Mardi 19 février 2013
M. Jacques
Pélissard, président de l'Association des maires de France
(AMF)
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- Présidence de M. Jean-Pierre Sueur, président -
M. Jean-Pierre Sueur , président . - Nous entamons cette troisième semaine d'auditions sur le texte sur le mariage pour tous, preuve que le Sénat se donne le temps d'examiner les sujets de haute importance. Cela a d'ailleurs été remarqué.
Pour commencer, je suis très heureux d'accueillir M. Jacques Pélissard, président de l'Association des maires de France (AMF). Bien que député - ne prenez pas négativement cette proposition circonstancielle de concession -, il n'ignore pas que la Haute Assemblée représente les collectivités territoriales de la République. Si nous n'avons jamais eu une vision restrictive de cela, le président d'une association qui réunit 36 700 maires de France est ici chez lui.
Par parenthèse, on évoque parfois des textes rejetés par le Sénat, faute de majorité. On oublie trop souvent de dire qu'il a voté à l'unanimité la proposition de loi que Mme Gourault et moi-même avons déposée sur les conditions d'exercice des mandats locaux, ou celle portant création d'une Haute autorité chargée du contrôle et de la régulation des normes applicables aux collectivités locales. Puissent ces textes prospérer à l'Assemblée nationale.
M. Jacques Pélissard, président de l'Association des maires de France (AMF) . - Merci pour votre accueil. Nous travaillons en commun sur des textes. Nous avons accolé nos noms à une loi sur les Commissions départementales de coopération intercommunale (CDCI), votée quand la majorité de nos deux assemblées ne coïncidait pas. Je m'efforcerai de favoriser le cheminement des deux propositions que vous avez citées.
L'Association des maires de France (AMF) que je préside représente tous les maires de France avec leurs sensibilités. Je l'ai dit à François Hollande lors de notre congrès en novembre 2012, nous n'avons pas vocation à prendre une position sur le fond du texte. Les maires marient au nom de la loi - « au nom de la loi je vous déclare unis par le mariage »... Ils respecteront la loi. Je l'ai également dit à Mme Taubira, le rôle de l'AMF est de faire respecter la loi, mais aussi de tenir compte de la conscience des maires. D'où les trois amendements que nous avons déposés à l'Assemblée nationale. Le seul adopté, d'ailleurs à l'unanimité, concerne le lieu du mariage : il élargit la faculté de choisir la commune du mariage au lieu où l'un des parents d'un membre du couple réside. Il met ainsi fin à une hypocrisie. Je souhaite que le Sénat le maintienne, avec la précision ajoutée par le rapporteur : le choix de la commune intervient « à la demande des époux ».
Le deuxième concernait la clause de conscience - un terme que je n'ai jamais utilisé. Le président de la République, lui, l'a fait, avant de se rétracter. Pour respecter la conscience des maires, il faut assouplir les règles des délégations octroyées par le maire à un conseiller municipal pour la célébration d'un mariage. A l'heure actuelle, cette délégation n'est possible qu'en cas d'absence ou d'empêchement du maire et des adjoints. On assiste à des situations un peu hypocrites : quand je délègue ma compétence à un conseiller municipal pour qu'il marie son enfant, je ne peux être présent, même quand il s'agit d'amis ; de même, il y a des délégations permanentes dans les grandes villes avec un tour de rôle des conseillers municipaux, alors que cette délégation ne peut qu'être spécifique. Donc, il convient de dire la vérité et d'évacuer la condition de maladie ou d'empêchement, car à quoi bon mentir ? Il faudrait écrire : « le maire peut déléguer à un conseiller municipal le soin de procéder à la célébration de mariages », point à la ligne.
Troisième amendement, que faire si tous les délégués municipaux et le maire refusent de procéder au mariage ? Une telle hypothèse ne peut être exclue, puisque 29 % des maires se déclarent très défavorables au mariage pour tous et que 23% y sont défavorables. Or, force doit rester à la loi. Nous devons prévoir un taquet : l'on sollicitera le procureur de la République. Celui-ci donnera instruction aux maires de procéder à la cérémonie. Le procureur de la République intervient déjà aujourd'hui quand le maire se trouve confronté au mariage d'un étranger en situation irrégulière ou lorsqu'il soupçonne un mariage arrangé, par exemple.
