PREMIÈRE PARTIE : LES ENJEUX DE LA CRÉATION DE LA BANQUE ASIATIQUE D'INVESTISSEMENT DANS LES INFRASTRUCTURES
I. UN SUCCÈS DE LA DIPLOMATIE ÉCONOMIQUE CHINOISE
1. Le ralliement de 57 « membres fondateurs potentiels » dont la majorité des pays du continent asiatique
La création de la Banque asiatique d'investissement dans les infrastructures ou AIIB résulte d'une initiative chinoise. Elle a été évoquée, pour la première fois, en octobre 2013, par le Président chinois Xi Jinping lors du Forum de coopération économique Asie-Pacifique (APEC) à Bali, en Indonésie.
En octobre 2014, la Chine a signé avec les pays asiatiques intéressés un protocole d'entente reconnaissant l'importance des infrastructures dans le développement de l'Asie et le besoin d'un financement additionnel important à long terme pour financer les infrastructures de la région. Parmi ces pays asiatiques, on comptait, outre la Chine, l'Inde, le Kazakhstan, le Pakistan et les pays membres de l'Association des Nations d'Asie du Sud-Est (ASEAN) : Brunei, la Malaisie, les Philippines, la Thaïlande, Singapour l'Indonésie, cette dernière rejoignant l'initiative quelques mois plus tard.
La Chine a ensuite lancé un appel à candidatures pour rejoindre le groupe des membres fondateurs potentiels, dont l'échéance était fixée au 31 mars 2015, le statut de « membre fondateur potentiel » donnant la possibilité d'avoir une place à la table des négociations pendant l'élaboration des statuts et des premières politiques de la Banque.
Les grands pays occidentaux ont tous été sollicités par les autorités chinoises pour rejoindre le projet de création de l'AIIB. Parmi ceux-ci, les États-Unis, le Japon et le Canada, notamment, ont refusé de devenir membres fondateurs de l'AIIB (voir infra ), mais si les premières réactions ont été relativement réservées, elles ont finalement cédé la place à une attitude plus constructive de dialogue avec les autorités chinoises et les équipes chargées de la mise en place de la Banque.
En mars 2015, le Royaume-Uni, le Luxembourg et la Suisse ont été les premiers pays non-régionaux à annoncer leur intention de devenir « membre fondateur potentiel » de l'AIIB, bientôt suivis par la France, l'Allemagne et l'Italie qui ont également exprimé, ensemble, leur souhait d'en faire partie. À leur suite, un grand nombre de pays européens se sont également déclarés comme l'Autriche, l'Espagne, la Finlande, les Pays-Bas, la Pologne, le Portugal. Au total, dix-sept pays européens 1 ( * ) , dont quatorze membres de l'Union européenne sont devenus membres fondateurs potentiels. La Belgique, l'Irlande et Chypre feraient par ailleurs partie des pays souhaitant adhérer à l'AIIB quand de nouvelles adhésions seront possibles, peut-être au second semestre 2016, mais cela reste à confirmer.
L'Australie et la Corée du Sud ont également rejoint le groupe des pays régionaux quelques jours après l'annonce conjointe de la France, l'Allemagne et l'Italie. La Nouvelle-Zélande avait obtenu le statut de membre fondateur potentiel dès janvier 2015. Enfin, les trois BRICS qui n'avaient jusque-là pas souhaité s'associer à l'initiative - le Brésil, la Russie et l'Afrique du Sud - ont finalement déclaré leur intérêt quelques jours avant la date butoir et font également partie des membres fondateurs.
Par ailleurs, environ 35 pays auraient signalé leur intérêt à rejoindre les 57 membres fondateurs potentiels de l'AIIB quand cela sera possible, selon des modalités qui restent à définir. Parmi eux, le Canada qui n'avait pas souhaité faire partie des membres fondateur potentiels, envisage désormais sérieusement de devenir membre de l'AIIB lorsque cela sera de nouveau possible.
Le 25 décembre 2015, les conditions définies pour l'entrée en vigueur de l'accord portant création de l'AIIB ont été réunies. Au 1 er janvier 2016, les 57 membres fondateurs potentiels de l'AIIB avaient signé l'accord portant création de la Banque. À la date du 17 mars 2016, 32 d'entre eux avaient déposé leurs instruments de ratification (voir annexe).
2. La recherche d'une influence accrue de la Chine dans le domaine du financement multilatéral
Depuis plusieurs années, la Chine cherche à renforcer son influence dans les institutions financières internationales existantes, d'autant qu'elle n'est plus toujours éligible, du fait de l'augmentation de son niveau de revenu, à la totalité des financements octroyées par celles-ci. Comme d'autres pays émergents, elle s'y estime sous-représentée compte tenu de son poids dans l'économie mondiale. Elle occupe ainsi une part relativement réduite dans la Banque asiatique de développement (BAsD) (voir infra ) qui prévoit certes d'engager environ 4 milliards de dollars de financements en Chine au titre de sa stratégie pays 2015-2017, mais via le capital ordinaire de la banque, la Chine n'étant plus éligible aux financements du Fonds asiatique de développement (FAsD), partie concessionnelle des financements de la BAsD.
