II. UNE RÉPONSE COMPLÉMENTAIRE AU SYSTÈME FINANCIER MULTILATÉRAL ?
1. Une réponse à un besoin avéré de financement des infrastructures en Asie
Compte tenu de l'insuffisance des infrastructures dans la région, la création de l'AIIB se justifie pleinement. En 2010, la Banque asiatique de développement estimait le besoin d'investissement à 8 000 milliards de dollars entre 2010 et 2020. Les financements des banques multilatérales existantes- 30 milliards de dollars de prêts par an pour la Banque mondiale et 12 milliards pour la Banque asiatique de développement 2 ( * ) - ne permettent pas de satisfaire les besoins et les marchés financiers régionaux ne sont pas suffisamment développés. L'AIIB devrait ainsi contribuer à orienter l'épargne dormante de pays développés ou à revenus intermédiaires vers les pays de la région qui en ont le plus besoin .
•
L'Asie du Sud-Est
enregistre
un retard important s'agissant de la quantité et de la qualité
des infrastructures par rapport aux autres régions du monde, si l'on
excepte Singapour et la Malaisie qui se classent respectivement au
2
ème
et 24
ème
rang
3
(
*
)
selon le classement
Global
Competitiveness Index
(GCI) 2015-2016, au chapitre des infrastructures,
leurs ports et leurs aéroports comptant parmi les premiers mondiaux. En
revanche, la Thaïlande, l'Indonésie, le Vietnam et les Philippines
ont des infrastructures globalement sous-dimensionnées ou
nécessitant des améliorations, ces pays se situant entre la
44
ème
et la 90
ème
place du classement GCI,
tandis que les pays les moins avancés de la région, la Birmanie,
le Cambodge et le Laos, ont besoin de développer leurs infrastructures
de base. Au total, les besoins en infrastructures, qui se font
particulièrement sentir dans les secteurs de l'énergie et des
transports, sont estimés, par notre service économique qui couvre
la région,
entre 100 et 200 milliards de dollars par an
pour les prochaines décennies
. L'Indonésie, les
Philippines, la Thaïlande, la Malaisie et le Vietnam devraient constituer
les marchés porteurs. Les besoins en financement des pays de l'ASEAN
sont importants, d'autant que certains d'entre eux, comme le Vietnam, le
Cambodge et le Laos rencontrent des difficultés budgétaires et
que l'aide publique au développement (APD) dédiée aux
infrastructures - apportée principalement par le Japon et dans une
moindre mesure par les banques multilatérales de développement -
contribue pour à peine 10 % aux financements actuels des
infrastructures.
•
Les pays d'Asie du Sud
,
enregistrent, dans l'ensemble, un retard significatif s'agissant de la
quantité et de la qualité de leurs infrastructures de transport,
ce qui constitue un frein majeur à leur croissance. Confrontés,
à des degrés divers, à des contraintes de financement, ils
ne reçoivent pas de financements multilatéraux à la
hauteur de leurs besoins : taux de décaissement en général
très bas comme au Bangladesh ; problème de la
«
single borrower limit
» de la Banque mondiale,
déjà très exposée en Inde ; concentration des
prêts dans des secteurs autres que le transport comme au Pakistan. Les
financements bilatéraux, quant à eux, constituent un apport
non-négligeable, en particulier pour des pays comme le Sri Lanka, le
Bangladesh et le Pakistan, qui se sont nettement ouverts aux financements
chinois ces dernières années, en particulier dans les domaines
portuaire et routier. En Inde, ce sont les financements japonais qui
prédominent.
• Les besoins en financement
des
pays de l'Asie centrale et du Caucase
sont importants pour le développement des infrastructures, dont le
sous-dimensionnement ou l'état médiocre sont le résultat
d'un sous-investissement depuis la chute de l'URSS, voire depuis le
début des années 1980, ce qui constitue une entrave au
développement de ces pays. L'état général des
infrastructures apparaît particulièrement insatisfaisant en Asie
centrale, sauf en Azerbaïdjan, où une politique plus active
d'investissement dans les infrastructures ferroviaires et routières
semble avoir été menée.
Même si les principales institutions financières internationales sont déjà très actives, il existe des besoins supplémentaires de financements, ainsi que des besoins spécifiques qui ne sont pas couverts et dans lesquels la BAII pourrait s'engager. Ainsi, en Ouzbékistan, la Banque asiatique de développement ne finance pas les infrastructures de dimension régionale ou locale mais se concentre sur le financement des infrastructures transnationales qui participent au désenclavement et à une meilleure intégration de la région. En outre, le contexte macroéconomique dégradé dans la région, lié principalement à la chute des revenus en hydrocarbures et à l'impact de la dévaluation du rouble sur les monnaies locales, accroît les besoins de financement extérieur - le Kazakhstan a ainsi fait appel à l'aide budgétaire de la Banque asiatique de développement - mais conduit aussi au rééchelonnement de certains des plus grands projets d'infrastructures comme le métro de Bakou en Azerbaïdjan, en vue de limiter l'endettement.
