N° 359

SÉNAT

SESSION ORDINAIRE DE 2004-2005

Annexe au procès-verbal de la séance du 31 mai 2005

RAPPORT

FAIT

au nom de la commission des Affaires sociales (1) sur la proposition de résolution présentée en application de l'article 73 bis du Règlement par M. Bernard FRIMAT au nom de la délégation pour l'Union européenne, et la proposition de résolution présentée en application de l'article 73 bis du Règlement par MM. Roland MUZEAU, Guy FISCHER, François AUTAIN, Mme Gélita HOARAU, MM. Robert BRET, Michel BILLOUT, Mmes Michelle DEMESSINE, Évelyne DIDIER, MM. Gérard LE CAM, Yves COQUELLE, Mmes Éliane ASSASSI, Marie-France BEAUFILS, M. Pierre BIARNÈS, Mmes Nicole BORVO COHEN-SEAT, Annie DAVID, MM. Thierry FOUCAUD, Robert HUE, Mmes Hélène LUC, Josiane MATHON, MM. Jack RALITE, Ivan RENAR, Bernard VERA et Jean-François VOGUET sur la proposition de directive du Parlement européen et du Conseil modifiant la directive 2003/88/CE concernant certains aspects de l'aménagement du temps de travail (E 2704),

Par M. Jean-Marie VANLERENBERGHE,

Sénateur.

(1) Cette commission est composée de : M. Nicolas About, président ; MM. Alain Gournac, Louis Souvet, Gérard Dériot, Jean-Pierre Godefroy, Mmes Claire-Lise Campion, Valérie Létard, MM. Roland Muzeau, Bernard Seillier, vice-présidents ; MM. François Autain, Paul Blanc, Jean-Marc Juilhard, Mmes Anne-Marie Payet, Gisèle Printz, secrétaires ; Mme Jacqueline Alquier, MM. Jean-Paul Amoudry, Gilbert Barbier, Daniel Bernardet, Mme Brigitte Bout, MM. Jean-Pierre Cantegrit, Bernard Cazeau, Mmes Isabelle Debré, Christiane Demontes, Sylvie Desmarescaux, M. Claude Domeizel, Mme Bernadette Dupont, MM. Michel Esneu, Jean-Claude Étienne, Guy Fischer, Jacques Gillot, Mmes Françoise Henneron, Marie-Thérèse Hermange, Gélita Hoarau, Christiane Kammermann, MM. Serge Larcher, André Lardeux, Mme Raymonde Le Texier, MM. Dominique Leclerc, Marcel Lesbros, Roger Madec, Jean-Pierre Michel, Alain Milon, Georges Mouly, Jackie Pierre, Mmes Catherine Procaccia, Janine Rozier, Michèle San Vicente, Patricia Schillinger, M. Jacques Siffre, Mme Esther Sittler, MM. Jean-Marie Vanlerenberghe, Alain Vasselle, André Vézinhet.

Voir le numéro :

Sénat : 255 et 311 ( 2004-2005)

Union européenne.

