B. LA MAJORATION ATTENDUE DES CRÉDITS DU CENTRE NATIONAL DE LA MUSIQUE
1. Un nouvel outil de soutien au secteur
Le Centre national de la musique a été mis en place le 1 er janvier 2020. Cet établissement public à caractère industriel commercial 7 ( * ) est appelé à devenir l'équivalent, dans le domaine de la musique, du centre national du cinéma et de l'image animée. Ce projet de « maison commune de la musique » avait été une première fois envisagé en 2011. Le ministère de la culture a relancé l'idée en juin 2017, en commandant un rapport sur le sujet 8 ( * ) puis en confiant à deux députés une mission de préfiguration en novembre 2018 9 ( * ) . La proposition de loi découle de celle-ci.
Le Centre national de la musique (CNM) est chargé de quatre missions :
- l'observation de la filière musicale ;
- l'information, la formation, le conseil et l'accompagnement des professionnels ;
- le soutien économique aux acteurs ;
- le développement international.
Le nouvel établissement réunit plusieurs structures préexistantes :
- le centre national de la chanson, des variétés et du jazz (CNV) ;
- le club action des labels et disquaires indépendants (CALIF) ;
- le centre d'informations et de ressources pour les musiques actuelles (IRMA) ;
- le fonds pour la création musicale ;
- le bureau export de la musique.
Le Président du CMN peut délivrer, au nom du ministre de la culture, les agréments fiscaux des crédits d'impôt pour la production d'oeuvres phonographiques (CIPP) et pour les dépenses de production de spectacle vivant (CISV) atteignant environ 30 millions d'euros par an.
Le CNM dispose de plusieurs sources de financement. Il perçoit ainsi le produit de la taxe sur les spectacles de musiques actuelles et de variétés, versée jusqu'alors au CNV.
Les crédits budgétaires initialement dédiés à l'IRMA, au fonds pour la création musicale (FCM), au club action des labels et disquaires indépendants (CALIF) ou au Bureau export de la musique viendront également abonder son budget.
Enfin, les organismes de gestion collective pourront affecter au CNM les contributions actuellement destinées à l'action culturelle et sociale.
Ces sommes sont complétées par une subvention du ministère chargé de la culture. La loi de finances pour 2019 a ainsi prévu une dotation de 7,5 millions d'euros, via le programme 334. Les ressources initialement affectées au CNV dans le programme 131 « Création » de la mission « Culture », évaluées à 0,495 million d'euros sont venues compléter cette dotation.
2. Une augmentation des crédits en trois temps
a) Une première majoration exceptionnelle dans la troisième loi de finances rectificative pour 2020 prolongée par le collectif budgétaire de fin d'année
La crise sanitaire et ses incidences économiques ont eu un effet dramatique sur le secteur musical, exacerbant les difficultés de la filière phonographique et fragilisant les entreprises du spectacle vivant.
A ce stade, la perte de chiffre d'affaires pour le secteur de la musique enregistrée est estimée à 241 millions d'euros par rapport à 2019 par le ministère de la culture, soit une chute de 12 % 10 ( * ) . D'après le syndicat national de l'édition phonographique, le marché physique (CD et vinyles), qui représentait encore 37 % des ventes en 2019 enregistre une baisse de 20 % des ventes au premier semestre 2020. Seule la diffusion sur les plateformes de streaming et de téléchargement tend à résister (+ 8 % par rapport à 2019). Dans le même temps, les droits voisins issus de la gestion collective (rémunération équitable, copie privée, clips) devraient chuter de 25 % en 2020. Ces chiffres restent à préciser compte-tenu de la poursuite de la crise.
S'agissant du spectacle vivant musical, le ministère de la culture estimait en juillet 2020 à 74 % le niveau de la chute du chiffre d'affaires par rapport à 2019, soit une perte de 2,9 milliards d'euros 11 ( * ) . Cette estimation pourrait être réévaluée à la hausse compte-tenu des mesures de couvre-feu mises en place en France depuis le 16 octobre dernier et du nouveau confinement mis en oeuvre le 30 octobre suivant. Le ministère tablait en effet sur une reprise de l'activité sur les trois derniers mois de l'année.
Plusieurs dispositifs ont été mis en oeuvre au cours de l'année 2020 afin de répondre à cette crise et de limiter les pertes du secteur.
