II. UN DISPOSITIF MODESTE
Le
projet de loi d'orientation agricole consacre son titre VI à la
formation des personnes, au développement agricole et à la
recherche agronomique et vétérinaire
Ce titre qui comporte 15 articles n'apporte que des modifications de
portée limitée au dispositif législatif issu des lois de
1984.
Les principales dispositions du titre VI du projet de loi répondent
à trois préoccupations :
- actualiser les lois de 1984 sur l'enseignement général,
technologique et professionnel agricole ;
- poursuivre la rénovation de l'enseignement supérieur
agricole ;
- et consacrer dans la loi la recherche agronomique.
Votre rapporteur a abordé l'examen de ces dispositions avec un souci
d'objectivité et d'efficacité. Sa première
préoccupation a été d'éviter qu'au prétexte
d'ajustements destinés à en actualiser les dispositions, les
équilibres et les principes des lois de 1984 ne soient remis en cause.
A. L'ACTUALISATION DES LOIS DE 1984 SUR L'ENSEIGNEMENT GÉNÉRAL, TECHNOLOGIQUE ET AGRICOLE
Les lois
de 1984 dites " lois Rocard " constituent le socle sur lequel
l'enseignement agricole a fondé son succès au cours des
dernières années. Celles-ci lui ont permis de remplir
parfaitement le rôle qui lui incombait en tant que composante du service
public de l'éducation : il a contribué à assurer
l'égalité des chances et la promotion de ses élèves
en même temps qu'il améliorait le niveau général de
formation dans des secteurs vitaux de l'économie nationale. En outre,
ces lois qui ont été adoptées, votre rapporteur le
rappelle, à l'unanimité pour la loi du 9 juillet 1984 et sans
vote contre pour celle du 31 décembre 1984, ont instauré un
équilibre entre enseignement public et enseignement privé
agricoles que nul n'a songé jusqu'ici à remettre en cause.
A ce titre, votre rapporteur ne peut que se féliciter que le projet de
loi qui nous est soumis ne porte pas atteinte à l'architecture de ce
dispositif, même si certaines de ses dispositions semblent
méconnaître les intentions du législateur de 1984.
•
La première série de modifications proposées
par le projet de loi vise à " dépoussiérer " les
lois de 1984
A ce titre, le projet de loi modifie les dispositions des articles
L. 811-1 et L. 811-2 du code rural précisant les missions et
l'architecture de l'enseignement et de la formation professionnelle agricoles
publics.
Le projet de loi conserve les quatre missions traditionnelles de l'enseignement
agricole que sont la formation initiale et continue, la participation à
l'expérimentation et au développement, l'animation du milieu
rural et la coopération internationale. Il redéfinit les champs
professionnels couverts par l'enseignement et la formation professionnelle
agricoles. Cette redéfinition ne constitue pas en elle-même une
révolution. Centrée sur les métiers agricoles, qui sont au
demeurant entendus au sens large, elle tient également compte des
formations dans les domaines de l'aménagement rural et des services dans
la mesure où elles concourent à leur développement. Votre
rapporteur se félicite de la reconnaissance de ces formations qui ont
connu un vif succès auprès des jeunes et qui constituent une
nécessité pour relever le pari de la multifonctionnalité
de l'agriculture.
Toutefois, le projet de loi restreint le champ d'application des articles
L. 811-1 et L. 811-2 aux formations allant de la classe de
quatrième à la fin du premier cycle de l'enseignement
supérieur inclus, ce qui recouvre l'enseignement usuellement
qualifié de " technique " c'est-à-dire l'enseignement
de niveau scolaire, le BTS et les années post BTS ou encore les classes
préparatoires aux grandes écoles. Cette modification des
dispositions actuellement en vigueur est contraire à l'esprit de la loi
du 9 juillet 1984 comme à celui ayant présidé
à leur codification, ces dispositions ayant vocation à
s'appliquer à l'ensemble de l'enseignement agricole.
En outre, elle introduit une rupture dans l'équilibre entre
l'enseignement public et l'enseignement privé. Si le projet de loi
respecte la stricte identité des missions de ces derniers, il marque une
disparité dans le champ de leurs formations. En effet, s'il
prévoit que l'enseignement technique public s'étend jusqu'au
premier cycle de l'enseignement supérieur inclus, il borne
l'enseignement technique privé à la dernière année
de formation des techniciens supérieurs, ce qui a pour
conséquence d'interdire aux établissements contractant avec
l'Etat dans le cadre de l'article L. 813-1 d'ouvrir des classes
post-baccalauréats autres que les BTS.
Votre rapporteur vous proposera de revenir sur cette disparité
introduite par le projet de loi qu'aucune considération objective ne
justifie et qui remet en cause l'équilibre entre enseignements public et
privé voulu par la loi de 1984.
