II. UN PROJET DE LOI COMPOSITE CONSTITUÉ POUR L'ESSENTIEL D'HABILITATIONS À LÉGIFÉRER PAR ORDONNANCE

Votre rapporteur fait part d'une certaine déception à l'égard du présent projet de loi. S'il ne saurait reprendre pour le qualifier l'expression qu'employa naguère notre collègue Bernard Saugey d'« assemblage hétéroclite de « cavaliers législatifs » en déshérence » pour caractériser une précédente loi de simplification particulièrement disparate, force est cependant de constater que le présent projet de loi est loin de se concentrer sur la seule simplification de la vie des entreprises, comme le prétend son intitulé. Ce texte n'évite ainsi ni l'écueil du recours fréquent aux ordonnances ni celui du caractère disparate, alors que les précédents projets de loi de simplification depuis 2012, même s'ils procédaient aussi par ordonnances, présentaient un objet plus circonscrit, en particulier la loi du 2 janvier 2014 habilitant le Gouvernement à simplifier et sécuriser la vie des entreprises.

En effet, dans le présent projet de loi, de nombreuses dispositions ne concernent pas les entreprises, ou de façon indirecte, voire sont des simplifications pour l'administration avant tout, ou encore ne sont pas des simplifications mais des dispositions diverses qui ont trouvé, avec ce projet de loi, un réceptacle commode.

Ainsi, bien plus que les précédentes lois de simplification adoptées au cours de ces deux dernières années, le présent projet de loi illustre ce que notre collègue député Jean-Luc Warsmann avait appelé un « effet d'aubaine législatif » 6 ( * ) , c'est-à-dire une incitation pour les ministères à profiter de la préparation et de l'examen d'une loi de simplification pour l'alourdir de dispositions en attente de « véhicule législatif », parfois sans aucun rapport avec la simplification, au point d'en faire un projet de loi portant « diverses dispositions d'ordre divers »... Comme l'avait justement remarqué notre ancien collègue Jean-Pierre Michel, rapporteur en 2012 de la dernière proposition de loi de simplification de notre collègue Jean-Luc Warsmann, « sous couvert de simplification, ce texte sert de pavillon de complaisance à des marchandises de toutes natures ».

Conservés au fond par votre commission des lois, les articles 3, 4, 5, 6, 7 bis , 7 ter , 12, 12 bis , 19, 25, 26, 27, 32, 34, 34 ter , 36 et 37 du présent projet de loi illustrent eux aussi ce caractère disparate.

Ainsi, alors que l'article 6 veut supprimer la réglementation des congés d'été des boulangers par les maires et les préfets - simplification qui concerne avant tout l'administration -, l'article 26 se propose de simplifier les conditions de désignation des commissaires aux comptes des établissements publics de l'État, en les alignant sur le droit commun, et l'article 34 procède, sans aucun rapport lui non plus avec la simplification de la vie des entreprises, à diverses mesures d'adaptation dans le code de la consommation, oubliées il y a quelques mois à l'occasion de la loi n° 2014-344 du 17 mars 2014 relative à la consommation.

En outre, l'approche du projet de loi paraît parfois très pointilliste, avec des mesures très ponctuelles ne traduisant pas une réelle vision d'ensemble ou une démarche globale de simplification appliquée à des pans particuliers de notre ordonnancement juridique. Il en est ainsi, par exemple, en matière de droit des sociétés, avec l'article 12 du projet de loi. Entre autres dispositions, il est proposé de réduire, par ordonnance, le nombre minimal d'actionnaires dans les sociétés anonymes non cotées et d'en tirer les conséquences dans l'ensemble du régime de ces sociétés. Outre que la mesure est loin de faire l'unanimité, s'il faut simplifier le régime de la société anonyme, la demande réside plutôt dans la mise en place d'un régime globalement simplifié pour les petites sociétés non cotées, ainsi que cela a pu être exposé à votre rapporteur, de sorte que l'enjeu dépasse alors de loin la simple question du nombre minimal d'actionnaires.

