B. L'ÉMERGENCE D'UNE POLITIQUE EXTÉRIEURE DE L'UNION EUROPÉENNE DANS LE DOMAINE DES SERVICES AÉRIENS
1. Les arrêts « Ciel ouvert »
Les arrêts dits de « Ciel ouvert » ont consacré l'application du principe de libre-établissement , reconnu par les traités européens, dans le cadre des accords bilatéraux conclus par les États membres dans le domaine des services de transport aérien.
Ces arrêts 2 ( * ) de la Cour de justice des communautés européenne en date du 5 novembre 2002 sont relatifs à des accords conclus par certains États membres avec les États-Unis. Ils portent sur la non-conformité au droit de l'Union des dispositions limitant la désignation des transporteurs aériens par un État membre aux entreprises détenues et effectivement contrôlées par des intérêts de cet État membre .
Cette limitation a été jugée contraire au principe de liberté d'établissement, garanti par les traités européens.
Les dispositions des accords bilatéraux qui entravent la concurrence, comme les ententes interentreprises sur la fixation des tarifs, ou la détermination des capacités, auxquelles les compagnies aériennes avaient couramment recours pour développer leurs services aériens entre les deux pays signataires d'un accord aérien, ont également été jugées contraires au droit de l'Union.
Par ailleurs, ces arrêts reconnaissent une compétence exclusive de l'Union pour les questions relatives aux systèmes informatisés de réservation de billets d'avion, à l'attribution des créneaux horaires, aux services d'assistance en escale et à la fixation des tarifs pour les services aériens intra-européens.
2. Le règlement 847/2004 du 29 avril 2004
À la suite des arrêts « Ciel ouvert », les négociations d'accords de services aériens par les États membres ont été encadrées par le règlement 847/2004 du Parlement européen et du Conseil 3 ( * ) .
En application de ce règlement, un État membre est autorisé à négocier un accord de services aériens avec un pays tiers, ou à amender un accord existant, dès lors que ledit accord est conforme au droit européen et que l'État membre respecte la procédure de notification instaurée .
Le respect du droit européen est assuré par l'inclusion de clauses types 4 ( * ) , développées conjointement par la Commission et les États membres. Les accords ne doivent pas comporter de dispositions entravant la libre concurrence.
La clause de désignation des transporteurs aériens est l'élément central de ce dispositif. Elle permet à un État membre de désigner tout transporteur européen, dès lors qu'il est établi sur le territoire de cet État membre, pour effectuer des services aériens autorisés par l'accord bilatéral concerné. Par exemple, la compagnie britannique EasyJet, reconnue comme établie sur le territoire français, pourrait être désignée par la France en vertu de cette clause.
La procédure de notification à la Commission vise, d'une part, à assurer la transparence des négociations conduites par les États membres et, d'autre part, à assurer la conformité des accords bilatéraux avec le droit de l'Union. Un État membre qui planifie une négociation bilatérale avec un pays tiers, en informe la Commission au plus tard un mois avant la rencontre en accompagnant sa notification des documents pertinents. Cette notification est portée à la connaissance des autres États membres qui, comme la Commission, peuvent formuler des observations. Les parties intéressées, notamment les transporteurs aériens établis sur le territoire de l'État membre, sont associées aux discussions.
Le résultat des négociations est transmis à la Commission, qui autorise la signature de l'accord bilatéral ou son application provisoire.
En application de cette procédure de notification, la Commission européenne a jugé que les accords négociés par la France avec, respectivement, le Congo, la RDC et le Panama, étaient tous conformes au droit européen , car ils incluaient les clauses type de désignation et d'assistance en escale. La Commission a autorisé par conséquent la France à conclure les accords en question 5 ( * ) .
3. Une politique extérieure de l'UE dans le domaine du transport aérien
La politique conventionnelle de l'Union en matière de transport aérien est principalement tournée vers les pays du voisinage européen , afin d'étendre et de consolider un « espace aérien commun européen », au-delà du territoire même de l'Union européenne.
Elle s'oriente également, dans une certaine mesure, vers les principaux partenaires de l'Union , en termes de trafic aérien, c'est-à-dire l'Amérique du Nord, l'Asie de l'Est et du Sud-Est, la Russie, le Brésil et le Golfe arabo-persique.
Cette politique européenne est marquée par l'objectif de libéralisation des marchés de services aériens. La Commission et le Conseil transports de l'Union européenne ont précisé en 2005 les trois axes de cette politique :
- La mise en conformité avec le droit européen des accords bilatéraux que les États membres ont conclu avec les pays tiers ;
- La conclusion d'accords européens , ayant vocation à se substituer aux accords bilatéraux, avec les pays cibles de la politique européenne de voisinage , afin de mettre en place des espaces aériens communs, notion européenne qui recouvre l'ouverture des marchés et l'harmonisation des réglementations applicables. Un accord multilatéral sur la création d'un espace aérien commun a notamment été signé en 2006 avec la Bulgarie, la Roumanie, l'Islande, la Norvège et les pays des Balkans de l'Ouest. D'autres accords de ce type ont été signés avec le Maroc (2006), la Géorgie et la Jordanie (2010), la Moldavie (2012) et Israël (2013). Un accord a été paraphé avec l'Ukraine en 2013. Des négociations ont été ouvertes avec l'Azerbaïdjan, le Liban et la Tunisie. Des négociations sont ouvertes avec la Turquie depuis le Conseil du 7 juin 2016.
- La conclusion d'accords européens avec des partenaires clefs de l'UE : deux accords de ce type ont été signés, le premier avec les États-Unis en 2007 (amendé en 2010) et le second avec le Canada en 2009. Des négociations avec le Brésil sont engagées depuis 2010. En juin 2016, le Conseil a autorisé la Commission à ouvrir des négociations avec l'Association des Nations d'Asie du Sud-Est (ASEAN), les Émirats arabes unis (EAU) et le Qatar.
La politique bilatérale française se distingue de cette démarche multilatérale, car elle a vocation à s'étendre à l'ensemble des États, entretenant ou étant susceptibles d'entretenir des relations avec la France dans le domaine du transport aérien. Les trois accords examinés s'inscrivent dans cette logique.
Les accords récents se distinguent toutefois des précédents , en particulier par la possibilité assurée aux États Parties de désigner plusieurs compagnies , par la liberté de fixation des tarifs et de choix des services en escale ou encore par la possibilité donnée aux transporteurs aériens de signer des accords commerciaux pour leurs services. La sûreté de l'aviation et la sécurité technique des vols font aussi l'objet d'une attention renforcée par rapport aux générations précédentes d'accords aériens.
* 2 Cour de justice de l'Union européenne : affaires C-466/98, C-467/98, C-468/98, C-469/98, C-471/98, C-472/98, C-475/98 et C-476/98 concernant le Royaume-Uni, le Danemark, la Suède, la Finlande, la Belgique, le Luxembourg, l'Autriche et l'Allemagne.
* 3 Règlement (CE) n° 847/2004 du Parlement européen et du Conseil du 29 avril 2004 concernant la négociation et la mise en oeuvre d'accords relatifs à des services aériens entre les États membres et les pays tiers.
* 4 Ces clauses types sont relatives à la désignation à la révocation des transporteurs, aux tarifs, à l'assistance en escale, à la sécurité et à la taxation du carburant sur les liaisons intracommunautaires ou domestiques.
* 5 Courriers de la Commission européenne à la DGAC respectivement en date du 16 octobre 2013 (Congo et RDC) et du 29 mai 2013 (Panama).