EXPOSÉ GÉNÉRAL
Mesdames, Messieurs,
Le 25 octobre 2000, le Sénat examinait un projet de loi tendant à habiliter le Gouvernement à transposer par ordonnances plus de cinquante directives communautaires, concernant notamment des sujets aussi importants que le code de la mutualité, le financement de la construction des autoroutes ou le réseau « Natura 2000 ».
Notre excellent collègue, M. Daniel Hoeffel, rapporteur de la commission des Lois sur ce projet de loi, avait alors noté : « (...) la mise à l'écart du Parlement en matière de droit communautaire n'est sans doute pas le meilleur moyen de faire progresser l'adhésion à la construction européenne » 1 ( * ) .
Après l'adoption de ce projet de loi, la délégation pour l'Union européenne du Sénat a conduit une réflexion sur les causes du retard inacceptable de la France dans l'application du droit communautaire. Notre excellent collègue M. Hubert Haenel, président de cette délégation, a présenté en janvier dernier un rapport d'information sur la transposition des directives communautaires. La proposition de loi et la proposition de loi constitutionnelle que le Sénat est invité à examiner dans le cadre de son ordre du jour réservé sont directement issues de cette réflexion.
Après avoir rappelé la situation actuelle de notre pays en matière de transposition de directives, votre rapporteur présentera la proposition de loi de MM. Hubert Haenel, Robert del Picchia et Aymeri de Montesquiou. La proposition de loi constitutionnelle de MM. Aymeri de Montesquiou, Hubert Haenel et les membres du Rassemblement démocratique et social européen fait, pour sa part, l'objet d'un rapport distinct 2 ( * ) .
I. LE CONSTAT : LA FRANCE NE RESPECTE PAS SES OBLIGATIONS COMMUNAUTAIRES
La France figure aujourd'hui parmi les pays membres de l'Union européenne mettant en oeuvre avec le plus de retard les directives communautaires. Cette situation a pour cause essentielle des dysfonctionnements administratifs, que les gouvernements successifs ne sont pas parvenus à maîtriser, faute peut-être de consentir à reconnaître leur propre responsabilité.
A. UNE SITUATION PRÉOCCUPANTE
1. Les règles relatives à l'application du droit communautaire
Il convient de rappeler que les deux principaux instruments du droit communautaire dérivé sont le règlement et la directive . Le règlement a une portée générale, est obligatoire dans tous ses éléments et est directement applicable dans tout Etat membre.
La directive, au contraire, si elle lie tout Etat membre destinataire quant au résultat à atteindre, laisse aux instances nationales la compétence quant à la forme et aux moyens. Les directives doivent donc donner lieu à des mesures de transposition dans le droit des Etats membres, sauf si ce droit respecte déjà l'ensemble des principes posés par une directive .
Afin d'assurer l'application effective du droit communautaire, le traité instituant la Communauté européenne prévoit une procédure permettant de sanctionner les Etats qui manquent à leurs obligations. Si la Commission européenne estime qu'un Etat membre a manqué à une des obligations qui lui incombent en vertu du traité, elle émet un avis motivé à ce sujet, après avoir mis cet Etat en demeure de présenter ces observations. Lorsque l'Etat concerné ne se conforme pas à l'avis motivé dans le délai déterminé par la Commission, celle-ci peut saisir la Cour de justice des Communautés européennes . La Commission peut alors constater qu'un Etat a manqué à ses obligations.
Par ailleurs, lorsque la Commission européenne estime qu'un Etat n'a pas exécuté un arrêt de la Cour de justice constatant un manquement à ses obligations, elle peut saisir à nouveau la Cour. Celle-ci peut alors infliger à l'Etat qui a manqué à ses obligations le paiement d'une somme forfaitaire ou d'une astreinte.
2. Un retard inacceptable
En octobre 2000, dans son rapport sur le projet de loi portant habilitation du Gouvernement à transposer par ordonnances des directives communautaires, notre excellent collègue, M. Daniel Hoeffel, a parfaitement montré que la France figurait parmi les pays connaissant le plus grand retard dans la transposition des directives communautaires, rappelant qu'au 31 décembre 1999, la France figurait au douzième rang des Etats membres de l'Union européenne pour la transposition des directives.
Très récemment, de nouveaux éléments sont venus confirmer cette situation difficilement acceptable pour un pays qui entend jouer un rôle moteur dans la construction européenne.
Le 28 mai 2001, la Commission européenne a publié son huitième tableau d'affichage du marché intérieur , instrument qui dresse deux fois par an un état de la mise en oeuvre du marché intérieur.