Dans le même souci d'actualiser les textes de 1984, le projet de loi
propose également de modifier les dispositions du code rural relatives
à la structure des établissements publics locaux d'enseignement
agricole. L'article 53 prévoit ainsi que les lycées
d'enseignement général et technologique agricole, les
lycées professionnels agricoles, les centres de formation
professionnelle et les centres de formation d'apprentis ainsi que les
exploitations agricoles et les ateliers pédagogiques dont ces derniers
disposent sont regroupés au sein d'établissements publics locaux
d'enseignement et de formation professionnelle agricoles (EPLEFPA).
Cette nouvelle structure des établissements publics d'enseignement ne
constitue pas un changement fondamental dans la mesure où elle avait
déjà été retenue lors de la rédaction des
décrets d'application de la loi de 1984, la seule innovation
résultant d'un amendement adopté par l'Assemblée nationale
prévoyant une harmonisation des statuts des lycées professionnels
agricoles et des lycées d'enseignement général et
technologique agricoles que votre rapporteur vous proposera de préciser.
•
Une seconde série de modifications assure la coordination
des textes de 1984 avec des lois intervenues postérieurement à
leur adoption.
Le projet de loi tire en premier lieu les conséquences de la loi
n° 89-486 d'orientation sur l'éducation du 10 juillet
1989. Au-delà d'ajustements rédactionnels, les modifications
proposées concernent essentiellement l'autonomie pédagogique des
établissements. Les articles 53 et 59, respectivement pour
l'enseignement public et l'enseignement privé, disposent que les
établissements d'enseignement élaborent des projets
d'établissement. On soulignera que ces dispositions n'étaient
guère nécessaires dans la mesure où, comme le
précise déjà l'article L. 810-1 du code rural, les
dispositions de la loi de 1989 "
s'appliquent aux formations,
établissements et personnels qui relèvent du ministre de
l'agriculture
".
Plus opportunément, le projet de loi propose de compléter la
rédaction du code rural afin de tenir compte de l'article 52 de la loi
quinquennale n° 93-1313 du 20 décembre 1993 relative à
l'emploi et à la formation professionnelle créant les programmes
régionaux de développement des formations professionnelles des
jeunes.
De même, les articles 52 et 59 tirent pour les formations agricoles les
conséquences de la nouvelle organisation en cycles du collège
résultant de la loi n° 95-836 du 13 juillet 1995 de
programmation du " nouveau contrat pour l'école ". Alors que
le deuxième cycle du collège est désormais
constitué des classes de cinquième et de quatrième, le
projet de loi consacre l'organisation actuelle en maintenant pour les
formations agricoles la possibilité de débuter en classe de
quatrième.
B. LA RELANCE DE LA MODERNISATION DE L'ENSEIGNEMENT SUPÉRIEUR
Plus
novatrices sont les dispositions du projet de loi d'orientation concernant
l'enseignement supérieur, même si les modifications qu'elles
proposent sont d'inégale importance.
• L'article 55 témoigne d'une volonté louable
d'affirmer l'importance de l'enseignement supérieur agricole public en
redéfinissant ses missions. Il s'agit là incontestablement d'une
bonne intention mais force est de constater que le texte proposé est de
portée plus déclarative que normative, reprenant, sous
réserve de quelques adaptations rédactionnelles, certaines des
dispositions du titre premier de la loi n° 84-52 du 26 janvier
1984 sur l'enseignement supérieur, qui est applicable à
l'enseignement supérieur agricole public.
De même, l'article 56 qui précise le statut des
établissements d'enseignement supérieur agricole publics n'est
guère novateur.
Jusqu'à présent, l'article L. 812-2 du code rural
précisait seulement que ces derniers jouissaient de la
personnalité civile et de l'autonomie financière et constituaient
des établissements publics nationaux, cet article n'excluant pas qu'ils
puissent prendre le statut d'établissement public à
caractère scientifique, culturel et professionnel (EPSCT) prévu
par la loi de 1984 sur l'enseignement supérieur, qu'il s'agisse de celui
d'université ou de celui, plus adapté à ces
établissements, d'instituts ou d'écoles extérieurs aux
universités.
A l'exception de cette disposition, aucune prescription législative
générale ne s'appliquait aux établissements d'enseignement
supérieur agricole publics dont les statuts ne relevaient pas de la loi
de 1984. On soulignera qu'il s'agit là du cas de la
quasi-totalité des établissements d'enseignement supérieur
agricole, un seul d'entre eux bénéficiant du statut d'EPSCT.
Afin de remédier à cette lacune, le projet de loi propose un
cadre général susceptible de leur être appliqué,
dont les règles sont proches de celles prévues par les articles
34 à 36 de la loi de 1984 pour les instituts et écoles
extérieurs aux universités. L'article 56 prévoit, en
effet, que ces établissements sont administrés par un conseil
d'administration et dirigés par un directeur. Ce dispositif, s'il
demeure très général, offre des garanties propres à
assurer un fonctionnement démocratique des établissements et
à permettre leur ouverture vers le monde économique et
professionnel. En effet, il prévoit, d'une part, que la
représentation des enseignants-chercheurs et des autres enseignants
constitue au moins 20 % du total des sièges au conseil
d'administration et, d'autre part, que le président du conseil
d'administration est élu parmi les personnes extérieures à
l'établissement n'assurant pas la représentation de l'Etat. Par
ailleurs, les modalités d'exercice de la tutelle sont relativement
souples.
