ANNEXE
Cette
annexe statistique regroupe les réponses écrites à deux
consultations du rapporteur pour avis.
Ces documents, qui constituent des réflexions exploratoires que leurs
auteurs ont transmises à la commission des finances du Sénat, non
sans précautions, n'engagent en aucune façon l'Institut national
d'études démographiques.
La comparaison des deux contributions montre que, bien que leurs analyses ne
soient pas contradictoires, des spécialistes peuvent apprécier de
façon différente l'attrait pour les couples non mariés
d'un statut de type pacte civil de solidarité.
1. QUELLE DEMANDE POTENTIELLE POUR LE PACS ?
(H. Léridon, Septembre 1998)
I -
LES COUPLES HETEROSEXUELS
A. EVALUATION DE LEUR NOMBRE
Lors de la dernière enquête-emploi de l'INSEE disponible (mars
1977), 2,24 millions d'hommes et 2,25 millions de femmes se sont
déclarés vivant en couple sans être mariés
(ensemble). La dernière enquête de l'INED sur les situations
familiales, réalisée en 1994, donnait environ 2,3 millions
de cohabitants de chaque sexe, pour les moins de 50 ans ; or,
l'enquête emploi de la même année ne comptait que
1,9 million de cohabitants, tous âges confondus (les cohabitants de
plus de 50 ans étant peu nombreux : 100 à 150.000). Si l'on
peut trouver quelques raisons d'une surestimation dans l'enquête INED,
une sous estimation dans l'Enquête emploi de 1994 est plus probable,
compte tenu du contexte d'enquête très différent. Il est
possible que les déclarations se soient améliorées dans
les enquêtes suivantes, et que l'estimation de 1997 soit plus proche de
la réalité : on peut donc penser que le nombre actuel de
couples cohabitant hors mariage est, au moins, de l'ordre de 2,3 à
2,5 millions.
A noter que près de la moitié de ces couples ont
déjà au moins un enfant.
B. LA DEMANDE POTENTIELLE DE PACS
Elle est très difficile à évaluer, surtout sans
connaître le contenu définitif du contrat qui sera proposé.
Si les formalités d'entrée et de sortie s'avèrent
très simples, et si les avantages matériels sont néanmoins
substantiels, la demande pourrait être très forte. Dans
l'enquête INED de 1994, 38 des couples non mariés ont dit avoir
fait une déclaration en mairie ou chez un notaire (les
déclarations devant notaire étant très
minoritaires : 3 %). Il est possible que certains de ces
enquêtés aient considéré que telle ou telle
démarche en mairie (par exemple pour une reconnaissance d'enfant) valait
" déclaration de concubinage ", sans qu'un document ait
vraiment été produit dans ce sens. En tout cas, il est
significatif que plus du tiers des concubins aient répondu positivement
à la question posée à ce sujet. Si donc la souscription
d'un PACS s'avérait presque aussi simple que la déclaration
actuelle en mairie, elle pourrait attirer une part importante de l'ensemble des
concubins, au moins un tiers ou la moitié.
En flux, la demande pourrait alors être considérable, puisque la
très grande majorité des unions se constituent d'abord hors
mariage, quel que soit leur devenir ultérieur. Plus de 300.000 couples
se constituent ainsi chaque année ; 80 % de ces unions sont
encore en cours ( sans mariage) un an plus tard, et 60 % deux ans plus
tard. L'hypothèse qu'entre un tiers et la moitié des unions donne
lieu à un PACS n'est donc pas déraisonnable, ce qui conduirait
à 100-150.000 demandes par an.
Inversement, si la souscription et la résiliation d'un PACS
s'avéraient, en pratique, presque aussi " compliquées "
que dans le cas du mariage, il pourrait n'intéresser que la fraction des
concubins à la fois désireux d'une certaine forme
" d'institutionnalisation " et rebelles au mariage, fraction qui
pourrait ne pas dépasser 5 à 10 %. La demande serait alors 5
fois plus faible que dans l'hypothèse précédente (20
à 30.000 par an).
II - LES COUPLES HOMOSEXUELS
A. EVALUATION DE LEUR NOMBRE
Les estimations sont, ici, bien plus difficiles. La source principale semble
devoir être l'Enquête sur les Comportements Sexuels en France
(ACSF), réalisée en 1992, auprès de 20.000 hommes et
femmes de 18 à 70 ans. Mais la question concernant le sexe des
partenaires n'était posée qu'à un sous-échantillon,
comprenant 2.642 hommes et 2.178 femmes. Globalement, 0,3 % des hommes
interrogés se sont déclarés vivant en couple avec un
partenaire de même sexe : l'estimation est fragile, le nombre de
personnes ainsi repérées dans l'enquête n'étant que
de 21. Pour les femmes, on n'a compté que 3 réponses dans le
même sens.