Les maires sont respectueux de la loi, il importe que celle-ci autorise le respect de leur conscience.
M. Jean-Pierre Sueur , président . - Votre deuxième amendement vise simplement à faire correspondre la loi à la réalité, il est tout à fait acceptable.
M. Jean-Pierre Michel , rapporteur . - Votre premier amendement sera maintenu.
Quant à vos deux autres amendements, il y a une clause de conscience pour les médecins sur l'avortement, mais ceux-ci sont des professionnels libéraux. Tel n'est pas le cas des officiers d'état civil que sont les maires. La saisine du procureur de la République est déjà possible lorsque se présentent des difficultés. Sous réserve d'un examen plus approfondi, vos amendements ne me posent pas de problème. Sur un plan politique, rassurer des collègues maires, si nous pouvons le faire, ira dans le bon sens.
Mme Michelle Meunier , rapporteure pour avis de la commission des affaires sociales . - Je vous donnerai un témoignage : en tant qu'adjointe au maire à Nantes pendant vingt-deux ans, j'ai été appelée à assurer des permanences lorsque quinze ou vingt mariages étaient programmés le même samedi...
M. Jean-Pierre Sueur , président . - Procéder à un mariage est un moment privilégié dans la vie des élus : les gens arrivent contents à la mairie et en ressortent heureux. Ce n'est pas toujours aussi gratifiant !
M. Jacques Pélissard . - Le rapporteur est en phase avec mes amendements et son analyse correspond à la mienne. J'ai effectivement entendu parler des permanences à Nantes. Ce n'est pas très légal.
M. Jean-Pierre Sueur , président . - C'est la pratique ; de nombreux collègues, je n'en doute pas, soutiendront un amendement de bon sens.
Mme Cécile Cukierman . - Effectivement, il est important que les maires, adjoints et conseillers municipaux se retrouvent dans cette loi qui, je l'espère, sera votée. En revanche, je m'interroge sur le troisième amendement : s'il n'y a pas de suspicion sur la légitimité du mariage, le maire devra y procéder. Etre maire, c'est aussi assumer ses responsabilités, être tenu à des obligations. On n'a pas pris autant de précautions lorsqu'il s'est agi de demander aux maires d'appliquer le service minimum dans l'éducation nationale. Le débat peut-être tumultueux, mais une fois la bataille politique passée, la loi doit être appliquée Nous en reparlerons d'ici avril, mais j'ai quelques doutes concernant de votre troisième proposition.
M. Jean-Pierre Leleux . - Je partage totalement les deux premiers amendements ; Quant au troisième, la comparaison avec le service minimum ou avec les futurs rythmes scolaires ne tient pas, à mon sens. Une divergence politique ne relève pas de la conscience. Le mariage pour tous touche-t-il, quant à lui, à la liberté de conscience, ce projet est-il du ressort de la conscience ? Oui. Le président de la République ne pense pas autrement. Il a cité ce terme par deux fois lors du congrès des maires, ce qui lui a valu des applaudissements. Il a également évoqué des délégations extensibles - ce n'est pas anodin. Votre proposition marque un pas dans la reconnaissance de la liberté de conscience que je souhaite voir inscrite dans la loi. Depuis la Révolution, le maire, quand il marie, recueille les naissances et enregistre les décès, est un agent de l'Etat, un officier d'état civil. A l'étranger, c'est l'ambassadeur qui joue ce rôle de délégué de l'Etat.
Dans mon département, des conseils municipaux unanimes ont demandé la clause de conscience. Pour ces cas-là, pourquoi ne pas rendre cette mission à l'Etat ? Le préfet ou le sous-préfet organiserait alors le mariage.
M. Jean-Pierre Michel , rapporteur . - Je donnerai des précisions au sénateur-maire de Grasse : donner au préfet ou au sous-préfet le soin de marier dévaloriserait la fonction du maire. Un mot de droit comparé : la clause de conscience pour les maires n'est pas admise, même en Espagne, où le tribunal suprême a invoqué un devoir inconditionnel d'obéissance au droit de la part des maires. Elle ne l'est pas non plus en Belgique. Une possibilité de délégation est prévue dans les pays européens protestants, mais pour les pasteurs ! Et dans ce cas, les futurs époux sont orientés vers un autre pasteur qui accepte de les marier. La question a donc été résolue par la négative pour le mariage civil, et de manière oblique lorsque le mariage religieux peut en tenir lieu. Le troisième amendement de M. Pélissard dessine une voie médiane. Nous allons donc l'étudier de plus près.
