols et le législateur n'a pas pris le soin de définir avec précision et clarté ce qu'était un sol15(*).

Ainsi que l'a indiqué le professeur Benoît Grimonprez au cours de son audition, « le sol est perçu en droit comme un simple support, comme une surface abstraite, et non comme un milieu vivant. On distingue d'ailleurs le sol, fine couche superficielle, du sous-sol, avec des richesses, les mines et carrières. »

En droit, le sol revêt les caractéristiques d'une notion polysémique. La réglementation y fait référence sous diverses dénominations, qu'il s'agisse du sol, de la terre, du territoire, du fond, des tréfonds ou encore de la surface. Depuis le droit romain originel, les sols sont essentiellement appréhendés sous l'angle quasi exclusif de la propriété, dans une approche civiliste, ce qui complexifie la prise en compte de leurs externalités et des bénéfices que leurs fonctionnalités peuvent apporter à la collectivité. Le sol est principalement appréhendé pour sa fonction essentielle de support des activités économiques, qu'il s'agisse des constructions, des aménagements ou encore de l'agriculture. Dans ces conditions, il est malaisé de structurer un corpus normatif autour de « l'objet sol », dont le régime juridique varie en fonction de son usage existant ou potentiel, de son occupation, de son affectation ou de son état et des conséquences pour l'homme et les activités humaines de cet état.

Cette difficulté à faire remonter le sol à la surface du droit est illustrée par le rapport explicatif remis au Président de la République en amont de la présentation de l'ordonnance du 18 septembre 200016(*) codifiant la partie législative du code de l'environnement. Ce document fait état des difficultés rencontrées pour codifier les dispositions relatives aux sols et justifie les choix effectués de la façon suivante : « Le Gouvernement, assisté par la Commission supérieure de codification, a retenu les textes qui tendent principalement à la lutte contre les pollutions, les risques naturels et technologiques et à la protection de la qualité des milieux naturels. (...) L'absence d'un titre « Sols », troisième composante de base des milieux naturels, est significative de la difficulté d'isoler les dispositions propres à cette composante de celles touchant les milieux naturels en surface et du caractère embryonnaire du droit de l'environnement en cette matière. »

Le droit relatif aux sols est ainsi constitué de législations d'origines et d'époques différentes, qui ont évolué sans souci de cohérence avec les progressions de la connaissance scientifique des sols en tant que milieu complexe et transversal. En conséquence, les lois de protection et de répression des pollutions qui sont propres aux sols présentent un caractère moins efficient et systémique que celles régissant les atteintes aux milieux aquatiques et atmosphériques. Comme l'indique la professeure Carole Hermon, « la protection des sols est fondue dans la protection de l'environnement ».

Plusieurs explications peuvent être données à cette moindre prise en compte des sols dans leur transversalité et leur complexité par le droit. Une première difficulté semble liée à la notion de propriété privée, fortement liée aux sols, qui limite le suivi de la santé des sols et la compilation des données sur les emprises en dehors du domaine public. De même, en termes de représentation sociale, le sol est généralement perçu en tant que bien individuel, tandis que l'air et l'eau, milieux fluides et mobiles, sont perçus comme des biens communs, ainsi que l'illustre par exemple l'expression « libre comme l'air ». Prévaut ainsi l'idée que le sol serait « statique » et relèverait donc de problèmes locaux devant être gérés localement.

En outre, selon l'Ademe17(*), « les conséquences de la dégradation de ce milieu sont plus difficiles à évaluer d'un point de vue économique ». Le système sol est en effet soumis à des contraintes financières différentes des autres milieux : ainsi, l'eau bénéficie d'un système de coût réparti au sein de toute la population, qui permet une meilleure gestion des ressources, une prise en compte des aspects environnementaux ainsi qu'une effectivité des contrôles plus marquée, ce qui n'est pas le cas pour les sols.

La complexité de l'écosystème sol, sa variabilité dans le temps et l'espace, en surface, en profondeur et en termes de qualité, la grande diversité des fonctions et des sources de dégradation peuvent également expliquer la dispersion des mesures de protection des sols dans différents codes et l'absence de cohérence d'ensemble des politiques publiques dédiées aux sols.

