EXAMEN DES ARTICLES
DU PROJET DE LOI

TITRE IER
OBJECTIFS ET MOYENS DU MINISTÈRE DE LA JUSTICE

Article 1er
Approbation du rapport annexé et programmation budgétaire

L'article 1er tend à approuver le rapport annexé au projet de loi et à prévoir la programmation budgétaire du ministère de la justice pour les exercices 2023 à 2027. Il tend également à fixer un objectif de création nette de 1 500 emplois de magistrats et de 1 500 greffiers.

Saluant l'effort budgétaire ainsi consenti, la commission a adopté cet article. Elle a néanmoins rehaussé de 1 500 à 1 800 le nombre net d'emplois de greffiers qu'il conviendra de créer et prévu la création nette de 600 emplois de conseillers pénitentiaires d'insertion et de probation.

1. Une programmation budgétaire et des orientations répondant
à l'urgence

Le constat formulé lors des États généraux de la justice est clair : l'institution judiciaire est « au bord de la rupture »118(*). En cause, selon le comité des États généraux de la justice : des « décennies de politiques publiques défaillantes ». Face à cette crise, dont la tribune dite « des 3 000 » magistrats119(*), greffiers et auditeurs de justice a constitué l'acmé, un renforcement des moyens de la justice paraît bienvenu.

L'article 1er du présent projet de loi prévoit en conséquence une augmentation des moyens, entre les crédits de paiement - hors compte d'affectation spéciale (CAS) pension - votés en loi de finances initiale pour 2022 et ceux programmés pour l'exercice 2027, de l'ordre de 1,89 milliard d'euros, soit 21,28 %, pour atteindre 10,75 milliards d'euros. L'essentiel de cette augmentation serait concentré sur les exercices 2023 à 2025, le montant des crédits de paiement programmé pour 2025 atteignant déjà 10,68 milliards d'euros.

En prenant en compte les hypothèses d'inflation formulées par le Gouvernement pour le projet de loi de programmation des finances publiques pour 2023 à 2027, l'augmentation des moyens en volume serait néanmoins plus modeste, de l'ordre de 6,8 % environ.

Tableau d'évolution de la programmation budgétaire
pour les années 2023 à 2027

Crédits de paiement hors CAS pensions

2022
(pour mémoire)

2023

2024

2025

2026

2027

Évolution 2022-2027

Budget du ministère de la justice
(en millions d'euros)

8 862

9 579

10 081

10 681

10 691

10 748

1 886

Évolution prévisionnelle en valeur

NA

8,09%

5,66%

6,77%

0,11%

0,64%

21,28%

Inflation prévisionnelle
(LPFP 2023-2027)

NA

4,30%

3,00%

2,10%

1,75%

1,75%

13,56%

Évolution prévisionnelle en volume

NA

3,63%

2,18%

3,77%

-1,63%

-1,20%

6,80%

Source : commission des lois du Sénat,
à partir des prévisions d'inflation pour la LPFP 2023-2027

Auditionné par la commission, le garde des sceaux, ministre de la justice, Éric Dupond-Moretti a estimé que cette augmentation des moyens devait permettre de financer quatre priorités :

- la réalisation du programme immobilier du ministère de la justice, qui inclut la rénovation, l'entretien et la construction de l'immobilier judiciaire et pénitentiaire - dont la construction de places supplémentaires de prison, dont le coût représente, en 2023, 323 millions d'euros de crédits de paiement ;

- la conduite de la modernisation des outils numériques du ministère ;

- la revalorisation des rémunérations des agents du ministère, ce qui inclut la hausse de 1 000 euros mensuels pour les magistrats120(*) ;

- les recrutements de magistrats, greffiers et assistants de justice en particulier.

Sur ce dernier point, l'article 1er prévoit la création nette de 9 395 emplois (605 des 10 000 emplois annoncés ayant déjà été créés en 2022 au titre de la justice de proximité).

Il prévoit une clé de répartition très rudimentaire de ces créations d'emplois, disposant que 1 500 d'entre elles concerneront les magistrats et 1 500 autres concerneront les greffiers. Le schéma d'emplois transmis par les services de la Chancellerie est retracé dans le tableau ci-dessous.

Trajectoire prévisionnelle de création des emplois de 2022 à 2027

Exercice

LFI 2022

2023

2024

2025

2026

2027

Schéma d'emplois en
équivalents temps plein
(écart cumulé)

0

2 913

4 829

6 736

8 356

10 000

Source : secrétariat général du ministère de la justice

Enfin, outre la précision du périmètre budgétaire constituant la mission « justice » - qui demeurerait inchangée - l'article 1er du présent projet de loi prévoit l'approbation du rapport annexé à ce dernier. Ce rapport a essentiellement vocation à décliner le plan d'action pour la justice annoncé par le garde des sceaux, Éric Dupond-Moretti, le 5 janvier 2023 à l'issue des États généraux de la justice.

2. La position de la commission : une programmation à préciser, des orientations à contrôler

2.1. Une programmation budgétaire bienvenue, à préciser

La commission a jugé bienvenue l'augmentation proposée des moyens alloués au ministère de la justice. Cette programmation est similaire à celle votée par le Sénat dans le cadre de l'examen du projet de loi de programmation des finances publiques pour 2023-2027, qui prévoyait des plafonds de crédits de paiement de 9,6, 10,1 et 10,7 milliards d'euros respectivement pour les exercices 2023, 2024 et 2025. Dans la mesure où les exercices 2026 et 2027 ne prévoient une hausse des crédits que de l'ordre de 67 millions d'euros, la commission a estimé que l'essentiel de la hausse proposée des crédits a déjà fait l'objet d'un consensus.

