PREMIÈRE PARTIE :
LE CINÉMA
I. UN CONTEXTE FAVORABLE AUX INDUSTRIES FRANÇAISES DU CINÉMA
Après plusieurs années d'une baisse importante et
continue de la fréquentation, le cinéma français
connaît depuis cinq ans une nouvelle phase de croissance marquée
par une augmentation de la fréquentation et un renouvellement accru de
la production nationale.
Cependant, ce redressement de l'industrie cinématographique
française est encore fragile. La part de marché du film
français sur le territoire national dépend en partie de quelques
grands succès et celle des films français à
l'étranger demeure encore très limitée.
Cette croissance s'accompagne, en outre, d'une transformation de
l'économie du cinéma et, en particulier, d'un renforcement de la
concentration tant dans le secteur de l'exploitation des salles de
cinéma que dans celui de la production. Ce phénomène qui
peut être favorable à la compétitivité de notre
industrie cinématographique face à la concurrence
étrangère peut également constituer une menace pour le
pluralisme du cinéma français.
A. L'EXPLOITATION DE SALLES DE CINÉMA : UN SECTEUR EN MUTATION
Le secteur de l'exploitation est, dans un contexte de renouveau de la fréquentation, marqué par le développement des multiplexes.
1. La croissance de la fréquentation se poursuit
a) le redressement de la fréquentation
La
croissance se poursuit à un rythme élevé. Avec
148,1 millions d'entrées
et une croissance de plus de
8 % par rapport à 1996, l'année 1997 confirme la tendance de
fond au redressement de la fréquentation des salles de cinéma qui
se manifeste depuis 1993.
Il importe de souligner que les Français continuent à
fréquenter les cinémas davantage que leurs voisins
européens. En 1997, l'indice de fréquentation, rapport entre le
nombre d'entrées et la population, s'élève, en effet, en
France à 2,62 contre 2,36 au Royaume Uni et moins de 2 chez nos
principaux voisins.
b) la stabilité des entrées de films français
Après une progression de 12% en 1996 , les
entrées de films français qui s'élèvent à
51,1 millions, soit une diminution de 0,3%, se maintiennent en 1997 au dessus
de la moyenne des cinq dernières années. La part de marché
des films français s'établit à 34,5% en 1997, niveau qui
représente un recul par rapport à 1996 mais s'inscrit dans la
moyenne des cinq dernières années. Ces chiffres confirment, en
dépit d'un léger tassement, le réel redressement du
cinéma français enregistré depuis 1994, année
où sa part de marché avait chuté à 27,4%.
Si la part de marché des films français demeure toujours en
deçà de celle des films américains, qui réalisent
54 % des entrées, la fréquentation des films nationaux est, en
France, plus forte que dans les autres pays européens : la part de
marché du film national est de 29,5 % en Italie, de 17,3% en Allemagne,
de 13,1% en Espagne et de 12,8 % au Royaume Uni.
2. Le développement des salles de cinéma multiplexes bouleverse l'économie de ce secteur
a) Le mouvement de création de salles se poursuit grâce au développement des multiplexes
Pour la
quatrième année consécutive, le parc de salles de
cinéma s'est accru ; 185 salles ont été ouvertes en
1997. Ainsi de 1992 à 1997 le nombre de salles est passé de 4 297
à 4 655 unités. Après dix années de baisse continue
du nombre des salles, le secteur de l'exploitation fait donc preuve d'un
nouveau dynamisme.
La France est ainsi le pays le mieux équipé d'Europe.
D'après une étude récente du Centre national de la
cinématographie (CNC), la France compte près de huit salles pour
100 000 habitants contre 6 pour 100 000 habitants au
Danemark, pays classé en deuxième position dans l'Union
européenne.
Les multiplexes ont continué à jouer en 1997 un rôle
déterminant dans la création de salles
.
Si une partie des nouvelles salles sont des établissements de taille
moyenne implantés dans des communes de moins de
30 000 habitants, la majeure partie des ouvertures de salles depuis
quatre ans est liée au développement des multiplexes.
Si l'on considère non plus le nombre de salles mais celui des
établissements créés, on dénombre 57 cinémas
nouveaux en 1997 contre 87 en 1996.
En 1997, sur 185 nouveaux écrans, 138, soit près des quatre
cinquièmes, résultaient de l'ouverture de multiplexes ou de la
restructuration de complexes " classiques " en multiplexes. Fin 1997,
34 multiplexes disposaient d'au moins dix écrans.
Désormais, les multiplexes représentent 9,6% du nombre total
d'écrans en France mais 17,3 % de la fréquentation totale. Si les
créations de multiplexes se poursuivaient au même rythme que celui
constaté au cours des derniéres années, on
considère qu'ils pourraient accueillir en l'an 2000 plus du tiers des
spectateurs.
b) Favorisant la reprise de la fréquentation, le développement des multiplexes a pour contrepartie une plus grande concentration du secteur
S'il est
encore trop tôt pour apprécier les conséquences du
développement des multiplexes sur l'économie globale des
industries cinématographiques, les premières études
menées par le CNC révèlent une incidence positive sur la
fréquentation globale qui s'accompagne cependant d'un renforcement de la
concentration du secteur.
