B. LES DISPOSITIONS DES DEUX ACCORDS
Ces deux accords visent à développer une coopération bilatérale en matière de défense dans des domaines traditionnels, tels que la formation, l'accueil ou l'échange de stagiaires, l'armement, le soutien logistique ou la géographie militaire. Des accords analogues ont été signés avec Slovaquie le 4 mai 2009 et avec la Serbie le 7 avril 2011.
Ces accords ne contiennent pas de clause d'assistance automatique.
1. Les modalités de la coopération dans le domaine de la défense
a) Le principe
Les articles 1 er du projet de loi autorisant l'approbation de l'accord avec la Croatie et 2 du projet de loi autorisant l'approbation de l'accord avec la Lituanie précisent que le but de chaque accord est de développer la coopération bilatérale entre le pays signataire et la France.
Ces textes contiennent des stipulations figurant habituellement dans ce type d'accord, notamment en matière de statut des forces, de règlement des dommages ou de règlement des différends, qui seront examinées infra.
Les accords de coopération dans le domaine de la défense ne contiennent pas de clauses d'assistance en cas d'agression car tel n'est pas leur objet 18 ( * ) . Ces partenaires étant membres de l'OTAN et de l'UE, ils bénéficient des stipulations de l'article 5 du traité de Washington et de l'article 42.7 du Traité sur l'Union européenne relatifs à l'assistance en cas d'agression extérieure.
Les articles 2 du projet de loi autorisant l'approbation de l'accord avec la Croatie et 1 du projet de loi autorisant l'approbation de l'accord avec la Lituanie sont relatifs aux définitions utilisées dans chacun de ces accords de coopération.
Les articles 3 des projets de loi énoncent les domaines dans lesquels la coopération peut être mise en oeuvre. Les articles 4 des projets de loi présentent les formes que peuvent prendre cette coopération.
b) Le contenu de la coopération avec la Croatie
Le contenu envisageable pour les activités de coopération listées dans l'accord conclu avec la Croatie est le suivant :
- 1.1-concepts de défense et de sécurité, notamment en Europe : il s'agit d'échanges lors des dialogues stratégiques et réunions d'état-major, partage sur les visions respectives des parties par exemple en vue de la préparation du Sommet de l'OTAN à Varsovie en 2016 ou de l'élaboration de la Stratégie européenne de sécurité,
- 1.2-types d'organisation et d'équipements des forces armées et de leurs réserves, 1.8-administration et gestion des personnels, 1.12-relations publiques et communication : ce sont les partages d'expérience sur les réformes menées ou en cours, ainsi que sur les équipements utilisés ou envisagés (en particulier, retour d'expérience sur le matériel utilisé en opérations, notamment en vue du SOUTEX) qui sont visés,
- 1.3-conception, production et acquisition de matériel d'armement,
- 1.4-organisation du commandement territorial et opérationnel, fonctionnement des états-majors, rôle de l'informatique dans le commandement : sont ici envisagés les échanges sur les enseignements tirés des opérations conduites et des évolutions induites pour l'organisation et le fonctionnement des états-majors (en particulier, avec la conduite de l'opération Sentinelle en France). Un exemple concret de ce type de coopération a été donné par la visite de l'inspecteur général de la défense croate en octobre 2015,
- 1.5-organisation et rôles des soutiens, 1.6-organisation et fonctionnement des systèmes de transmissions terre, air et naval, 1.7-défense antiaérienne, 1.9-formation et perfectionnement des officiers 1.11-santé et aide humanitaire. Dans ces domaines, la coopération prendra la forme d'échanges, de partage de doctrine et d'expérience sur certains matériels ; formations (influence sur la doctrine OTAN, SOUTEX),
- 1.13-législation et règlementation. La coopération consiste en échanges sur les évolutions statutaires telles que la mise en oeuvre dans les forces armées de la directive européenne sur le temps de travail ou réglementaires telles que les évolutions possibles des règles de légitime défense, d'emploi des forces armées sur le territoire national, etc.,
- 1.15-histoire militaire. Il s'agit de partager sur les enjeux mémoriels notamment dans le cadre du centenaire de la guerre de 1914-18.