• En revanche, trois des dispositions du projet de loi d'orientation
concernant l'enseignement supérieur apparaissent plus novatrices.
D'une part, il est précisé à l'article 55 que le ministre
chargé de l'enseignement supérieur est associé à la
tutelle et à la définition du projet pédagogique des
établissements d'enseignement supérieur agricole.
Ce principe correspond à la volonté exprimée par le
Premier ministre de confier au ministre de l'éducation nationale, de la
recherche et de la technologie la coordination des décisions du
gouvernement relatives à l'enseignement supérieur, volonté
qui s'est déjà traduite par le regroupement des crédits
qui lui sont consacrés, y compris ceux inscrits au budget du
ministère de l'agriculture, dans une annexe budgétaire
intitulée " budget coordonné de l'enseignement
supérieur ".
Votre rapporteur veut voir dans cette disposition la manifestation du souci de
garantir la cohérence des formations supérieures et de favoriser
la collaboration entre établissements d'enseignement. Par ailleurs,
celle-ci doit être comprise dans le cadre du principe affirmé
à l'article L. 811-1 du code rural selon lequel l'enseignement
et la formation professionnelle agricoles relèvent du ministre de
l'agriculture. En effet, elle ne doit pas préluder à un
démembrement de l'enseignement agricole, les formations
supérieures incombant au ministre de l'éducation nationale et les
formations techniques au ministre de l'agriculture. Votre rapporteur souligne
que cette distinction n'aurait au demeurant guère de sens et serait
difficile à mettre en oeuvre pour l'enseignement agricole dont les
formations supérieures courtes sont dispensées dans des
établissements du second degré. Si elle était
appliquée, elle ne pourrait que remettre en cause les filières de
promotion qui constituent un des succès les plus évidents de
l'enseignement agricole.
D'autre part, deux dispositions du projet de loi concourent à la relance
de la rénovation de l'enseignement supérieur.
L'article 55 prévoit que les établissements d'enseignement
supérieur peuvent être habilités par le ministre
chargé de l'enseignement supérieur après avis conforme du
ministre chargé de l'agriculture, à délivrer dans leurs
domaines de compétences, seuls ou conjointement avec des EPSCT, des
diplômes de troisième cycle. Cette disposition correspond à
une nécessité, les formations de troisième cycle
s'étant mises en place dans l'enseignement supérieur agricole, en
l'absence de cadre juridique, en collaboration avec des universités.
Par ailleurs, adaptant une disposition prévue pour les EPSCT par la loi
de 1984, l'article 57 du projet de loi ouvre la possibilité aux
établissements d'enseignement supérieur agricoles publics de
constituer, entre eux ou avec d'autres personnes morales de droit public ou de
droit privé, un groupement d'intérêt public (GIP)
doté de la personnalité morale et de l'autonomie
financière. Les finalités de ces GIP recouvrent celles
visées par les lois de 1982 sur la recherche
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*
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et de 1984 sur l'enseignement
supérieur mais visent également la création de pôles
de compétences à vocation internationale, ce qui correspond au
souhait d'améliorer la lisibilité de l'enseignement
supérieur agricole.
Votre rapporteur relève qu'en dépit de leur opportunité,
ces dispositions ne peuvent permettre à elles seules une
rénovation en profondeur de l'enseignement supérieur agricole.
Celle-ci exige des moyens budgétaires qui jusqu'à présent
ont fait défaut, le projet de loi de finances pour 1999 confirmant
malheureusement cette tendance.
C. LA CONSÉCRATION LÉGISLATIVE DE LA RECHERCHE AGRONOMIQUE ET VÉTÉRINAIRE
Enfin,
le projet de loi d'orientation consacre dans la loi l'existence de la recherche
agronomique et vétérinaire. Depuis 1984, il n'existe plus de
dispositions de nature législative applicables à la recherche
agronomique. En effet le décret n° 84-1120 du 14
décembre 1984 avait déclassé les dispositions qui avaient
été reprises dans la partie législative du livre VIII
révisé en 1980.
L'article 64, à l'instar de l'article 63 pour le développement
agricole, en précise en termes très généraux les
missions et l'organisation.
De telles dispositions dont votre rapporteur a souhaité préciser
et clarifier la rédaction ont une portée normative très
faible, si l'on prend en compte le principe selon lequel "
la loi
ordonne, permet ou interdit
".
Votre rapporteur relèvera qu'un des mérites du dispositif
proposé par le gouvernement est de souligner la mission d'expertise qui
incombe à la recherche agronomique et vétérinaire. En
effet, celle-ci ne semble pas aujourd'hui assumée de manière
satisfaisante par les organismes publics de recherche, comme l'ont
prouvé les difficultés rencontrées par les pouvoirs
publics lors de la crise de l'encéphalite spongiforme bovine pour
disposer d'experts dotés des compétences comme de
l'indépendance nécessaires.