Il n'est aujourd'hui plus contestable que l'ouverture de salles multiplexes a
contribué, en France comme à l'étranger, à la
reprise de la fréquentation. Offrant un confort et une qualité de
projection sans précédent, ces nouveaux équipements
permettent d'attirer un public qui s'était détourné des
salles de cinéma.
Après une période (1982-1992) de crise pendant laquelle, le
nombre de spectateurs avait diminué de 40 % entraînant la
fermeture de plus de 700 salles de cinéma, l'effet stimulant des
multiplexes sur la fréquentation des cinémas ne peut être
négligé.
Le développement des multiplexes a toutefois pour contrepartie de
fragiliser les salles de cinéma existantes. En effet, si ces nouveaux
équipements drainent de nouveaux spectateurs, ils détournent
également une partie de la clientèle des salles existantes.
Les études du CNC montrent cependant que
les effets de cette
concurrence sont très variables selon le lieu d'implantation des
multiplexes
et la politique menée par les salles situées
à proximité
.
Il a ainsi été observé que les multiplexes de centre-ville
provoquent en moyenne un transfert de spectateurs plus important que ceux
installés en périphérie, les multiplexes implantés
dans la périphérie de petites communes plus que ceux
implantés dans la périphérie des grandes villes.
De même, on constate que les salles concurrentes résistent
d'autant mieux qu'elles ont procédé à une
rénovation de leur équipement. Par ailleurs, les salles pourvues
d'une identité forte, à l'image de celles qui se consacrent aux
films d'art et d'essai, et initient une politique d'animation dynamique
conservent une clientèle importante, et parfois même en
augmentation lorsqu'elles ont été modernisées.
Il est en conséquence difficile de déduire de la situation
actuelle des conclusions générales sur les effets du
développement des multiplexes tant sur l'industrie du cinéma que
sur l'équilibre urbain et social des agglomérations
concernées.
On peut en revanche constater que
le développement des multiplexes
accentue la concentration du secteur de l'exploitation
. Il contribue ainsi
à renforcer le poids des trois grands circuits qui possèdent
déjà 24 des 34 multiplexes existants. Le poids accru de ce
nouveau type de salles suscite en conséquence des inquiétudes sur
les risques que présente cette concentration pour la diversité de
la diffusion cinématographique. Il convient en effet d'empêcher
que la position dominante des grands circuits n'empêche certains films
d'être diffusé dans les salles de cinéma, ou des salles
indépendantes de diffuser certains films à
succès.
c) La loi Royer : un dispositif encore imparfait
Dans ce
contexte, les articles 36-1 à 36-6 introduits en 1996 dans la loi
n°73-1193 du 27 décembre 1973 d'orientation du commerce et de
l'artisanat dite " loi Royer ", qui soumettent à
l'autorisation des commissions départementales d'équipement
cinématographique la création de complexes
cinématographiques de plus de 1 500 places ou l'extension de salles
existantes de plus de 2000 places, avaient vocation à jouer un
rôle régulateur. Il s'agissait de prendre en compte les effets de
ces implantations sur l'aménagement culturel des villes
concernées et d'éviter des implantations
désordonnées.
Entre le 1
er
janvier 1997 et le 15 février 1998, les
commissions départementales d'équipement cinématographique
ont délivré onze autorisations et refusé six projets. Par
ailleurs, sept de leurs décisions ont fait l'objet d'un recours devant
la commission nationale d'équipement cinématographique.
Observant qu'un certain nombre d'exploitants de salles de cinéma
contournaient ce dispositif en entreprenant des opérations d'un nombre
de places immédiatement inférieur aux seuils fixés par
loi, le gouvernement a souhaité abaisser le niveau des seuils
considérés. L'article 79 de la loi n° 98-546 du 2
juillet 1998 portant diverses dispositions d'ordre économique et
financier a abaissé les seuils du nombre de places au-dessus desquels
les opérations doivent être autorisées par les commissions
départementales d'équipement cinématographique de 1.500
à 1.000 places pour les créations et de 2.000 à 1.500 pour
les extensions d'établissements existant depuis plus de cinq ans.
On ne qu'approuver le ministère de la culture quand il considère
que les cinémas sont avant tout des équipements culturels et
qu'à ce titre, la question de leur implantation doit se poser de
manière spécifique. Or, force est toutefois de constater qu'en
étendant ainsi le champ d'application de la loi Royer sans autre
modification cette réforme continue à s'inscrire dans la logique
de l'urbanisme commercial sans que la spécificité des
équipements cinématographiques soit davantage prise en
compte.
