DEUXIÈME PARTIE
ANALYSE DES PRINCIPAUX DISPOSITIFS DE LA MISSION
A. UNE BAISSE DES CRÉDITS DESTINÉS AU LOGEMENT INCOMPRÉHENSIBLE AU REGARD DES BESOINS
1. Un besoin important et des objectifs ambitieux...
Différents éléments expliquent la crise du logement que connaissent les outre-mer, notamment la forte pression démographique, la rareté du foncier, l'urbanisation rapide et la forte proportion de ménages à bas revenus.
Cette problématique est particulièrement prégnante pour certains territoires ultramarins, comme la Guyane ou Mayotte, qui font face à d'importants flux migratoires, et dont l'insalubrité des logements est de plus en plus alarmante.
Les gouvernements successifs ont donc érigé des objectifs ambitieux en la matière.
La loi de programmation relative à l'égalité réelle outre-mer 19 ( * ) et portant autres dispositions en matière sociale et économique prévoit, dans son article 3, que « la République s'assigne pour objectif la construction de 150 000 logements dans les outre-mer au cours des dix années suivant la promulgation de la présente loi. Cet objectif est décliné territorialement, en tenant compte des besoins de réhabilitation ».
La loi EROM, lorsqu'elle a fixé l'objectif des 150 000 logements, y intégrait tous les logements, qu'ils soient sociaux ou intermédiaires, ou autres, bénéficiant d'un soutien de l'État par de l'aide à la pierre ou de l'aide fiscale. L'objectif de production de logements directement subventionnés par l'État s'établit ainsi aux alentours des 130 000 logements sur 10 ans.
Objectifs territorialisés de production de
logements
bénéficiant de subventions de
l'État
Construction neuve de logements sociaux en location et en accession |
Réhabilitation de logements sociaux |
Amélioration du parc privé |
|
Guadeloupe |
2 000 |
Pas d'objectif chiffré |
Pas d'objectif chiffré |
Martinique |
1 100 |
800 |
650 |
Guyane |
Pas d'objectif chiffré, besoins évalués entre 3 700 et 5 200 |
||
La Réunion |
Pas d'objectif chiffré, souhait de maintenir un rythme de construction de 3 500 |
||
Mayotte |
Entre 400 et 800 |
0 |
NC |
Nouvelle Calédonie |
4 650 logements programmés d'ici 2021 |
||
Saint-Pierre et Miquelon |
210 |
||
Wallis et Futuna |
NC |
||
Polynésie française |
NC |
Source : commission des finances, d'après le ministère des outre-mer
Vos rapporteurs spéciaux relèvent en outre que le gouvernement a pris acte de l'« inadaptation patente des normes de constructions aux spécificités des outre-mer qui pèsent sur l'activité économique » relevée par la délégation sénatoriale aux outre-mer en 2017 20 ( * ) . À cet égard, afin de maîtriser les évolutions des coûts de la construction, et ainsi permettre l'atteinte des objectifs de production de logements sociaux dans les territoires, plusieurs actions sont conduites par le ministère des outre-mer, notamment dans le cadre du Plan logement outre-mer 2019-2022.
Le chantier de l'adaptation des normes de construction dans les outre-mer Le Livre bleu, synthèse des travaux des Assises des Outre-mer, remis le 28 juin 2018 au président de la République, porte l'ambition d'« acclimater la politique du logement en outre-mer », avec comme premier objectif d'« adapter les normes techniques de construction et permettre l'expérimentation ». Dans ses suites, a été lancée en janvier 2019 la Conférence logement outre-mer. À travers la conduite d'ateliers nationaux et locaux, cette conférence a permis de dessiner les contours d'un nouveau plan logement pour la période 2019-2022, fléchant plusieurs pistes d'actions sur l'adaptation des normes de construction outre-mer, et plus globalement la maîtrise des coûts dans le domaine du logement outre-mer. Ainsi, l'axe 3 du plan logement outre-mer 2019-2022 porte sur la « maîtrise des coûts de construction et de réhabilitation ». Les actions suivantes y sont déclinées : - développer les matériaux locaux ; - adapter les normes et règlementations existantes outre-mer ; accroître la transparence sur la formation des prix et stimuler la concurrence. Source : réponse au questionnaire budgétaire |
Vos rapporteurs spéciaux seront particulièrement vigilants quant aux suites réservées à l'important chantier de l'adaptation des normes de construction dans les outre-mer, alors que les coûts de production des logements sociaux restent élevés. Ainsi, le prix moyen d'un logement locatif social dans les départements d'outre-mer s'établit à environ 161 000 euros 21 ( * ) .