L'absence de mention de la cyber-défense, prévu par l'accord avec la Lituanie, est probablement due au fait que ce sujet n'était pas encore une problématique majeure, même si elle montait déjà en puissance lorsque l'accord a été négocié (en 2011-2012, pour une signature en 2013). La coopération dans le secteur énergétique, il est compris dans le 1.5-organisation et rôle des soutiens, de la logistique
Par ailleurs l'alinéa 2 de l'article 3 permet d'ouvrir d'autres domaines de coopération : « les parties peuvent convenir d'un commun accord de coopérer dans tout autre domaine ».
c) Le contenu de la coopération avec la Lituanie
Concernant l'accord avec la Lituanie, les domaines de coopération sont également largement énumérés et comprennent comme pour l'accord avec la Croatie une clause de révision ainsi rédigée : « les parties mettent en oeuvre une coopération qui peut inclure les domaines suivants (...) et tout autre domaine convenu d'un commun accord entre les parties et en fonction de leurs intérêts mutuels ». Sous réserve de leur extension, les domaines de coopération sont les suivants :
- concept de défense et de sécurité, particulièrement liés à l'Europe,
- sécurité énergétique,
- politique de défense et de planification,
- cyberdéfense,
- organisation et équipements des unités militaires, des forces de réserve et des services logistique,
- administration des ministères chargés des questions de défense et de sécurité,
- instruction militaire, formation militaire et linguistique,
- exercices militaires,
- communication et échange d'informations,
- gestion de crise,
- acquisition d'armement, de fournitures et d'équipement militaire,
- législations nationales relatives aux forces armées,
- recherche scientifique et technologique,
- droit international humanitaire,
- questions relatives aux services médicaux militaires et à la préparation physique envie d'une carrière militaire,
- géographie militaire,
- histoire militaire.
Les formes de la coopération peuvent prendre les formes suivantes :
- visites officielles et rencontre de travail, visitez entraînement des membres du personnel civil et militaire,
- mise en place temporaire de conseiller militaire technique,
-rencontres, consultations, échanges d'informations lors de séminaires, conférences et autres événements,
- échanges de délégations entre états-majors et unités afin de participer à l'appeler planification et à l'exécution d'exercice militaire,
- participation d'unités de services spécifiques à des exercices militaires,
- escale d'aéronefs et de navires de guerre,
- rencontres et échanges de personnel militaire ou civil et d'élèves des établissements d'enseignement militaire,
- échange d'information, de documentation et d'études,
- participation de personnel militaire ou civil à des événements sportifs,
- participation de personnel militaire ou civil à des activités culturelles,
- autres formes de coopération définie par les parties.
Les différences entre les deux projets de loi qui concernent l'absence de l'aide humanitaire et de la conception et production d'armement dans le projet de loi relatif à l'accord de coopération avec la Lituanie. Il ne s'agit pas de points de blocages, ni d'arbitrages, ni de définitions différentes des enjeux stratégiques de la France, mais simplement d'un processus empirique ayant conduit à la rédaction de ce document.
Les points énumérés se trouvent pour partie dans l'arrangement technique de 1994, et ont été développés dans le document signé en 2011 et sont finalement listés dans ce document. La liste se veut suffisamment large sans prétendre à l'exhaustivité, le dernier tiret du point 1. de l'article 3 permet explicitement d'aborder tout point qui pourrait manquer et être pertinent à l'avenir.
d) Les entretiens bilatéraux annuels
L'article 6 du projet de loi autorisant l'approbation de l'accord avec la Lituanie et l'article 7 du projet de loi autorisant l'approbation de l'accord avec la Croatie ont trait aux entretiens bilatéraux annuels entre les ministres de la défense.
Ces réunions au sommet seront préparées par des réunions d'états-majors. Ces réunions d'état-major régulières permettent des échanges sur les problématiques communes ou l'information d'une des parties sur les activités de l'autre partie : la dernière s'est déroulée le 3 juin 2014 à Zagreb, la prochaine se tiendra le 31 mars 2016 à Paris. Par ailleurs, la Direction générale des relations internationales et de la stratégie (DGRIS) entretient un dialogue régulier avec la direction politique du ministère croate de la défense qui a donné lieu à une rencontre à Zagreb le 26 janvier 2016.
Concernant la Lituanie, ce dialogue a pris les formes suivantes :
- Dialogue stratégique séminaire franco-balte de sécurité et défense : 9e édition en novembre 2015.
- Dialogue régulier des directeurs politiques de défense, échanges de vues entre experts DGRIS.
- Réunion annuelle d'état-major niveau EMA/RIM.
Ces actions figurent au plan de coopération établi chaque année, lequel plan est évoqué dans les arrangements techniques antérieurs à l'accord de coopération et repris dans ce dernier.
