B. LA TRAJECTOIRE ET LA DOCTRINE DE L'AIDE AU DÉVELOPPEMENT DE LA FRANCE ONT ÉTÉ PRÉCISÉES

1. Les conclusions du Conseil présidentiel du développement et du comité interministériel de la coopération internationale et du développement (CICID) ont permis de préciser la doctrine française en matière d'APD

Le pilotage de la politique française de développement repose sur deux instances : le Conseil présidentiel du développement et le comité interministériel de la coopération internationale et du développement (CICID).

Réuni pour la première fois en décembre 2020, le Conseil présidentiel du développement a été institué par le CICID du 8 février 2018 pour renforcer le pilotage de la politique de développement de la France. Il arbitre, sous la direction du président de la République, les décisions stratégiques de la politique de développement.

Institué par le décret n° 98-66 du 4 février 1998, le CICID définit les grandes orientations de la politique de développement. Présidé par la Première ministre, il réunit les principaux ministères concernés par la politique de développement. Son secrétariat est assuré conjointement par le ministère de l'Europe et des affaires étrangères, le ministère de l'économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique et le ministère de l'intérieur. L'AFD peut être associée à ses réunions.

Organisation de la gouvernance de l'aide publique au développement

Source : schéma transmis par le ministère de l'Europe et des affaires étrangères

Les conclusions du Conseil présidentiel du développement du 5 mai 2023 et du CICID de juillet 2023 ont permis de préciser les orientations stratégiques de la politique de développement.

En premier lieu, le Conseil présidentiel du développement a décidé d'une doctrine déclinée en dix objectifs prioritaires, faisant l'objet d'indicateurs et de résultats à attendre, qui sont :

- accélérer la sortie du charbon et financer les énergies renouvelables dans les pays en développement et émergents pour limiter le réchauffement climatique global à 1,5° C ;

- protéger les réserves les plus vitales de carbone et de biodiversité, dans les forêts et l'Océan, pour préserver la planète ;

- investir dans la jeunesse en soutenant l'éducation et la formation des professeurs dans les pays en développement ;

- renforcer la résilience face aux risques sanitaires, y compris les pandémies, en investissant dans les systèmes de santé primaires et en appuyant la formation des soignants dans les pays fragiles ;

- promouvoir l'innovation et l'entreprenariat africain qui participent au destin partagé entre les jeunesses d'Europe et d'Afrique ;

- mobiliser l'expertise et les financements privés et publics pour les infrastructures stratégiques, de qualité et durables dans les pays en développement ;

- renforcer la souveraineté alimentaire, notamment en Afrique ;

- soutenir partout les droits humains, la démocratie et lutter contre la désinformation ;

- promouvoir les droits des femmes et l'égalité femmes-hommes, notamment en soutenant les organisations féministes et les institutions de promotion des droits des femmes ;

- aider nos partenaires à lutter contre l'immigration irrégulière et les filières clandestines.

Les conclusions du CICID ont, en outre, fixé des orientations plus précises, notamment :

- le maintien d'une cible de finance climat à hauteur de 6 milliards d'euros par an, dont 1 milliard en faveur de la biodiversité ;

- une mobilisation renforcée du secteur privé via l'extension d'outils financiers et la définition d'une cible d'effet de levier pour le groupe AFD ;

- un renforcement de l'aide humanitaire multilatérale et bilatérale pour atteindre 1 milliard d'euros en 2025 ;

- la suppression de la liste des 19 « pays prioritaires » de la politique de développement définie lors de la réunion du CICID de février 2018, au profit d'une cible de concentration de l'effort financier bilatéral de l'État de 50 % à destination des pays les moins avancés (PMA).

2. Le report de 2025 à 2030 de l'objectif de 0,7 % du RNB dédié à l'aide au développement

Les réunions du Conseil présidentiel du développement d'avril 2023 et du CICID de juin 2023 ont également acté le report de l'objectif de porter l'aide au développement de la France à 0,7 % du RNB de 2025 à 2030. La loi de programmation du 4 août 2021 avait, en effet, fixé 2025 comme année de réalisation de la cible de 0,7 % du RNB.

