B. LES CAUSES APPARENTES ET RÉELLES
1. Une explication insuffisante : la lourdeur de la procédure parlementaire
Au cours des débats relatifs au projet de loi portant habilitation du Gouvernement à transposer par ordonnances des directives communautaires, l'encombrement de l'ordre du jour des assemblées et la lenteur de la procédure parlementaire ont été fréquemment évoqués comme explication du retard de la France dans la mise en oeuvre du droit communautaire.
Ainsi, dans l'exposé des motifs du projet de loi d'habilitation, le Gouvernement a mentionné comme unique raison de la nécessité de recourir aux ordonnances pour des directives adoptées pour certaines d'entre elles depuis vingt ans « la charge de travail qui pèse sur le Parlement ».
Dans ces conditions, M. Jean-Jack Queyranne, ministre des relations avec le Parlement, évoquant devant l'Assemblée nationale les moyens de résorber le retard de transposition des directives, s'est interrogé sur la nécessité de faire évoluer les règles de transposition :
« Pour l'avenir, il faudra trouver de nouvelles procédures car la situation que le Gouvernement vous demande de régler par cette habilitation ne doit plus se renouveler.
« Faudra-t-il, comme en Allemagne, imaginer une procédure de discussion accélérée permettant d'introduire un même texte de transposition simultanément dans les deux chambres ?
« Faudra-t-il, comme en Italie, habiliter chaque année en bloc l'exécution des obligations communautaires dans des sections multiples ?
« Faudra-t-il prévoir pour les projets de loi transposant des directives une saisine pour avis de votre délégation pour l'Union européenne, comme le propose son président, M. Alain Barrau, ou bien encore appliquer davantage la procédure d'examen simplifié, qui a été introduite dans le Règlement de l'Assemblée nationale en mai 1991 mais qui reste sous-utilisée ?
« Le débat est ouvert, ici comme dans les autres pays de l'Union, jusque même en Grande Bretagne où la Chambre des Communes, la mère de tous les parlements, autorise pourtant des délégations législatives afin que le Gouvernement transpose par voie réglementaire des textes communautaires de nature technique.
« Plus profondément, ce débat montre qu'il faut s'interroger sur la place que la représentation nationale doit prendre dans la mise en oeuvre du droit communautaire. »
Répondant à une question orale d'un député, M. le Premier ministre lui-même s'est ainsi exprimé : « Peut-être y-a-t-il un problème d'organisation du travail parlementaire ».
Ainsi, le Gouvernement considère que la difficulté principale, sinon unique, en matière de transposition des directives réside dans la procédure parlementaire, qui n'offrirait pas la souplesse nécessaire pour l'adoption rapide de textes de transposition.
Le Gouvernement a donc récemment pris des initiatives pour faciliter la transposition des directives comportant des dispositions de nature législatives. Si la présentation de projets de loi portant « diverses dispositions d'adaptation au droit communautaire » peut s'avérer être un instrument utile, le récent recours aux ordonnances est beaucoup plus contestable et ne saurait se reproduire.
Votre rapporteur n'est pas certain quant à lui que les moyens d'améliorer la situation de la France dans l'application du droit communautaire soient à rechercher dans des procédures qui conduiraient à limiter un peu plus le droit de regard du Parlement sur la transposition des directives. Le processus communautaire de décision ne présente pas aujourd'hui des caractéristiques telles qu'il soit possible de faire l'économie du processus démocratique au niveau national au stade de la mise en oeuvre des directives. L'explication du retard de transposition par la charge de travail du Parlement présente des avantages incontestables pour les gouvernements, mais a l'inconvénient de ne pas correspondre à la réalité.
2. Les raisons véritables : dysfonctionnements administratifs et manque de courage politique
Comme l'a souligné notre excellent collègue, M. Hubert Haenel, président de la délégation du Sénat pour l'Union européenne, dans son rapport sur la transposition des directives communautaires 3 ( * ) : « Dans l'esprit du Gouvernement notamment, il semblerait que le problème résidât essentiellement dans l'encombrement chronique et irrémédiable de l'ordre du jour des assemblées . »
« Or, cette analyse néglige deux points importants qui relativisent considérablement la responsabilité de l'agenda parlementaire. D'une part, le fait que le problème n'est que rarement d'ordre parlementaire et qu'il est essentiellement d'ordre administratif. D'autre part, le constat que lorsqu'il est parlementaire, il révèle plutôt un embarras politique du Gouvernement que la surcharge des assemblées ».