Le sol fait figure de « parent pauvre » juridique, sans cadre politique national global et cohérent, fédérant a minima l'ensemble des textes dispersés protégeant directement ou indirectement les sols et assurant partiellement leur préservation, ainsi que leurs fonctions et services rendus, vis-à-vis des menaces qui pèsent sur eux.

B. Le sol comme catalyseur de nombreux services écosystémiques non définis par les textes

Les connaissances scientifiques relatives aux sols et la compréhension pédologique ont significativement progressé au cours de ces dernières décennies. À cet égard, la France fait figure de bon élève en matière d'expertise scientifique et technique sur les sols.

Dès 2011, le groupement d'intérêt scientifique sur les sols (GIS Sol) a publié un rapport sur l'état des sols de France18(*), fondé sur les données de la campagne de relevés et de prélèvements du réseau de mesure de la qualité des sols (RMQS) qui mettait en évidence que les sols français étaient généralement en bon état, car faiblement contaminés, sauf pour les valeurs en plomb et en cadmium. En 2022, 10 045 sites et sols pollués sont recensés à l'échelle du territoire. En raison du passé industriel de la France, les anciennes régions minières en concentrent près de la moitié.

Au cours des auditions du rapporteur, la qualité des échanges avec la communauté scientifique et l'implication des experts pour parfaire l'information du Parlement sur les sols doit être soulignée.

Loin d'être réductibles à leur aspect surfacique, les sols sont des milieux à part entière, remplissant sept grandes fonctions écologiques et rendant divers services écosystémiques. Cette distinction permet de mettre en évidence d'un côté le rôle qu'ils jouent pour le bon fonctionnement des écosystèmes et de l'autre les services qu'ils rendent aux êtres humains. Ces fonctions sont interconnectées et interdépendantes : un service est alimenté par plusieurs fonctions, et une fonction alimente plusieurs services.

Selon l'Association française pour l'étude du sol (AFES) entendue par le rapporteur, les sept grandes fonctions écologiques remplies par les sols sont :

- la filtration, la rétention et la dégradation des polluants ;

- le stockage, le recyclage et la transformation de la matière organique ;

- la constitution d'habitat pour les organismes ;

- les échanges gazeux avec l'atmosphère ;

- le stockage et la fourniture de nutriments ;

- le rôle de support physique stable pour le vivant ;

- le stockage, la circulation et l'infiltration de l'eau.

Il est en revanche plus complexe de retranscrire de façon exhaustive les services écosystémiques remplis par les sols, qui sont par construction dépendants des usages, des besoins et des activités humaines. C'est la raison pour laquelle les scientifiques privilégient la référence aux fonctions écologiques.

Sans prétendre à une liste complète, on peut cependant noter que les sols contribuent à la fourniture d'aliments, de fibres, de combustibles et de médicaments, à l'approvisionnement en biomasse et à la fourniture de matériaux, à la régulation du climat local et global, à la purification de l'eau, à la dégradation des contaminants, à la régulation des cours d'eau et des crues, à la conservation de la biodiversité, au support des infrastructures, à la régulation des déchets organiques, au contrôle des maladies et des ravageurs, etc.

Le schéma suivant montre l'intrication marquée entre les fonctions écologiques et les services écosystémiques.

Source : Ademe

Cette complexité des sols n'est pas prise en compte par le droit, ce qui explique que les politiques de protection ne permettent pas de préserver efficacement la capacité des sols à remplir tout ou partie de ces services.

La mesure 26 de la stratégie nationale pour la biodiversité 2030, relative à la restauration des sols, cherche à répondre à cette préoccupation en favorisant une approche intégrée et multifonctionnelle. Elle promeut des actions sur tous les types de sols : forestiers avec un plan de préservation dédié, agricoles avec le déploiement d'un diagnostic « santé des sols » lors de la transmission d'une parcelle agricole, ou encore urbains avec la lutte contre l'artificialisation et la réhabilitation des friches. Il est cependant encore trop tôt pour en mesurer les effets, mais le fait qu'elle ne repose pas sur une évolution législative laisse présager de sa faible efficacité pour améliorer la prise en compte de la complexité des sols dans les politiques publiques.

En définitive, le sol constitue à bien des égards un « impensé du droit ». Le législateur, en s'abstenant de tirer les conséquences de la complexité structurelle et écosystémique du sol, est resté timide dans la protection de ce milieu essentiel à la vie, quand dans le même temps il a consacré avec vigueur le droit de propriété en lien avec les sols.