Par ailleurs, près de la moitié des articles du projet de loi sont en réalité des habilitations à légiférer par ordonnance, avec des champs très larges dans certains cas, alors que les articles modifiant directement le droit en vigueur ont le plus souvent une portée extrêmement modeste. Sur les dix-sept articles examinés par votre commission des lois, on ne compte toutefois que six habilitations, mais le plus souvent pour des dispositions essentielles du projet de loi.

Votre rapporteur souligne cependant que les délais d'habilitation, fixés par l'article 36, sont relativement brefs, entre six et douze mois pour l'essentiel, ce dont il ne peut que se féliciter.

À titre d'exemple, l'article 4 du projet de loi reprend quasiment à l'identique une habilitation supprimée conforme par les deux assemblées, à l'initiative de votre commission initialement, dans le projet de loi relatif à la modernisation et à la simplification du droit et des procédures dans les domaines de la justice et des affaires intérieures, notamment pour son grave manque de précision. Une telle attitude de la part du Gouvernement ne peut que susciter l'étonnement voire l'agacement de votre commission. Il s'agit d'une habilitation en vue de simplifier ou de supprimer tous les régimes d'autorisation ou de déclaration préalable concernant les entreprises, sans aucun encadrement ni précision.

L'article 27, quant à lui, prévoit la transposition par ordonnance de deux directives du 26 février 2014 sur la passation des marchés publics. Il prévoit également la rationalisation, par ordonnance, des différents textes traitant de la commande publique, y compris les contrats de partenariat, dans la perspective, à laquelle votre commission ne peut que souscrire, de l'élaboration ultérieure d'un véritable code de la commande publique, reconnaissant la pleine compétence du législateur dans ce domaine 7 ( * ) .

Votre commission insiste sur le fait que légiférer par ordonnance ne fait guère gagner de temps au Gouvernement, dès lors l'on ajoute le délai d'examen de la loi d'habilitation au délai d'habilitation lui-même, et ne garantit pas la qualité du droit édicté selon cette voie, qui ne bénéficie pas du « tamis » du débat et de la navette parlementaires pour s'affiner et s'ajuster, en évitant les scories et les malfaçons. Une ordonnance est comme un projet de loi qui aurait été publié au Journal officiel dès après le conseil des ministres, sans passer devant le Parlement.

Pour autant, le présent projet de loi n'inspire pas que des critiques de la part de votre commission. Des mesures intéressantes et de portée significative y figurent en effet, par exemple l'extension de la procédure du rescrit à de nouveaux domaines de l'action administrative, à l'article 3, saluée par l'ensemble des personnes que votre rapporteur a entendues en audition comme une avancée réellement utile pour les entreprises dans leurs rapports avec l'administration. Il en est de même avec la dispense de signature et la dématérialisation pour un certain nombre d'actes et de décisions administratives, à l'article 19, qui constituent une simplification, certes, pour les administrations, mais aussi pour les entreprises.

Quand bien même cette mesure ne concerne pas les entreprises, votre rapporteur tient cependant à mentionner la reconnaissance législative complète de la pratique des conventions de mandat, à l'article 25. Elle devrait faciliter la gestion de l'ensemble des personnes publiques, en particulier les collectivités territoriales, en leur permettant de recourir à des organismes extérieurs, publics ou privés, pour assurer le paiement de certaines dépenses et le recouvrement de certaines recettes 8 ( * ) .

Lors de son examen, l'Assemblée nationale a adopté quelques articles additionnels, souvent à l'initiative du Gouvernement, accentuant le caractère disparate initial du projet de loi. Il en va ainsi, à l'article 7 ter , d'une habilitation à simplifier différentes dispositions relatives à la cession des lots de copropriété, issues de la loi n° 2014-366 du 24 mars 2014 pour l'accès au logement et l'urbanisme rénové. Outre que cette habilitation est sans rapport avec la vie des entreprises, elle consiste à revenir quelques mois après sur une loi qui vient d'être adoptée, en raison de malfaçons législatives.


* 6 Rapport au Premier ministre sur la simplification du droit , janvier 2009.

* 7 Actuellement, le code des marchés publics est considéré comme de niveau réglementaire.

* 8 En l'état du droit, les conventions de mandat ne sont expressément reconnues qu'en matière de paiement de certaines dépenses des collectivités territoriales.

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