II. LA PROPOSITION DE LOI : UNE SOLUTION PRAGMATIQUE À UN PROBLÈME PONCTUEL
A. INTRODUIRE DEUX NOUVELLES FACULTÉS SUBSIDIAIRES DE DÉSIGNATION D'UN CONSEILLER MUNICIPAL POUR ÉVITER UNE VACANCE
Comme le rappelle l'exposé des motifs de la proposition de loi, il peut être estimé que « le législateur n'a pas procédé à une conciliation équilibrée entre les principes de parité et de représentation des communes au sein des intercommunalités dont elles sont membres, puisque l'application du premier de ces principes fait échec à l'application du second » 11 ( * ) .
La présente proposition de loi, déposée
par la présidente de la délégation aux
collectivités territoriales, Françoise Gatel, prévoit
deux assouplissements pour corriger ces dysfonctionnements ponctuels
dans la représentation des communes de plus de 1 000 habitants au
sein des
conseils communautaires
afin que, lorsqu'intervient la
vacance d'un siège de conseiller communautaire et
lorsqu'il
n'existe pas de conseiller municipal ou de conseiller d'arrondissement de
même sexe candidat à ce siège
:
• le siège soit pourvu par le premier candidat élu conseiller municipal ou conseiller d'arrondissement suivant sur la liste des candidats aux sièges de conseiller communautaire sur laquelle le conseiller à remplacer a été élu, sans tenir compte de son sexe ;
• qu'à défaut, lorsqu'il n'y a plus de candidat élu conseiller municipal ou conseiller d'arrondissement pouvant pourvoir le siège sur la liste des candidats au siège de conseiller communautaire, le siège soit pourvu par le premier conseiller municipal ou conseiller d'arrondissement élu sur la liste correspondante des candidats aux sièges de conseiller municipal n'exerçant pas de mandat de conseiller communautaire, sans tenir compte de son sexe .
Une telle dérogation ne serait applicable qu'à l'issue de la première année du renouvellement général des conseils municipaux .
Modalités de remplacement d'un conseiller
communautaire démissionnaire
envisagées
par
la proposition de loi
Source : commission des lois du Sénat
B.
APPROUVER LE PRINCIPE D'UN DISPOSITIF LIMITÉ, ENCADRÉ
ET
SUBSIDIAIRE POUR REMÉDIER AUX DIFFICULTÉS DES ÉLUS
LOCAUX
1. Une initiative nécessaire et approuvée dans son principe
a) Une mesure pleinement partagée par la commission des lois
Au regard des difficultés précédemment évoquées, la proposition de loi déposée par Françoise Gatel apporte une réponse durable et pragmatique à la multiplication des vacances de siège au sein des conseils communautaires . La commission des lois, attachée à la représentation continue et complète des communes au sein des conseils communautaires s'est en conséquence prononcée à l'unanimité en faveur de son adoption .
Suivant sa rapporteure, elle a jugé que si les dispositions relatives à la parité au sein des listes communautaires et leur application en cas de démission en cours de mandat ont indéniablement prouvé leur efficacité afin d'assurer une représentation équilibrée des sexes dans les instances locales 12 ( * ) , l'obligation d'appliquer le principe de parité pour sur toute la durée du mandat, pouvait aboutir à une inacceptable vacance durable du siège, résultant in fine en un défaut préjudiciable de représentation de la commune membre au sein de son EPCI à fiscalité propre .
Elle a souligné la démarche pragmatique et ponctuelle retenue par le texte, qui s'illustre par :
- le caractère subsidiaire des assouplissements proposés, qui loin de modifier les dispositions en vigueur, ajoutent deux autres modalités de désignation des conseillers communautaires en cas d'échec des précédentes ;
- l' encadrement dans le temps du mandat de ces dérogations pour ne les rendre applicables qu'après une année de mandat, afin de se prémunir contre toute stratégie malveillante de « démissions en cascade » ;
- et le champ limité du dispositif, qui ne s'appliquerait qu'aux seules communes de plus de 1 000 habitants représentées par plusieurs sièges au conseil communautaire, soit, d'après les éléments transmis à la rapporteure, moins de 30 % des communes françaises.
b) Une attention à la constitutionnalité du dispositif
Certaines personnes entendues par la rapporteure ont émis des doutes quant à la conformité à la Constitution du dispositif créé . Dès lors qu'il consiste à prévoir des modalités permettant le remplacement d'un candidat d'un sexe par celui du sexe opposé, certains y voient en effet une rupture du principe d'égal accès des hommes et des femmes aux fonctions électives et aux mandats politiques . La commission n'a pas jugé ces craintes justifiées.
En premier lieu, le Conseil constitutionnel a, par deux fois, précisé la portée du principe de parité en jugeant, d'une part, qu'il « n'institu [ait] pas un droit ou une liberté que la Constitution garantit » 13 ( * ) et, d'autre part, « qu'il est loisible au législateur d'adopter [ en la matière ] des dispositions revêtant soit un caractère incitatif, soit un caractère contraignant. Il lui appartient toutefois d'assurer la conciliation entre cet objectif et les autres règles et principes de valeur constitutionnelle auxquels le pouvoir constituant n'a pas entendu déroger » 14 ( * ) . La commission, à l'invitation de sa rapporteure, a dès lors estimé que la conciliation qui avait été ainsi opérée par le législateur entre les deux principes de représentation des communes et de parité n'était pas satisfaisante et qu'il convenait, ce faisant, de la modifier en adoptant le dispositif de la proposition de loi.
