N°
132
SÉNAT
SESSION ORDINAIRE DE 1998-1999
Annexe au procès-verbal de la séance du 16 décembre 1998
AVIS
PRÉSENTÉ
au nom de la commission des Affaires culturelles (1) sur le projet de loi d'orientation agricole , ADOPTÉ PAR L'ASSEMBLÉE NATIONALE APRÈS DÉCLARATION D'URGENCE,
Par M.
Albert VECTEN,
Sénateur.
(1)
Cette commission est composée de :
MM. Adrien Gouteyron,
président
; Jean Bernadaux, James Bordas, Jean-Louis
Carrère, Jean-Paul Hugot, Pierre Laffitte, Ivan Renar,
vice-présidents
; Alain Dufaut, Ambroise Dupont, André
Maman, Mme Danièle Pourtaud,
secrétaires
;
MM. François Abadie, Jean Arthuis, Jean-Paul Bataille, Jean
Bernard, André Bohl, Louis de Broissia, Jean-Claude Carle, Michel
Charzat, Xavier Darcos, Fernand Demilly, André Diligent, Michel
Dreyfus-Schmidt, Jean-Léonce Dupont, Daniel Eckenspieller, Jean-Pierre
Fourcade, Bernard Fournier, Jean-Noël Guérini, Marcel Henry, Roger
Hesling, Pierre Jeambrun, Serge Lagauche, Robert Laufoaulu, Jacques Legendre,
Serge Lepeltier, Louis Le Pensec, Mme Hélène Luc,
MM. Pierre Martin
,
Jean-Luc Miraux, Philippe Nachbar,
Jean-François Picheral, Guy Poirieux, Jack Ralite, Victor Reux,
Philippe Richert, Michel Rufin, Claude Saunier, Franck Sérusclat,
René-Pierre Signé, Jacques Valade, Albert Vecten, Marcel Vidal.
Voir les numéros
:
Assemblée nationale (11
ème législ.) :
977
,
1058
et T.A.
191
.
Sénat
:
18
et
129
(1998-1999).
Agriculture.
INTRODUCTION
Mesdames, Messieurs,
Votre commission s'est saisie pour avis des dispositions du titre VI du projet
de loi d'orientation agricole, adopté par l'Assemblée nationale
après déclaration d'urgence le 13 octobre 1998, qui est
consacré à la formation des personnes, au développement
agricole et à la recherche agronomique et vétérinaire.
Le projet de loi d'orientation ne comporte pas en matière d'enseignement
et de formation professionnelle agricoles d'avancées significatives. A
l'exception de quelques dispositions novatrices qui concernent pour l'essentiel
l'enseignement supérieur, le projet de loi d'orientation se contente
d'actualiser les dispositions des lois du 9 juillet et du 31 décembre
1984.
Néanmoins, cette modestie, qui peut surprendre pour un projet de loi de
ce genre, présente un avantage dans la mesure où elle
préserve l'architecture de l'enseignement agricole issue des lois de
1984.
Le cadre qu'elles ont tracé a, en effet, permis à l'enseignement
agricole de remplir parfaitement le rôle qui lui incombait en tant que
composante du service public de l'éducation. Depuis près de
quinze ans, il a contribué à assurer l'égalité des
chances et la promotion de ses élèves en même temps qu'il a
amélioré le niveau général de formation dans des
secteurs vitaux de l'économie.
C'est avec un souci d'objectivité et d'efficacité que votre
rapporteur a souhaité répondre à l'invitation
adressée par le ministre de l'agriculture au législateur
d'améliorer le texte du gouvernement. Les modifications proposées
répondent, en premier lieu, à la volonté de
réaffirmer les principes et les équilibres issus des lois de
1984, cette continuité législative étant le gage de la
pérennité du succès de l'enseignement agricole. La
préoccupation de votre rapporteur a été, en effet,
d'éviter qu'au prétexte d'ajustements destinés à en
actualiser la rédaction, ne soient remises en cause des dispositions qui
ont été unanimement acceptées et qui ont fait preuve de
leur efficacité. En outre, parce que la loi doit répondre
à un impératif de clarté, ses propositions visent à
simplifier le texte qui nous est soumis et à assurer la cohérence
des dispositions du code rural consacrées à l'enseignement
agricole.
I. L'ENSEIGNEMENT ET LA FORMATION PROFESSIONNELLE AGRICOLE : UN BILAN SATISFAISANT
Avant
d'en venir à la présentation des dispositions du projet de loi,
votre rapporteur esquissera un bilan de l'enseignement et de la formation
professionnelle agricoles.