Si le sol en tant que valeur immobilière appartient indéniablement à son propriétaire, ses fonctions écosystémiques ont par nature des implications collectives. Le droit actuel ne permet pas de dissocier ces deux caractéristiques dans le cadre d'une approche cohérente permettant une meilleure prise en compte des sols. Le cadre normatif ne permet donc pas de faire face de façon satisfaisante aux menaces susceptibles d'altérer les fonctionnalités des sols.

II. Un nouveau chapitre consacré aux sols dans le code de l'environnement pour agir plus efficacement contre les facteurs altérant les fonctionnalités des sols

Afin de créer des outils permettant de mieux prendre en compte les menaces pesant sur les sols et garantir leur capacité à remplir des services écosystémiques essentiels aux activités humaines, la proposition de loi tend à créer au sein du code de l'environnement un chapitre dédié à la santé des sols, composé de deux sections, l'une intitulée « Les sols patrimoine commun de la Nation » et l'autre « Diagnostic de performance écologique des sols ».

Cette évolution juridique est proposée dans le but de combler les lacunes juridiques en matière d'approche multifonctionnelle des sols et d'ouvrir la « boîte noire » que sont les sols du point de vue de notre droit. La commission relève toutefois que la proposition ne formule pas de définition des sols qui permettrait de clarifier ce qui est précisément visé quand le droit fait référence au sol.

La proposition de loi repose sur une approche fonctionnelle des sols : ceux-ci doivent être protégés en raison des services écosystémiques limitativement énumérés qu'ils remplissent et dont dépendent de nombreuses activités humaines. Pour ce faire, l'article 2 propose l'instauration de plusieurs évolutions juridiques du droit du sol :

- il dispose en premier lieu que « la protection, la mise en valeur et la restauration des sols sont d'intérêt général » ;

- afin de justifier cette mention, il énumère en outre huit services écosystémiques rendus par les sols : production de biomasse alimentaire et non-alimentaire ; conservation de la biodiversité ; contrôle de l'érosion ; préservation de la quantité et de la qualité de l'eau ; régulation du climat ; contrôle des maladies et des ravageurs ; atténuation de la pollution ; valeur patrimoniale et culturelle du paysage ;

- il confie aux ministres chargés de l'environnement, de l'agriculture, de la forêt, de l'urbanisme, de la santé et de l'éducation le soin d'élaborer une stratégie nationale pour la protection et la résilience des sols ;

- il instaure, à compter du 1er janvier 2028, l'obligation de réaliser périodiquement un diagnostic de performance écologique des sols pour les immeubles à usage agricole et les bois et forêts, avec une prise en charge financière par l'État en deçà de 50 hectares ;

- il vise à assurer que ce diagnostic soit établi par un organisme impartial et assorti de recommandations, avant d'être transmis à un organisme public chargé de réaliser des études statistiques et d'assurer le suivi de cette nouvelle politique publique.

III. La position de la commission : des évolutions prématurées, sources de complexité, de normes nouvelles et d'incompatibilité potentielle avec le droit de l'Union européenne en cours d'élaboration

La commission salue l'intérêt de l'approche fonctionnelle du texte, reposant sur la promotion des services écosystémiques rendus par les sols, qui constitue selon elle un angle de protection pertinent, de nature à améliorer la prise en compte des sols en tant que milieu. Elle approuve la démarche tendant à garantir la multifonctionnalité des sols, en ce qu'ils satisfont à de nombreux besoins sociétaux, économiques et environnementaux non pris en compte par le droit.

Sans nier le bien-fondé de ces propositions, la commission en relève cependant le caractère prématuré, dans la mesure où le droit européen, à travers un calendrier et un cap communs à l'ensemble des États membres, constitue l'échelon pertinent pour éviter des distorsions de concurrence pouvant pénaliser les gestionnaires et exploitants des sols.

La commission est donc circonspecte à l'idée d'anticiper une réforme juridique des sols qu'il faudra nécessairement ajuster au moment de la mise en conformité du droit interne avec les évolutions législatives européennes.

Même si plusieurs éléments de la directive européenne sont toujours en discussion, comme les délais et la fréquence de surveillance, le mode d'échantillonnage de la surveillance, le maintien ou non du certificat de santé des sols, ce cadre juridique transeuropéen paraît, pour la commission, le mieux à même de garantir une plus grande reconnaissance sociale et marchande de la gestion durable des sols, avec des objectifs et des référentiels harmonisés pour la surveillance et la santé des sols, sans créer d'obligations nouvelles auxquelles seuls les acteurs économiques nationaux seraient soumis.

