EXAMEN EN COMMISSION
Réunie le jeudi 15 novembre 2001, sous la présidence de M. Alain Lambert, président, la commission des Finances a examiné les crédits de l'aide au développement .
En préambule, M. Michel Charasse, rapporteur spécial , a souhaité s'interroger sur les leçons qui pouvaient être tirées des événements du 11 septembre dernier, s'agissant de l'aide publique au développement.
Il a estimé que ceux-ci avaient au moins, d'une certaine façon, contribué à rappeler l'ampleur de la fracture qui s'élargit chaque jour entre pays riches et pays pauvres. Les quatre cinquièmes de la population du monde vivent aujourd'hui dans les pays en développement et un cinquième (1,3 milliard de personnes) vit dans une situation d'extrême pauvreté, avec moins d'un dollar par jour. Leur nombre va croissant. Les 20 % des habitants de la planète les plus pauvres se partagent à peine plus de 1 % du revenu mondial en 2000, contre 2,3 % en 1960.
Cette situation est évidemment porteuse de risques majeurs. La mondialisation aujourd'hui si médiatisée est un redoutable révélateur des diversités et des disparités du monde actuel et la « globalisation » soulève des questions transversales : développement durable, risques sanitaires, préservation de l'environnement, sécurité physique, juridique et financière.
Une mobilisation renforcée de la communauté internationale en faveur de l'aide au développement apparaît donc indispensable et urgente si l'on veut éviter que la mondialisation ne se traduise par la marginalisation accrue d'une population qui tend à dominer la planète par son nombre, avec les risques qui en découlent.
Dans ce contexte général, M. Michel Charasse, rapporteur spécial, a estimé qu'on ne pouvait que déplorer la régression constante, continue et quasi-systématique de l'effort français en matière d'aide publique au développement. En cinq ans, de 1996 à 2001, l'aide publique française aura diminué de plus de 3 milliards de francs, soit 10 % de moins en cinq ans en francs courants.
M. Michel Charasse a de fait souligné que ces chiffres étaient désormais en totale contradiction avec la volonté affichée par la France de se poser en chantre -voire en champion- de l'aide au développement. Au huitième rang des pays de l'OCDE, la France conserve désormais difficilement le premier rang au sein du G7 en termes d'effort d'aide rapporté au PNB. Elle y est en effet désormais talonnée par le Royaume-Uni, qui la dépasse en termes de montant absolu d'aide.
Entre 1999 et 2000, l'aide française aura encore régressé de près de 14 %, alors que l'évolution, pour la moyenne des pays de l'OCDE, s'est limitée à moins 2 % et que le Royaume-Uni a progressé de près de 40 %.
De fait, M. Michel Charasse, rapporteur spécial, a considéré que la priorité politique donnée par le Royaume-Uni à l'aide au développement devait être méditée. Il a précisé que le Gouvernement britannique avait majoré de 5,5 % en termes réels le budget du Department for International Development qui, contrairement à la France, était désormais autonome vis-à-vis du Foreign Office, qu'il s'était engagé à porter son effort à 0,33 % du PNB en 2003, soit plus que la France aujourd'hui, qu'il préparait déjà un nouveau Livre Blanc sur le développement, expressément articulé autour des changements induits par la mondialisation et qu'il avait jugé utile d'adresser à ses fonctionnaires présents à Bruxelles dans ce secteur -une cinquantaine- une note intitulée « Comment influencer l'aide européenne».
M. Michel Charasse a ensuite constaté que l'aide française ne bénéficiait pas en priorité aux pays pauvres. Les pays les moins avancés perçoivent en effet aujourd'hui moins du quart de l'aide française, soit exactement autant que les pays à revenu intermédiaire de la tranche supérieure et les pays à revenu élevé qui comprennent, il est vrai, la Nouvelle Calédonie et la Polynésie. Les pays les plus pauvres de la planète (pays les moins avancés et pays à faible revenu) en recueillent à peine la moitié. Au cours des dix dernières années, les pays les moins avancés sont également ceux qui ont le plus souffert de la redistribution sous contrainte budgétaire d'une enveloppe réduite : de 1989 à 1999, leur part dans une aide publique en forte baisse est passée de près du tiers à peine plus du cinquième du total.
M. Michel Charasse, rapporteur spécial, a rappelé ensuite que la baisse globale de l'aide publique française résultait exclusivement de la chute de l'aide bilatérale, amputée de près de 7 milliards de francs entre 1996 et 2001, soit plus du quart du montant atteint en 1996, soulignant qu'au sein même de l'aide bilatérale, la plus lisible pour les Etats partenaires , il revenait à l'aide-projet, la plus lisible pour les populations concernées de diminuer le plus.
