II. PRINCIPALES OBSERVATIONS DE VOS RAPPORTEURS
1. Une exécution budgétaire qui confirme les critiques sur la sincérité de la loi de finances initiale formulées par le rapporteur spécial chargé du programme 154 (Rapporteur spécial : M. Alain Houpert)
Lors de l'examen du projet de loi de finances initiale pour 2015, votre rapporteur spécial chargé des programmes 154 et 215, Alain Houpert, avait alerté sur la sincérité des crédits demandés au double motif qu'ils ne traduisaient pas les risques juridiques liés au processus de gestion des crédits européens et qu'ils ne manifestaient aucune provision pour les risques agricoles.
Comme il a été indiqué plus haut, cette observation très ferme était également très justifiée puisque c'est pour plus de 30 % des crédits initiaux qu'il a fallu abonder les crédits de la mission en cours d'exécution.
Dans ses travaux, la Cour des comptes rejoint votre rapporteur spécial. Elle écrit dans sa note d'analyse d'exécution budgétaire 2015 :
« Une fois encore, la programmation des crédits a été réalisée, d'une part en faisant l'impasse sur le financement du refus d'apurement communautaire, qui devient un véritable risque systémique pour le budget..., et du fonds national de gestion des risques en agriculture (FNGRA)... »
Le manque d'ouverture de toute dotation budgétaire au titre des contentieux européens était d'autant plus condamnable que, dès le 16 janvier 2015, par une décision ad hoc 47, la Commission européenne devait notifier à la France un refus d'apurement de 1 078 millions d'euros dont on peut penser qu'elle était, au moins partiellement, prévisible par le Gouvernement.
Une partie de ce contentieux a été depuis budgétée en loi de finances rectificative pour 2015, comme il a été indiqué (pour couvrir l'annuité 2015 de 359,4 millions d'euros et, au surplus, une partie de l'annuité 2016 pour 300 millions d'euros). Par ailleurs, un plan FEAGA a été mis en place afin d'améliorer la gestion de certaines actions correspondant à des interventions européennes « à problèmes » dans le cadre des négociations conduites avec la Commission européenne. Il n'en reste pas moins que, malgré sa totale prévisibilité, la dette résiduelle sur l'échéance 2016 relative aux restitutions pour refus d'apurement n'a pas été budgétée dans la loi de finances initiale (il s'agit d'un montant de 59,4 millions d'euros) tandis que de nouvelles notifications de refus d'apurement sont, depuis, intervenues (153 millions d'euros). Quant aux charges liées à la mise en oeuvre du plan FEAGA, en particulier celles correspondant aux salaires des personnes embauchées pour mettre à jour le registre parcellaire, elles seront tributaires en 2016 de l'achèvement de ce programme.
S'agissant de la budgétisation des risques agricoles , si l'on peut admettre que l'incertitude en prévient une prévision dénuée d'aléas, force est de répéter que l'absence de toute dotation dans les lois de finances initiale contredit gravement le respect élémentaire qu'on devrait témoigner pour le principe de précaution budgétaire. L'exercice 2015 confirme particulièrement cette observation. La situation du FNGRA (fonds national de gestion des risques agricoles) a notamment été marquée par la passation d'une dotation en provision pour charges élevée correspondant aux dossiers sécheresse (280 millions d'euros). La budgétisation de la mission devrait s'attacher à anticiper des événements de cet ordre. À défaut, des impasses se réalisent. Ainsi, selon la Cour des comptes, une impasse de 104 millions d'euros devra être financée en 2016 pour couvrir les besoins du fonds.
Enfin, il convient de relever le large dépassement des provisions budgétaires destinées à compenser le régime des travailleur occasionnels-demandeurs d'emplois (TO-DE) avec pour effet un reste à payer de 152 millions d'euros auprès de la Caisse centrale de Mutualité sociale Agricole, relevé comme tel par le compte général de l'État.
2. Les difficultés rencontrées dans le passage à la nouvelle PAC (Rapporteur spécial : M. Alain Houpert)
L'année 2015 a été la première année d'application de la nouvelle PAC. Celle-ci s'est accompagnée de difficultés si considérables que les aides en provenance du budget européen n'ont pas été versées par celui-ci au motif que la France ne présentait pas les garanties exigées par les règlements européens.
L'État a dû prendre le relais de l'Europe et procéder à des avances afin que les exploitants perçoivent les ressources indispensables à leur activité. D'un point de vue budgétaire ces avances sont jusqu'à présent de peu de poids. Seuls les intérêts pèsent sur le budget.
