C. L'AGENCE FRANÇAISE DE DÉVELOPPEMENT : OPÉRATEUR-PIVOT OU CONCEPTEUR UNIQUE ?
L'AFD est devenue « opérateur-pivot » de l'aide française au développement depuis la réforme du dispositif français annoncée le 4 février 1998 : « Dans le cadre des orientations définies par le CICID, l'essentiel des projets et des programmes d'aide au développement [est] désormais confié à l'AFD ».
De fait, ses interventions représentent désormais environ 25 % de l'aide publique bilatérale française.
En 2000, le groupe AFD a engagé près de 1,2 milliard d'euros (7,9 milliards de francs) pour son compte propre, dont 63 % sous forme de concours aux Etats étrangers. Les engagements d'aide-projet dans les pays en développement sont restés stables. Son activité se concentre sur les pays les plus pauvres : l'AFD intervient dans 41 des 48 pays classés par l'ONU comme pays à très faible revenu.
Votre rapporteur notera tout d'abord que l'analyse de la liste des projets encore « vivants » gérés par l'AFD appelle les mêmes réserves relatives à la prolongation excessive de certains d'entre eux.
Ainsi, sur un total de 344 projets financés sur subventions encore en cours de décaissement, 95, soit plus du quart, ont entre 5 et 11 ans : trois datent de 1990 ; deux de 1991 ; quatre de 1992 ; sept de 1993 ; vingt de 1994 ; vingt-quatre de 1995 ; trente-quatre de 1996.
Sur un total de 179 projets financés sur prêts encore en cours de décaissement, 62 projets, soit plus du tiers, ont entre 5 et 9 ans : cinq datent de 1992 ; trois de 1993, douze de 1994, quinze de 1995, vingt-sept de 1996.
C'est évidemment trop, au regard d'une utilisation efficace des deniers publics, et s'agissant d'une institution qui ne méconnaît pas en principe les ratios de rentabilité 47 ( * ) .
Parmi les projets antérieurs à 1993, on relève :
Projets financés sur subventions
1990 - Madagascar - Aménagement plaine de Tananarive ( 2,03 M€, engagés à 96 %)
1990 - Madagascar - Remise en état périmètres irrigués (19,8 M€, engagés à 92 %)
1990 - Mali - 3 ème phase irrigation de Gao (7,8 M€, engagés à 48 %)
1991 - Sao Tomé - Modernisation de huit entreprises
privées (2,5 M€ engagés
à 87 %)
1991 - Burkina Faso - Renforcement des moyens de gestion du
CNCA (0,99 M€
engagés à 92 %)
1992 - Rwanda - Financement laitier hauts plateaux (4,72 M€, engagés à 29 %)
1992 - Mauritanie - Rapatriés du Sénégal (1,52 M€, engagés à 11 %)
1992 - Rwanda - Fonds d'études (0,6 M€, engagés à 2 %)
1992 - Sénégal - Restructuration des réparations navales (6,5 M€, engagés à 75 %)
Projets financés sur prêts
1992 - Côte d'Ivoire - Développement Caisse
de crédit mutuel (5,64 M€, engagé
à
17 %)
1992 - Algérie - Cimenterie de Meftah (9,1 M€, engagés à 89 %)
1992 - Guinée - Société à créer (sic) (6,55 M€ engagés à 5 %)
1992 - Maurice - 2 ème phase alimentation en eau potable (22,9 M€ engagés à 93 %)
1992 - Sénégal - Restructuration secteur réparation navale (9,75 M€ engagés à 60 %)
Votre rapporteur considère ensuite que les modalités de financement des activités pour compte propre de l'AFD sont peu lisibles
Il n'est pas certain que les modalités actuelles des relations financières entre l'Etat et l'AFD soient les plus économes des deniers publics, les plus responsabilisantes pour l'établissement, et les plus transparentes pour le Parlement. Une réforme paraît souhaitable, qui tiendra compte en outre des conclusions des différents audits auxquels l'AFD a été soumise (Cour des comptes 48 ( * ) et Inspection générale des finances notamment) et visera notamment à renforcer les procédures de contrôle de gestion et d'analyse financière et comptable.
Outre les crédits budgétaires inscrits sur le budget des Affaires étrangères (chap. 68-93, article 30), l'AFD se finance sur des ressources de marché bonifiées par le Trésor 49 ( * ) , sur des emprunts auprès du Trésor et enfin sur des ressources à condition de marché, sans garantie de l'Etat. Ces différentes ressources sont « mixées » en fonction des produits selon des règles complexes.
