ARTICLE UNIQUE

Objet : l'article unique de cette proposition de loi vise à apporter une réponse financière satisfaisante à l'actuelle situation des copropriétaires de l'immeuble Le Signal à Soulac-sur-Mer en Gironde.

I. Le droit en vigueur

En l'état actuel du droit, la mobilisation du fonds de prévention des risques naturels majeurs (FPRNM), dit fonds Barnier, créé par la loi n° 95-101 du 2 février 1995 relative au renforcement de la protection de l'environnement, pour l'indemnisation des propriétaires du Signal , n'est pas possible pour deux raisons principales :

- en premier lieu, le législateur n'a pas explicitement classé l' érosion dunaire parmi les risques pouvant être financés par ce fonds (voir encadré ci-dessous) ;

- en second lieu, l'une des conditions d'éligibilité au fonds, consistant en « la menace grave à la vie humaine », ne serait pas remplie en l'espèce.

Ce bâtiment de 78 logements a été construit en 1976 et se situait alors à 200 mètres de la mer. Aujourd'hui, une dizaine de mètres seulement le sépare du rivage. Le recul du trait de côte sur ce littoral est de 5 à 7 mètres par an en moyenne, phénomène notamment accentué par la tempête Xynthia de 2010 et par la présence d'une digue à proximité, qui protège le quartier de l'Amélie à Soulac-sur-Mer et qui a tendance à accélérer les courants et à empêcher le sable de se déposer.

Ainsi, selon Vincent Raynaud, responsable du secteur de Soulac pour l'Office national des forêts (ONF), « le ressac face à la digue empêche le sable de se poser face à l'ouvrage ; même par beau temps, il part vers le large. La digue accélère aussi le courant à marée haute, empêchant le sable de se déposer. Enfin, l'érosion s'amplifie jusqu'à deux fois plus en amont et en aval, façonnant de véritables presqu'îles » 9 ( * ) .

Le rôle du fonds Barnier 10 ( * )

En application de l'article L. 561-1 du code de l'environnement, l'État peut déclarer d'utilité publique l'expropriation de biens « lorsqu'un risque prévisible de mouvements de terrains ou d'affaissements de terrains dus à une cavité souterraine ou à une marnière, d'avalanches, de crues torrentielles ou à montée rapide ou de submersion marine menace gravement des vies humaines ».

Les propriétaires de biens qui font l'objet d'une expropriation pour cause de risque naturel majeur peuvent être indemnisés par le fonds de prévention des risques naturels majeurs (FPRNM) , dit « fonds Barnier ».

Créé par la loi n° 95-101 du 2 février 1995 relative au renforcement de la protection de l'environnement, ce fonds était initialement dédié au financement des indemnisations pour expropriations. Son périmètre d'intervention a progressivement été étendu au financement d'autres dépenses , en particulier celles relatives au études et travaux ou équipements de prévention ou de protection contre les risques naturels entrepris par les collectivités territoriales. En vertu de l'article L. 561-3 du code de l'environnement, le FPRNM peut ainsi financer :

- les expropriations de biens exposés à des risques naturels majeurs ;

- les acquisitions amiables de biens exposés à des risques naturels majeurs ou gravement sinistrés par une catastrophe naturelle ;

- les dépenses d'évacuation temporaire et de relogement ;

- les études et travaux de réduction de la vulnérabilité imposés par un plan de prévention des risques naturels approuvé ;

- les campagnes d'information sur la garantie catastrophe naturelle ;

- les opérations menées dans le cadre des programmes d'actions de prévention contre les inondations (PAPI) validées par la commission mixte inondation ;

- les études et travaux ou équipements de prévention ou de protection contre les risques naturels des collectivités territoriales ;

- les dépenses afférentes à la préparation et à l'élaboration des plans de prévention des risques naturels et aux actions d'information préventive.

Un taux maximal de subvention ou d'indemnité est fixé pour la plupart des mesures, certaines d'entre elles étant également plafonnées. S'agissant des expropriations de biens exposés à un risque naturel majeur ou de l'acquisition amiable des biens exposés, le taux maximal d'indemnisation prévu est de 100 % , d'après la circulaire du 23 avril 2007 relative au financement par le fonds de prévention des risques naturels majeurs de certaines mesures de prévention.

L'arrêté du 24 janvier 2014 portant ordre d'évacuation et interdiction d'occupation de l'immeuble Le Signal , pris par le maire de Soulac-sur-Mer, n'a pas été accompagné d'un arrêté d'expropriation, privant les propriétaires de l'indemnisation de leur bien.

Si l'arrêté municipal précité fait état de « la gravité et l'imminence du danger qui menace l'immeuble Le Signal [faisant] obligation au Maire de prendre d'urgence les mesures les plus propres à assurer la sécurité des personnes et des biens » et mentionne, en outre, la probable survenue de perturbations météorologiques exceptionnelles, de nature à accentuer l'érosion dunaire devant l'immeuble et entraîner une submersion marine, la condition de la « menace grave à la vie humaine » n'est pas réunie selon l'administration et la juridiction administrative. Le caractère prévisible et progressif du phénomène d'érosion nécessite, pour l'administration, la création d'un dispositif spécifiquement dédié au recul du trait de côte et l'absence de référence à tout type de mécanisme d'assurance-risque.

