N° 480
SÉNAT
SESSION ORDINAIRE DE 2020-2021
Enregistré à la Présidence du Sénat le 24 mars 2021
RAPPORT
FAIT
au nom de la commission des finances (1) sur le projet de loi autorisant l' approbation de l' avenant à la convention entre le Gouvernement de la République française et le Gouvernement de la République argentine du 4 avril 1979, en vue d' éviter les doubles impositions et de prévenir l' évasion fiscale en matière d' impôts sur le revenu et sur la fortune ,
Par M. Vincent DELAHAYE,
Sénateur
(1) Cette commission est composée de : M. Claude Raynal , président ; M. Jean-François Husson , rapporteur général ; MM. Éric Bocquet, Emmanuel Capus, Bernard Delcros, Vincent Éblé, Charles Guené, Mme Christine Lavarde, MM. Dominique de Legge, Albéric de Montgolfier, Didier Rambaud, Jean-Claude Requier, Mmes Sophie Taillé-Polian, Sylvie Vermeillet , vice-présidents ; MM. Jérôme Bascher, Rémi Féraud, Marc Laménie, Stéphane Sautarel , secrétaires ; MM. Jean-Michel Arnaud, Arnaud Bazin, Mme Nadine Bellurot, M. Christian Bilhac, Mme Isabelle Briquet, MM. Michel Canevet, Vincent Capo-Canellas, Thierry Cozic, Philippe Dallier, Vincent Delahaye, Philippe Dominati, Mme Frédérique Espagnac, MM. Éric Jeansannetas, Patrice Joly, Roger Karoutchi, Christian Klinger, Antoine Lefèvre, Gérard Longuet, Victorin Lurel, Hervé Maurey, Sébastien Meurant, Jean-Marie Mizzon, Claude Nougein, Mme Vanina Paoli-Gagin, MM. Paul Toussaint Parigi, Georges Patient, Jean-François Rapin, Teva Rohfritsch, Pascal Savoldelli, Vincent Segouin, Jean Pierre Vogel .
Voir les numéros :
Sénat : |
701 (2019-2020) et 481 (2020-2021) |
L'ESSENTIEL
I. LA FRANCE ET L'ARGENTINE SONT LIÉES PAR UNE CONVENTION FISCALE DATANT DE 1979
Si les relations économiques entre la France et l'Argentine sont relativement anciennes, elles restent caractérisées par une forte asymétrie . Sur le plan commercial, la France est ainsi le 10 e fournisseur de l'Argentine, tandis que l'Argentine n'est que le 70 e fournisseur de la France. En parallèle, si près de 250 entreprises françaises exercent une partie de leur activité en Argentine, seules deux entreprises argentines ont à ce jour constitué des filiales en France.
Les relations fiscales entre les deux pays sont régies par la convention du 4 avril 1979 en vue d'éviter les doubles impositions et de prévenir l'évasion fiscale en matière d'impôts sur le revenu et sur la fortune , entrée en vigueur en 1981 et modifiée par un avenant en date du 15 août 2001.
Seconde convention signée par la France avec un pays membre du Mercosur, cette dernière ne pose pas de difficultés notables d'application ou d'interprétation , et s'accompagne d'échanges d'information fluides entre les deux administrations.
Si les relations fiscales entre les deux États sont donc pleinement satisfaisantes, la convention de 1979 se caractérise par des taux élevés de retenue à la source en matière de dividendes, d'intérêts et de redevances, ainsi qu'une définition relativement large de ces dernières . À cet égard, elle se rapproche davantage, par certains aspects, du modèle de convention établi par l'Organisation des Nations-Unies (ONU) que de celui de l'Organisation de Coopération et de Développement Économiques (OCDE).
Cette situation, qui s'explique notamment par l'ancienneté de la convention, ne se justifie plus actuellement, puisque l'Argentine a conclu des conventions plus avantageuses avec d'autres États, comportant notamment des plafonds de retenue à la source nettement inférieurs.
Par ailleurs, la législation française a évolué, si bien que la convention actuelle ne prend pas en compte certaines des spécificités françaises.
II. UN AVENANT NÉGOCIÉ À L'INITIATIVE DE LA FRANCE AFIN DE BÉNÉFICIER D'UN ÉQUILIBRE CONVENTIONNEL PLUS FAVORABLE
Initiées par la France, les négociations ont eu lieu du 14 au 16 mai 2019 à Buenos Aires et ont abouti à la signature du présent avenant le 6 décembre 2019, après un seul tour de négociation.