Dans le dernier tableau d'affichage, la Commission européenne rappelle que le Conseil européen de Stockholm a insisté sur l'importance d'une transposition complète des directives et a demandé que l'objectif d'un déficit de transposition inférieur ou égal à 1,5 % soit atteint pour la réunion du Conseil européen du printemps 2002.
Non seulement, la France ne respecte pas cet objectif, mais elle figure en avant-dernière position des Etats membres de l'Union en ce qui concerne ce déficit de transposition des directives relatives au marché intérieur.
Déficit de mise en oeuvre des règles
relatives
au marché intérieur au 30 avril 2001 (en
%)
Sue |
Dan |
Fin |
Esp |
PB |
Lux |
Bel |
It |
Port |
All |
Aut |
RU |
Irl |
Fr |
Gr |
0,5 |
1,2 |
1,4 |
1,8 |
2 |
2 |
2,4 |
2,6 |
2,7 |
3,2 |
3,2 |
3,3 |
3,3 |
3,5 |
4,8 |
La Commission européenne note que la France a réduit son déficit d'environ un quart depuis novembre 2000, mais qu'elle reste avec la Grèce « fermement en queue de peloton ».
Elle se préoccupe surtout de l'évolution future de la situation dans les pays les plus en retard, observant que ces pays doivent également transposer les directives nouvelles : « (...) pour se remettre à niveau, les Etats membres doivent non seulement rattraper leur retard mais également s'occuper des directives dont la date de transposition est imminente (...). Il apparaît qu'une directive dont la date de transposition est échue demande une moyenne de treize mois supplémentaires pour être effectivement transposée (...) ».
« Le processus de transposition est continu et un grand nombre de nouvelles directives ou d'amendements aux directives existantes devront être transposées pour le printemps 2002, date fixée par le Conseil européen. La Grèce, qui doit déjà rattraper un retard de soixante et onze directives, devra en transposer quarante-trois autres, soit un total de cent quatorze, afin d'être en totale conformité . Pour la France, ce chiffre est de quatre-vingt douze tandis que pour la Suède, il est de trente-neuf ».
Il apparaît donc clairement que la France figure, de manière chronique, parmi les Etats qui ont le plus de difficultés à appliquer à temps le droit communautaire.
La France détient même, selon le dernier tableau d'affichage du marché intérieur, le record du nombre de procédures d'infractions engagées par la Commission européenne.
Poursuites pour infractions par Etat membre
Fr |
I |
Esp |
All |
Gr |
Bel |
Irl |
RU |
Aut |
Port |
PB |
Sue |
Fin |
Dan |
Lux |
254 |
251 |
208 |
185 |
151 |
123 |
119 |
93 |
90 |
78 |
70 |
46 |
43 |
37 |
35 |
Le commissaire européen compétent, M. Bolkestein, a insisté sur les effets préjudiciables de ces procédures d'infractions, qui durent souvent des années : « Je déplore que le nombre d'infractions aux règles du marché intérieur augmente. Le fait que des entreprises ou des citoyens doivent attendre plusieurs années avant qu'un cas ne soit résolu n'accroît en rien la crédibilité du marché intérieur, voire de l'Union européenne elle-même. Une entreprise peut être amenée à fermer avant que le cas ne soit résolu. Un citoyen peut avoir à renoncer à son désir de travailler, par exemple comme ingénieur ou architecte dans un autre Etat membre ».
Pour notre pays, une telle situation ne saurait perdurer :
- de nombreuses procédures contentieuses sont en cours et, si la France n'a pas jusqu'à présent été condamnée au versement d'astreintes, une telle condamnation ne peut être écartée pour l'avenir compte tenu du retard accumulé dans la transposition des directives ;
- l'absence de transposition des textes communautaires est source d' insécurité juridique . La Cour de justice des Communautés européennes considère en effet que, sous certaines conditions, les directives non transposées peuvent avoir un effet direct et être invoquées par les particuliers ;
- enfin, l'application défaillante du droit communautaire par la France donne de notre pays l'image singulière d'un Etat qui entend jouer un rôle essentiel dans la construction européenne tout en s'affranchissant des règles adoptées dans le cadre de l'Union. Si les responsables politiques de notre pays entendent avoir quelque crédibilité lorsqu'ils tentent de définir un dessein pour l'Europe, il est impératif qu'ils s'attachent au préalable à faire de la France un pays exemplaire dans l'application du droit communautaire.
* 1 Rapport n°30, 18 octobre 2000.
* 2 Rapport n° 360, 6 juin 2001.