(1) Le CNM a bénéficié de 50 millions d'euros supplémentaires en troisième loi de finances rectificative pour 2020
La troisième loi de finances rectificative pour 2020 a ainsi permis de débloquer 50 millions d'euros en faveur du CNM , destinés à lui permettre de faire face à la baisse de la taxe sur les spectacles de variétés en raison du confinement. La loi de finances initiale pour 2020 tablait initialement sur un produit de 42,5 millions d'euros. Or, la perte en billetterie de la filière spectacle était estimée à 500 millions d'euros à la fin mai 2020. La chute des recettes du CNM s'élèverait donc à au moins 24 millions d'euros pour l'année 2020. Ce montant pourrait encore évoluer au regard des mesures de couvre-feu mises en place à Paris et dans plusieurs département depuis le 16 octobre dernier. L'Assemblée nationale a d'ailleurs adopté un amendement au présent projet de loi de finances prévoyant l'annulation de la perception de la taxe par le CNM pour la période allant du 17 mars au 31 décembre 2020. La date limite de paiement de la taxe pour les représentations antérieures au 17 mars 2020 est reportée au 31 décembre 2021.
La dotation supplémentaire de 50 millions d'euros était également destinée à financer une partie des mesures d'urgence mises en oeuvre au mois de mars 2020 par le CNM pour faire face aux incidences des annulations de spectacles dans le secteur musical. Un fonds d'urgence doté de 11,5 millions d'euros a été ainsi mis en place dès le mois de mars 2020. Ce dispositif prend la forme d'aides de trésorerie, plafonnées à 11 500 euros, versées aux TPE/PME disposant d'une licence d'entrepreneur de spectacle et exerçant dans le domaine de la musique et des variétés.
Le fonds d'urgence du Centre national de la musique mis en place en mars 2020 Ce mécanisme a été dans un premier temps financé par les ressources existantes du CNM : crédits affectés par l'État en vue du financement d'autres opérations suspendues depuis le début de la crise (6 millions d'euros), fonds de roulement du CMN (4 millions d'euros) et le reste (1,5 million d'euros) étant supporté équitablement par trois organismes de gestion collective (SPEDIDAM - société de gestion collective des droits de Propriété Intellectuelle des artistes-interprètes, ADAMI - Société civile pour l'administration des droits des artistes et musiciens interprètes et SACEM - Société des auteurs, compositeurs et éditeurs de musique). Un redéploiement de crédit de l'ordre de 1 million d'euros sur le programme 334 avait également été opéré à son profit. |
Les crédits votés en troisième loi de finances rectificative pour 2020 ont également permis de soutenir la mise en place d'un fonds de sauvegarde à destination de l'édition musicale et des entreprises du secteur de la musique enregistrée (disquaires, distributeurs et producteurs phonographiques), doté de 16 millions d'euros.
(2) Une nouvelle dotation de 60 millions d'euros prévue dans le collectif budgétaire de fin d'année
D'autres mécanismes ont été mis en place afin de faire face aux mesures de couvre-feu décidées le 16 octobre dernier puis celles de reconfinement mises en place le 30 octobre suivant. Le projet de quatrième loi de finances rectificative pour 2020 prévoit ainsi une dotation de 60 millions d'euros.
Cette dotation devrait permettre d'abonder :
- le fonds de sauvegarde, dont les crédits sont portés de 16 à 50 millions d'euros , 480 dossiers étant actuellement soutenus par ce dispositif. Il couvre également les entreprises privées de spectacles dans le domaine de la musique classique et contemporaine, non soutenues jusqu'alors car n'entrant pas dans le champ de la taxe sur les spectacles de musiques actuelles et de variétés. Le plafond de l'aide pour ces structures est fixé à 35 000 euros. 17 dossiers ont d'ores et déjà été déposés ;
- le fonds d'urgence devenu, entre temps, fonds de compensation des pertes de billetterie liées au maintien des mesures de distanciation physique, doté de 50 millions d'euros . Une même structure pourra solliciter un ou plusieurs aides dans la limite d'un plafond annuel de 500 000 euros. Prolongé jusqu'en juin 2021, il a fait l'objet de 308 demandes d'intervention ;
- une enveloppe de 5 millions d'euros destinée au financement d'un fonds de soutien aux diffusions alternatives . Ce fonds vise la captation audiovisuelle de concert au sein des salles de spectacle vides. Entre 15 et 30 spectacles devraient ainsi être captés d'ici à la fin de l'année, l'intervention du CNM étant plafonnée en valeur relative à 50% du coût global du projet et en valeur absolue à 75 000 euros pour un spectacle faisant l'objet d'une exploitation audiovisuelle commerciale et à 25 000 euros pour un spectacle faisant ne faisant pas l'objet d'une exploitation commerciale ;
- un dispositif de 4 millions d'euros visant à soutenir le secteur de la production phonographique (aides aux enregistrements notamment) ;
- une provision pour garantir la rémunération des auteurs et compositeurs pour les représentations soutenues par le mécanisme de compensation. Dotée de 5 millions d'euros , elle vise les spectacles pour lesquels les organismes de gestion collective des droits d'auteurs font le choix de collecter les droits de représentation publique sur la billetterie.