Les rapporteurs spéciaux soulignent que la correction de cet objectif est logique, compte tenue de la crise économique et énergétique qui sévit en europe depuis la fin de l'année 2021.

Le maintien d'un tel objectif était difficilement envisageable au regard de plusieurs éléments.

D'une part, sous toutes réserves et en s'appuyant sur la prévision de croissance du PIB retenue par le Gouvernement au projet de loi de programmation des finances publiques pour les années 2023 à 2027, le revenu national brut de la France pourrait s'élever à environ 3 064 milliards d'euros en 2025. La progression vers la cible de 0,7 % semblait d'autant plus difficile à atteindre que l'APD se situerait, pour les exercices 2023 et 2024, à un niveau inférieur aux objectifs fixés par l'article 2 de la loi de programmation du 4 août 2021.

Évolution de la part de l'aide publique au développement
dans le RNB de la France

(en pourcentage)

 

2023

2024

2025

Trajectoire prévue par la loi de programmation du 4 août 2021

0,61

0,66

0,70

Exécution (constatée ou évaluée)

0,56

0,56

n.a.

Note : l'exécution 2023 n'a pas encore été évaluée.

Source : commission des finances à partir des documents budgétaires

D'autre part, le contexte de remontée des taux d'intérêts au niveau mondial se traduit par un renchérissement pour l'État du coût des opérations de bonification des prêts accordés par les organismes concessionnels tels que l'Agence française de développement.

Confrontés de manière similaire à un environnement macroéconomique dégradé, plusieurs pays européens ont également revu leurs objectifs d'APD à la baisse. À titre d'exemple, la Suède et la Norvège, deuxième et troisième donateurs du CAD en part de RNB, avaient adopté un objectif d'APD à 1 % de leurs RNB respectifs. Compte tenu de l'inflation, qui gonfle mécaniquement le RNB, la Norvège envisage d'adopter un objectif de 0,75 % et la Suède a renoncé à tout objectif chiffré. De même, en raison de la dégradation de la conjoncture économique et des comptes publics, le Royaume-Uni a adopté une cible de 0,5 % du RNB en 2021, contre 0,7 % auparavant.

Par ailleurs, les rapporteurs spéciaux rappellent les observations de leur collègue Jean-Claude Requier, rapporteur pour avis de la commission des finances sur le projet de loi de programmation en 2021. Le rapporteur avait, en effet, souligné au moment de l'examen de la loi de programmation le caractère très relatif d'une cible exprimée en part de RNB. Tout d'abord, le respect de cette cible est corrélé au niveau du RNB, qui fluctue selon la conjoncture économique. Ensuite les travaux économiques ont démontré que l'objectif de 0,7 % est davantage fondé sur un niveau politiquement acceptable que sur des évaluations macroéconomiques2(*). Enfin, l'évolution de certaines composantes de l'aide au développement est difficilement prévisible.

3. Les priorités géographiques de l'aide publique au développement versée par la France évoluent

Concernant les pays les moins avancés (PMA), le CICID du 18 juillet 2023 a acté la suppression de la liste des dix-neuf pays prioritaires de l'aide au développement fixée par le CICID du 8 février 2018. Cette liste exhaustive est remplacée par une cible de concentration de l'effort financier bilatéral de l'État à destination des pays les moins avancés à hauteur de 50 % et ce, à partir de 2024. À compter de 2025 et sur la base de travaux méthodologiques, cette cible intégrera également des pays particulièrement vulnérables aux dérèglements climatiques.

Dans un contexte de recul de la présence française en Afrique, particulièrement en Afrique de l'Ouest francophone, la suppression de la liste des pays prioritaires, essentiellement des pays africains, pourrait présager un redéploiement de l'aide française vers d'autres États.