SOMMAIRE

Pages

AVANT-PROPOS 5

I. LA PROPOSITION DE DIRECTIVE : AMÉNAGER LES RÈGLES RELATIVES AU TEMPS DE TRAVAIL 8

A. LA DÉFINITION DU TEMPS DE GARDE 8

B. L'ANNUALISATION DE LA DURÉE MAXIMALE DU TRAVAIL 11

C. LA CLAUSE DE RENONCIATION À LA DURÉE MAXIMALE DU TRAVAIL OU CLAUSE « D'OPT-OUT » 12

II. LES PROPOSITIONS DE RÉSOLUTION 15

A. LA PROPOSITION DE RÉSOLUTION DE LA DÉLÉGATION POUR L'UNION EUROPÉENNE 15

1. Assimiler la totalité du temps de garde à du temps de travail 15

2. Offrir des contreparties aux travailleurs en cas d'annualisation de la durée maximale hebdomadaire de travail 15

3. Supprimer, à terme, l'opt-out 16

B. LA PROPOSITION DE RÉSOLUTION DU GROUPE COMMUNISTE RÉPUBLICAIN ET CITOYEN 16

1. Le retrait de la proposition de directive 16

2. L'abolition de l'opt-out 16

3. La demande d'un nouveau projet social 17

III. LA POSITION DE VOTRE COMMISSION DES AFFAIRES SOCIALES 18

A. SAUVEGARDER LE RÉGIME DES HEURES D'ÉQUIVALENCE 18

B. PRÉCISER LES CONDITIONS DE PASSAGE À L'ANNUALISATION DE LA PÉRIODE DE RÉFÉRENCE 19

C. DEMANDER LA SUPPRESSION PROGRAMMÉE DE L'OPT-OUT 20

PROPOSITION DE RÉSOLUTION 22

LISTE DES PERSONNES AUDITIONNÉES 23

TRAVAUX DE LA COMMISSION 24

AVANT-PROPOS

Mesdames, Messieurs,

Votre commission des Affaires sociales a été saisie de deux propositions de résolution, relatives à la proposition de directive du Parlement européen et du Conseil modifiant la directive 2003/88/CE concernant certains aspects de l'aménagement du temps de travail. La première d'entre elles a été adoptée à l'unanimité, le 16 mars 2005, par la délégation du Sénat pour l'Union européenne, tandis que la seconde émane du groupe communiste républicain et citoyen (CRC).

La directive 2003/88 du 4 novembre 2003, qu'il est aujourd'hui proposé de modifier, n'est qu'une version consolidée d'une précédente directive de 1993 concernant certains aspects de l'aménagement du temps de travail. Elle fixe des normes minimales en matière de temps de pause, de repos quotidien ou hebdomadaire, de congés annuels ou de travail de nuit, mais comporte de nombreuses dérogations, qui permettent aux Etats membres de mettre en oeuvre des règles différentes dans certains secteurs ou pour certaines catégories de salariés, notamment les cadres dirigeants.

La directive de 1993 avait été adoptée sur la base de l'ancien article 118 A du traité instituant la Communauté européenne, qui autorise les États membres à adopter, à la majorité qualifiée , des directives harmonisant les règles protégeant la santé et la sécurité au travail 1 ( * ) .

Son adoption n'avait d'ailleurs pas été sans poser de réelles difficultés politiques, puisque le Royaume-Uni avait déposé à l'époque une requête en annulation du texte devant la Cour de justice des Communautés européennes. Le Royaume-Uni contestait le fondement juridique utilisé, estimant que la durée du travail ne relevait pas d'une logique de protection de la santé et de la sécurité au travail, mais d'une logique de protection de l'emploi, et qu'une telle directive ne pouvait donc être adoptée que sur la base de l'ancien article 100, voire de l'ancien article 235, qui prévoyaient l'un et l'autre une prise de décision à l'unanimité . Il soutenait également que le Conseil n'avait pas respecté le principe de proportionnalité en fixant des normes allant au-delà des « prescriptions minimales » que l'article 118 A l'autorisait à établir.

La Cour de Justice n'a retenu 2 ( * ) aucun de ces griefs. Confirmant l'interprétation du Conseil, elle a estimé que les notions de « santé » et de « sécurité » au travail ne devaient pas être entendues dans un sens restrictif et qu'elles visaient « tous les facteurs physiques ou autres, capables d'affecter la santé et la sécurité du travailleur dans son environnement de travail ». Elle a souligné que l'objet principal de la directive était bien de protéger la santé et la sécurité au travail et que l'emploi, même si le texte peut avoir des conséquences sur celui-ci, restait un objectif secondaire. Rejetant l'interprétation britannique selon laquelle les « prescriptions minimales » correspondraient au « niveau de protection le plus bas établi par les Etats membres », elle a affirmé que l'expression « prescription minimale » figurant à l'article 118 A signifiait simplement que les États membres sont autorisés à adopter des normes plus exigeantes que celles inscrites dans la directive. Enfin, elle a considéré la directive conforme aux principes de proportionnalité et de subsidiarité.

La proposition de modification, présentée par la Commission le 22 septembre 2004, vise à répondre à un double objectif.

En premier lieu, la directive de 1993 avait prévu que le Conseil réexaminerait, sur proposition de la Commission et dans un délai de dix ans, certaines de ses dispositions. La présente proposition de directive permet de satisfaire, avec retard, à cette obligation, qui concerne notamment l'article 22, relatif à la clause d'« opt-out » 3 ( * ) .

En second lieu, la Commission entend revenir sur une jurisprudence, contestée, de la Cour de justice, relative au temps de garde et au temps d'astreinte. En l'absence de définition de ces notions dans la directive initiale, la Cour avait estimé, dans deux arrêts rendus en 2000 et 2003 4 ( * ) , que le temps de garde accompli sur le lieu de travail devait être intégralement comptabilisé comme temps de travail, y compris les périodes d'inactivité ; en revanche, pour les périodes d'astreinte effectuées à domicile, seule la durée correspondant à une prestation de travail effective devait être considérée comme un temps de travail. Cette solution a été critiquée par plusieurs États membres, qui insistent, notamment, sur ses conséquences en termes de recrutement du personnel médical nécessaire pour assurer un fonctionnement continu des hôpitaux.