La partie française a ainsi pu remplir son principal objectif de négociation, à savoir obtenir une diminution notable des taux de retenue à la source sur les dividendes, intérêts et redevances. En contrepartie, la France a dû accepter l'insertion d'une clause relative à la reconnaissance d'un établissement stable de services , ce type de stipulation se retrouvant dans de très nombreuses conventions conclues par l'Argentine.
A. UNE RENÉGOCIATION VISANT ESSENTIELLEMENT À OBTENIR DE L'ARGENTINE UNE RÉDUCTION DES TAUX DE RETENUE À LA SOURCE
1. La diminution des taux de retenue à la source sur les dividendes et les intérêts
Les articles 2, 3 et 4 du présent avenant ont pour objet de ramener les plafonds des taux de retenue prélevés par l'État source sur les revenus passifs versés à un résident de l'autre État à un niveau plus acceptable , équivalent aux taux les plus favorables accordés par l'Argentine à ses partenaires.
L'article 2 dispose ainsi que le taux de retenue à la source sur les dividendes diminue de 15 % à 10 % en cas de participation substantielle - c'est-à-dire équivalente ou supérieure à 25 % - du bénéficiaire dans la société qui paie les dividendes tout au long d'une période de 365 jours.
En parallèle, au terme de l'article 3, le taux de retenue à la source sur les intérêts est ramené de 20 % à 12 % , la partie française ayant également obtenu une extension du champ des intérêts exonérés de retenue à la source . Ainsi, les intérêts payés en lien avec la vente d'un équipement industriel, commercial ou scientifique, de même que les intérêts payés au titre d'un prêt accordé à des conditions préférentielles par un établissement de crédit pour une période de plus de 3 ans ne sont imposables que dans l'État de résidence du bénéficiaire.
Les nouveaux plafonds demeurent cependant supérieurs aux standards de l'OCDE - à savoir 5 % pour les dividendes et 10 % pour les intérêts.
2. La taxation des redevances : une réduction différenciée des taux de retenue en fonction des catégories de revenus
L'article 4 diminue les taux de retenue à la source en matière de redevances, tout en opérant une différenciation des plafonds applicables en fonction des catégories de revenus . Le taux de retenue à la source passe donc de 18 %, toutes catégories de redevances confondues, à 3 % s'agissant des redevances versées pour l'usage ou la concession de l'usage d'informations internationales, 5 % pour les redevances versées pour l'usage ou la concession de l'usage d'un droit d'auteur sur des oeuvres littéraires, artistiques ou scientifiques et 10 % dans tous les autres cas.
Il convient également de relever que l'article 6 du présent avenant exclut explicitement du champ des redevances visées par la convention les rémunérations de services « normalisés » , qui ne nécessitent pas un savoir-faire spécifique et ne font appel qu'à un savoir-faire usuel à la profession du prestataire.
Si cet ajout constitue davantage une clarification qu'une nouveauté, il acte néanmoins la renonciation de l'Argentine à inclure les prestations d'assistance technique dans le champ des redevances , et plus généralement à taxer les services rendus par une entreprise sans recours à un établissement stable sur le territoire argentin .
3. Le plafonnement du taux de retenue à la source pour les gains en capital
En dernier lieu, l'article 5 plafonne l'imposition applicable dans l'État de la source sur les gains réalisés lors de la cession du capital d'une société : ainsi, lorsque le cédant détient une participation supérieure à 25 %, le taux maximum de retenue à la source est fixé à 10 %, tandis qu'il s'élève à 15 % dans les autres cas.
En pratique, les modalités de retenue à la source applicables en matière de dividendes ont été étendues aux gains en capital ; cette avancée constitue une demande des négociateurs français , certaines des conventions fiscales signées par l'Argentine prévoyant de tels plafonnements.
B. UN AVENANT PERMETTANT D'INSÉRER PLUSIEURS CLAUSES DU MODÈLE FRANCE AU SEIN DE LA CONVENTION FRANCO-ARGENTINE
Les négociations franco-argentines ont permis l'insertion au sein de la convention de plusieurs clauses spécifiques du modèle France , avec :
- l'introduction d'un mécanisme de taxation des sociétés d'investissement immobilier cotées (SIIC), clause dont la France demande systématiquement l'insertion dans ses conventions ;
- la reconnaissance expresse d'un droit à taxer les revenus réputés distribués , la jurisprudence du Conseil d'État ayant rendu l'ajout de cette clause indispensable pour que la France puisse continuer à imposer ces revenus ;
- l' homogénéisation des taux de « branch tax » applicables en France et en Argentine, permettant l'application du droit interne français en la matière ;
- une clarification des modalités d'imposition des plus-values de cession de biens à prépondérance immobilière , les trusts et fiducies étant désormais explicitement inclus dans le champ de la prépondérance immobilière, conformément au droit français et aux derniers standards de l'OCDE ;
- la mise en place d'une exonération d'impôt sur le revenu pour les volontaires internationaux .