De fait, il a déploré que soient demeurés impavides, en définitive, dans ce naufrage de l'aide bilatérale, les frais administratifs, leur part dans le total de l'aide étant passée de moins de 6 % en 1995 à près de 8 % en 1999.
Précisant que la chute de l'aide bilatérale s'était accompagnée en parallèle d'une progression considérable en valeur absolue de l'aide multilatérale, essentiellement liée au poids croissant de l'aide européenne, M. Michel Charasse a précisé que la contribution française (contribution au budget européen plus contribution au Fonds européen de développement) était passée de 8,6 milliards de francs en 1996 à près de 12 milliards de francs en 2001, pour représenter désormais près du quart de l'aide publique française, contre moins de 13 % en 1996.
Il a estimé qu'une telle évolution comportait au moins deux risques : le premier relatif à la lisibilité de l'effort français et le second lié au gaspillage des fonds ainsi engagés. M. Michel Charasse a en effet considéré que la régression de l'aide bilatérale au profit d'une aide multilatérale « apatride » servait manifestement la volonté politique de certains de nos partenaires, estimant que la position des « elit donnors » européens (britannique et nordiques) était à cet égard révélatrice. Il s'est d'ailleurs interrogé sur les conséquences, à terme, de la double évolution qui conduisait la France à retirer massivement ses assistants techniques présents sur le terrain, tandis que, dans le même temps, la Communauté prévoyait d'envoyer 400 coopérants supplémentaires sur place.
M. Michel Charasse a ensuite indiqué, pour s'en indigner vivement, que, s'agissant seulement des crédits du Fonds européen de développement (FED) gérés par Bruxelles, le solde de l'enveloppe non engagée des FED antérieurs au 9 e FED s'élevait, fin 2000 (dernier chiffre transmis), à 40 milliards de francs, soit le double de l'aide bilatérale française, tandis que le solde des engagements non décaissés s'élevait à 57 milliards de francs et que la trésorerie du FED atteignait 1,7 milliard de francs.
Abordant ensuite l'analyse des crédits inscrits pour 2002 au titre de l'aide au développement au budget des affaires étrangères, M. Michel Charasse, rapporteur spécial , a considéré que la réponse apportée n'était pas satisfaisante.
Rappelant que le budget des affaires étrangères pour 2002 montrait que l'action extérieure ne figurait pas au rang des priorités gouvernementales, il a souligné qu'au sein même du budget des affaires étrangères, la coopération et l'aide au développement étaient de plus en plus sacrifiées.
Evoquant rapidement les principales évolutions constatées, M. Michel Charasse a ainsi souligné qu'aucune augmentation n'était prévue pour les concours financiers et l'aide budgétaire, pour le transport de l'aide alimentaire, pour l'aide humanitaire et l'aide d'urgence, pour l'aide aux sorties de crise, pour les contributions à des dépenses internationales hors recherche, que les crédits de coopération militaire diminuaient de 5,6 % et que les crédits affectés à la seule coopération technique et au développement étaient vraisemblablement amputés de 20 % au sein d'une enveloppe devenue illisible, dès lors qu'elle englobait désormais l'ensemble des crédits de coopération, y compris culturelle, éducative et linguistique.
M. Michel Charasse, rapporteur spécial , a particulièrement déploré la baisse des crédits de la coopération militaire. Dans un contexte qui nécessite à l'évidence un effort accru en matière de sécurité intérieure et extérieure des États, de surveillance du territoire et de renseignement, il a estimé que le recul constant de ces moyens allait en sens inverse de la politique qu'il faudrait mener, ce que la France aurait été en mesure de faire, précisément parce qu'elle avait, en ce domaine, patiemment forgé des habitudes et ancré des positions.
M. Michel Charasse, rapporteur spécial , a souligné que d'une manière générale, la part dévolue aux actions de coopération, dans les dépenses de fonctionnement comme dans les dépenses d'intervention du ministère, régressait. Il a indiqué que cette évolution était particulièrement sensible pour les moyens d'intervention, dont la part dédiée à la coopération et à l'aide au développement passait de 52,2 % du total en 2000 à 49,4 % en 2001, et qui diminuaient au total de 171 millions de francs.
M. Michel Charasse a estimé qu'une telle évolution confirmait les craintes exprimées l'an dernier, estimant qu'au terme de la réforme du dispositif français d'aide au développement, on pouvait considérer que l'ancien ministère de la coopération, les moyens dont il disposait et son champ d'intervention privilégié, s'étaient totalement dissous au sein du ministère des affaires étrangères.