Focus sur la proposition de directive
sur la surveillance et la résilience des sols

Elle vise, selon le Commissaire européen à l'environnement, aux océans et à la pêche Virginijus Sinkevièius, à « donner une définition légale des sols en bonne santé et nous permettre de collecter des données sur l'état des sols, de normaliser une gestion durable des sols et, surtout, nous aider à assainir les sols pollués ».

La proposition de directive s'articule autour de 3 instruments principaux :

- la mise en place d'un système harmonisé de surveillance de la santé des sols au sein de l'Union s'appuyant sur des données partagées ;

La proposition de directive prévoit un cadre commun de surveillance de sols et d'évaluation de l'état des sols dans l'ensemble de l'Union, fondé sur des « districts » de gestion des sols, qui seraient établis par les États membres et qui constitueraient l'unité de gouvernance de base pour la gestion des sols.

Dans un premier temps, il serait donc demandé aux États membres d'assurer une surveillance de la santé des sols selon des « descripteurs » du sol, des critères et des indicateurs relatifs à l'état des sols, et en fonction de méthodes de mesures définies, qui pourraient être adaptées pour tenir compte des spécificités nationales. L'évaluation de la santé des sols devrait être réalisée par les États membres tous les cinq ans, selon une approche commune de la définition proposée d'un sol en bonne santé, qui pourrait aussi être adaptée en fonction des caractéristiques de certains sols. Dans ce cadre, est également prévue la création d'un portail numérique de données sur la santé des sols par la Commission européenne et l'Agence européenne pour l'environnement.

- la définition de la gestion durable des sols et de ses bonnes pratiques ;

Le texte établit les pratiques de gestion durable des sols qui doivent permettre de maintenir ou d'améliorer la santé des sols. Ces pratiques, mises en oeuvre progressivement, tiendraient compte des programmes, plans, objectifs et mesures européens, tout en y associant les gestionnaires des sols, les propriétaires fonciers et les autorités concernées.

En l'état du texte, les États membres devraient mettre en place des mécanismes de reconnaissance des efforts réalisés par les propriétaires et les gestionnaires fonciers sur la base du volontariat. Le texte ne fixe aucun objectif contraignant ni d'objectif intermédiaire pour lutter contre la dégradation des sols et obtenir un bon état de santé pour tous les sols à l'horizon 2050.

- une évaluation des risques pour la santé humaine et l'environnement concernant les sols potentiellement contaminés ;

La Commission européenne propose que les États membres identifient les sites potentiellement contaminés, procèdent à une analyse de sol et définissent une procédure d'évaluation des risques selon une méthodologie commune. Tous les sites contaminés identifiés devraient faire l'objet d'une évaluation spécifique afin de déterminer s'ils présentent des risques inacceptables pour la santé humaine ou pour l'environnement.

Le texte prévoit que l'autorité responsable prenne les mesures nécessaires pour ramener le risque à un niveau acceptable. Chaque État membre serait également tenu de procéder à un enregistrement des sites potentiellement contaminés, qui serait rendu public et mis en ligne.

En outre, la commission alerte quant à l'instauration obligatoire d'un diagnostic de performance écologique des sols agricoles et forestiers à compter de 2028, dont le coût pour les exploitants n'a pas été estimé et qui apparaît en décalage avec la forte demande sociétale de simplification des normes.

La commission n'a pas adopté l'article 2.

Article 3
Haut-commissaire à la protection et à la résilience des sols

Cet article :

- institue un Haut-commissaire à la protection et à la résilience des sols placé auprès du Premier ministre, chargé de piloter la stratégie nationale pour la protection et la résilience des sols ;

- vise à assurer une meilleure prise en compte des enjeux de protection et d'amélioration de la qualité des sols dans le schéma régional d'aménagement, de développement durable et d'égalité des territoires (SRADDET).

La commission n'a pas adopté l'article 3.