De fait, comme en est convenu le Gouvernement lui-même lors de la discussion du projet de loi portant habilitation du Gouvernement à transposer par ordonnances des directives, deux tiers des directives en retard de transposition sont de nature réglementaire. Il est donc difficile d'invoquer la procédure parlementaire pour justifier ce retard.
Dès 1989, la section du Rapport et des Etudes du Conseil d'Etat 4 ( * ) a montré que des dysfonctionnements administratifs expliquaient les difficultés de notre pays à satisfaire à ses obligations communautaires. Le Conseil d'Etat a mis en avant des causes structurelles aux difficultés de transposition, en particulier l'insuffisante formation des fonctionnaires aux questions communautaires, l'insuffisance des moyens matériels et humains affectés à la mise en oeuvre des directives, les contraintes des procédures consultatives de droit interne, enfin l'insuffisante participation de l'ensemble des administrations concernées à la négociation même de la norme communautaire.
Il a également décelé dans la procédure alors en vigueur plusieurs causes de retard : la volonté de trop en faire en saisissant l'occasion de la transposition d'une directive pour réformer l'ensemble des règles applicables dans le secteur concerné, le retard mis à résoudre certaines questions juridiques et l'insuffisance du processus de coordination.
Le Conseil d'Etat a alors notamment proposé de renforcer le rôle de coordination du SGCI 5 ( * ) et du secrétariat général du Gouvernement, de prévenir les difficultés dès le stade de la négociation de la directive communautaire, enfin d'améliorer les moyens dont disposent les administrations qui doivent faire face à des tâches importantes de transposition.
En ce qui concerne spécifiquement les directives qui doivent faire l'objet d'une transposition par voie législative, l'explication du retard actuel par les contraintes du calendrier parlementaire paraît là encore insuffisante.
A titre d'exemple, il est possible d'évoquer la directive « Natura 2000 » adoptée en 1992 et qui figurait dans la liste des directives que le Gouvernement a récemment souhaité transposer par ordonnances.
En 1998, constatant l'absence d'inscription d'un projet de loi de transposition de ce texte à l'ordre du jour des assemblées, le Sénat a pris l'initiative d'adopter dans son ordre du jour réservé une proposition de loi transposant cette directive.
Le Gouvernement s'est opposé à l'adoption de ce texte et ne l'a pas inscrit à l'ordre du jour de l'Assemblée nationale. Il est donc difficile d'invoquer l'encombrement des assemblées.
De la même manière, votre rapporteur a quelque peine à croire que l'absence d'inscription à l'ordre du jour des assemblées d'un projet de loi transposant la directive sur le marché intérieur du gaz naturel soit explicable par l'encombrement de l'ordre du jour des assemblées... La commission européenne a récemment engagé une procédure en manquement contre la France pour non transposition de cette directive.
Trop souvent, le Gouvernement qui négocie seul les textes communautaires au sein du Conseil de l'Union européenne, sait pertinemment que certains textes soulèveront des difficultés politiques importantes en France. Une fois la directive adoptée, il tente de reculer le plus possible le moment de soumettre au Parlement le texte concerné, attendant que des procédures contentieuses soient engagées pour mettre en oeuvre dans la précipitation le processus de transposition. On comprend aisément dans ce contexte que le ministre des relations avec le Parlement ait évoqué parmi les remèdes possibles au retard de transposition des directives par la France, la possibilité d'habiliter chaque année le Gouvernement à transposer lui-même les obligations communautaires.
Votre rapporteur n'est pas persuadé cependant que la démocratie gagnerait à ce que le Parlement, écarté des négociations communautaires, soit encore écarté de la procédure de transposition des directives communautaires.
* 3 Rapport n° 182 (2000-2001), 11 janvier 2001.
* 4 Etude sur les problèmes posés par la transcription en droit interne des directives communautaires.
* 5 Secrétariat général de coopération interministérielle pour les questions de coopération européenne.