III. LES MOTIFS DE RESERVE
Certains dossiers sont pour votre commission des motifs de réserve. C'est le cas de la loi relative à l'abaissement de la durée légale de travail à 35 heures, de la complexité du bulletin de paie -qui reste encore une source importante de difficulté pour les petits entrepreneurs-, du développement insuffisant de la formation par alternance, mais aussi de dossiers plus sectoriels, telle que la suppression du commerce hors taxes intracommunautaire.
A. L'ABAISSEMENT DE LA DUREE LÉGALE DE TRAVAIL À 35 HEURES
Cette
année aura été marquée par l'adoption de la loi du
13 juin 1998 d'orientation et d'incitation, relative à la
réduction du temps de travail. Cette loi prévoit la
réduction de la durée légale du travail effectif des
salariés à trente-cinq heures par semaine, à compter du
1er janvier 2000 pour les entreprises de plus de 20 salariés,
et à compter du 1er janvier 2002 pour les entreprises plus petites.
Votre commission estime que cette mesure, en imposant une réduction
obligatoire et uniforme du temps de travail, ne permet pas de prendre en compte
la diversité des situations des entreprises et risque, en l'état,
d'être plus un frein à l'activité des PME qu'un moteur pour
l'emploi.
1. La réduction du temps de travail, telle qu'elle est définie, pourrait constituer un obstacle à l'activité des PME
Comme
l'a souligné le rapport de la commission d'enquête du Sénat
sur le passage aux trente-cinq heures
5(
*
)
, grandes et petites entreprises ne
sont pas dans une situation d'égalité pour plusieurs
raisons :
- d'une part, l'indivisibilité de l'emploi. Si, sur de grands
effectifs, il est possible de compenser les heures de travail perdues par des
embauches, cela est beaucoup plus difficile pour des petites unités. Les
quelques heures perdues risquent, en effet, de ne pas être
compensées, l'entreprise ne pouvant embaucher une personne suffisamment
polyvalente pour compléter, poste par poste, la durée du travail
nécessaire ;
- d'autre part, les gains de productivité, susceptibles de
compenser l'effet de la réduction du temps de travail, sont
réduits dans certains secteurs comme les commerces et les services, du
fait de la nature même des activités concernées ;
Dans ces conditions, l'application des 35 heures aux PME, en pesant sur
leur compétitivité, risque d'avoir
l'effet inverse
de
celui recherché.
Le comportement des PME depuis l'adoption de la loi est, à cet
égard, intéressant. Alors que le dispositif proposé est
assorti d'un système d'aide avantageux
qui permet aux entreprises,
qui s'engagent à augmenter leurs effectifs de 6 % par une
réduction du temps de travail de 10 % avant le 30 juin 1999,
de bénéficier d'un abattement de 9 000 francs par an et
par salarié pendant cinq ans,
un récent sondage
réalisé par UFB Locabail montre que seule une PME sur cinq est
prête à passer aux 35 heures avant le
1
er
janvier 2000.
2. Des aménagements indispensables pour atténuer les effets pervers d'une réduction autoritaire de la durée légale
Si la
réduction du temps de travail peut être une voie pour
réduire le chômage, elle ne doit être qu'une démarche
volontaire de l'entreprise, de façon à respecter ses horaires et
les contraintes de son environnement économique. En privilégiant
un dispositif autoritaire de réduction du temps de travail par rapport
à une démarche volontaire, le dispositif proposé risque
d'être contre-productif, à moins qu'un certain nombre
d'aménagements n'y soient apportés.
Depuis le vote de la loi, des négociations de branches sur la
réduction du temps de travail ont débouché sur des accords
dans plusieurs secteurs, dont la métallurgie, l'artisanat du
bâtiment et l'industrie sucrière.
Ces accords ont montré que la négociation collective était
susceptible d'introduire dans le dispositif des éléments de
flexibilité, notamment grâce à l'augmentation du contingent
d'heures supplémentaires, à la réduction des majorations
salariales pour les heures supplémentaires effectuées
au-delà de la durée légale et à l'annualisation du
temps de travail.
Dans cette perspective, votre commission souhaite que le Gouvernement
s'inspire de ces accords pour l'élaboration du projet de loi qui
devrait, en 1999, fixer le régime des heures supplémentaires et
le taux exact de leur majoration et n'impose pas aux entreprises de contraintes
supplémentaires, à contre-courant de leurs activités et de
leurs réussites économiques.