I. Une politique de préservation de la santé des sols confrontée à trois difficultés : l'absence d'une structure administrative dédiée, une interministérialité perfectible et une insuffisante prise en compte au sein des documents de planification

A. Le Conseil national de la transition écologique (CNTE) n'est pas consulté sur les textes et stratégies portant spécifiquement sur la santé des sols

Le CNTE est une instance de dialogue en matière de transition écologique et de développement durable. Présidé par le ministre chargé de l'écologie ou son représentant, il est composé de 50 membres qui assurent une représentation des collectivités territoriales, des partenaires sociaux, des associations de protection de l'environnement et de représentants de la société civile, ainsi que des parlementaires.

En application de l'article L. 133-2 du code de l'environnement, il est consulté sur :

1° les projets de loi concernant, à titre principal, l'environnement ou l'énergie ;

2° les stratégies nationales relatives au développement durable, à la biodiversité et au développement de la responsabilité sociétale et environnementale des entreprises et la stratégie bas-carbone.

Le CNTE n'est pas saisi des textes et stratégies portant spécifiquement sur la santé des sols. Néanmoins, il se prononce fréquemment sur des textes et stratégies ayant des incidences sur les sols, à l'instar de la stratégie nationale pour la biodiversité.

B. La politique de protection de la santé des sols est dénuée de pilotage interministériel

La santé des sols est prise en compte par de nombreuses politiques publiques, elles-mêmes mises en oeuvre par des instances diverses, mais sans vision ni cohérence d'ensemble : aucun organe n'est chargé d'en assurer le pilotage interministériel et de garantir la compatibilité des diverses actions menées.

Le ministère de la transition écologique et celui de l'agriculture et de la souveraineté alimentaire jouent un rôle central dans la politique de protection de la santé des sols. Celle-ci est également suivie par de nombreuses administrations, agences et opérateurs placés sous la tutelle de divers ministères.

Le ministère chargé de l'agriculture est l'autorité de gestion nationale du Plan stratégique national de la politique agricole commune (PAC). Les directions régionales de l'alimentation, de l'agriculture et de la forêt (DRAAF) déclinent territorialement cette compétence, conjointement avec les régions.

Au sein du ministère de la transition écologique, la direction générale de l'aménagement, du logement et de la nature (DGALN) est chargée de la politique de lutte contre l'étalement urbain et l'artificialisation des sols et des politiques relatives à l'eau et à la biodiversité. Au niveau opérationnel, les directions régionales de l'environnement, de l'aménagement et du logement (DREAL) et, à l'échelon départemental, les directions départementales des territoires (DDT) mettent en oeuvre les politiques de l'État en matière d'environnement, de développement et d'aménagement durables. Elles sont notamment impliquées dans la politique relative aux sites et sols pollués.

Les agences de l'eau, placées sous la double tutelle du ministère de la transition écologique et du ministère de l'économie et des finances, mènent de nombreux programmes de protection des sols dans l'objectif d'assurer leur bon fonctionnement hydrologique. À titre d'exemple, l'agence de l'eau Rhône Méditerranée Corse a attribué 52,7 M€ d'aides entre 2019 et 2023, pour assurer la préservation et la restauration du fonctionnement hydrologique de 8 640 hectares de sols de zones humides. Les agences de l'eau soutiennent également les pratiques d'agroécologie.

L'Office français de la biodiversité (OFB), placé sous la double tutelle du ministère de la transition écologique et du ministère de l'agriculture et de la souveraineté alimentaire, est chargé de la mise en oeuvre de la stratégie nationale pour la biodiversité, et notamment de sa mesure n° 26 « Restaurer les sols ».

L'Ademe assure, quant à elle, la « protection des sols et la remise en état des sites pollués » (art. R. 131-2 du code de l'environnement). Elle est ainsi chargée de la gestion et de la mise en sécurité des sites contaminés orphelins, c'est-à-dire des sites contaminés par un acteur industriel qui fait défaut et ne peut en assurer la décontamination. La révision des normes et de la certification des sites et sols pollués incombe au Bureau de recherches géologiques et minières (BRGM), qui mène également diverses missions de recherche appliquée dans le domaine des sols.

L'institut national de recherche pour l'agriculture, l'alimentation et l'environnement (INRAE), placé sous la double tutelle du ministère de l'agriculture et de la souveraineté alimentaire et du ministère de l'enseignement supérieur et de la recherche, mène de nombreux programmes de recherche sur les sols. C'est également le cas de plusieurs institutions, à l'instar de l'Ademe.