Plus de quatorze ans après le vote des lois de 1984 qui en ont
rénové le cadre législatif, l'enseignement et la formation
professionnelle agricoles présentent un bilan satisfaisant et ont su
faire preuve de leur dynamisme et de leurs capacités à s'adapter
aux nouvelles exigences du développement agricole et rural.
Si cette réussite est incontestable pour l'enseignement technique, force
est de constater qu'elle ne se manifeste pas avec autant d'éclat dans le
domaine de l'enseignement supérieur et de la recherche, dont la
rénovation a pris un retard certain.
L'organigramme ci-après détaille les formations agricoles, du
certificat d'aptitude professionnelle agricole aux formations
supérieures de troisième cycle.
A. L'ENSEIGNEMENT GÉNÉRAL, TECHNOLOGIQUE ET PROFESSIONNEL AGRICOLE : UNE FILIÈRE DE RÉUSSITE.
1. Les bonnes performances de l'enseignement technique agricole
•
Des effectifs en augmentation
A la rentrée 1998, 177 900 élèves étaient
inscrits dans l'enseignement agricole contre 130 000 en 1984, soit une
augmentation de plus de 36 %. Ces effectifs se répartissent entre
les établissements publics (72 123 élèves) et les
établissements privés (105 777 élèves).
La stagnation des effectifs de l'enseignement agricole a été,
avec le trop faible niveau de qualification auquel il conduisait ses
élèves et sa spécialisation trop étroite, une des
raisons qui ont conduit à le réformer profondément
à la suite des lois de 1984.
Ses effectifs n'avaient, en effet, guère évolué entre 1971
et 1982. Entre 1985 et 1992, leur progression a été
régulière mais est restée très lente, ne
dépassant pas 3 % sur l'ensemble de la période. Cela n'a
été qu'à partir de la rentrée 1993 qu'est
intervenue une rupture, les effectifs augmentant de 25 % entre 1993 et
1997, cette évolution étant due à l'allongement de la
scolarité. Les deux dernières rentrées ont
été marquées par un ralentissement du rythme de
progression des effectifs, celui-ci étant ramené à
3 % à la rentrée 1997 et à 2 % à la
rentrée 1998. Cette évolution résulte essentiellement de
phénomènes qu'a connu dès les années 1980
l'éducation nationale : arrivée de classes d'âge moins
nombreuses et tassement de l'effet " volume " lié à
l'allongement des études.
L'enseignement agricole, qui a connu avec retard les mêmes
évolutions que l'éducation nationale, semble désormais
être arrivé à maturité.
Ce regain d'intérêt pour l'enseignement agricole a concerné
tous les niveaux d'enseignement. Comme le montrent les travaux de
l'Observatoire national de l'enseignement agricole, le modèle
d'entrée dans l'enseignement agricole s'est profondément
transformé, les jeunes issus de l'éducation nationale
étant de plus en plus attirés par cette filière de
formation et cet attrait se manifestant désormais à tous les
niveaux de l'enseignement et non plus seulement pour les seules formations
courtes de niveaux V et VI (4e, 3e, classe préparatoire à
l'apprentissage, CAPA, BEPA), comme cela avait été longtemps le
cas. Depuis la rentrée 1993, dans les formations de niveau IV (BTSA) ou
III (baccalauréats, BTA), les élèves issus de
l'éducation nationale sont désormais plus nombreux que ceux issus
de l'enseignement agricole. Cette évolution s'est traduite par une
diversification de l'origine socioprofessionnelle des élèves. A
la rentrée scolaire 1997, les élèves issus de familles
d'agriculteurs exploitants ou de salariés agricoles ne
représentaient plus que 21,3 % des effectifs, contre 36,53 %
à la rentrée 1989.
Le renouveau des filières agricoles concerne également la
formation par l'apprentissage. Après une longue phase de stagnation
entre 1977 et 1991, années durant lesquelles les effectifs
étaient restés stables, le nombre des apprentis a doublé
passant de 10 145 à 21 010 en 1996. Cette évolution
s'explique notamment par la diversification des diplômes
préparés qui, esquissée dès 1988, a
été encouragée par la décentralisation de la
formation professionnelle et de l'apprentissage résultant des lois de
1992 et de 1993. Les politiques régionales conduites en ces domaines
ont, en effet, visé à la fois l'ouverture de l'éventail
des diplômes et la diversification des secteurs de formation. Il est
à ce titre significatif de relever que de 1995 à 1996 les
effectifs ont progressé de 35 % dans les formations de niveau IV et
de 30 % dans les formations de niveau III.