B. UN BULLETIN DE PAIE ENCORE TROP COMPLEXE
Votre
rapporteur pour avis regrette, cette année encore, que le Gouvernement
n'ait pas mis en oeuvre une réelle simplification du bulletin de paie
pour les petites et moyennes entreprises.
Il note également que quatre ans et demi après la promulgation de
la loi du 11 février 1994 relative à l'initiative et
à l'entreprise individuelle, le décret d'application de
l'article 32 de cette loi qui porte sur les formalités prescrites
en matière sociale reste à paraître.
Ce dispositif de simplification, qui permet de regrouper sur un support unique
l'ensemble des déclarations aux différents organismes sociaux et
d'appliquer une assiette commune pour le calcul de certaines cotisations
sociales, a déjà fait l'objet d'expérimentation, dont le
bilan est concluant.
Alors que les PME attendent avec impatience toutes mesures susceptibles de
supprimer les nombreuses formalités auxquelles elles sont soumises, il
faut que les organismes et administrations concernés passent les
conventions nécessaires pour faire avancer la situation.
Le jour où les entreprises, et notamment les plus petites d'entre
elles, pourront établir une seule déclaration, sur un seul
support, pour un seul destinataire et régler en un seul chèque
l'ensemble de leurs cotisations sociales, la France aura franchi un pas
important dans l'efficacité.
C. LE DÉVELOPPEMENT INSUFFISANT DE LA FORMATION EN ALTERNANCE
Le
rôle encore trop limité de la formation en alternance dans les
dispositifs d'insertion des jeunes est, pour votre rapporteur pour avis, un
motif d'insatisfaction et une source de perplexité.
Ce mode de formation est, en effet, d'une réelle efficacité.
Dans les secteurs de l'artisanat et du commerce, les contrats de qualification
et d'apprentissage conduisent dans 85 % des cas à l'embauche des jeunes
dans l'entreprise où ils ont effectué leur formation. Il s'agit
donc là d'un des dispositifs d'insertion des jeunes les plus performants
et les moins coûteux.
Or, en dépit de l'augmentation récente du nombre des contrats de
formation en alternance ce type de formation reste encore peu
développé.
Dans un contexte où plus de 500 000 personnes de moins de 25 ans sont au
chômage, cette situation rend votre rapporteur pour avis sensible
à ces dispositifs qui ont fait leurs preuves, mais sur des effectifs qui
pourraient être beaucoup plus étoffés.
Votre rapporteur pour avis regrette, à ce propos, la diminution des
crédits alloués aux contrats d'apprentissage, qui passent de 343
millions de francs en 1998 à 269 millions de francs pour 1999. Il
apparaît, en effet, injustifié de supprimer l'aide forfaitaire de
6 000 francs liée à l'embauche en contrat d'apprentissage aux
jeunes disposant d'une formation supérieure au CAP ou au BEP.
Il regrette, également que la formule " emploi jeune " ne soit
pas étendue, au-delà des collectivités publiques, à
la création d'emplois dans les secteurs du commerce et de l'artisanat ou
dans les petites entreprises, car il y a tout lieu de penser qu'au terme des
cinq ans, l'emploi serait confirmé par l'entreprise.
En tout état de cause, votre rapporteur pour avis souhaiterait que le
Gouvernement décide de faire de la formation par alternance dans le
commerce, l'artisanat et les PME, une priorité.
D. LA SUPPRESSION DU COMMERCE HORS TAXES INTRACOMMUNAUTAIRE
Dans la
perspective de l'instauration du Marché unique au sein de la
Communauté européenne le 31 janvier 1993, le Conseil des
Ministres européen a prévu, en 1991, la suppression du commerce
hors taxes intra-communautaires à compter du 30 juin 1999 et
inscrit ce délai dans la directive 91/680/CE du 16 décembre
1991.
La suppression des ventes hors taxes intracommunautaires touche un secteur
d'activité dont l'importance économique est souvent
méconnue. Le chiffre d'affaires du commerce hors taxes en Europe
s'élève, en effet, à 40 milliards de francs, dont
25 milliards pour le trafic intracommunautaire. Sur ces 25 milliards
de francs, le chiffre d'affaires des producteurs est estimé à
15 milliards, la marge brute des commerces étant de
10 milliards de francs.
