B. L'ANNUALISATION DE LA DURÉE MAXIMALE DU TRAVAIL
La directive de 1993 a fixé la durée maximale du travail à quarante-huit heures par semaine. Pour tenir compte du caractère cyclique de l'activité des entreprises, elle permet cependant de calculer cette durée en moyenne sur une période de quatre mois. Ainsi, la durée du travail peut excéder quarante-huit heures certaines semaines, à condition de demeurer en deçà de ce seuil, en moyenne, sur la période de référence considérée.
Considérant que ces dispositions ne répondent pas suffisamment au besoin de flexibilité des entreprises, la Commission propose aujourd'hui de conserver la période de référence de quatre mois comme règle de principe, mais d'autoriser les Etats membres à la porter à douze mois, par voie législative ou réglementaire, « pour des raisons objectives ou techniques ou pour des raisons ayant trait à l'organisation du travail ». Cette mesure doit demeurer compatible avec les « principes généraux concernant la protection de la santé et de la sécurité des travailleurs » et doit s'accompagner d'une « consultation des partenaires sociaux intéressés et d'efforts pour encourager toutes les formes pertinentes de dialogue social, y inclus la concertation si les parties le souhaitent » (article premier, point 3).
La CES doute de l'intérêt de l'assouplissement proposé et note qu'il conduira à des horaires très irréguliers avec des amplitudes importantes pour les salariés. L'UNICE, en revanche, juge la proposition de la Commission encore trop contraignante pour les entreprises et souhaite que la période de référence de principe soit fixée à douze mois, avec une possibilité d'extension supplémentaire par voie d'accord collectif
Le Parlement européen a considéré la proposition acceptable, à condition d'informer et de consulter les travailleurs ou leurs représentants sur les nouveaux rythmes de travail et de prendre les mesures nécessaires pour protéger leur santé et leur sécurité au travail.
Le Conseil approuve la proposition de la Commission, mais a indiqué que ce point ne serait validé que dans le cadre d'un accord global sur l'ensemble de la directive. Le Gouvernement français est disposé à accepter la mesure d'annualisation, si elle est une contrepartie à la suppression de la clause d'opt-out et si elle est suffisamment encadrée.
C. LA CLAUSE DE RENONCIATION À LA DURÉE MAXIMALE DU TRAVAIL OU CLAUSE « D'OPT-OUT »
La Grande-Bretagne a obtenu, lors de la négociation de la directive de 1993, l'insertion d'une clause dite « d'opt-out » : l'article 22 de la directive, dans sa version consolidée, indique que les Etats membres peuvent autoriser les salariés à renoncer à la réglementation relative à la durée maximale hebdomadaire du travail. Les employeurs ont, dans cette hypothèse, pour seule obligation de tenir à la disposition des autorités compétentes un registre contenant la liste des salariés ayant décidé de faire jouer cette clause de renonciation. La directive précise que les salariés ne doivent subir aucun préjudice s'ils refusent l'opt-out.
La Grande-Bretagne est aujourd'hui le seul Etat à faire un usage extensif de cette faculté ; les statistiques indiquent que 20 % des salariés de l'industrie britannique travaillent régulièrement plus de quarante-huit heures par semaine. D'autres Etats y ont cependant recours de manière plus ponctuelle : c'est le cas par exemple de l'Allemagne, de l'Espagne et de la France dans le secteur de la santé ou du Luxembourg, dans le secteur du tourisme. De nouveaux Etats membres, comme la Pologne et la Slovaquie, ont l'intention de l'introduire dans leur législation.
En France, le décret n° 84-131 du 24 février 1984 portant statut des praticiens hospitaliers prévoit, dans son article 30 modifié, que les praticiens hospitaliers peuvent accomplir, sur la base du volontariat, et au-delà de leurs obligations de service hebdomadaire, un temps de travail additionnel. Il leur est proposé, en pratique, d'accomplir une plage de travail complémentaire pouvant aller jusqu'à douze heures, ce qui a alors pour effet de porter la durée hebdomadaire du travail à soixante heures.