•
Une filière de réussite
Les résultats aux examens et aux diplômes comme les conditions
d'insertion professionnelle des diplômés expliquent en grande
partie le succès de cet enseignement auprès des jeunes.
Les taux de réussite aux examens connaissent depuis 1984 une tendance
constante à l'amélioration. Conjuguée au bon
fonctionnement des filières de promotion qui permettent aux jeunes
d'accéder à leur rythme au brevet de technicien agricole ou au
baccalauréat, voire au brevet de technicien supérieur agricole,
cette évolution s'est traduite par un accroissement du niveau de
qualification des élèves de l'enseignement agricole.
L'enseignement agricole est donc devenu une
filière de
réussite
, cette situation expliquant notamment le succès
rencontré au cours des dernières années par les
filières courtes perçues comme une voie d'accès à
des qualifications plus élevées. Ainsi, la dernière
enquête statistique concernant les titulaires du BEPA indiquait que dans
les quatre ans suivant l'obtention de leur diplôme, 70,4 % d'entre
eux poursuivaient ou reprenaient leurs études et parmi ces derniers,
63,3 % obtenaient un diplôme de niveau IV et près de
30 % effectuaient ensuite des études supérieures.
Au-delà,
les performances de l'enseignement agricole en
matière d'insertion professionnelle de ses diplômés, qui en
font une exception au sein de l'enseignement technologique et professionnel,
sont incontestablement l'explication la plus évidente de son
succès auprès des jeunes
. En dépit de l'augmentation
des effectifs et de la progression concomitante du chômage des jeunes,
les taux d'insertion professionnelle des diplômés demeurent
satisfaisants voire progressent pour certaines formations, même si, comme
dans l'enseignement général, ils s'élèvent avec le
niveau de qualification des diplômés.
D'après les résultats des dernières enquêtes
réalisées par le ministère de l'agriculture, le taux
d'insertion, défini comme le nombre de diplômés ayant un
emploi quatre ans après l'obtention de leurs diplômes, atteint
65,5 % pour les titulaires du brevet d'études professionnelles
agricoles (BEPA), 78 % pour les titulaires du brevet de technicien
agricole (BTA) et 89,4 % pour les titulaires du brevet de technicien
supérieure agricole (BTSA).
A l'évidence, si les diplômés de l'enseignement agricole
ont subi les conséquences de la dégradation du marché du
travail, comme en témoignent la progression des taux de chômage ou
l'allongement des délais d'entrée dans la vie active, les
formations agricoles débouchent plus que celles de l'enseignement
relevant de l'éducation nationale sur l'emploi.
A ce titre, l'enseignement agricole apparaît comme un enseignement qui
marche. Loin d'être perçu comme une voie de relégation ou
d'échec, il représente pour les jeunes une orientation souvent
réussie et, à ce titre, a su renouveler l'intérêt
des jeunes pour les professions agricoles et para-agricoles.
2. Des formations rénovées
Depuis
1985, les formations de l'enseignement agricole, auxquelles on reprochait
jusque-là leur spécialisation trop étroite, ont
été profondément rénovées, ce qui a
notamment permis de faciliter les changements d'orientation et les poursuites
d'études.
L'adaptation des formations aux besoins nouveaux de qualification,
engagée avec la rénovation du BTA, a concerné la
quasi-totalité des niveaux et des spécialités. Des
programmes nouveaux ont été élaborés pour
l'ensemble des BEPA et des BTSA ainsi que pour les CAPA les plus
représentés.
Durant la même période, ont été mises en place de
nouvelles formations
qui ont permis de consacrer le rôle de
l'enseignement agricole au sein du système national d'éducation
et de formation. Ainsi, a été organisé un
baccalauréat scientifique qui constitue un parcours propre au sein de
l'enseignement agricole. Les premières classes des quatre séries
de baccalauréats professionnels spécifiques, créés
dans le cadre d'un règlement général élaboré
conjointement par les ministres de l'agriculture et de l'éducation
nationale, ont été ouvertes en 1996. Enfin, le
baccalauréat technologique dont le règlement est également
cosigné par les ministères de l'agriculture et de
l'éducation nationale connaît un succès qui ne s'est pas
démenti depuis sa mise en place en 1993.