B. LA VITALITÉ DE LA PRODUCTION NATIONALE
1. La production française augmente et se renouvelle
Parallèlement à l'augmentation de la
fréquentation, la production cinématographique a atteint en 1997
son niveau le plus élevé depuis quinze ans.
163 films ont reçu l'agrément d'investissement
délivré par le Centre national de la cinématographie
contre 134 films en 1996. Cette augmentation concerne particulièrement
les films d'initiative française
1(
*
)
dont le nombre est de 125 en 1997,
contre 104 en 1996.
Cette évolution se traduit par une augmentation de 48 % du volume
global des investissements dans la production française, qui passe de
2,5 en 1996 à 3,7 milliards de francs en 1997.
Le devis moyen augmente de 29%, ce qui démontre que l'accroissement du
volume global d'investissement n'est pas seulement la conséquence de
l'augmentation du nombre de films mais est également lié à
un meilleur financement film par film. Si l'on excepte le cas du film de Luc
Besson " le cinquième élément ", l'augmentation
par rapport à 1996 est plus modeste (+14%). Par ailleurs, la
stabilité du devis médian refléte un double
phénomène : la croissance du nombre de films à budget
élevé et, à l'autre extrême, celle du nombre de
films à petit budget.
Il faut également observer
un renouvellement important de la
production nationale : un film sur deux est un premier ou un second
film
.
2. La répartition des sources de financement de la production cinématographique reste stable.
Les
principales évolutions qui ont marqué la structure du financement
des oeuvres cinématographiques au cours de la décennie se sont
poursuivies en 1997.
•
Les chaînes de télévision conservent un
rôle prépondérant dans le financement de la production
cinématographique.
Leur participation au financement des films d'initiative française est
passée de 21 % en 1987 à 35,9 % en 1997.
De ce fait, la quasi-totalité des films produit en 1997 ont
bénéficié de la participation d'une chaîne de
télévision. Ainsi, la chaîne Canal Plus a
préacheté plus de 80 % des films agréés en 1997 et
prés de 90 % des films d'initiative française, les chaînes
en clair ayant quant à elles financé 44 % des films
agréés.
Si l'on prend en compte les investissements directs des chaînes de
télévision et les contributions de ces mêmes chaînes
aux recettes du compte de soutien géré par le CNC, les
chaînes de télévision financent pour plus de 50 %
de la production cinématographique française
.
•
L'apport des producteurs français en légère
augmentation par rapport à 1996 s'élève à 33%,
contre 40,3 % il y a dix ans.
• Les autres sources de financement du cinéma restent
proportionnellement stables
comme l'indique le tableau ci-après.
STRUCTURE DE FINANCEMENT DES FILMS D'INITIATIVE
FRANÇAISE
(1987-1997)
(en pourcentage)
|
Apports des producteurs français |
SOFICA |
Soutien automatique |
Soutien sélectif |
Chaînes de télévision |
Cession droits vidéo |
A-valoir des distribu-teurs français |
Apports étrangers |
|
|
|
|
|
|
Copro-ductions |
Pré-achats |
|
|
|
1987 |
40,3 |
10,5 |
4,2 |
4,5 |
7,6 |
13,4 |
0,7 |
7,3 |
11,5 |
1988 |
39,7 |
8,9 |
7,6 |
4,1 |
4,7 |
14,5 |
0,7 |
5,6 |
14,2 |
1989 |
36,2 |
7,5 |
9,5 |
4,7 |
3,6 |
14,2 |
1,8 |
1,9 |
20,6 |
1990 |
42,0 |
6,7 |
7,6 |
5,4 |
3,9 |
15,9 |
0,4 |
2,8 |
15,3 |
1991 |
33,0 |
5,9 |
7,6 |
4,7 |
4,6 |
18,9 |
0,7 |
4,4 |
20,2 |
1992 |
36,2 |
6,1 |
5,8 |
4,6 |
5,4 |
24,7 |
0,3 |
5,4 |
11,5 |
1993 |
33,1 |
5,2 |
7,7 |
5,5 |
5,6 |
25,2 |
0,3 |
5,1 |
12,3 |
1994 |
29,0 |
5,3 |
7,5 |
6,7 |
6,5 |
27,4 |
0,3 |
5,0 |
12,3 |
1995 |
26,6 |
5,6 |
8,7 |
5,7 |
6,8 |
30,1 |
0,2 |
4 |
12,3 |
1996 |
24,2 |
4,8 |
8,3 |
4,9 |
10,3 |
31,7 |
0,1 |
5,5 |
10,2 |
1997 |
33,0 |
4,5 |
7,7 |
5,2 |
7,2 |
28,7 |
0,4 |
3,5 |
9,8 |
Compte tenu de l'augmentation des investissements, la croissance en valeur absolue des investissements des SOFICA, qui se sont élevés en 1997 à 181,55 millions de francs contre 128,55 en 1996, année consacrée davantage à la production audiovisuelle qu'au cinéma, ne leur permet pas d'accroître leur part dans le financement des films d'initiative française.