La Commission, « soucieuse d'augmenter le niveau de protection des travailleurs, tout en conférant aux entreprises la nécessaire flexibilité en matière d'aménagement du temps de travail » 5 ( * ) , propose d'encadrer plus étroitement les conditions de recours à l'opt-out.
Elle prévoit tout d'abord de subordonner le recours à l'opt-out à la conclusion d'un accord collectif , adopté conformément aux législations et pratiques nationales. Toutefois, lorsque la conclusion d'un tel accord est impossible, du fait de l'absence, dans l'entreprise, de représentant du personnel habilité à le signer, le recours à l'opt-out demeurera possible par accord direct entre l'employeur et le salarié.
L'accord du salarié sera valable pour une durée d' un an renouvelable . Il ne pourra être obtenu au moment de la signature du contrat de travail, afin d'éviter que le salarié ne soit soumis à de fortes pressions au moment de l'embauche.
La Commission propose enfin que la durée du travail ne puisse excéder soixante-cinq heures par semaine , sauf si l'accord collectif en dispose autrement. Des registres devront tenir un décompte précis du nombre d'heures de travail effectuées.
La question de l'opt-out demeure l'une des plus controversées : la CES demande la disparition graduelle, la plus rapide possible, de la clause de renonciation ; les représentants patronaux souhaitent au contraire la maintenir et élargir les clauses dérogatoires existantes.
Le Parlement européen s'est prononcé en faveur de la suppression de l'opt-out dans un délai de trente-six mois. Il a donc suivi en cela les recommandations de son rapporteur qui exprimait une opposition vigoureuse au principe même de l'opt-out : « le recours à cette pratique anéantit le principe de la norme minimale et permet aux Etats membres de disposer d'un droit social européen à la carte, ce qui est contraire aux principes du traité et s'exerce au mépris de toutes les preuves indiquant que les journées de travail sans limitations constituent un grave facteur de risque pour la santé et la sécurité des travailleurs, et la conciliation de la vie familiale et professionnelle. Il ne s'agit pas en fait d'assouplir la norme mais de la supprimer complètement, ce qui est inacceptable » 6 ( * ) .
La porte-parole du commissaire aux affaires sociales, Vladimir Spidla, a toutefois indiqué, après le vote du Parlement, que la position de la Commission sur l'opt-out resterait « inchangée » 7 ( * ) .
La France s'oppose également, au sein du Conseil des ministres, au maintien de l'opt-out. Le ministre délégué aux relations du travail, Gérard Larcher, s'est exprimé en termes très clairs au cours du débat qui s'est tenu au Sénat lors de l'examen de la proposition de loi portant réforme de l'organisation du temps de travail dans l'entreprise : « c'est parce que ce mécanisme est radicalement étranger à nos principes et à nos traditions et qu'il fait peser une pression inacceptable sur les salariés concernés que la France combat vigoureusement sa pérennisation » 8 ( * ) . La France souhaite cependant que la suppression de l'opt-out soit progressive, afin de pouvoir effectuer les recrutements nécessaires dans le secteur de la santé.
La France et les six pays qui soutiennent sa position (Suède, Belgique, Hongrie, Espagne, Chypre et Grèce) disposent d'une minorité de blocage et peuvent donc empêcher l'adoption de la directive si elle prévoit le maintien de l'opt-out ; mais une petite dizaine d'Etats menés par le Royaume-Uni souhaitent faciliter le recours à l'opt-out et constituent une autre minorité de blocage susceptible de bloquer le processus de décision. Face à ces oppositions, la Présidence, actuellement luxembourgeoise, a adopté une approche technique de la question et décidé un recensement des pratiques nationales en la matière.
* 5 Cf. exposé des motifs, point 12.
* 6 Cf. exposé des motifs du rapport d'Alejandro Cercas, p.19.
* 7 Déclaration rapportée dans Liaisons sociales, n°14.380, 13 mai 2005, p.2.
* 8 Séance du 1 er mars 2005, JO débats Sénat, p.1077.