En France, l'ensemble des ventes intracommunautaires hors taxes
représente environ 2 milliards de francs. La production de produits
vendus hors taxes, tels que les produits de luxe ou les alcools, est
estimée à 6 milliards de francs. Ainsi 41 % des produits
vendus en " duty-free " sont des produits français, d'une
qualité remarquable. Le commerce hors taxes est de ce fait un tremplin
à l'exportation de nombreuses PME françaises. Au total, la
suppression des ventes hors taxes concerne en France un chiffre d'affaires
global de 7 à 8 milliards de francs.
Jusqu'à présent, aucune mesure n'a été prise, tant
au niveau national qu'au niveau communautaire, pour préparer
l'entrée en application de la suppression des ventes hors taxes et en
limiter les conséquences économiques et sociales.
Le Conseil des ministres de l'économie et des finances de l'Union
européenne du 19 mars 1998 a confirmé
l'échéance du 30 juin 1999 et a repoussé la demande
soutenue, notamment par l'Allemagne et la France, d'une étude d'impact.
Dans ce contexte, le Premier ministre a confié à
M. André Capet, Député du Pas-de-Calais, une
mission d'évaluation des conséquences de cette mesure sur
l'activité économique des transporteurs, commerçants et
producteurs.
Ce rapport souligne que l'ampleur de l'impact dépendra, d'une part, de
l'attitude de la clientèle, et donc de la sensibilité de la
demande aux prix produits et de l'évolution de la demande de transport
et, d'autre part, de la capacité des producteurs, concédants et
concessionnaires à réduire leur marge.
Il estime à près de 10 000 le nombre d'emplois
susceptibles d'être supprimés. Il souligne que la mesure
d'abolition des ventes hors taxes touchera plus nettement les transporteurs
maritimes et leur environnement que les transporteurs aériens et les
producteurs.
Au niveau des transports aériens, il observe que l'établissement
public Aéroports de Paris (ADP) réalise deux tiers de ses
recettes commerciales, soit 700 millions de francs, grâce à
la vente hors taxes. Sur cette somme, la suppression du commerce hors taxes
intracommunautaire devrait entraîner une diminution de 130 millions
de francs.
En matière de transport maritime, l'impact le plus élevé
concerne les compagnies maritimes françaises du Transmanche. Pour ces
compagnies, qui réalisent près de 50 % de leur chiffre
d'affaires sur les ventes hors taxes, contre 10 à 15 % par la vente
de billets, l'abolition de la vente hors taxes devrait conduire à une
diminution de 60 % des ventes et donc à une augmentation importante
du prix du billet, autant de conséquences qui risquent de menacer la
rentabilité économique de ces compagnies.
L'effet induit sur l'économie locale d'une région comme
Calais, qui connaît un taux de chômage de plus de 20 %, serait
alors très préoccupant.
Le rapport de M. André Capet propose en conséquence
plusieurs types de solutions pour limiter les effets de la suppression du
commerces intracommunautaire hors taxes :
- une application progressive sur trois ans des droits d'accises
applicables aux tabacs et aux alcools, pour atteindre les minima fixés
par la réglementation européenne avec, éventuellement, une
harmonisation de ces minima. Dans cette perspective, seule la TVA
s'appliquerait pleinement à partir du premier juillet 1999. Les droits
d'accises, qui représentent en France environ 50 % du prix des
alcools et tabacs, feraient l'objet d'une nouvelle directive ;
- un renforcement des aides nationales et communautaires, afin
d'aider les aéroports, les ferries et les producteurs à s'adapter
à cette nouvelle situation.
Il semble aussi que les propositions présentées par l'association
professionnelle du commerce hors taxe nécessitent l'ouverture d'un
débat sur l'avenir du projet " Espace voyageur ", qui voudrait
" instaurer un nouveau concept juridique constitué par les
actuelles boutiques hors taxes et donc accessible aux seuls voyageurs munis
d'une carte d'embarquement. "
Votre commission, qui avait déjà évoqué le sujet
en 1997, estime qu'il importe d'éviter les conséquences sociales
et économiques de la suppression du commerce intracommunautaire hors
taxes et souhaiterait que le Gouvernement prenne des mesures dans ce sens.