Néanmoins, il existe un risque du fait du calendrier des règlements définitifs des aides. Celui-ci a été repoussé à la date du 15 octobre, au-delà de laquelle les avances réalisées par l'État ne pourront plus être couvertes par le budget européen. Le temps presse donc pour que la France apporte la démonstration qu'elle respecte la conditionnalité européenne.
Cette situation d'urgence démontre que la mise à niveau du registre parcellaire, qui est tout l'objet du plan FEAGA aurait gagné à être entreprise plus précocement.
Au demeurant, en dépit des avances versées en 2015, qui devraient être complétées lors de l'exercice 2016, la situation des exploitants n'est guère acceptable. Ils sont toujours dans l'ignorance des créances qu'ils pourront faire valoir dans le cadre de la nouvelle PAC. On imagine sans peine les difficultés que crée cette incertitude. Par ailleurs, pour certains d'entre eux, les règles appliquées en matière d'aides d'État préviennent l'attribution d'une compensation satisfaisante. De son côté, l'État est confronté au risque de versements excessifs à la régularisation incertaine, risque dont il se prémunit par l'application d'une progressivité dans la séquence de ses transferts aux entreprises.
3. Une gestion infra-annuelle des crédits critiquable sur certains points et dont les difficultés ont été le fruit d'une programmation budgétaire initiale manquant de sincérité (Rapporteur spécial : M. Alain Houpert)
Comme pour les autres missions, une mise en réserve des crédits (le « gel ») est intervenue. On sait que cette formule, autrefois de recours exceptionnel, est devenue une pratique courante de la gestion budgétaire.
Les analystes financiers pourraient à juste titre s'interroger sur ses effets sur la discipline budgétaire puisqu'en bonne logique elle crée une incitation à gonfler la programmation budgétaire afin de se prémunir, préventivement, contre les effets ultimes des mises en réserve que sont les annulations de crédits.
En toute hypothèse, une fois admise cette technique budgétaire, force est de reconnaître que sa mise en pratique aboutit à des situations de gestion difficiles à comprendre, comme l'illustre l'exécution de la mission sous revue en 2015.
Dans ce cadre, la mise en réserve de crédits correspondant à des dépenses automatiques, « de guichet » (nombreuses dans le périmètre de la mission et, en particulier, du programme 154), peut sans doute se comprendre par l'irréalisme des taux d'indisponibilité des crédits qui résulteraient de l'application du « gel » aux autres crédits de la mission en cas d'exemption des ouvertures correspondant aux dépenses de guichet. Elle reste hautement critiquable dans toute la mesure où elle n'est pas inspirée par des données d'exécution robustes. Autant une mise en réserve correspondant à la marge d'incertitude sur la consommation effective de leurs droits par les bénéficiaires pourrait être acceptable, autant, pour le surplus, elle revient à conduire une gestion budgétaire purement formelle. Concrètement, compte tenu de l'inéluctabilité de la consommation des crédits en cause, elle aboutit à exonérer de facto les crédits de la mission des contraintes communes.
Au-delà de ces observations, force est de mettre en évidence, outre la dimension considérable des mouvements réglementaires de crédits, l'ampleur des redéploiements pratiqués au sein de chaque programme entre leurs actions ou au sein de chacune d'elles.
Or, s'agissant d'un budget principalement dédié à des transferts au bénéfice de catégories de producteurs identifiés à partir des singularités de leurs situations ainsi qu'à l'atténuation de contraintes considérés comme excessives, de tels ajustements posent de graves problèmes.
La continuité des actions publiques s'en trouve compromise tandis que les anticipations des producteurs ou des consommateurs peuvent en être remises en cause, voire ébranlées.
Enfin, on imagine sans peine les difficultés de gestion rencontrées par les services mais aussi par les bénéficiaires de l'action publique.
4. Le recul des soutiens du programme 149 dédié à la forêt (Rapporteur spécial : M. Yannick Botrel)
Le programme 149 est dédié à la politique forestière 9 ( * ) . Doté de 292,2 millions d'euros de crédits de paiement en 2015, il n'en aura finalement consommé que 252,6 millions, soit une sous-exécution de 40 millions d'euros (- 3,7 %), qui contraste avec la très forte surconsommation des crédits de la mission.
Ces économies de dépenses ont donné lieu à des annulations de crédits quasiment à due proportion (39,1 millions d'euros).
De 2014 à 2015, les dépenses en faveur de la forêt portées par la mission reculent de 45,3 millions d'euros en lien avec une réduction des subventions pour charges de service public versées aux opérateurs et du ralentissement de certains programmes, dont celui de restauration postérieur à la tempête Klaus.
Par ailleurs, la programmation interne au programme a fait l'objet de multiples ajustements en cours de gestion. Compte tenu de l'emprise de la subvention pour charges de service public de l'Office national des forêts sur les crédits ouverts - cette subvention a absorbé 76,6 % des crédits consommés en 2015 -, ces modulations ont pour effet de modifier parfois très significativement la programmation des actions.