2. ...incompatibles avec les crédits budgétaires en baisse, ramenés à un plus bas historique depuis 10 ans
Malgré ce volontarisme, les moyens budgétaires visant à favoriser l'habitat outre-mer, dont la ligne budgétaire unique (l'action n°01 « Logement » du programme 123 « Conditions de vie outre-mer ») constitue l'instrument principal (215 millions d'euros en AE et 190 millions d'euros en CP) connaissent une baisse particulièrement forte, de plus de 13 % en CP. Ce niveau constitue le plus bas historique de ces dix dernières années.
Évolution des crédits de l'action n°01 « Logement » du programme 123 « Conditions de vie outre-mer »
(en millions d'euros)
Source : commission des finances, d'après les documents budgétaires
Ces moyens apparaissent largement inférieurs aux besoins. Vos rapporteurs spéciaux rappellent que, dans les seuls départements d'outre-mer, les besoins en logements sociaux s'élèvent à plus de 9 200 unités par an, tandis que le nombre de demandeurs de logements sociaux dépasse les 60 000.
Cette baisse des crédits est d'autant plus préoccupante que la suppression de la réduction d'impôt sur le revenu à raison des investissements dans le logement locatif social dans les départements d'outre-mer 22 ( * ) à compter de 2019 entraine également une baisse de la construction de logements sociaux. Cette suppression n'est, en effet, pas pleinement compensée par la montée en puissance des crédits d'impôt, faute, notamment, de mécanismes de préfinancement suffisamment efficaces (cf. supra ).
Vos rapporteurs spéciaux rappellent en outre que le taux de consommation de la ligne budgétaire unique fut particulièrement faible en 2018. Il s'est ainsi élevé à 71 % en AE comme en CP. Cette sous-exécution a résulté de la faiblesse des engagements en Guadeloupe et à La Réunion, et pour l'ensemble des territoires de la suppression de l'allocation logement. L'année 2018 a ainsi connu une baisse en termes de logements locatifs sociaux et très sociaux financés par rapport à 2017 : 4 366 en 2018 contre 4 844 en 2017, soit une baisse de 9,9 %. Étant donné le niveau particulièrement bas des crédits demandés pour 2020, une telle sous-exécution de la ligne budgétaire unique (LBU) entrainerait à nouveau des résultats particulièrement néfastes pour les territoires ultramarins.
Enfin, il convient de relever que l'article 72 du présent projet de loi de finances prévoit la création d'une aide à l'accession sociale et à la sortie de l'insalubrité spécifique à l'outre-mer . Si ce dispositif est bienvenu, puisque l'habitat insalubre et indigne concerne 12,5 % du parc de logements en outre-mer (contre 1,2 % en métropole) 23 ( * ) , il ne devrait entrainer qu'une dépense de 2,2 millions d'euros en 2020. Ce montant apparaît donc faible au regard de la perte de près de 30 millions d'euros que subira la LBU entre 2019 et 2020.
* 19 Loi n° 2017-256 du 28 février 2017 de programmation relative à l'égalité réelle outre-mer.
* 20 Rapport d'information n° 601 du 29 juin 2017 de M. Éric Doligé, rapporteur coordonnateur, Mmes Karine Claireaux et Vivette Lopez, fait au nom de la Délégation sénatoriale aux outre-mer
* 21 Après avoir doublé depuis le début des années 2000, ce dernier apparaît relativement stable sur les 3 dernières années.
* 22 Article 199 undecies C du code général des impôts.
* 23 Évaluation préalable de l'article.