Le président du CNM a indiqué au rapporteur spécial que 650 dossiers de demande d'aide par ces différents dispositifs devraient avoir été traités d'ici la fin de l'année 2020. Aucune faillite n'a, pour l'heure, été enregistrée.
b) Une majoration des crédits de 7,8 millions d'euros en 2021 destinée à accompagner la montée en charge du CNM
Comme envisagé lors de sa création, la montée en charge du CNM se traduit en 2021 par une majoration de 7,5 millions d'euros de la subvention qui lui est accordée. Il s'agit ainsi de pouvoir développer de nouveaux programmes d'aides. A ces crédits s'ajoutent ceux initialement dédiés à l'observatoire de l'économie de la filière musicale, soit 0,3 million d'euros. La dotation du CNM devrait, dans ces conditions, atteindre 15,795 millions d'euros en 2021 contre 7,995 millions d'euros en loi de finances pour 2020.
Cette augmentation reste cependant en deçà des orientations du rapport de la mission de préfiguration Ce document insistait en effet sur un financement complémentaire de l'État de 20 millions d'euros.
Il peut, par ailleurs rapidement s'avérer insuffisant compte-tenu de l'aléa épidémiologique et des contraintes sanitaires qu'il suppose.
La « maison commune de la musique » que le CNM est, enfin imparfaitement fondée, puisqu'elle n'abrite pas pour l'heure les professionnels de la musique classique, exclus initialement du mécanisme de compensation des pertes de billetterie avant que ne soit mis en place un fonds d'urgence dédié.
Le rattachement prévu d'autres structures, effectif au 1 er novembre 2020, n'est, en outre, toujours pas traduit au plan budgétaire. Ainsi, le présent projet de loi de finances maintient au sein des crédits centraux de la sous-action 1 « Soutien dans le domaine de la musique enregistrée » les sommes dédiées au Club Action Labels Indépendants Français CALIF (0,25 million d'euros), au Centre d'information et de ressources pour les musiques actuelles (IRMA), au fonds pour la création musicale (FCM), au Bureau export de la musique (également financé par le programme 185 « Diplomatie culturelle et influence », 2,7 millions d'euros), et au Fonds pour la création musicale (0,26 million d'euros).
c) Une dotation exceptionnelle via le Plan de relance
L'action 05 du programme 363 de la mission « Plan de relance » prévoit la mise en place d'un soutien financier au spectacle vivant privé, en particulier musical. 200 millions d'euros en AE et 170 en CP seront ainsi transférés au CNM en vue de la mise en oeuvre d'un dispositif en faveur de filière musicale.
Le CNM devrait, par ailleurs, bénéficier d'une augmentation de ses crédits propres de 10 millions d'euros en AE et 5 millions d'euros en CP, complétant ainsi la majoration prévue au sein du programme 334. Par ce biais, le CNM devrait ainsi bénéficier, en 2021, d'un financement complémentaire de l'État de 20 millions d'euros, comme envisagé par la mission de préfiguration. Il reste à savoir si cette dotation supplémentaire via la mission « Plan de relance » sera, à l'avenir, pérennisée.
3. Une dépense fiscale adaptée à la crise
Le soutien à la filière musicale est matérialisé par deux crédits d'impôts :
- le crédit d'impôt pour les dépenses de production phonographique (CIPP), dont l'impact fiscal était estimé à 11 millions d'euros en 2018 ;
- le crédit d'impôt pour dépenses de production de spectacles vivants (CISV).
La dépense fiscale afférente au CISV était estimée à 15 millions d'euros en 2018. Ramené en loi de finances pour 2019 aux spectacles musicaux, qui doivent comprendre quatre représentations au minimum dans au moins trois lieux différents et limité par un seuil d'affluence à partir duquel les artistes ne sont plus éligibles à ce dispositif, le périmètre du CISV a été élargi en loi de finances rectificative pour 2020 afin d'intégrer les spectacles de théâtre et les spectacles de variétés. Les circonstances exceptionnelles que le secteur traverse ont incité à une telle révision afin d'intégrer les représentations théâtrales. 99 % des entreprises du spectacle vivant sont en effet des TPE/PME, dont la trésorerie est en large partie dépendante de la billetterie. Le montant des subventions ne représente que 10 % de leur chiffre d'affaires. En ce qui concerne des spectacles de variétés, il s'agit d'une réintégration.