Sur cette base, on compterait environ 60.000 hommes vivant en couple homosexuel
en France, soit 30.000 couples, l'intervalle de confiance (au sens statistique)
ce cette estimation étant assez large.
B. LA DEMANDE POTENTIELLE DE PACS
Comme pour les couples hétérosexuels, l'estimation de la demande
potentielle de PACS est difficile. D'une part, on l'a dit, le nombre de couples
homosexuels est mal connu. D'autre part, l'enquête ACSF a montré
que si une proportion non négligeable d'hommes ont déclaré
avoir eu une expérience homosexuelle, la proportion de ceux qui sont
engagés exclusivement dans des relations homosexuelles est nettement
plus faible, et encore plus si l'on ne prend en compte que des relations
stables pouvant entrer dans la définition de " couples ". D'un
autre côté, à la différence des
hétérosexuels, le PACS serait la seule possibilité pour
les homosexuels de faire reconnaître leur union, ce qui devrait le rendre
beaucoup plus attractif. Signalons que la législation du mariage
homosexuel au Danemark a suscité, dans les trois années
suivantes, un millier de demandes ; à l'échelle de la
population française, cela représenterait environ 10.000 demandes
de PACS de la part de couples homosexuels déjà existants (soit un
tiers des couples existants).
Comme il ne se forme sans doute que quelques milliers de couples homosexuels
chaque année, le flux annuel de demandes de PACS ne devrait pas
être très important, en tout cas comparativement aux demandes de
couples hétérosexuels.
2. COMBIEN DE PACS ?
(P. Festy, février 1999)
Avec le
PACS, les concubins vont bénéficier d'une nouvelle option dans le
choix de leur statut. Il ne devrait pourtant pas en résulter de
modifications des attitudes à l'égard du mariage. En règle
générale, le droit de la famille s'adapte à
l'évolution des moeurs plutôt qu'il ne la provoque.
Les premiers signes d'une désaffection à l'égard du
mariage datent de la fin des années 1960. On a vu, presque
simultanément, diminuer le nombre de cérémonies, augmenter
le nombre de divorces et augmenter aussi le nombre d'enfants naissant de
parents non mariés. C'est un renversement par rapport aux deux
décennies antérieures, où les gens s'étaient
mariés comme jamais auparavant ; certes, de nombreuses jeunes
femmes étaient enceintes le jour de leurs noces, témoignant de
relations sexuelles prémaritales, mais la
" régularisation " tirait les parents de l'embarras et
attestait de la puissance du mariage.
Dans ces années d'après-guerre, l'économie avait d'abord
besoin de foyers stables, où les hommes trouvaient le soutien domestique
qui leur permettait de se consacrer pleinement à leur emploi. La
croissance ne se démentant pas, l'offre de travail professionnel aux
immigrés, puis aux femmes mariées, rencontra les aspirations
correspondantes des intéressés. Après celles dont les
enfants étaient grands, ce furent les mères d'enfants de plus en
plus jeunes.
Revenu d'appoint et marché de dupes pour toutes celles qui cumulent vie
professionnelle et charge du foyer ? Ou plein salaire et moyen
d'autonomie ? De toute façon, ce fut en tremblement majeur, une
modification radicale des rapports sociaux entre hommes et femmes. La
protection que le mariage offrait à la femme n'est plus apparue aussi
nécessaire.
Dans le même temps, le recul de la mortalité aux âges
adultes et avancés (autre nouveauté de l'après-seconde
guerre mondiale) plaçait le mariage dans une nouvelle perspective, celle
d'une vie commune de très longue durée. Le divorce ne marquait
plus la fin de la vie conjugale mais ouvrait une séquence, vers une
" polygamie successive ".
Des phénomènes économiques, sociaux et
démographiques fondamentaux ont donc provoqué l'évolution
contemporaine du mariage. De nombreuses modifications du droit de la famille
ont permis à celui-ci de s'adapter. Par exemple, des réformes du
droit du divorce ont accompagné l'augmentation du nombre de ruptures. En
particulier, l'éventail des procédures possibles s'est
élargi en 1976, au-delà du divorce classique sanctionnant la
faute d'un des conjoints.
Mais le nombre de divorces a davantage augmenté en Suisse qu'en France
de 1970 à nos jours, - sous réserve d'un biais possible
lié à l'importance de l'immigration -, sans que la
législation suisse, adaptée du code civil napoléonien, ait
été transformée, au contraire de la loi française.
Plus récemment, l'amendement de Courson, qui a modifié le
régime fiscal des parents non mariés et qui a rendu l'union libre
moins attractive économiquement, n'a entraîné qu'un nombre
très restreint de mariages tardifs. La grande majorité des
conjoints, qui avaient choisi d'élever leurs enfants hors du mariage,
n'ont pas remis en cause leur décision sous l'effet d'une
législation nouvelle.