La Commission a d'abord invité les partenaires sociaux à négocier la modification de la directive, mais ceux-ci ont décliné l'offre, considérant que les divergences entre syndicats et patronat étaient trop importantes pour qu'un accord soit envisageable. Elle a ensuite adopté une proposition de directive, que le Gouvernement a transmise au Sénat sous le numéro E 2704, en application de l'article 88-4 de la Constitution.

Cette proposition a suscité de vives critiques de la part de la Confédération européenne des syndicats (CES), qui y voit une régression de la protection des salariés en matière de durée du travail. Elle ne satisfait pas non plus les organisations représentatives des employeurs : l'UNICE (Union des industries des pays de la Communauté européenne) estime que le texte ne répond pas aux besoins des entreprises et qu'il est source de complications bureaucratiques inutiles ; l'UEAPME (Union européenne de l'artisanat et des petites et des moyennes entreprises) regrette que la Commission ait manqué une occasion de démontrer qu'elle soutenait la demande des PME d'obtenir plus de flexibilité.

Le Conseil des ministres européens de l'emploi et des affaires sociales a débattu de la proposition les 6 et 7 décembre 2004, sans parvenir à surmonter tous les motifs de désaccord. Le 11 mai 2005, le Parlement européen a adopté les amendements présentés, au nom de sa commission de l'emploi et des affaires sociales, par le député européen socialiste rapporteur du texte, Alejandro Cercas ; ils tendent à renforcer la protection accordée aux travailleurs, en retenant, sur plusieurs points, des solutions opposées à celles préconisées par la Commission. Le Conseil doit se réunir à nouveau dans le courant du mois de juin, pour adopter une position commune. La Commission a fait savoir qu'elle ne retiendrait que très peu d'amendements du Parlement européen dans la proposition révisée qu'elle est appelée à soumettre au Conseil.

*

Conformément à l'article 73 bis du règlement du Sénat, il appartient à votre commission d'examiner les deux propositions de résolution déposées et d'adopter un texte susceptible de devenir une résolution du Sénat, qui puisse être transmise au Gouvernement et prise en considération au cours des discussions entre le Conseil, le Parlement européen et la Commission européenne.

I. LA PROPOSITION DE DIRECTIVE : AMÉNAGER LES RÈGLES RELATIVES AU TEMPS DE TRAVAIL

Dans l'exposé des motifs de la directive, la Commission affirme s'être efforcée de concilier plusieurs objectifs : l'amélioration de la protection de la santé et de la sécurité au travail, l'accroissement de la flexibilité accordée aux entreprises dans la gestion de leur personnel et le renforcement des garanties en matière de conciliation de la vie professionnelle et de la vie familiale. Le Parlement européen a considéré que la proposition de la Commission devait cependant être modifiée dans le sens d'une plus grande protection des travailleurs.

Trois questions sont aujourd'hui en débat : la première a trait à la définition du temps de garde ; la deuxième, à l'annualisation de la période de référence prise en compte pour le calcul de la durée maximale hebdomadaire du travail; la troisième, à l'avenir de la clause d'opt-out.

A. LA DÉFINITION DU TEMPS DE GARDE

La jurisprudence SIMAP et Jaeger de la Cour de justice a eu des conséquences importantes sur le fonctionnement de nombreuses entreprises et administrations : l'assimilation du temps de garde à du temps de travail les a contraints en effet à accorder davantage de temps de repos aux travailleurs. Cette obligation n'est pas sans poser des problèmes d'organisation, particulièrement dans les secteurs où les recrutements sont difficiles, ce qui est le cas du secteur de la santé.

C'est pourquoi la Commission propose de revenir sur cette jurisprudence de la Cour pour poser une règle inverse.

La proposition de directive définit d'abord le temps de garde comme la période pendant laquelle le travailleur a l'obligation d'être disponible sur son lieu de travail afin d'intervenir, à la demande de l'employeur, pour exercer son activité ou ses fonctions. Elle distingue ensuite une période inactive durant le temps de garde, qui correspond à celle où le travailleur n'est pas appelé à exercer son activité ou ses fonctions et propose d'assimiler cette période inactive à du temps de repos : en conséquence, seules les périodes d'intervention seraient considérées comme un temps de travail effectif.

Il est cependant précisé que la période inactive ne sera assimilée à du temps de repos que si la législation nationale n'en pas dispose autrement. Les États membres sont donc autorisés à maintenir au profit de leurs travailleurs la solution plus avantageuse aujourd'hui en vigueur.

Les partenaires sociaux européens défendent sur ce point des positions très divergentes : tandis que la CES souhaite le maintien de la jurisprudence de la Cour, l'UNICE soutient la proposition de la Commission.