En 2013, la Chine, qui est actionnaire de la Banque interaméricaine de développement (BID), a choisi d'exercer son influence par la mise en place d'un fonds fiduciaire, auquel elle a prévu d'affecter jusqu'à 2 milliards de dollars, afin de cofinancer des projets avec la BID : 25 % des fonds seront destinés à des prêts souverains et 75 % à des prêts non souverains, avec des ressources disponibles respectivement jusqu'en 2016 et 2019. En 2009, au moment de son entrée au capital de la BID, la Chine avait déjà abondé deux fonds fiduciaires, auxquels elle avait consenti un apport total de 75 millions de dollars à chaque fois.
C'est dans le contexte d'un blocage, par le Congrès américain, de la réforme du Fonds monétaire internationale (FMI) de 2010 portant sur les droits de vote et l'augmentation des contributions des États membres, que la Chine a lancé en 2013 la création de l'AIIB. Toutefois, il faut noter qu'en 2015, les États-Unis ont fini par ratifier la réforme du FMI, qui a placé la Chine au troisième rang des investisseurs du fonds et permis l'entrée du renminbi (RMB) dans le panier des droits de tirage spéciaux (DST).
Force est de constater que l'AIIB est la première banque multilatérale qui n'a pas les États-Unis et le Japon comme partenaires. En effet, ces deux pays jouent un rôle majeur dans la Banque asiatique de développement (BAsD) dont ils sont les deux plus gros détenteurs du capital - fin 2014, ils en détenaient respectivement 15,6 % et 15,7 % tandis que la Chine disposait de 6,5 %. Ils n'ont d'ailleurs pas souhaité y accorder une augmentation de capital sélective visant à modifier la répartition du capital au bénéfice de la Chine. En outre, la présidence de la Banque est traditionnellement confiée à un Japonais, le Japon étant son plus gros contributeur.
Une inflexion de la position américaine a cependant été constatée à l'automne 2015, lors de la visite du Président chinois Xi Jinping aux États-Unis. À cette occasion, la Maison blanche a en effet souligné qu'elle accueillait « favorablement la contribution croissante de la Chine au financement du développement et des infrastructures en Asie et au-delà ».
En revanche, le Japon n'envisage pas de revoir sa position pour l'instant. Reconnaissant que la création de l'AIIB répondait à un besoin réel de financement des infrastructures en Asie, le Japon a annoncé, en mai 2015, son propre plan d'investissement, doté de 110 milliards de dollars sur cinq ans dédiés aux infrastructures « de qualité ». Ce plan devrait reposer sur quatre piliers : une mobilisation accrue des instruments de l'aide publique au développement japonais (prêts, dons, assistance technique), un soutien plus important à la Banque asiatique de développement, un appui sur certains instruments de la JBIC ( Japan Bank for International Cooperation ) et le partage de connaissances.
Par ailleurs, en 2014, la Chine a établi un fonds fiduciaire à la Banque africaine de développement (BAfD), doté de 2 milliards de dollars. Ce fonds, l'Africa Growing Together Fund (AGTF), vise à réaliser des cofinancements dans le secteur des infrastructures.
En juin 2015, la Chine a également adhéré au Centre de développement de l'Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE) dont l'objectif est d'aider les décideurs à concevoir des solutions politiques pour stimuler la croissance et améliorer les conditions de vie dans tous les pays et surtout dans les pays en développement.
Enfin, le 14 décembre 2015, la Chine est devenue membre de la dernière grande banque régionale de développement dont elle n'était pas membre, la Banque européenne pour la reconstruction et le développement (BERD) avec l'intention de développer des partenariats, en particulier avec l'AIIB, pour cofinancer des projets d'infrastructure en lien avec l'initiative chinoise de la « Nouvelle route de la soie » (voir infra). Si elle ne détient qu'une part très faible du capital de la BERD (0,1 %) - ce qui lui donne peu de poids dans la prise de décision, comparativement aux membres du G7 et aux membres de l'Union européenne qui détiennent respectivement 56 % et 60 % des droits de vote -, elle pourrait toutefois, comme précédemment, envisager de créer un fonds bilatéral de cofinancement : un premier signe en est une contribution chinoise de 250 millions d'euros sous forme de prise de participation au nouveau fonds de co-investissement, l' Equity Participation Fund , créé par la Banque le 25 novembre 2015.
* 1 Ces 17 membres fondateurs européens sont l'Allemagne, l'Autriche, le Danemark, l'Espagne, la Finlande, la France, l'Italie, l'Islande, le Luxembourg, Malte, la Norvège, les Pays-Bas, la Pologne, le Portugal, le Royaume-Uni, la Suède et la Suisse.