II. LA PRÉSENCE FRANÇAISE CONFRONTÉE LA CRISE IVOIRIENNE
A. UNE STABILITÉ MENACÉE ?
La crise dans laquelle la Côte-d'Ivoire s'est trouvée plongée depuis le coup d'Etat militaire du 24 décembre 1999, constitue, à plusieurs titres, un grave sujet de préoccupation. D'abord, elle menace de ruiner les acquis de quatre décennies de stabilité et de relative prospérité , malgré une conjoncture parfois constratée. Ensuite, compte tenu du poids politique et économique de la Côte-d'Ivoire dans son environnement régional, les événements de cette année pourraient se répercuter dans les pays voisins dont les équilibres sont souvent très fragiles. Enfin, la coopération nouée entre la Côte-d'ivoire et la France avait valeur d'exemple ; notre pays, certes, doit se garder de toute ingérence dans les affaires intérieures ivoiriennes. Il ne saurait cependant se désintéresser d'un pays qui figure parmi ses premiers partenaires et compte la présence de 20 000 de nos ressortissants.
La crise politique actuelle ouverte par la destitution de M. Henri Konan Bédié a été marquée depuis lors par l'échec du général Guei aux élections présidentielles du 22 octobre dernier, et par l'organisation difficile des élections législatives du 10 décembre dernier sous l'autorité du nouveau Chef d'Etat, M. Laurent Gbagbo. Elle s'est accompagnée d'une montée des tensions entre chrétiens et musulmans, entre le sud et le nord du pays.
Ces troubles ont pour arrière-plan une conjoncture économique dégradée ainsi qu'une interrogation récurrente sur l' " ivoirité ".
La Côte-d'Ivoire, rappelons-le, souffre d'une double dépendance à l'égard de l'évolution du cours des matières premières et de l'appui financier des bailleurs de fonds internationaux. L'économie ivoirienne repose encore largement sur l'exportation de produits de base (en particulier le cacao qui représente la moitié de la production mondiale). Si la bonne tenue des cours du cacao a expliqué en partie le succès de la dévaluation du franc CFA en Côte d'Ivoire, leur faiblesse actuelle pèse sur le revenu des paysans et concourt ainsi au ralentissement général de la croissance. En outre, la suppression de la Caisse de stabilisation (CAISTAB) à l'automne 1999, à la demande de la Banque mondiale, a remis en cause le principe d'un prix de campagne, garantie de plusieurs milliers de petits producteurs contre les aléas du marché. Par ailleurs, la Côte-d'Ivoire reste très dépendante des concours financiers internationaux. Or les prêts d'ajustement structurels ont été interrompus en 1999 par la Banque mondiale et le FMI, très critiques sur la gestion du secteur public ivoirien, tandis que les relations avec l'Union européenne se détérioraient après la découverte d'un détournement de quelque 18 milliards de francs CFA au détriment d'une aide du Fonds européen de développement en principe consacrée à la santé.
Au cours de cette année, la Côte-d'Ivoire s'est trouvée de nouveau dans l'impossibilité d'honorer le remboursement de la dette extérieure. Elle ne peut donc espérer de nouveaux concours de la part des bailleurs de fonds internationaux. En 2000, le pays devrait connaître une récession et, en conséquence, une dégradation du revenu par habitant. Parallèlement à une profonde crise économique -que les événements politiques sont venus amplifier- la Côte-d'Ivoire traverse également une crise d'identité qui porte en elle le risque d'une grave instabilité. La contestation récurrente de la nationalité de l'ancien Premier ministre, M. Alassane Ouamara, président du Rassemblement des Républicains, avant les différents scrutins organisés en Côte-d'Ivoire, est apparue comme le révélateur de ces tensions.
Le pays réunit quelque 60 ethnies et compte près de 40 % d'étrangers -principalement d'origine burkinabé. Ces données permettent de prendre une plus juste mesure de la nécessité de contenir les forces centrifuges et de conjurer en particulier le risque d'une recomposition du paysage politique sur des bases régionales ou ethniques. L'avenir du pays dépendra dans une large mesure de la capacité des responsables politiques ivoiriens à préserver l'héritage politique de l'ancien Président Houphouët-Boigny dont la clairvoyance avait su garantir la stabilité et l'unité de la Côte d'Ivoire.