Cette situation réduit in fine la visibilité des bénéficiaires d'un programme qui consiste essentiellement (hors charges de personnel de l'ONF) en des transferts aux collectivités territoriales et aux entreprises de la filière.
Elle présente par ailleurs une forme de paradoxe puisque le programme 149 se singularise par de très importants restes à payer sur des engagements antérieurs. Fin 2015, ces restes à payer s'élèvent à 202 millions d'euros, soit cinq fois le disponible des crédits de paiement une fois versée la subvention à l'ONF.
Il faut en particulier s'interroger sur le bouclage des mesures de gestion des suites de la tempête Klaus mais aussi la sous-exécution des crédits prévus pour procéder aux investissements forestiers, nécessaires à l'amélioration de l'état des parcelles des propriétaires privés, qui est un préalable à l'optimisation souhaitée de leur gestion.
Par ailleurs, la situation financière du Centre national de la propriété forestière qui a connu un résultat déficitaire de 13,8 millions d'euros en lien avec l'absence de toute subvention de la part de l'État, doit solliciter la vigilance.
Pour l'ONF, la situation semble 10 ( * ) plus contrastée. D'un côté, le résultat de l'exercice ressort comme bénéficiaire (7,7 millions d'euros), de l'autre ce bénéfice extériorise une réduction par rapport à l'exercice précédent - 10,8 millions d'euros) dans un contexte où des événements de gestion facilitants sont intervenus. D'un point de vue opérationnel, la faible inflation a limité la dynamique des coûts de personnel tandis que la mobilisation de créances de CICE et des versements anticipés au titre de la formation professionnelle ont contribué au bouclage des besoins de financement.
Plus globalement, vos rapporteurs renvoient aux recommandations qu'ils ont présentées dans leur rapport d'information « Faire de la filière forêt-bois un atout pour la France » 11 ( * ) du 1 er avril 2015 dont l'exécution du budget ici envisagée ne vient pas atténuer l'urgence.
Il faut ajouter qu'un effort de coordination et de priorisation des objectifs des différents ministères en charge de la forêt devra intervenir pour concilier les objectifs économiques et écologiques qu'ils poursuivent tandis que la stratégie de mobilisation de la ressource en bois devra s'efforcer de mieux prévenir les occurrences de péremption des investissements réalisés par les collectivités territoriales survenues du fait d'évolutions trop peu anticipées de la structure de l'offre.
5. Le lancinant dossier des vétérinaires (Rapporteur spécial : M. Yannick Botrel)
Le programme 206 consacré à la politique de sécurité sanitaire des aliments a dû porter une dépense supplémentaire de 8,4 millions d'euros en cours de gestion. Cette charge s'ajoute aux 10,5 millions d'euros de crédits de titre 2 consommés en 2014.
Le décret d'avance examiné par la commission des finances au mois de mai 2016 a, à nouveau ouvert des crédits à ce titre, en cours de gestion, pour un montant de 5,93 millions d'euros.
Il est sans doute délicat de programmer les indemnisations qui seront effectivement versées au cours de l'année. Néanmoins, l'absence de tout crédit ouvert pour couvrir les engagements financiers résultant de ce contentieux liquidables en cours d'année ne semble pas absolument fatale. Elle donne un mauvais signal dans le cadre d'un litige dont l'État connaît l'issue de principe depuis la fin 2011 et qu'il devrait s'appliquer à liquider au plus vite.
C'est en effet par deux décisions en date du 14 novembre 2011 (CE, 14/11/2011 n° 334197 et n° 341325) que le Conseil d'État a jugé que les vétérinaires ayant exercé un mandat sanitaire avant 1990 et reçu à ce titre des salaires pouvaient recevoir une indemnisation, d'une part, de 100 % des pensions dont ils n'avaient pas bénéficié depuis leur départ en retraite et, d'autre part, du montant des cotisations salariales et patronales à verser aux régimes de retraite salariée et complémentaire pour bénéficier à l'avenir de la pension correspondant à l'activité exercée.
La procédure mise en place par le ministère de l'agriculture processus retenu prévoit :
- un contrôle de recevabilité du dossier en service déconcentré ;
- un accord des parties sur le montant des rémunérations perçues au titre du mandat sanitaire ;
- une évaluation des caisses de retraite, régime général et complémentaire, des minorations de pension à indemniser et des arriérés de cotisation sur la base de l'assiette arrêtée par les parties ;
- un protocole de règlement définitif sur la base des informations transmises par les Caisses d'Assurance Retraite et de la Santé au Travail et de l'IRCANTEC incluant indemnisation pour minoration de pensions échues et engagement de régularisation des cotisations auprès des caisses de retraites.