Un groupement d'intérêt scientifique (GIS), le GisSol assure la coordination entre les différents acteurs de la recherche sur ce sujet. Il est composé de 8 membres : le ministère de l'Agriculture et de la Souveraineté alimentaire, le ministère de la Transition écologique, l'INRAE, l'Ademe, l'Institut de recherche pour le développement (IRD), l'Institut national de l'information géographique et forestière, l'OFB et le BRGM. Cette composition illustre bien le caractère éclaté des compétences relatives au sol et à sa connaissance.

C. La politique de protection des sols n'est pas directement prise en compte au sein des SRADDET

Le schéma régional d'aménagement, de développement durable et d'égalité des territoires (SRADDET), élaboré par la région, fixe notamment les objectifs régionaux d'équilibre et d'égalité des territoires, d'implantation des différentes infrastructures d'intérêt régional, de désenclavement des territoires ruraux, d'habitat, de lutte contre l'artificialisation des sols, de développement des transports, de développement logistique et industriel, de maîtrise et de valorisation de l'énergie, de développement des énergies renouvelables, de lutte contre le changement climatique, de pollution de l'air, de protection et de restauration de la biodiversité, et de prévention et gestion des déchets.

Si le SRADDET décline à l'échelle régionale les principes du « ZAN », et si certains de ses objectifs, comme la protection et la restauration de la biodiversité, peuvent avoir un effet bénéfique pour la protection des sols, il ne comprend aucun objectif spécifique relatif à cette dernière.

II. Le déploiement de la stratégie nationale pour la protection et la résilience des sols implique une concertation, un pilotage et une déclinaison territoriale renforcés

A. La consultation du CNTE sur la stratégie nationale pour la protection et la résilience des sols renforcerait la prise en compte des points de vue de toutes les parties prenantes

La consultation du CNTE sur la stratégie nationale pour la protection et la résilience des sols garantirait l'implication, dès sa conception, des collectivités territoriales, des partenaires sociaux, des associations de protection de l'environnement et de représentants de la société civile, ainsi que du Parlement. Elle permettrait ainsi une approche territorialisée qui compléterait la vision transversale des administrations et agences de l'État.

B. L'institution d'un Haut-commissaire à la protection et la résilience des sols pourrait contribuer au pilotage interministériel de cette stratégie

La mise en oeuvre de la stratégie nationale pour la protection et la résilience des sols exigerait le déploiement de mesures portées par plusieurs ministères et agences, et, par conséquent, l'organisation d'une gouvernance interministérielle afin d'en assurer le suivi. Un Haut-commissaire à la protection et à la résilience des sols, placé auprès du Premier ministre, serait susceptible d'assurer ce pilotage. Afin de mener à bien ses missions, il pourrait s'appuyer sur les services des principaux ministères et opérateurs impliqués dans la protection des sols.

Il assurerait également la direction de l'élaboration d'un schéma national des données sur les sols. Les données qu'il aurait la charge de collecter, centraliser et exploiter sont de différents types : pédologique, biologique, environnementale, historique, liées aux usages des sols et aux concentrations de polluants.

Ce positionnement interministériel lui conférerait une légitimité certaine pour rédiger un rapport d'évaluation sur la protection et la résilience des sols.

C. La prise en compte de la protection des sols au sein des SRADDET assurerait une déclinaison territoriale adaptée de la stratégie nationale pour la protection et la résilience des sols

Mentionner parmi les objectifs des SRADDET la protection et l'amélioration de la qualité des sols donnerait aux régions l'opportunité de déployer une politique des sols élaborée à une échelle pertinente. Qui plus est, s'assurer de la compatibilité des dispositions des SRADDET avec la stratégie nationale pour la protection et la résilience des sols serait source de cohérence entre l'action de l'État et celle des collectivités territoriales.

III. Pour la commission, la création d'instances nouvelles et la prise en compte d'un objectif supplémentaire au sein des SRADDET seraient sources de complexité

La commission partage le diagnostic de la proposition de loi concernant l'éparpillement des compétences relatives à la protection des sols et la nécessité de mieux la prendre en compte dans les politiques publiques. Cependant, elle estime que la création d'une instance administrative nouvelle pourrait être source de complexité et de dilution de l'action publique. De surcroît, un Haut-commissaire dénué de moyens propres serait difficilement en mesure de mener à bien cette mission de coordination. En outre, il existe déjà un organe de pilotage de l'action gouvernementale en matière d'environnement placé auprès du Premier ministre : le Secrétariat général à la planification écologique. L'institution d'une nouvelle instance apparaît donc peu opportune.