Toutefois, force est de constater que l'objectif de prioriser l'orientation de l'APD vers les dix-neuf pays prioritaires n'était pas respecté. Ainsi, en 2020, aucun de ces pays ne percevait une aide bilatérale de la France supérieure à celle octroyée au dixième pays bénéficiaire en termes de volume d'aide bilatérale, à savoir la Turquie3(*).

De surcroit, la liste limitative semblait faire l'effet d'une « rente » pour les quelques États bénéficiaires, sans possibilité d'ajustement aux besoins réels.

Concernant les très grands émergents, la France a fait en partie évoluer sa position. Pour rappel, la catégorie dite des « très grands émergents » comprend l'Afrique du Sud, le Brésil, l'Inde, l'Indonésie, le Mexique et la Turquie.

Depuis le début de l'année 2022, la France a pris la décision de ne plus comptabiliser ses interventions en Chine comme de l'aide publique au développement. L'AFD continue d'y conduire des activités sans pour autant que celles-ci ne soient financées par des crédits de l'État.

En revanche, la Turquie continue de percevoir des financements comptabilisés dans l'aide publique au développement versée par la France. La France lui a versé au total 270,3 millions d'euros au titre de l'aide publique au développement en 2021. Ce montant correspond à l'APD nette, comprenant l'APD bilatérale nette et l'APD multilatérale imputée4(*). Ces versements n'ont toutefois généré que 41 millions d'euros en équivalent-don car les prêts accordés sont très faiblement concessionnels.

4. L'évaluation de la politique française de développement demeure un exercice complexe

La hausse importante des crédits de la mission « Aide publique au développement » nécessite une évaluation de l'utilisation des moyens de cette politique.

Pour ce faire, la loi de programmation du 4 août 2021 a prévu plusieurs dispositifs d'évaluation de l'APD française dont :

- la publication d'un rapport annuel relatif à la politique de développement de la France, qui est remis chaque 1er juin au Parlement et doit faire l'objet d'un débat en séance publique dans les deux assemblées. Il nous faut regretter, que depuis l'adoption de la loi, ce rapport n'ait pas été présenté.

- la création d'une base de données ouverte sur l'aide publique au développement bilatérale et multilatérale5(*), qui est pilotée conjointement par le ministère de l'Europe et des affaires étrangères et le ministère de l'économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique ;

- la mise en place d'une commission d'évaluation de l'aide publique au développement.

Concernant ce dernier point, dans son avis sur le projet de loi de programmation, la commission des finances avait souligné le risque d'une confusion des genres que représenterait une telle commission par rapport à la mission d'évaluation des politiques publiques confiée au Parlement. Afin de limiter ce risque, un amendement porté par le rapporteur pour avis Jean-Claude Requier avait précisé les missions de cette commission.

En dépit de ce risque, les rapporteurs spéciaux regrettent qu'au jour de la rédaction du présent rapport, cette commission n'a toujours pas été installée. Si son fonctionnement a été fixé par le décret n° 2022-787 du 6 mai 2022, sa mise en place n'est annoncée que pour la fin de l'année 2023 par les documents budgétaires. Selon l'article 12 de la loi de programmation du 4 août 2021, cette commission indépendante, placée auprès de la Cour des comptes, vise à « mieux évaluer l'impact de l'action de la France et renforcer ainsi la transparence sur l'utilisation des moyens engagés ».


* 2 Michael A. Clemens et Todd J. Moss, « Le mythe des 0,7 % : origines et pertinence de la cible fixée pour l'aide internationale au développement », De Boeck Supérieur - « Afrique contemporaine », 2006/3 n° 2019, p. 173 à 201.

* 3 Cour des comptes, « Comparaison des politiques française, allemande et britannique d'aide publique au développement », avril 2023.

* 4 APD indirectement versée aux pays bénéficiaires via les organisations multilatérales et imputable à la France.

* 5 La plateforme a été mise en ligne en 2022 : https://data.aide-developpement.gouv.fr.

Partager cette page