Il a déploré par ailleurs que « la grande réforme » de l'aide publique française se soit arrêtée à celle de son seul dispositif administratif - d'une lourdeur effrayante - sans déboucher sur la définition claire d'une nouvelle et crédible politique française du développement, rappelant que les querelles, nombreuses, furent, en définitive, essentiellement « de boutique », et jamais de doctrine.
M. Michel Charasse, rapporteur spécial , a ensuite souhaité souligner, en matière d'aide publique au développement, les lacunes de l'analyse budgétaire et donc celles du contrôle exercé. Il a indiqué en effet que treize milliards de francs d'aide publique au développement échappaient à une inscription budgétaire identifiable, et donc au contrôle parlementaire susceptible d'être exercé. Cette somme considérable recouvre pour moitié ce qui correspond au financement par la France des dépenses d'aide financées sur le budget de la Commission européenne par le biais d'un prélèvement sur recettes du budget général. Elle correspond ensuite à des annulations de dettes, traitées sous forme d'un transfert au compte de découvert du Trésor, et à la partie des prêts faisant l'objet d'un financement partiel sur le marché. Elle recouvre enfin le coût des études supérieures d'étudiants étrangers en France, en provenance de pays en développement, évalué à 2,2 milliards de francs en 1999, et en constante progression.
M. Michel Charasse a ensuite précisé que près de 3 milliards de francs d' « aide au développement » transitaient par différents ministères techniques autres que le ministère des affaires étrangères et celui de l'économie et des finances, soit plus du quart du total des moyens affectés à la Direction générale de la coopération internationale au développement (DGCID), sans qu'il soit réellement possible d'avoir une vision claire de leur utilisation.
Ainsi, M. Michel Charasse, rapporteur spécial , a relevé qu'une part importante de ces moyens était affectée à certains grands organismes de recherche, bénéficiant également de crédits sur le budget des affaires étrangères, pour estimer que leur efficacité en matière d'aide au développement gagnerait parfois à être mieux démontrée. Il s'est également interrogé sur l'objet de l'action menée par le ministère de l'emploi et de la solidarité par le biais d'un coûteux « GIP-Inter » et sur le bien-fondé des actions financées par le ministère de la culture, compte tenu de l'importance relative des moyens par ailleurs mis en oeuvre sur ce secteur par la DGCID.
Déplorant vivement de n'avoir, à ce jour, reçu aucune réponse aux questions posées à ces ministères, M. Michel Charasse, rapporteur spécial, a estimé que dans un contexte de baisse aussi forte de l'aide publique française, il lui paraissait indispensable de mesurer l'efficacité des quelques 3 milliards de francs gérés par les ministères « techniques », dont 210 millions de francs en seuls coûts de fonctionnement.
Concluant, M. Michel Charasse, rapporteur spécial , a estimé qu'à ce rythme, la France risquait de ruiner des décennies d'efforts et de rentrer peu à peu dans le rang des pays banalisés et sans influence.
Un large débat s'est alors ouvert.
M. Alain Lambert, président, a tout d'abord déploré que, par un effet de « myopie », sans doute lié aux contraintes budgétaires, la France risque de se trouver rapidement dans l'incapacité de maintenir sa place et son influence dans le monde. Il s'est par ailleurs interrogé sur l'inefficacité provoquée par l'abondance et la complexité des procédures, et des canaux divers, mis en place en matière d'aide publique au développement.
S'interrogeant de manière générale sur l'absence de résultat des montants d'aide au développement pourtant considérables consentis au cours des dernières décennies, M. Maurice Blin a souhaité savoir s'il fallait invoquer le comportement des pays riches, l'incapacité des pays pauvres à tirer partie de l'aide qui leur était apportée ou la dérive des coûts de gestion de cette aide au développement. Il a évoqué en particulier les cas des pays riches du Moyen-Orient disposant de 60 % des ressources pétrolières, sans pour autant que la situation des pays musulmans voisins ait été sensiblement améliorée. Il a par ailleurs déploré à son tour la baisse des crédits de coopération militaire.
M. François Trucy a relevé l'importance de la mauvaise gestion des crédits concernés. Il a à son tour regretté la baisse de la présence des coopérants militaires sur le terrain, considérant qu'il s'agissait d'une politique à courte vue, fondée à tort sur des considérations strictement budgétaires. Il a souhaité savoir si la montée en puissance de l'aide communautaire pouvait constituer un risque d'éviction pour l'aide bilatérale française.