B. L'ENSEIGNEMENT SUPÉRIEUR ET LA RECHERCHE : UNE RÉNOVATION ENCORE INACHEVÉE
1. L'enseignement supérieur et la recherche agronomique : une organisation peu lisible
L'enseignement supérieur agricole qui est
constitué
d'un réseau de 26 établissements, dont sept d'entre eux sont
des établissements privés sous contrat, compte plus de 11 000
étudiants.
La rénovation de cet enseignement qui souffre depuis longtemps d'une
insuffisance de ses moyens de fonctionnement et de la misère de ses
équipements reste encore largement à faire.
La rénovation des formations
nécessaire à leur
adaptation aux nouveaux enjeux économiques, sociaux et professionnels
n'a été engagée que tardivement
. La mise en place
de la nouvelle organisation des études vétérinaires, qui
permet aux étudiants grâce à la mise en place des
formations spécialisées de diversifier leurs
débouchés professionnels, n'a commencé qu'en 1995 et n'est
pas encore totalement achevée. Ce n'est qu'en 1997 qu'ont
été réorganisées les filières du secteur de
l'horticulture et du paysage. L'adaptation des formations d'ingénieurs,
qui ont fait l'objet d'une première évaluation en 1997, reste
à réaliser : elles souffrent, en dépit de leur
incontestable qualité, de leur émiettement et d'une
spécialisation souvent jugée trop étroite. Cette
adaptation aux besoins nouveaux de formation s'avère nécessaire,
comme en témoigne le développement au sein des écoles
d'ingénieurs des formations de troisième cycle qui concernent
aujourd'hui 44 diplômes d'études approfondies (DEA) et 16
diplômes d'études supérieurs spécialisées
(DESS) et sont suivies par plus d'un millier d'étudiants.
En outre,
l'enseignement supérieur, comme la recherche agronomique et
vétérinaire, est handicapé par la taille souvent trop
modeste de ses établissements et par leur faible propension à
collaborer tant entre eux qu'avec l'université ou les autres organismes
publics de recherche
.
Le rapport de notre excellent collègue Pierre Laffitte remis en 1994
à M. Jean Puech, ministre de l'agriculture et de la pêche,
soulignait déjà la nécessité pour l'enseignement
supérieur de constituer, en collaboration avec les universités et
les organismes de recherche, des pôles régionaux susceptibles de
bénéficier d'un rayonnement international.
Depuis, différentes formules de regroupement entre établissements
d'enseignement supérieur et de recherche agricoles ont été
expérimentées afin de mettre en place de tels pôles de
compétences. Ainsi, Agromip (Agro-Midi-Pyrénées) qui a son
siège à Toulouse a été constitué en 1985 et
rassemble 9 organismes de recherche et d'enseignement supérieur.
Agropolis, Agrena ou encore Europol'agro, situées respectivement
à Montpellier, à Rennes et à Reims, répondent
à la même nécessité en fédérant
établissements d'enseignement supérieur, organismes de recherche
et universités.
Ces initiatives qui doivent beaucoup, il importe de le souligner, aux efforts
consentis par les collectivités locales, ne permettent pas encore, aussi
réussies qu'elles soient, à l'enseignement supérieur
agricole et à la recherche agronomique et vétérinaire de
mener à bien leur nécessaire restructuration.
2. Une modernisation nécessaire
L'importance des questions scientifiques posées dans les
domaines de la sécurité alimentaire et de la protection de
l'environnement comme dans celui, déterminant pour l'avenir de notre
agriculture, de la valorisation non alimentaire des produits agricoles justifie
que soit consenti un effort de rénovation de l'enseignement
supérieur agricole et de la recherche agronomique et
vétérinaire.
Une collaboration entre organismes de recherche et établissements
d'enseignement supérieur s'impose afin de bénéficier des
compétences d'expertise scientifique qui font encore défaut et de
mettre la recherche au service de la compétitivité de
l'agriculture et du secteur de la transformation.
La loi n° 98-535 du 1er juillet 1998 relative au renforcement de la
veille sanitaire et du contrôle de la sécurité sanitaire
des produits destinés à l'homme en a retenu le principe. En
effet, elle prévoit l'intégration du Centre national
d'études vétérinaires et alimentaires (CNEVA) au sein de
l'Agence française de sécurité sanitaire des aliments. De
même, cette agence se voit attribuer un rôle de coordination et de
contrôle de l'action des différents établissements oeuvrant
en ce domaine à l'image de l'INRA (Institut national de recherche
agronomique), du CNRS (centre national de la recherche scientifique) ou de
l'INSERM (Institut national de la santé et de la recherche
médicale).