Quant au CNTE, il est déjà sollicité sur de nombreux projets de loi et stratégies, et dispose de moyens techniques et humains limités. Afin qu'il soit en mesure de mener à bien ses missions actuelles, il est nécessaire de ne pas étendre outre mesure son champ d'intervention.

De même, la stabilité du cadre juridique en matière de document de planification est nécessaire, afin d'assurer notamment la poursuite de la concertation régionale de réduction du rythme de l'artificialisation des sols. Une évolution des objectifs devant être pris en compte au sein des SRADDET obligerait les Régions à prendre en compte de nouveaux paramètres et introduirait une complexité nouvelle dans la déclinaison territoriale du ZAN. Pour cette raison, la commission considère qu'il n'est pas opportun de modifier les objectifs des SRADDET et, consécutivement, les documents avec lesquels ces derniers doivent être compatibles.

La commission n'a pas adopté l'article 3.

Article 4
Gage financier

L'article 4 vise à gager les dispositions de la présente proposition de loi susceptibles d'entraîner une perte de recettes pour l'État, afin d'assurer sa recevabilité financière au regard de l'article 40 de la Constitution.

La commission, par coordination, n'a pas adopté l'article 4.


* 2 Gis Sol, 2011, Synthèse sur l'état des sols en France, p. 19

* 3 Oliver C. Ruppem, « Overview of international soil law », Soil Security 6 100056, 2022

* 4 Pour en savoir plus, consulter https://www.senat.fr/rap/l20-698/l20-698_mono.html

* 5 Stratégie rendue publique le 17 novembre 2021

* 6 Carole Hermon, « La protection du sol en droit », Droit et Ville, vol. 84, no. 2, 2017, pp. 17-47

* 7 Michel Barnier, ministre de l'Environnement, séance publique, Sénat, 11 octobre 1994

* 8 Jean-François Le Grand, rapport au nom de la commission des Affaires économiques et du Plan sur le projet de loi relatif au renforcement de la protection de l'environnement, 5 octobre 1994, p. 40

* 9 Examen du texte en première lecture au Sénat, amendement COM-594 du rapporteur, Jérôme Bignon

* 10 Sénat, compte rendu intégral de la séance publique du 19 janvier 2016, intervention de Mme Sophie Primas, p. 297

* 11 Sénat, compte rendu intégral de la séance publique du 19 janvier 2016, intervention de M. Gérard Bailly, p. 298

* 12 Rapport au Président de la République relatif à l'ordonnance n° 2000-914 du 18 septembre 2000 relative à la partie législative du code de l'environnement

* 13 Conseil général de l'environnement et du développement durable (CGEDD) et Conseil général de l'alimentation, de l'agriculture et des espaces ruraux (CGAAER), Claude Gitton et Gérard Fallon, Étude de parangonnage sur les dispositifs d'information concernant la qualité des sols agricoles, 2020, p. 61

* 14 Cette table ronde a fait l'objet d'une diffusion vidéo et d'un compte rendu.

* 15 L'association française pour l'étude du sol en propose la définition suivante : « Le sol est un volume qui s'étend depuis la surface de la Terre jusqu'à une profondeur marquée par l'apparition d'une roche dure ou meuble, peu altérée, ou peu marquée par la pédogenèse. L'épaisseur du sol peut varier de quelques centimètres à quelques dizaines de mètres, ou plus. Il constitue, localement, une partie de la couverture pédologique qui s'étend à l'ensemble de la surface de la Terre. Il comporte le plus souvent plusieurs horizons correspondant à une organisation des constituants organiques et/ou minéraux (la terre). Cette organisation est le résultat de la pédogenèse et de l'altération du matériau parental. Il est le lieu d'une intense activité biologique (racines, faune et micro-organismes). »

* 16 Ordonnance n° 2000-914 du 18 septembre 2000 relative à la partie législative du code de l'environnement consultable à l'adresse suivante : https://www.legifrance.gouv.fr/loda/id/JORFTEXT000000401865

* 17 Dans sa réponse au questionnaire envoyé par le rapporteur.

* 18  https://www.gissol.fr/publications/rapports/synthese-resf-869

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