II. La proposition de loi initiale

Le dispositif indemnitaire

L'article unique de cette proposition de loi a pour objet de rendre éligibles les propriétaires de l'immeuble Le Signal à une indemnisation rétroactive via le « fonds Barnier ».

Ce dispositif indemnitaire ad hoc serait strictement encadré, dans le double objectif de circonscrire la mobilisation du « fonds Barnier » au cas du Signal et de préserver l'équilibre financier du fonds. Deux conditions sont ainsi posées au premier alinéa de l'article pour l'application du dispositif :

- l'interdiction définitive d'habiter ou d'occuper les lieux doit avoir été prise en raison du recul du trait de côte pour des faits intervenus avant le 1 er janvier 2017 ;

- le permis de construire doit avoir été délivré par l'État et non par le maire, disposition qui concerne les communes couvertes ni par un plan d'occupation des sols ni par un plan local d'urbanisme. Le permis de construire a été accordé, en l'occurrence, le 28 avril 1965, par le préfet de la Gironde.

Son deuxième alinéa fixe le montant de l'indemnisation à 75 % de la valeur estimée de chaque bien sans tenir compte du recul du trait de côte.

L'origine de la mesure : un compromis politique transpartisan

Cet article reprend un dispositif introduit dans la proposition de loi portant sur l'adaptation des territoires littoraux au changement climatique 11 ( * ) lors de son examen en première lecture à l'Assemblée nationale en novembre 2016, qui résulte d'un compromis politique. Ce texte, porté par l'ancienne députée Pascale Got (Gironde - SOCR), avait été adopté par le Sénat en première lecture en janvier 2017, puis en deuxième lecture par l'Assemblée nationale le 31 janvier 2017 mais n'avait pu aboutir au Sénat compte tenu de la suspension des travaux parlementaires.

Le dispositif de cette proposition de loi a ensuite été repris dans la proposition de loi relative au développement durable des territoires littoraux déposée au Sénat en septembre 2017 par Michel Vaspart et de nombreux collègues du groupe Les Républicains 12 ( * ) . L'article 3 de cette proposition de loi prévoyait ainsi une indemnisation rétroactive pour les propriétaires d'immeuble faisant l'objet d'une interdiction définitive d'habitation ou d'utilisation résultant du risque de recul du trait de côte.

En séance au Sénat, cette proposition de loi a fait globalement l'objet d'un avis défavorable de la part du Gouvernement, et la disposition prévoyant la mobilisation du fonds Barnier pour le financement des conséquences du recul du trait de côte n'a pas reçu l'aval du Gouvernement. La secrétaire d'État auprès du Ministre d'État, ministre de la Transition écologique et solidaire expliquait ainsi, au sujet du fonds Barnier, qu'il est « lié à la prévention des risques [et] n'a pas vocation à financer des opérations d'aménagement, comme ce serait le cas sur la question du recul du trait de côte » 13 ( * ) .

III. La position de votre commission

Votre rapporteure est tout à fait favorable à cette proposition de loi, qui doit permettre de résoudre une situation devenue inextricable .

Si le recul du trait de côte s'impose comme un phénomène commun à de nombreux territoires et nécessite une approche intégrée et globale, sans doute davantage dans une logique d'acquisition que d'indemnisation , le cas du Signal est très spécifique.

La responsabilité évidente de l'État du fait de la délivrance du permis de construire et l'urgence liée à la situation préoccupante des copropriétaires justifient l'adoption d'une mesure législative spécifique. Cette situation injuste a trop duré et une réponse exceptionnelle s'impose pour traiter un problème luimême exceptionnel.

Votre rapporteure attire cependant l'attention de votre commission sur le fait qu'un amendement du Gouvernement serait nécessaire pour sécuriser définitivement la situation des propriétaires.

En l'état actuel, le dispositif permettra uniquement d'indemniser les copropriétaires mais les charges de démolition, de désamiantage ou autre incomberont légalement aux propriétaires. Il s'agirait donc d'établir clairement un transfert de propriété de l'immeuble entre les actuels copropriétaires et l'État, pour que les copropriétaires n'aient pas à supporter le paiement de ces charges.

Il conviendrait donc d'amender légèrement la rédaction du texte pour prévoir explicitement que le fonds Barnier « finance l'acquisition par l'État » de l'immeuble. L'article 40 de la Constitution interdit malheureusement aux parlementaires de déposer cet amendement.

Votre commission a adopté cette proposition de loi sans modification à l'unanimité.


* 9 Le Monde du 05/03/18 - Erosion du littoral : à Soulac, les propriétaires du Signal réclament des indemnisations.

* 10 Extrait du rapport n° 243 fait au nom de la commission de l'aménagement du territoire et du développement durable sur la proposition de loi relative au développement durable des territoires littoraux, par M. Didier Mandelli.

* 11 Texte n° 3959 enregistré à la Présidence de l'Assemblée nationale le mercredi 13 juillet 2016.

* 12 Texte n° 717 (2016-2017) enregistré à la Présidence du Sénat le 13 septembre 2017.

* 13 Compte rendu intégral des débats - Sénat, séance du 30 janvier 2018 - Intervention de Mme Brune Poirson, secrétaire d'État auprès du ministre d'État, ministre de la transition écologique et solidaire.

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