Source : Trésor
La part du financement sur ressources budgétaires a tendance à baisser : elles ne représenteront en 2002 que 13,1 % des ressources totales de l'AFD, contre 21,4 % en 1997. Parallèlement, celle des ressources bonifiées par le Trésor et des emprunts auprès du Trésor augmente.
Il reste que, s'agissant des ressources budgétaires, les crédits affectés à l'AFD sont devenus supérieurs à ceux alloués au FSP. Pour 2002, ils s'établissent à 152,5 millions d'euros (1.000,3 millions de francs) pour les autorisations de programmes, ce qui équivaut à une réduction de 140 millions de francs par rapport à 2001, et à 137,2 millions d'euros (899,9 millions de francs) pour les crédits de paiement, ce qui correspond à une stricte reconduction en francs courants.
L'année dernière, votre rapporteur avait déjà souligné l'écart conséquent entre le niveau des autorisations de programme (173,8 millions d'euros) et celui des crédits de paiement (137,2 millions d'euros), pour s'inquiéter d'un risque de crise des paiements en fin d'exercice . Celle-ci est d'ores et déjà avérée et devra être financée en collectif de fin d'année. En effet, en 2000, le décalage entre autorisations de programme et crédits de paiement s'est traduit par une clôture avec un déficit de 63 millions de francs. Compte tenu des prévisions de décaissements pour 2001 (950 millions de francs) et du niveau des crédits de paiement ouverts, ce déficit pourrait être porté à 113 millions de francs fin 2001 . 50 ( * )
Réduit en 2002 à 15 millions d'euros, l'écart entre autorisations de programme et crédits de paiement persiste tout de même et conduit donc aux mêmes observations.
Enfin, un certain nombre de procédures, censées garantir la tutelle, ont été mises en place avec la réforme du dispositif d'aide au développement : document d'orientation annuel établi par le CICID, débat stratégique annuel en Conseil de surveillance de l'AFD, réunion des tutelles organisées par le ministère des finances avant chaque Conseil de surveillance.
Elles butent toutes, en réalité, sur un défaut fondamental : l'absence de définition d'une politique française d'aide au développement. Seul, en définitive, le dispositif a été réformé .
Cette déficience lourde est aujourd'hui de plus en plus perceptible, notamment dans les enceintes multilatérales auxquelles la France consacre des moyens croissants, et dans lesquelles elle entend exercer une influence renforcée.
Il en résulte aujourd'hui que l'AFD, au-delà de son rôle d'opérateur-pivot, se voit désormais confié celui de concepteur. Actuellement en cours de rédaction itérative entre les différentes tutelles, la lettre de mission du nouveau directeur général 51 ( * ) devrait, en effet, notamment comporter l'idée que « l'AFD devra, au-delà de ses activités de projets, jouer un rôle moteur dans l'élaboration de conceptions nouvelles et cohérentes en matière de développement 52 ( * ) .
Votre rapporteur estime que ce n'est pas le rôle d'un établissement public, fût-il l' « opérateur-pivot » de l'aide française au développement, de définir la politique mise en oeuvre par le Gouvernement, sauf à souligner une carence bien regrettable en ce domaine.
* 47 Un des facteurs tient notamment à un décalage parfois supérieur à 1 an entre la date de passage en Conseil de surveillance et la date de signature de la convention avec le partenaire. Quel est véritablement l'intérêt de faire passer au Conseil des projets si manifestement prématurés ?
* 48 Votre Rapporteur conteste évidemment la suggestion faite par la Cour des comptes de « sortir » la représentation parlementaire du Conseil de surveillance de l'AFD. Il craint de penser qu'il s'agit-là d'une sorte de « réaction » à un échange un peu vif qu'il eut un jour avec un membre de la Cour des comptes représentant l'Etat au Conseil, au cours duquel il s'était étonné du montant de certains frais administratifs de la Cour...
* 49 L'AFD lève auprès des marchés financiers des emprunts et reçoit du Trésor une subvention au gré des échéances de ces emprunts sous forme de bonifications d'intérêt. (Compte n° 903-07)
* 50 De fait, cette estimation était encore inférieure à la réalité. Le collectif de fin d'année qui vient d'être déposé par le Gouvernement prévoit une ouverture de 196,8 millions de francs pour « ajustement des crédits de l'AFD ».
* 51 Jean-Michel Severino, par ailleurs rapporteur des travaux du groupe de travail présidé par Jean-Louis Bianco sur « Globalisation, gouvernance et développement » :
« Un autre monde est possible » - Fondation Jean Jaurès - (2 tomes) - mars et août 2001.
* 52 Source : réponse au questionnaire budgétaire.