Mme Cécile Cukierman . - J'entends que de telles unions peuvent heurter la conscience de certains, mais il en va de même dans bien d'autres situations. J'ai évoqué tout à l'heure l'atteinte au droit de grève, qui heurte tout autant la conscience de certains. Surtout, lorsque le maire officie, il n'est plus question de la personne, mais de la fonction que l'on exerce. De deux choses l'une, soit on entre en résistance pour aller au bout de sa logique, soit on applique le droit. Il me paraît paradoxal d'entreprendre de faire évoluer la règle de droit tout en prévoyant les exceptions qu'elle pourrait souffrir, même si souvent, en France, les exceptions confirment la règle...
M. Jean-Pierre Sueur , président . - La loi est notre charte commune, elle fonde le vivre ensemble dans notre République. Aussi devons-nous distinguer ce qui relève de nos convictions politiques et ce qui ressortit à la loi : je présenterai demain un rapport sur le projet de loi organique relatif à l'article 11 de la Constitution, un article contre lequel j'ai pourtant voté.
Le respect de la loi scelle notre pacte républicain. J'étais présent lorsque le président de la République a répondu à M. Pélissard et j'ai entendu ce qu'il a dit ensuite. Les amendements de M. Pélissard sont tout à fait acceptables en ce qu'en dernière instance, le procureur de la République veillera à l'application de la loi.
M. Jacques Pélissard . - M. le président de la commission des lois a tout dit : il convient de conjuguer les délégations ouvertes avec in fine la réalisation du mariage par un élu qui aura reçu instruction du procureur de la République, déjà en charge d'assurer le respect de la loi.
Madame Cukierman, après le vote un peu précipité de la loi sur le service minimum, on a assisté à une vague de déférés préfectoraux devant les tribunaux administratifs. Ensuite, la jurisprudence a distingué entre volonté de ne pas appliquer la loi et impossibilité de la mettre en oeuvre. Après quoi tout est rentré dans l'ordre.
Je remercie également le Sénat d'avoir entrepris de toiletter, dans le texte en navette sur les normes applicables aux collectivités territoriales, l'article 75 du code civil, en supprimant des articles lus aux futurs mariés par l'officier d'état civil, l'article 220 sur la solidarité des dettes entre époux. Autant il est normal de porter les emprunts à la connaissance des époux, autant il était maladroit de le dire dans un moment festif.
J'attire votre attention sur un point : la loi implique l'adoption d'un nouveau logiciel. Il faudra donc prévoir un délai d'un mois entre sa promulgation et son entrée en vigueur.
M. Jean-Pierre Michel , rapporteur . - Il revient au procureur de la République de contrôler l'état civil et de donner éventuellement des instructions. En revanche, je verrais d'un mauvais oeil que le préfet intervienne dans les affaires des mairies.
Mme Nathalie Goulet . - Les maires s'inquiètent. Cela dit, a-t-on une idée du nombre de demandes de mariages de personnes de même sexe ? Je n'ai pas le sentiment que le Perche ornais sera submergé de demandes.
M. Jean-Pierre Michel , rapporteur . - Nous ne disposons pas de statistiques précises. Il y a tout lieu de croire que les demandes, comme pour le Pacs, seront plus nombreuses la première année et déclineront ensuite.
Les gens ne rechercheront pas une confrontation : ils se renseigneront avant, pour savoir où aller se marier, y compris dans les communes de résidence de leurs parents... J'aborderai ces sujets en séance de façon minimale pour ne pas déchaîner les passions de part et d'autre.
M. Jean-Pierre Sueur , président . - Les amendements de M. Pélissard sont raisonnables et, malgré les réserves de Mme Cukierman, il y a un assez large assentiment sur le troisième.
M. Jacques Pélissard . - Raisonnables et responsables. Ils concourront au respect de la loi et des consciences.