M. Claude Belot a souhaité insister sur l'importance de la présence audiovisuelle extérieure et sur l'apport que constituait la coopération décentralisée. Il a par ailleurs souhaité saluer la qualité de la contribution apportée par les universités françaises aux travaux de recherche menés sur les pays en voie de développement.
Evoquant les travaux tenus à l'Assemblée générale des Nations unies auxquels il avait récemment assisté en tant que membre de la délégation française , M. Jacques Chaumont a souligné que la question du financement du développement revêtait désormais, y compris pour les Américains, un caractère prioritaire dans le cadre de la lutte contre le terrorisme. Il a donc déploré que, au vu des chiffres examinés, le Gouvernement français paraisse conduire une politique exactement inverse en ce domaine. Il a par ailleurs regretté que la France, membre permanent du Conseil de sécurité, ne figure qu'au 11 e ou 12 e rang des contributeurs volontaires aux organismes et fonds onusiens, loin derrière la plupart des petits pays européens, estimant qu'une telle politique n'était pas sans risque à un moment où la réforme du Conseil de sécurité, et notamment de sa composition, était à nouveau évoquée. Il s'est enfin interrogé sur la signification réelle de la « zone de solidarité prioritaire » (ZSP).
M. Aymeri de Montesquiou a considéré que le renforcement du multilatéralisme européen pouvait au contraire constituer une opportunité pour la France. Il a également évoqué l'apport de la coopération décentralisée en matière d'aide publique au développement. Il s'est interrogé sur les moyens d'améliorer l'efficacité de cette aide en général. Il a enfin estimé que, dans le cadre du renforcement de l'accueil des étudiants étrangers, la France devrait davantage favoriser les étudiants originaires de pays émergents.
Répondant aux différents intervenants, M. Michel Charasse, rapporteur spécial , a souligné que, dans le cadre des contraintes budgétaires et des priorités gouvernementales qui étaient les nôtres, et qui pouvaient peser sur le montant global de l'effort consenti en matière d'aide au développement, la répartition de cet effort et ses conditions de mise en oeuvre restaient contestables : il a de nouveau vivement fustigé l'importance des crédits non utilisés sur le Fonds européen de développement, ainsi que les exigences parfois excessives, ou dérisoires, des fonctionnaires européens en matière d'achèvement démocratique.
Par ailleurs, il a considéré que la progression constante de l'aide accordée aux Balkans, au détriment des pays membres de la zone de solidarité prioritaire, correspondait plus à la nécessité de renforcer le processus démocratique et de permettre la « mise à niveau » de ces pays, en vue d'une éventuelle adhésion à l'Union européenne, qu'à de véritables considérations d'aide au développement.
Répondant plus particulièrement à M. Maurice Blin, il a estimé que la pauvreté était une résultante complexe de tous les facteurs évoqués : égocentrisme des pays riches, ainsi qu'en attestent à nouveau les difficultés des négociations en cours à Doha, turpitudes des dirigeants riches des pays pauvres, incapacité des pays pauvres à utiliser à meilleur escient l'aide qui leur était consentie. Il a toutefois souligné l'ampleur des progrès franchis en matière de démocratie par des dirigeants désormais considérés comme exemplaires, tels Alpha Konaré ou Blaise Compaoré.
Répondant à M. François Trucy, il a considéré que, dans un contexte de réduction globale de l'aide, le renforcement du canal multilatéral entraînait nécessairement un effet d'éviction de l'aide bilatérale, ajoutant que la politique actuelle visant à inclure des financements bilatéraux dans des projets multilatéraux se traduisait par une dilution supplémentaire.
Il a par ailleurs estimé que la contractualisation des crédits de coopération décentralisée, désormais inclus en majorité dans les contrats de plan, n'était pas une bonne chose. Il a estimé enfin que la Zone de solidarité prioritaire (ZSP), qui comportait désormais de plus en plus de bénéficiaires, appelés à se répartir de moins en moins de moyens, n'avait plus guère de sens, d'autant que, par voie réglementaire, le décret du 11 septembre 2000, permettant à des pays hors zone, de bénéficier, « à titre exceptionnel », des moyens du Fonds de solidarité prioritaire, l'avait vraisemblablement totalement vidée de sa substance.
Concluant, pour déplorer à nouveau l'écart grandissant entre le discours tenu par la France et les moyens concrets qu'elle consacrait à l'aide au développement, M. Michel Charasse, rapporteur spécial, a estimé que le budget de la coopération pouvait être assimilé à « l'argent de poche » de la politique internationale.
A l'issue de cette présentation, la commission a décidé de réserver son vote jusqu'à l'examen des crédits des affaires étrangères.