IV. LE RÉGIME DES AIDES FISCALES EN FAVEUR DE L'INVESTISSEMENT PRODUCTIF RESTE FORTEMENT ENCADRÉ
1. Rappel du cadre juridique adopté dans la loi de finances pour 1998
a) Bilan 1986-1998
Le
dispositif d'incitation à l'investissement outre-mer issu de
l'article 22 de la loi de finances rectificative n° 86-824 du
11 juillet 1986 a subi de nombreuses modifications.
Dans un premier temps, il s'est agi de corriger les excès
résultant notamment de l'absence d'agrément et d'obligation
d'exploitation des investissements réalisés. Le rapport de
M. Alain Richard, publié en juillet 1992, dénonçait
ainsi les caractéristiques les plus choquantes du mécanisme : la
double défiscalisation -directe et par remontée des
déficits créés par le jeu des amortissements- et le
caractère de produit fiscal, déconnecté d'une
réelle volonté d'investir pour le développement
économique outre-mer.
Les mesures de correction adoptées en 1992 imposaient :
- l'obligation d'exploitation de l'investissement pendant cinq ou neuf ans,
- l'agrément préalable au premier franc dans certains
secteurs,
- un abattement sur la base déductible de l'investissement
réalisé.
En mars 1993, la nouvelle majorité politique, pour encourager
l'investissement en logements, a supprimé la réfaction de
25 % de la base déductible, ce qui renforçait le poids des
montages d'investissements permettant des déductions sur le revenu
imposable des personnes physiques.
Certains rapports officiels, tout en reconnaissant les effets positifs de ce
dispositif sur le développement économique de l'outre-mer, en
soulignent également les effets pervers : hausse de la charge
foncière et création d'activités de faible
rentabilité qui faussent la concurrence.
A l'inverse, des rapports commandés par les milieux économiques
locaux et établis par des cabinets conseils indépendants
relèvent l'impact positif du dispositif en termes d'emplois crées
et de renforcement structurel du tissu économique des
départements d'outre-mer.
En définitive, la loi de finances pour 1996 ne procède
qu'à des aménagements très limités du dispositif.
Jusqu'en 1998, le dispositif autorise en définitive trois régimes
de défiscalisation :
- la déduction du revenu net global pour les contribuables relevant
de l'impôt sur le revenu, du montant de certains investissements
productifs réalisés outre-mer.
- une déduction de même nature pour les contribuables soumis
à l'impôt sur les sociétés ;
- une réduction d'impôt sur le revenu pour les personnes
physiques, calculée sur la base de certains investissements
réalisés outre-mer.
Les évolutions législatives successives ont notamment
favorisé les montages d'investissements fondés sur la
déduction du revenu imposable des contribuables soumis à
l'impôt sur le revenu. Certaines années, ces montages
représentaient 90 % du montant des investissements
réalisés outre-mer.
b) Le dispositif adopté en loi de finances pour 1998
La
principale mesure de correction apportée au régime de
défiscalisation outre-mer interdit l'imputation sur le revenu imposable,
dans la catégorie des bénéfices industriels et commerciaux
(BIC), des déficits nets résultant de l'exploitation du bien,
lorsque l'investisseur n'est pas impliqué professionnellement dans
l'exploitation. Cette règle appelée communément
" tunnelisation " pose notamment des problèmes dans trois
secteurs : l'hôtellerie, la navigation de plaisance et les
énergies nouvelles. La double défiscalisation permettait en effet
de réaliser des investissements initiaux lourds ou dans des
activités à très faible rentabilité. Il en est
ainsi du secteur des énergies nouvelles, dont l'intérêt est
indéniable compte tenu de la dépendance énergétique
des départements d'outre-mer. Or, il s'agit le plus souvent
d'investissements sans aucune rentabilité économique, qui
pouvaient néanmoins se faire, en combinant le principe de la double
déduction de la loi Pons et le mécanisme de l'amortissement
exceptionnel sur douze mois des matériels destinés à
économiser l'énergie.
Votre Commission des Affaires économiques s'était d'ailleurs
fermement opposée au dispositif proposé par la loi de finances
pour 1998, dénonçant les effets d'une mesure prise sans
étude préalable ni concertation avec les milieux politiques et
les acteurs économiques de l'outre-mer.
De fait, le nouveau régime entré en vigueur en janvier 1998
a donné un coup d'arrêt brutal aux investissements dans ce secteur.
La loi de finances pour 1998 a également exclu les subventions -qu'il
s'agisse des subventions de collectivités publiques ou de la restitution
de la TVA récupérable- de la base défiscalisable, mais
à l'inverse le plafonnement de cette base a été
supprimé.
Enfin, pour obtenir l'agrément, le projet doit dorénavant
remplir quatre conditions : favoriser le maintien ou la création
d'emploi, présenter un intérêt économique pour le
département, la collectivité ou le territoire d'outre-mer
concerné, assurer la protection des investisseurs et des tiers, et
s'intégrer dans la politique de l'environnement et de
l'aménagement du territoire.
2. Le maintien de l'encadrement du régime de défiscalisation dans le projet de loi de finances pour 1999
a) L'impossibilité d'évaluer l'impact du nouveau dispositif
Il a
été impossible à votre rapporteur d'établir une
évaluation globale de l'impact du nouveau dispositif sur
l'économie des départements d'outre-mer.