La commission a également relevé que la programmation ainsi opérée s'inscrivait dans des hausses de crédits pour les ministères régaliens (intérieur, justice et armées) relativement similaires : la loi n° 2023-22 du 24 janvier 2023 d'orientation et de programmation du ministère de l'intérieur (LOPMI) et le projet de loi de programmation militaire prévoient ainsi des augmentations de crédits de paiement de l'ordre de 21,99 % sur 2022-2027 et de 22,81 % sur 2023-2027 respectivement, soit un ordre de grandeur similaire à celui retenu par l'article 1er du présent projet de loi.

Les rapporteurs ont néanmoins rejoint l'avis du haut conseil des finances publiques (HCFP), qui relève dans son avis sur le projet de loi que l'augmentation proposée se traduira, pour respecter les objectifs de dépense publique fixés, par une diminution relative des crédits ouverts pour d'autres missions : « les crédits couverts par ces lois de programmation [la LOPMI et le projet de loi de programmation militaire] vont connaître une croissance plus rapide que le total de la dépense de l'État, imposant, pour respecter l'objectif de dépenses fixé en projet de loi de programmation des finances publiques, une croissance faible des autres dépenses en valeur entre 2023 et 2027 (+ 0,7 % en moyenne), correspondant à une baisse de ces dépenses en volume sur la période (- 1,4 % en moyenne). » Elles ont également rejoint l'avis formulé par le Conseil d'État121(*) et estimé qu'une programmation plus fine, par programme - au-delà des exercices 2024 et 2025, qui sont déjà déclinés par programme dans le cadre du programme annuel de performances pour 2023 - et, s'agissant des recrutements, par année et par catégorie d'emplois, aurait permis de mieux éclairer la représentation nationale sans constituer une contrainte excessive de gestion, s'agissant de dispositions de portée programmatique.

En toute hypothèse, la programmation proposée pour le ministère de la justice a paru à même d'apporter un début de réponse à la crise que connaît le service public de la justice et a donc emporté l'accord de la commission.

Celle-ci a néanmoins souhaité préciser, par l'adoption de l'amendement COM-102 des rapporteurs, la répartition des créations nettes d'emplois prévues à l'article 1er.

En premier lieu, et à titre principal, la commission a prévu une répartition générale des emplois ainsi créés entre trois métiers essentiels au bon fonctionnement de la justice. D'une part, le nombre de 1 500 magistrats, qui constitue un objectif de recrutement raisonnable serait conservé en l'état : une fois que les travaux d'évaluation de la charge de travail des magistrats seront conduits à leur terme, ce total pourra néanmoins être réévalué. D'autre part, le nombre net d'emplois de greffiers créés serait porté de 1 500 à 1 800, en cohérence avec le ratio ayant généralement cours dans les juridictions de 1,2 greffier pour 1 magistrat. Enfin, conformément aux préconisations du rapport d'information, présenté au nom de la commission des lois, par Marie Mercier et Laurence Harribey sur l'évaluation des services pénitentiaires d'insertion et de probation, l'amendement prévoit la création de 600 postes de conseillers pénitentiaires d'insertion et de probation122(*).

En second lieu, elle a clarifié le nombre total des créations nettes sur la période 2023-2027, qui sera de 9 395 équivalents temps plein, pour les raisons évoquées ci-avant.

2.2. Des orientations à contrôler et enrichir

La commission a pris acte des orientations évoquées dans le rapport annexé. Eu égard à la multiplicité des sujets évoqués, qui entretiennent souvent un lien particulièrement ténu avec le projet de loi, il n'a pas paru à la commission opportun d'en modifier les équilibres.

Le plan d'actions contenu dans cet acte, dont la portée normative est nulle et qui ne constitue qu'un engagement politique du Gouvernement, devra néanmoins faire l'objet d'une attention vigilante du Parlement : l'approbation du rapport annexé ne valant pas quitus pour un plan d'actions à la confection duquel il n'a pas été associé, il lui reviendra d'exercer ses prérogatives de contrôle de l'action du Gouvernement dans toute leur latitude.

La commission a néanmoins accepté que le rapport annexé soit complété par l'amendement COM-155 du Gouvernement relatif à l'organisation des juridictions dans le cadre de la lutte contre les violences intrafamiliales. Il prévoit notamment la constitution de pôles spécialisés, au siège comme au parquet, ainsi que la création d'un comité de pilotage unique à l'échelle de la juridiction, dit « COPIL VIF ».

La commission a adopté l'article 1er ainsi modifié.


* 118 Rapport du comité des États généraux de la justice, p. 36.

* 119 Cette tribune, publiée en novembre 2021, a finalement été signée par plus de 7 000 personnes.

* 120 Sollicité par les rapporteurs, le secrétariat général du ministère de la justice n'a pas été en mesure de chiffrer ce coût.

* 121 Dans son avis sur le projet de loi, le Conseil d'État a ainsi relevé que « la répartition de ces crédits entre les différents programmes du ministère trouverait avantage à être exposée dans l'étude d'impact ce qui aurait également pour effet d'éclairer une variation annuelle anticipée de la progression des crédits qui, faute d'explications, peut sembler erratique » et que « la progression des emplois est présentée sous la forme d'un objectif global de dix mille emplois supplémentaires créés à l'issue de la période 2023-2027, sans que soit précisée la progression annuelle et par catégorie du plafond d'emplois. »

* 122 Rapport d'information n° 353 (2022-2023) sur l'évaluation des services pénitentiaires d'insertion et de probation, de Marie Mercier et Laurence Harribey, fait au nom de la commission des lois, déposé le 15 février 2023, p. 21, consultable à l'adresse suivante : https://www.senat.fr/rap/r22-353/r22-353.html.