C. LA CONCLUSION D'UNE CLAUSE DE LA NATION LA PLUS FAVORISÉE À PORTÉE LARGE
L'article 7 substitue à l'ancienne clause de la nation la plus favorisée, une clause plus large au profit de la France . À l'avenir, notre pays bénéficiera donc automatiquement du traitement plus favorable que l'Argentine serait susceptible d'accorder à un autre État en matière de revenus passifs (intérêts, dividendes, redevances), de gains en capital, de revenus de professions indépendantes ou d'établissement stable .
L'insertion de cette clause constitue une concession significative , garantissant que la France bénéficiera toujours des taux les plus favorables octroyés par l'Argentine à ses partenaires.
III. EN CONTREPARTIE DES CONCESSIONS FAITES À LA FRANCE, L'INSERTION D'UNE CLAUSE PERMETTANT LA TAXATION DES ÉTABLISSEMENTS STABLES DE SERVICE
En contrepartie de la diminution des taux de retenue à la source sur les revenus passifs, qui se traduira par une baisse des recettes fiscales argentines, la France a dû accepter l'insertion d'une clause permettant la taxation des établissements stables de service .
L'article 1 er permet ainsi la reconnaissance d'un établissement stable (c'est-à-dire d'une base taxable), en l'absence de toute installation matérielle dans le pays (bureau, atelier, etc.), dès lors qu'une entreprise rend des services dans cet État pour une ou des périodes représentant plus de 183 jours au cours d'une année.
La clause négociée par la France a cependant une portée nettement plus restreinte que la demande initialement formulée par l'Argentine, qui souhaitait pouvoir taxer l'ensemble des services rendus par des entreprises françaises , sur une base brute, sans condition de durée, en insérant les rémunérations des prestations de services techniques dans l'article 12 portant sur les redevances.
Si, d'un point de vue fiscal, l'impact de cette clause devrait rester limité pour les entreprises françaises, sa mise en oeuvre risque de se traduire par un alourdissement des contraintes réglementaires et administratives pesant sur les entreprises françaises et les administrations fiscales des deux États .
IV. DANS L'ENSEMBLE, UNE RENÉGOCIATION AVANTAGEUSE POUR LE TRÉSOR PUBLIC ET LES ENTREPRISES FRANÇAISES
A. UN AVENANT FAVORABLE AU TRÉSOR PUBLIC FRANÇAIS
Dans un contexte d'asymétrie des flux d'investissement - la France étant le plus souvent État de résidence dans ses relations avec l'Argentine -, la réduction des plafonds de retenue devrait en principe bénéficier au Trésor public français . En effet, le montant de l'impôt argentin à éliminer sera diminué , majorant d'autant les rentrées fiscales françaises .
Si, en parallèle, la reconnaissance d'un établissement stable de services devrait se traduire par une diminution des recettes fiscales françaises , l'administration française estime que ces dernières devraient rester limitées.
B. UN NOUVEL ÉQUILIBRE CONVENTIONNEL GLOBALEMENT AVANTAGEUX POUR LES ENTREPRISES FRANÇAISES
Selon l'étude d'impact, la réduction des taux de retenue à la source devrait bénéficier aux entreprises françaises procédant à des investissements en Argentine , qui verront leur charge fiscale locale diminuée et plafonnée.
De surcroît, la situation des entreprises françaises sera désormais comparable à celle des autres groupes étrangers implantés en Argentine, si bien que leur position concurrentielle sera améliorée.
En parallèle, l'effort consenti avec l'établissement stable de services ne devrait concerner qu'une trentaine de structures françaises sur les 250 entreprises qui ont déployé une partie de leur activité en Argentine . Au demeurant, l'établissement stable de services ne devrait pas concerner l'ensemble de ces entreprises , puisque celles qui interviennent régulièrement sur le territoire argentin ont fini par y constituer une installation fixe, et y sont donc déjà imposables à raison des bénéfices réalisés.
Par conséquent, selon l'administration fiscale française, le nouvel équilibre conventionnel devrait se révéler globalement favorable aux intérêts économiques français .