Les premiers dossiers ont été reçus fin du premier semestre 2012 et les premiers protocoles conclus ont fait l'objet de règlements financiers en 2014. Les bénéficiaires de la régularisation se sont plaints de délais et de difficultés de liquidation de leurs droits. En conséquence, le 11 avril 2016, le Défenseur des droits a recommandé, conformément à l'article 25 de la loi organique du 29 mars 2011, aux services de l'État de prendre toutes les mesures nécessaires pour que l'ensemble des dossiers des vétérinaires sanitaires et des veuves des vétérinaires sanitaires décédés avant l'aboutissement de la procédure entreprise soit régularisé avant le 1 er janvier 2018.
L'intervention du Défenseur des droits donne du crédit aux critiques adressées par de nombreuses parties prenantes à la lenteur de l'administration et que vos rapporteurs spéciaux partagent d'autant plus qu'une fois les dossiers individuels traités un délai supplémentaire de 90 jours s'écoule entre la signature d'un protocole et le versement de l'indemnisation.
Vos rapporteurs constatent que, selon le ministère, l'administration a reçu, au 10 mai 2016, 1 783 demandes dont :
- 507 dossiers prescrits ;
- 1 276 dossiers non prescrits.
Sur les dossiers non prescrits :
- 1 004 propositions d'assiette ont été envoyées aux vétérinaires dont 898 ont été acceptées ;
- 265 dossiers ont fait l'objet d'un protocole déjà soldé ;
- 210 dossiers pourraient faire l'objet d'un protocole en 2016.
Ils relèvent que les erreurs de l'administration ont été effacées par la prescription pour près de 30 % des demandes formulées par les ayants droit, situation qu'ils déplorent.
Ils remarquent également que le taux de traitement complet des dossiers présentés atteint tout juste 20 %. Autrement dit, 80 % a minima des effets financiers de ce contentieux restent à financer.
Selon le ministère, il est difficile d'estimer les montants globaux en jeu compte tenu de la complexité des dossiers et de la multiplicité des paramètres. Par ailleurs, les dossiers sont remontés au fil de l'eau en fonction de leur instruction puis de leur liquidation par les services de la sécurité sociale et de l'État. La détermination du montant exact à provisionner est délicate. La prescription courant à compter de la cinquième année après le départ en retraite des vétérinaires concernés, des demandes continuent à parvenir au ministère de l'agriculture, de l'agroalimentaire et de la forêt. Le nombre des dossiers à traiter excédera donc le stock mentionné ci-dessus.
D'ores et déjà, il est notable que l'ouverture de crédits décidée en mai 2016 pour 210 dossiers obligera à ouvrir des crédits de titre 2 supplémentaires à hauteur de 14 millions d'euros qui seront financées par redéploiement. Ainsi, au total, le coût futur des régularisations à intervenir pourrait dépasser 60 millions d'euros.
Dans la mesure où il serait financé par redéploiement, comme indiqué par le ministère, on mesure la ponction opéré sur un programme essentiel à la santé de nos concitoyens, dont on rappelle qu'il n'est doté que de 500 millions d'euros.
6. Un suivi de la performance perfectible
Compte tenu de difficultés structurelles liées à l'apurement des aides européennes, il est étonnant que le taux de conformité communautaire ne soit pas l'un des indicateurs de performance de la gestion du ministère.
En outre, certains indicateurs présentent une allure quelque peu arbitraire, voire des ambivalences trop fortes pour servir utilement de repère.
À cet égard, une analyse approfondie des indicateurs utilisés et de leur corrélation avec les objectifs poursuivis mériterait d'être conduite.
L'affichage d'une importante réduction du « coût moyen d'une inspection » à finalité sanitaire dans le cadre du programme 206 témoigne de ce type d'incertitudes. Une baisse de 3 % est programmée à l'horizon 2017 quand ce coût a augmenté de 7,8 % entre 2013 et 2015. Il s'agit d'une inversion de tendance de grande ampleur que rien dans l'information budgétaire disponible ne vient justifier. Ce défaut d'explication peut nourrir des inquiétudes sur les moyens d'atteindre l'objectif conférant finalement une certaine ambivalence à ce qui a priori devait témoigner d'une ambition de gestion.
* 9 D'autres interventions publiques sont gérées soit par les collectivités territoriales, soit par le ministère de l'écologie et du développement durable, notamment dans le cadre du « Fonds chaleur ».
* 10
* 11 Rapport d'information n° 382 (2014-2015). 1 er avril 2015 MM Alain Houpert et Yannick Botrel. Sénat. Commission des finances.