Selon la Direction générale du Trésor 4 ( * ) , quelques projets auraient déjà été soumis par le Bangladesh, l'Inde et la Géorgie notamment. L'AIIB a également envoyé une mission au Tadjikistan pour identifier des projets avec le gouvernement et explorer des pistes de collaboration avec la Banque européenne pour la reconstruction et le développement (BERD).
De plus, la création de l'AIIB participe à l'intégration progressive des marchés asiatiques, au nom de la « connectivité » au sein du continent asiatique, mais également entre l'Asie, l'Europe et l'Afrique. En septembre 2013, concomitamment au lancement du projet de l'AIIB, le Président Xi Jinping avait aussi dévoilé sa stratégie de la « nouvelle route de la soie » dite aussi « one belt, one road » qui regroupe une route terrestre devant relier la Chine à l'Europe par l'intermédiaire de l'Asie centrale et occidentale et une route maritime venant renforcer les connections de la Chine avec les pays d'Asie du Sud, l'Afrique et l'Europe. Cette initiative a notamment vocation à permettre à la Chine de conquérir de nouveaux marchés commerciaux en en facilitant l'accès par la construction d'infrastructures telles que des routes, des ports et des aéroports. Dans un contexte de ralentissement de la croissance de l'économie chinoise et de diminution de la demande externe. Un fonds d'investissement, doté de 40 milliards de dollars est dédié au projet de la nouvelle route de la soie.
Même s'il n'existe pas de lien formel entre ces deux initiatives - une institution multilatérale de financement et une vision stratégique de politique étrangère de la Chine - leurs périmètres d'intervention se recouvrent largement, en termes géographiques (ASEAN, Asie centrale, Asie du Sud) mais aussi sectoriels puisque la priorité est donnée aux infrastructures de transport. Répondant par écrit aux questions de votre rapporteur, la Direction générale du Trésor 5 ( * ) a indiqué que plusieurs projets pourraient vraisemblablement bénéficier du soutien des deux initiatives, d'autant que la Chine, premier actionnaire de l'AIIB, devrait certainement encourager ce rapprochement. À cet égard, les autorités chinoises ont d'ores et déjà clairement indiqué qu'elles chercheraient à mobiliser l'AIIB comme instrument financier en faveur de la nouvelle route de la soie.
2. Concurrence ou complémentarité avec les autres bailleurs de fonds internationaux ?
L'AIIB n'a pas vocation à concurrencer ou à se substituer aux actions du Fonds monétaire international (FMI), de la Banque mondiale (BM) ou de la Banque asiatique de développement (BAsD). Elle se positionne plutôt comme complémentaire aux autres institutions financières internationales, conformément à ce qu'affirment ses statuts. Des cofinancements avec les banques multilatérales existantes sont prévus parmi les toutes premières opérations de la Banque et le Président de l'AIIB récemment nommé, Jin Liqun, a rencontré les Présidents de la BM et de la BAsD et identifié un certain nombre de projets concrets qui pourront faire l'objet de cofinancements.
D'ailleurs, même si l'AIIB opérera dans des zones géographiques et des secteurs dans lesquels la Banque mondiale (BM) et la Banque asiatique de développement (BAsD) sont déjà présentes, la « rivalité » entre ces institutions pour les projets sur le terrain n'est cependant pas avérée. En premier lieu, les besoins de financement dans le secteur des infrastructures en Asie sont tels que tout nouveau bailleur est par principe le bienvenu sur ce marché, en second lieu, les premiers échanges entre l'AIIB et ses consoeurs semblent positifs et s'orienter vers une démarche de partenariats et de cofinancements, dont l'AIIB aura besoin, de son côté, pour prendre pied sur le marché.
En outre, les membres non-régionaux de l'AIIB, mais aussi certains membres régionaux comme l'Australie et la Nouvelle-Zélande, ont beaucoup insisté, pendant les négociations, sur l'importance de ne pas dupliquer les instruments existants et de rechercher des partenariats avec les institutions de développement existantes. La France, avec ses partenaires européens, a notamment obtenu que les standards définis par l'AIIB en matière de normes environnementales et sociales et d'appels d'offres permettent de faciliter les cofinancements et qu'il soit clairement inscrit dans les statuts de l'AIIB qu'elle se positionne comme une institution complémentaire, et non concurrente, par rapport aux banques existantes.
* 2 Cité in La Banque asiatique d'investissement dans les infrastructures , Emile-Robert Perrin, 21/11/2015
* 3 Classement qui prend en compte 140 pays.
* 4 Source : réponses au questionnaire écrit de la commission.
* 5 Source : réponses au questionnaire écrit de la commission.