Au surplus, et en second lieu, le juge constitutionnel a précisé que le principe de parité, s'il « permet au législateur d'imposer des règles de parité pour l'accès aux mandats électoraux de caractère politique, ne lui impose pas d'imposer » 15 ( * ) . C'est ainsi qu'il a admis la substitution du mode de scrutin majoritaire au mode de scrutin proportionnel dans les départements où trois sénateurs étaient élus et ce, alors que seul le scrutin proportionnel permet une alternance stricte entre les sexes des candidats.
Sur ce point, il ne fait aucun doute pour la commission, que le principe de représentation juste et continue des communes au sein des groupements intercommunaux, protégé à plusieurs reprises par la jurisprudence constitutionnelle, ne saurait être mis en échec par un autre principe et a fortiori , celui de parité, justifiant ainsi d'y déroger ponctuellement et subsidiairement .
2. Un ajustement nécessaire pour garantir la sécurité juridique et éviter les risques de contournement du dispositif
La commission a porté une attention particulière , dans le cadre de son examen de la proposition de loi, à ce qu' un équilibre soit trouvé entre la garantie d'une représentation continue des communes au sein du conseil communautaire et celle d'une représentation équilibrée des sexes au sein desdits conseils .
La commission partage le souci de l'auteur de la proposition de loi d'éviter le contournement du dispositif en restreignant son application aux cinq dernières années du mandat communautaire . La tentation de présenter des listes paritaires aux élections municipales et communautaires tout en orchestrant des « démissions en cascade » quelques jours après les élections des conseillers communautaires d'un même sexe afin d'être remplacés par des candidats de l'autre sexe ne saurait, en effet, exister.
La rédaction de la proposition de loi initiale , si elle a le mérite de prévoir une première limitation, apparait toutefois imprécise . Ainsi que l'a indiqué la direction générale des collectivités locales lors de son audition, d'une part, « le point de départ de ce délai » n'est pas déterminé, d'autre part, « en cas de renouvellement du conseil municipal entre deux renouvellements généraux des conseils municipaux et communautaires et si ce renouvellement local a lieu plus d'un an après les dernières élections municipales, il devient possible de déroger immédiatement aux principes de parité ».
La commission a en conséquence estimé qu'une reformulation du dispositif était nécessaire afin d'en garantir l'effectivité, sans pour autant nuire à l'équilibre trouvé . Elle a adopté, en ce sens, un amendement COM-4 présenté par la rapporteure avec l'accord de l'auteur de la proposition de loi, précisant que le dispositif trouverait à s'appliquer à compter d'une année suivant la date d'installation du conseil municipal , plutôt que celle du renouvellement général des conseils municipaux. Aucune vacance intervenue dans le délai d'un an à compter du début de mandat ne pourrait donc se voir appliquer les dispositions de la proposition de loi.
*
* *
La commission a adopté la proposition de loi ainsi modifiée.
* 11 Exposé des motifs de la proposition de loi, p. 1. Il est consultable à l'adresse suivante : https://www.senat.fr/leg/exposes-des-motifs/ppl21-860-expose.html .
* 12 La DGCL a indiqué à la rapporteure qu'après le renouvellement de 2020, le nombre de femmes siégeant dans les conseils communautaires a augmenté de 4,4 points et atteint désormais 35,8 % des conseillers communautaires.
* 13 Conseil constitutionnel, QPC n° 2015-465 du 24 avril 2015, Conférence des présidents d'université, considérant n° 14.
* 14 Ibid , considérant n° 15.
* 15 Plus précisément, le commentaire du Conseil constitutionnel des décisions n° 2003-475 DC et n° 2003-476 DC du 24 juillet 2003 rappelle que « comme l'indiquent les travaux parlementaires, la révision constitutionnelle de juillet 1999 a eu pour seule finalité de lever le « verrou » constitué par la jurisprudence du Conseil constitutionnel proscrivant les distinctions fondées sur le sexe en matière d'élections politiques et, plus généralement, en matière d'accès aux emplois publics (...). Il a été jugé à cet égard que l'intention claire du constituant, telle qu'elle ressortait des débats parlementaires préalables à l'adoption de la loi constitutionnelle du 8 juillet 1999, était non d'obliger, mais d'autoriser le législateur à instaurer des règles contraignantes quant au sexe des candidats aux élections politiques dont le mode de scrutin se prêtait à une telle réglementation (...) C'est dire que le dernier alinéa de l'article 3 de la Constitution, s'il permet au législateur d'imposer des règles de parité pour l'accès aux mandats électoraux de caractère politique, ne lui impose pas d'imposer. C'est dire aussi que le dernier alinéa de l'article 3 de la Constitution ne saurait être interprété comme restreignant le pouvoir que tire le législateur de l'article 34 de la Constitution de fixer les règles concernant le régime électoral des assemblées parlementaires ».