2. Des coopérations prévues dans des domaines sensibles
a) La question particulière de la coopération dans le domaine de l'armement
Les articles 5 des projets de loi s'attachent à la question particulière de la coopération dans le domaine de l'armement. Ces projets devraient faciliter les possibilités d'exportation pour les industriels français au travers en particulier des échanges d'information d'un certain niveau de confidentialité ou l'invitation de personnel lituanien à des démonstrations d'armement ou des visites des sites industriels français.
Pour la Croatie, les pistes de coopération pourraient être modelées par le fort intérêt manifesté pour certains matériels de défense tels que le système de surveillance maritime Polaris de DCNS et les missiles sol-air Mistral de MBDA. Outre l'achat de Dauphin d'occasion par la Lituanie, des perspectives de coopération dans le domaine de l'armement se dessinent dans les secteurs suivants : défense anti-char, équipement en véhicules blindés, modernisation de l'artillerie.
b) Les échanges d'information classifiées
L'article 7 du projet de loi autorisant l'approbation de l'accord avec la Lituanie et l'article 13 du projet de loi autorisant l'approbation de l'accord avec la Croatie ont trait aux échanges d'informations classifiées.
La France et la Lituanie ont signé à Vilnius le 26 juin 2009 un accord général de sécurité relatif à l'échange et à la protection des informations classifiées. Le projet de loi prévoit que cet accord s'applique et que les informations concernées ne sont communiquées qu'à des fins officielles, à moins que par un écrit la Partie émettrice permettre l'utilisation de ces informations à d'autres fins.
La France et la Croatie sont quant à elles liées par un accord sur la protection mutuelle des informations classifiées, signé à Zagreb le 25 janvier 2011. Le projet de loi prévoit que cet accord s'applique.
Ces accords, dits « accords de sécurité », couvrent l'ensemble des informations classifiées quel que soit leur domaine, et permettent d'encadrer, entre les Parties, la transmission de ces informations. Conclus après étude de la législation de l'autre Partie en matière de protection des informations classifiées, ils stipulent que chaque Partie protège les informations classifiées de l'autre Partie conformément à sa législation nationale. Ils comprennent l'identification et la reconnaissance mutuelle des autorités nationales de sécurité, un tableau d'équivalence des classifications, la reconnaissance mutuelle des habilitations de personnes, les modalités de transmission et de protection des informations et supports classifiés.
Les accords de coopération ont pour but de développer la coopération en matière de défense, dans des domaines variés. L'existence d'un accord de sécurité facilite la mise en oeuvre de cette coopération. Toutefois, l'effectivité du renforcement de cette coopération et le développement éventuel des échanges d'informations classifiées seront fonction des activités entreprises dans le cadre de la mise en oeuvre de ces accords et résulteront des intentions et besoins des Parties.
3. Autres dispositions
a) Modalités financières et fiscales
Les articles 8 des projets de loi énoncent les règles de financement de la coopération. Il est prévu que chaque Partie prend en charges les coûts résultant pour elle de la mise en oeuvre de l'accord, sauf si l'on est décidé autrement. S'agissant des stages, la partie d'accueil étudie la possibilité de prendre en charge les frais de scolarité ou de formation.
b) Règlement des différents et des dommages
L'article 11 du projet de loi autorisant l'approbation de l'accord avec la Lituanie et l'article 12 du projet de loi autorisant l'approbation de l'accord avec la Croatie prévoit l'application du « SOFA OTAN » pour le règlement des dommages.
L'article 12 du projet de loi autorisant l'approbation de l'accord avec la Lituanie et l'article 14 du projet de loi autorisant l'approbation de l'accord avec la Croatie concernent le règlement des différends. Là encore, des dispositions identiques sont prévues : tout différend lié à l'interprétation ou à l'application de l'accord concerné sera réglé par voie de consultations ou de négociations entre les parties.
c) Entrée en vigueur de l'accord
L'article 13 du projet de loi autorisant l'approbation de l'accord avec la Lituanie et l'article 15 du projet de loi autorisant l'approbation de l'accord avec la Croatie détaillent les dispositions finales de l'accord. Les dispositions prévues sont identiques. Il est précisé que l'accord est conclu pour une durée indéterminée et qu'il entrera en vigueur le premier jour du deuxième mois suivant le jour de réception de la dernière notification de l'accomplissement des procédures nationales d'approbation.
En l'occurrence, les accords entreront en vigueur le premier jour du deuxième mois suivant la notification de l'approbation de ces accords par la France, la Croatie et la Lituanie les ayant déjà approuvés.
