CONCLUSION
Les événements du 11 septembre 2001 appellent évidemment d'innombrables analyses, dont beaucoup restent encore à venir. Il en est une qui paraît incontestable : l'urgence qu'il y a, fût-ce, égoïstement, pour préserver la sécurité des démocraties développées, à tenir compte de l'appel des pays pauvres.
Dans ce contexte, qui n'est pas nouveau, l'aide française paraît doublement s'égarer.
D'aucuns diront que la diminution globale de notre effort -moins 10 % depuis 1996- se justifie par les contraintes de la rigueur budgétaire, les ukases européens en la matière -l'Europe, déjà-, et la nécessité de répondre en priorité à nos propres besoins sociaux. Peut-être.
Mais le choix même des moyens au sein de cette enveloppe en peau de chagrin paraît désastreux.
Le choix européen d'abord : s'en remettre toujours plus à l'Europe, en confiant désormais le quart de notre effort en la matière à un canal communautaire totalement bouché dans le sens du retour, constitue la pire option politique et économique.
Erreur politique, parce que la régression de l'aide bilatérale au profit d'une aide multilatérale « apatride » sert manifestement, à notre détriment, la volonté politique de certains de nos partenaires qui combattent sournoisement notre action avec notre argent. La position des « elit donnors » -le britannique et les nordiques- est à cet égard révélatrice : il faut faire définitivement disparaître les « chasses gardées », et la France est la première visée du fait de l'ampleur de son « champ » traditionnel.
Il ne s'agit pas là d'une simple réaction cocardière, ou d'une animosité particulière à l'égard de l'Europe.
Car l'option économique est tout aussi mauvaise. Les lourdeurs administratives et réglementaires des processus bruxellois, le cloisonnement des administrations, l'absence de direction politique font qu'aujourd'hui les fonds communautaires sont enlisés. Fin 2000, il restait encore près de 60 milliards de francs (9 milliards d'euros) à décaisser pour les seuls fonds du FED, soit trois fois le montant annuel de l'aide bilatérale française. Et on ignore le taux réel de décaissement de l'aide financée sur le budget communautaire, soit près de 7 milliards de francs (moins de 1 milliard d'euros).
A moins qu'il ne s'agisse, en définitive, d'une forme de cynisme gouvernemental : on peut bien faire semblant de donner davantage à l'aide au développement en augmentant la contribution européenne, puisque toutes ces dépenses ne seront que virtuelles.
La prépondérance croissante donnée au culturel ensuite : le vieil antagonisme entre les « cultureux » du Quai d'Orsay et les « va-nu-pieds » de la rue Monsieur s'est résolu à l'avantage des premiers. La seule analyse de l'évolution des crédits budgétaires depuis la fusion des deux ministères démontre que, progressivement, les crédits d'action culturelle, artistique et audiovisuelle prennent le pas, à chaque arbitrage budgétaire, sur les crédits de coopération au développement. Là encore, il ne s'agit pas de renier l'importance de la présence de la culture française dans le monde. Mais les affamés et les malades n'ont que faire des nourritures de l'esprit, fussent-elles d'excellence.
En réalité, la rue Monsieur n'a pas fusionné avec le Quai d'Orsay : elle y a été dissoute.
Le retrait de la coopération militaire enfin. Dans un contexte qui nécessite à l'évidence un effort accru en matière de sécurité intérieure et extérieure des états, de surveillance du territoire et de renseignement, le recul constant de nos moyens de coopération militaire en général, et sur le sous-continent africain en particulier, spécifiquement fragile et vulnérable, paraît aller en sens inverse de la politique que nous pourrions mener, précisément parce que nous y avions, patiemment, forgé des habitudes et ancré des positions.
La France risque, à ce rythme, de ruiner des décennies d'efforts et de rentrer peu à peu dans le rang des pays banalisés et sans influence.