Compte tenu du décalage dans le recueil et le traitement des
statistiques, le rapport annuel transmis au Parlement en application de
l'article 120 de la loi de finances pour 1992 portant sur les
investissements réalisés outre-mer et soumis à
agrément traite cette année des investissements
réalisés en 1997 qui n'étaient pas soumis au nouveau
régime.
En 1997, le montant total des projets agrées s'élevait à
9,15 milliards de francs, pour un nombre d'emplois directs crées
estimé à 2848. Le coût budgétaire total de la
déduction " Pons " pour 1997 est évalué à
4 milliards de francs. Parmi les investissements directs, ceux
réalisés par des personnes physiques non professionnelles
s'élèvent à 4,7 milliards de francs soit 50 % du
total des projets agrées.
Par rapport à 1996, le montant des investissements agrées
progresse de 75 % en raison de l'agrément de deux paquebots de
croisières pour la Polynésie Française, qui
représentent un investissement total de 2,7 milliards de francs.
L'examen par secteurs des investissements réalisés montre que la
progression du secteur de l'hôtellerie se confirme en 1997 surtout par
l'augmentation du montant moyen des projets agrées. Dans le secteur du
tourisme et de la plaisance -en neutralisant le projet des deux paquebots de
croisière- les investissements agrées diminuent. Enfin, le
secteur des énergies nouvelles voit le nombre de dossiers agrées
diminué de 25 % et le montant des projets décroître de
45 %.
Les secteurs de l'industrie, de l'artisanat, du bâtiment et des travaux
publics bénéficient de la progression des projets agrées,
tant en nombre qu'en valeur, de même que l'habitat locatif.
Globalement, on peut rappeler que sur la période 1986-1992,
113.000 emplois ont été créés pour les quatre
DOM, principalement par l'industrie et les services et, à un moindre
degré, par le bâtiment et les travaux publics. Le tissu
économque s'est considérablement développé à
travers un rythme soutenu de création d'entreprises.
b) L'absence de proposition en matière d'aide à l'investissement outre-mer au-delà du 31 décembre 2001.
Dans le
rapport d'information publié en juillet 1998 par
M. Didier Migaud, rapporteur général au nom de la
Commission des finances de l'Assemblée nationale
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sur les incitations fiscales à
l'investissement outre-mer, l'auteur plaide pour la poursuite d'un soutien
actif au-delà de 2001.
Soulignant une fois encore la vulnérabilité des économies
ultramarines, M. Didier Migaud s'appuie sur les conclusions du
rapport de l'inspection générale des finances publié en
1996 qui recommandent de faciliter l'apport de ressources longues à
l'économie locale.
Dans ces conditions, votre rapporteur pour avis comprend difficilement qu'on
puisse s'opposer, avec tant de fermeté, au rétablissement de la
déduction pour les investisseurs personnes physiques qui
représente, on l'a vu, environ 85 % des investissements, sans
proposer aucun dispositif de remplacement.
Or, le Gouvernement ne fait aucune proposition de ce genre dans le cadre du
projet de loi de finances pour 1999, alors même qu'il est à
craindre, selon toute vraisemblance, que les investissements
réalisés outre-mer en 1998 aient déjà fortement
diminués.
Le manque de visibilité à moyen terme et l'absence de dispositif
pérenne n'incitent pas, loin de là, les investisseurs potentiels
à privilégier l'outre-mer. Et il faut combattre l'idée
qu'un régime de subventions pourrait se substituer de manière
tout aussi efficace à l'ancien mécanisme fiscal. Comme le
reconnaît lui-même M. Didier Migaud, le jeu de la subvention
budgétaire
" a pour effet de soumettre l'investissement
outre-mer aux contraintes budgétaires ",
qui sont liées
à l'éventuelle remise en cause annuelle de toute décision
budgétaire, au caractère limitatif des crédits inscrits en
loi de finances, ou encore aux pratiques connues de régulation
budgétaire.
Comme le soulignait M. Michel Rocard, ancien Premier ministre
3(
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, " la loi de
défiscalisation a été neutralisée avant que l'on
ait mis en place des moyens de substitution efficaces ; il faudrait,
au plus vite, y remédier en trouvant les moyens de compenser un
investissement désormais défaillant, faute de quoi ce sont les
populations locales qui seront sanctionnées ".
La mise en place d'un dispositif alternatif à la loi Pons suppose la
mobilisation d'autres moyens, pour contrebalancer une insuffisance des
ressources locales et une excessive liquidité des placements
réalisés sur place. Mais il ne faut pas craindre d'affirmer que
pour instaurer de façon durable des circuits de financement
orientés vers des placements à moyen ou long terme, axés
sur le développement économique de l'outre-mer et rompre ainsi
avec la logique d'assistanat qui prédomine actuellement,
il faut
imaginer des produits " attractifs " sinon ils ne seront pas
utilisés. L'avantage fiscal -bien encadré et
maîtrisé- constitue, sans nul doute, l'un de ces
éléments pour de tels produits et il ne doit pas être
condamné en soi.