4. Dispositions particulières à l'un ou l'autre des pays
a) Points particuliers de l'accord de coopération avec la Croatie
Certaines dispositions sont prévues par le projet d'accord entre le gouvernement de la République française et le gouvernement de la République de Croatie, sans équivalent dans le projet d'accord avec la Lituanie. Il a été précisé à votre rapporteur que ces différences entre les deux textes ne résultent pas de points de blocage particulier avec la Lituanie. Les dispositions spécifiques à la Croatie sont en fait la transcription de dispositions préexistantes dans l'arrangement technique rendu caduc par l'adhésion de la Croatie à l'Union européenne et à l'OTAN.
L'article 9 du projet de loi autorisant l'approbation de l'accord prévoit que la partie d'envoi communique à l'avance aux autorités compétentes de la partie d'accueil l'identité des membres du personnel et des personnes à charge entrant sur son territoire.
Les stipulations relatives au décès des membres du personnel prévues par l'article 11 de l'accord de coopération franco-croate prévoient notamment la constatation du décès et la délivrance d'un certificat de décès par un médecin habilité, ainsi que la possibilité pour un médecin militaire de la Partie dont relève le défunt d'assister à l'autopsie, lorsque celle-ci est décidée par la Partie d'accueil. Cette clause renvoie à l'application du droit de l'État d'accueil.
Cette clause ne figure pas non plus dans l'accord franco-estonien, ni dans le projet d'accord avec la Lettonie, dans un souci de cohérence entre les trois États baltes, le choix a été fait de ne pas différencier les trois textes et de ne pas faire figurer cette disposition dans l'accord de coopération avec la Lituanie. Ce point n'a pas suscité de remarque particulière de la part du ministère de la justice lors des consultations interministérielles, selon les informations communiquées à votre rapporteur.
b) Points particuliers de l'accord de coopération avec la Lituanie
L'article 9 du projet de loi autorisant l'approbation de l'accord concerne les dispositions fiscales et prévoit que les membres du personnel de la Partie d'envoi présent sur le territoire de la Partie d'accueil dans le cadre de l'accord, ainsi que les personnes à leur charge, ne sont imposables que dans la Partie d'envoi nonobstant les stipulations de la convention signée le 7 juillet 1997 entre le gouvernement de la République française et le gouvernement de la République de Lituanie en vue d'éviter les doubles impositions et de prévenir l'évasion fiscale et la fraude fiscale en matière d'impôt sur le revenu et sur la fortune. La convention de 1997 n'a pas été rendue caduque par l'adhésion de la Lituanie à l'OTAN et à l'union européenne. Elle continue donc de s'appliquer.
Selon les informations communiquées par le gouvernement, les dispositions qu'elle prévoit ne sont pas différentes des dispositions applicables aux termes du « SOFA OTAN » (qui s'applique à la Croatie dans ce domaine) et qui sont les suivantes : « Article X- Si, dans l'État de séjour, l'établissement d'un impôt quelconque est fonction de la résidence ou du domicile du redevable, les périodes au cours desquelles un membre d'une force ou d'un élément civil sera présent dans le territoire de cet État, en raison uniquement de sa qualité de membre de cette force ou de cet élément civil, ne seront pas considérées, pour l'établissement audit impôt, comme périodes de résidence ou comme entraînant un changement de résidence ou de domicile. Les membres d'une force ou d'un élément civil seront exonérés dans l'État de séjour de tout impôt sur les traitements et émoluments qui leur sont payés en cette qualité par l'État d'origine ainsi que sur tous biens meubles corporels leur appartenant et dont l'existence dans l'État de séjour est due uniquement à leur présence temporaire dans cet État.
« Le présent article n'exonérera en aucune façon le membre d'une force ou d'un élément civil des impôts afférents aux activités génératrices de profits, autres que celles qu'il exerce en cette qualité, auxquelles il pourrait se livrer dans l'État de séjour. Sauf en ce qui concerne le traitement, les émoluments, ainsi que les biens meubles corporels, visés au paragraphe 1, les dispositions du présent article ne s'opposent en rien à la perception des impôts auxquels le dit membre est assujetti en vertu de la loi de l'État de séjour, même s'il est considéré comme ayant sa résidence ou son domicile hors du territoire de cet État.
« Les dispositions du présent article ne sont pas applicables aux "droits" tels qu'ils sont définis au paragraphe 12 de 1'article 11.
« Au regard des dispositions du présent article, l'expression "membre d'une force" ne s'applique pas à une personne ayant la nationalité de l'État de séjour. »
* 18 Ce type de clause peut en revanche trouver sa place dans les accords dits « de défense » qui organisent plus spécifiquement ce domaine, avec des États non membres de l'OTAN ou de l'UE.