Pour sa part, le Gouvernement français est favorable à une révision de la position arrêtée par la Cour de justice, car il craint qu'elle ne conduise à une remise en cause du système dit des « heures d'équivalence ». Le Conseil d'État a en effet interrogé la Cour de justice, le 3 décembre 2003, par voie de recours préjudiciel, sur la compatibilité de ce dispositif avec ses décisions SIMAP et Jaeger.

Les heures d'équivalence

L'article L. 212-4 du code du travail prévoit que, dans certaines professions et pour des emplois déterminés, une durée équivalente à la durée légale peut être instituée par voie d'accord collectif ou par décret en Conseil d'État. Cette règle permet de ne pas prendre en compte l'intégralité des périodes de garde dans le calcul du temps de travail effectif.

La rémunération des salariés soumis à un régime d'heures d'équivalence est calculée sur la base de la durée légale du travail, bien que leur horaire de présence, établi sur la base du régime d'équivalence, soit supérieur à celle-ci. Seules les heures se situant au-delà de la durée d'équivalence sont décomptées et rémunérées comme des heures supplémentaires.

Tableau des équivalences d'origine réglementaire (1)

Secteur

Equivalence

Salariés concernés

Batellerie fluviale
(D. 30 juill. 1937, JO 31 juill.)

54 h 15 mn

Navigants

Commerce de détail de denrées alimentaires
(D. 27 avr. 1937, JO 28 avr. Et rect. 29 avr.)

38 h 30 mn

Ensemble du personnel

Commerce de détail fruits et légumes, épicerie et produits laitiers
( D. n° 2003-1194, 15 déc 2003, JO 17 déc.)

38 h

Personnel de vente

Gardiennage
(art. 5 des décrets sectoriels ; dérogation permanente assimilée à une équivalence ; Cass. Soc., 8 nov. 1983, n° 81-40.643)

47 h 15 mn

Gardiens travaillant dans des entreprises non liées par une convention collective réduisant ou supprimant l'équivalence

Gardiens de chantier dans le BTP
(D. 17 nov. 1936, JO 18 nov.)

54 h 15 mn
(payées 48 heures pour les gardiens de nuit assurant six postes par semaine)

Gardiens

Hôpitaux, cliniques, asiles psychiatriques
( D. 22 mars 1937, JO 14 mars et rect. 16 mars)

37 h 37 mn

Ensemble du personnel sauf médecins, chirurgiens-dentistes et sages-femmes

Hôtels, cafés, restaurants
(D. n° 2002-1526, 24 déc. 2002, JO 28 déc.)

Entreprises de plus de vingt salariés :
39 h (jusqu'au 31 décembre 2004)
Entreprises de vingt salariés au plus :
41 h (jusqu'au 31 décembre 2003) ;
39 h (du 1er janvier au 31 décembre 2004)

Ensemble du personnel

Services d'incendie
(D. 5 oct. 1956, JO 6 oct. et rect. 17 oct.)

40 h 15 mn

Personnel du service d'incendie

(1) Des conventions collectives réduisent ou suppriment ces équivalences. Source : Lamy social, 2005

Le déroulement des négociations laisse entendre d'ailleurs qu'un accord se dessine au sein du Conseil pour opérer une distinction entre périodes active et inactive du temps de garde, ce qui devrait permettre à la France de préserver son système d'équivalence.

En revanche, le Parlement européen, suivant les propositions de son rapporteur, s'est prononcé, le 11 mai dernier, en faveur du maintien de la règle posée par la Cour de justice, à savoir l'assimilation de la totalité du temps de garde à du temps de travail, tout en admettant que des modalités particulières de décompte de la période inactive du temps de garde puissent être retenues. Les députés européens soulignent que le travailleur demeure séparé de sa famille et de son environnement social pendant son temps de garde et dispose de peu de liberté pour aménager le temps durant lequel ses services professionnels ne sont pas requis.

La Commission européenne a fait savoir qu'elle n'entendait pas retenir cet amendement dans la proposition de directive révisée qu'elle sera amenée à présenter au Conseil.

* 1 Ces mêmes dispositions figurent actuellement à l'article 137 du traité.

* 2 Arrêt Royaume-Uni contre Conseil du 12 novembre 1996.

* 3 Cette clause autorise un salarié à renoncer aux règles protectrices relatives à la durée maximale hebdomadaire du travail.

* 4 Arrêt Sindicato de Medicos Asistencia Publica (SIMAP) contre Conselleria de Sanidad y Consumo de la Generalidad Valenciana, du 3 octobre 2000, et arrêt Landeshaupstadt Kiel contre Norbert Jaeger, du 9 octobre 2003.

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