La mise en place du crédit d'impôt en 2016 avait en effet permis la création de 505 ETP (emplois permanents et intermittents), soit 2 en moyenne par entreprise bénéficiaire. 153 nouveaux spectacles avaient, par ailleurs, pu être montés en 2017. L'exercice 2020 devrait logiquement être marqué par une chute de la dépense fiscale dédiée, le CNM estimant le montant de celle-ci à 11 millions d'euros contre 14 millions d'euros en 2019.
À l'initiative du Gouvernement, l'Assemblée nationale a adopté un amendement dans le cadre du présent projet de loi de finances visant à revenir sur l'élargissement aux représentations théâtrales et à instaurer, dans le même temps, un crédit d'impôt en faveur des représentations théâtrales d'oeuvres dramatiques.
4. Le défi des droits voisins
Dans un arrêt en date du 8 septembre dernier, la Cour de justice de l'Union européenne a indiqué que les organismes de gestion collective (OGC) des droits d'auteur de l'Union européenne devaient traiter les créateurs de musique de manière égale, quelle que soit leur nationalité 12 ( * ) . Celles-ci devront donc rémunérer tous les détenteurs de droits en fonction de leur pays d'origine, y compris les auteurs provenant des États-Unis. L'absence de réciprocité conduisait jusque-là lesdits organismes à ne pas rémunérer les titres américains. Les droits à rémunération équitable collectés sur les enregistrements issus d'États tiers ayant notifié des réserves aux conventions internationales dédiées étaient considérés jusqu'à présent comme des « irrépartissables juridiques ».
Cette obligation représenterait une charge annuelle comprise entre 25 et 30 millions d'euros pour les OGC françaises et devrait les conduire à réduire le financement des aides aux auteurs. L'Adami estime ainsi la baisse de ses budgets d'aide à 35 % et évalue ses pertes à une somme comprise entre 12 et 15 millions d'euros par an. Le dépôt de nouvelles demandes d'aides aux projets artistiques a été suspendu jusqu'à fin décembre 2020. La Spedidam a, de son côté, annoncé une baisse de 30 % de ses budgets d'aide, les subventions accordées étant dans le même temps gelées. Le budget des aides des producteurs phonographiques (SCPP et SPPF) devrait également être divisé par deux. Reste à déterminer si l'arrêt de la Cour est à caractère rétroactif : le rattrapage serait alors estimé à 140 millions d'euros.
Pour l'heure, un amendement adopté à l'Assemblée nationale le 7 octobre dernier, dans le cadre de l'examen du projet de loi portant diverses dispositions d'adaptation au droit de l'Union européenne en matière économique et financière 13 ( * ) prévoit de valider le fléchage des sommes concernées vers l'aide à la création, dès lors que ces opérations sont intervenues avant le 8 septembre 2020 au titre de l'aide à la création.
En tout état de cause, les difficultés à venir pour les OGC sont exacerbées par le contexte actuel. Une sollicitation du CNM n'est pas à exclure, ce qui pourrait rendre insuffisantes les sommes d'ores et déjà prévues au sein du présent projet de loi de finances au titre des missions « Médias, livre et industries culturelles » et « Plan de relance ».
* 7 Loi n° 2019-1100 du 30 octobre 2019 relative à la création du Centre national de la musique.
* 8 Rassembler la musique pour un centre national, mission confiée à M. Roch-Olivier Maistre, octobre 2017.
* 9 M. Pascal Bois, député de l'Oise et Mme Émilie Cariou, députée de la Meuse ont été chargés de cette mission.
* 10 Analyse de l'impact de la crise du Covid-19 sur les secteurs culturels - Secteur de la musique enregistrée, Département des études, des prospectives et des statistiques (DEPS) du ministère de la culture.
* 11 Analyse de l'impact de la crise du Covid-19 sur les secteurs culturels - Secteur du spectacle vivant, Département des études, des prospectives et des statistiques (DEPS) du ministère de la Culture.
* 12 Arrêt CJUE 8 septembre 2020 affaire C-265/19Recorded Artists Actors Performers Ltd/Phonographic Performance (Ireland) Ltd e.a.