On aurait donc tort de penser que l'introduction d'une nouvelle forme
légale d'union, le PACS, pourrait affecter l'évolution du
mariage, et en particulier affaiblir celui-ci. Le choix entre mariage et
non-mariage reflète le jeu de forces profondes que le PACS ne modifiera
guère.
Il en va bien sûr très différemment pour les couples
homosexuels, qui trouveront dans le PACS un statut qu'aucune loi ne leur
offrait jusqu'à présent. Mais ils sont 30.000 contre
2.500.000 couples hétérosexuels non mariés.
L'expérience des pays étrangers
Les
trois pays scandinaves ont adopté, à quelques années
d'intervalle, des textes législatifs reconnaissant les unions
homosexuelles dans des termes voisins : le Danemark en mai 1989, la
Norvège en août 1993 et la Suède en août 1994. Ces
unions ont reçu un statut proche du mariage qui exclut toutefois la
cérémonie religieuse et la charge d'enfants (pas d'adoption, pas
d'insémination, pas de garde conjointe après divorce).
Dans les trois pays, un enregistrement statistique a accompagné la
reconnaissance administrative. Une mesure du flux annuel des nouveaux
" partenariats " est ainsi possible. De nombreux traits sont communs
aux trois pays :
- les unions sont majoritairement masculines (à deux tiers contre un
tiers d'unions féminines) ;
- les toutes premières années, les flux s'amenuisent avant de se
stabiliser. Des situations anciennes ont d'abord été
régularisées, mais un régime de croisière semble
avoir été atteint en moins de 4 ans au Danemark, moins de 2 ans
en Norvège et peut-être en Suède ;
- la perte du conjoint frappe beaucoup plus lourdement les hommes que les
femmes, sous l'effet du sida. Cette mortalité est sensiblement plus
forte que celle des mariés. En revanche, il semble que la
fréquences des ruptures d'union ne diffère guère de celle
des divorces pour les mariés.
Si on ramenait les résultats observés dans chaque pays à
une population de même taille, par exemple 60 millions d'habitants,
le flux annuel de nouvelles unions homosexuelles se stabiliserait autour de
2.200 à 4.000 personnes (1.100 à 2.000 unions par an),
dans un pays de la taille de la France, après avoir été
sensiblement plus élevé les toutes premières années.
Aux Pays-Bas, depuis le 1
er
janvier 1998, toutes les
municipalités peuvent enregistrer, dans le cadre d'une
législation unique, les unions homosexuelles et
hétérosexuelles. Dans les huit premiers mois de l'année,
on aurait dénombré 1.300 des premières et
2.100 des secondes.
Le nombre des unions hétérosexuelles est à comparer au
nombre global des cohabitations qu'on estime à 600.000, soit quatre fois
moins qu'en France pour un pays quatre fois moins peuplé. En
année pleine, on pourrait observer environ 3.000 unions
hétérosexuelles aux Pays-Bas et 12.000 dans un pays de la
taille de la France. A titre de comparaison, on estime à environ 20.000
le nombre de cohabitations qui auraient donné lieu à mariage
chaque année en France, suite à la réduction de certains
de leurs avantages fiscaux (amendement de Courson).
Au total, si on en croit les expériences étrangères, le
nombre d'unions légalisées chaque année reste modeste pour
les couples homosexuels car ceux-ci sont peu nombreux, et pour les
hétérosexuels dont l'immense majorité se maintient
en-dehors de la nouvelle loi.
Il est cependant essentiel que soit prévu un enregistrement rigoureux de
ces unions, à double titre, civil et statistique. Au plan civil,
rappelons que les registres de l'église catholique ont été
institués il y a quatre siècles pour éviter la polygamie.
Par exemple, un veuf n'était autorisé à se remarier qu'en
prouvant la mort de son ancienne épouse, ce dont pouvait attester
l'enregistrement de sa sépulture. Aujourd'hui, une union légale,
mariage ou autre, ne peut être conclue que par celui qui peut prouver
qu'il n'est pas déjà " engagé ", sous une forme
ou sous une autre. La preuve la plus satisfaisante est celle donnée par
les mentions marginales des actes d'état civil. Il est en outre
précieux d'utiliser cette base pour une mesure statistique du
phénomène permettant de saisir sa fréquence et celle des
ruptures ultérieures.
A l'exemple des pays étrangers, la loi française ne pourrait pas
se passer d'un enregistrement du PACS à l'état civil. Il serait
par ailleurs curieux qu'une loi donnée comme une adaptation du doit aux
moeurs ne se dote pas des moyens nécessaires permettant de mesurer la
portée de son application.