III. LA FRANCE CROIT-ELLE A LA FRANCOPHONIE ?
La
France croit-elle à la francophonie ? Poser cette question ne
relève pas, comme on pourrait le croire, d'un goût quelconque pour
la provocation. En fait, c'est une question que beaucoup de nos partenaires
francophones nous posent déjà, lorsqu'ils s'étonnent de
constater que nous ne mettons pas la même passion qu'eux-mêmes
à défendre, que ce soit dans notre vie quotidienne ou dans les
instances internationales, notre langue et notre culture, dont ils savent
peut-être mieux que nous l'atout qu'elles représentent dans le
combat pour leur identité, dans leur résistance à une
hégémonie linguistique et culturelle niant les diversités.
La mondialisation doit-elle inévitablement s'accompagner de la
domination d'une langue unique -ou plutôt de sa version
" basique " à usage international-, d'un modèle
culturel et social unique -ou plutôt de l'image simpliste qu'en
véhiculent les moyens d'information de masse ? Les pays qui ont
avec nous " le français en partage " ne le pensent pas, et
comptent sur la francophonie, sur les solidarités qu'elle crée,
sur les valeurs qu'elle porte, pour affirmer leur droit à exister dans
un monde pluraliste.
Beaucoup de nos compatriotes ne donnent malheureusement pas l'impression
d'avoir compris le sens de ce combat pour la francophonie, ni d'avoir pris la
mesure des espoirs qu'il suscite et des responsabilités qu'il nous
confère.
L'application inégale de la loi dite " Toubon " donne trop
d'exemples d'une certaine indifférence à l'égard de la
défense du français et de l'usage de notre langue, quand ce n'est
pas, selon l'heureuse expression d'une association de défense de la
langue française, d'un "
incivisme linguistique
"
d'autant plus grave qu'il est souvent le fait d'une " élite "
économique, scientifique ou administrative.
Le recul de notre langue dans les institutions internationales, contre lequel
nous ne luttons sans doute pas avec toute la vigueur souhaitable, et les
progrès corrélatifs du monolinguisme anglophone mettent en
évidence les conséquences que peut avoir cet
"
incivisme
" sur la capacité de la France et des pays
francophones à se faire entendre sur la scène internationale.
Il paraît donc indispensable de réagir, de démontrer que
" nous croyons à la francophonie ", et que nous entendons
bien, à travers elle, défendre le " plurilinguisme " et
le pluralisme du monde de demain. Nous devons donner l'exemple dans notre
système éducatif de notre attachement à la défense
du plurilinguisme et du patrimoine culturel qu'il représente.
Nous devons aussi, prenant acte dans notre constitution de l'existence de la
francophonie, affirmer que notre engagement dans la construction d'une
communauté de coopération et de solidarité fondée
sur une langue et des valeurs communes mérite, au même titre que
notre engagement dans la construction européenne, de figurer dans notre
loi fondamentale.
A. L'USAGE DU FRANÇAIS : UNE SITUATION CONTRASTÉE
L'usage
du français connaît depuis quelques années un net
déclin au sein des institutions internationales et régionales, et
particulièrement dans l'Union européenne. La promotion et
l'utilisation du français comme langue de communication internationale
sont une priorité qui appelle une politique linguistique volontaire et
explicite.
A l'intérieur de nos frontières, la loi du 4 août 1994
est l'instrument le plus efficace dont disposent les pouvoirs publics pour
assurer la présence du français dans certains domaines
essentiels, mais aussi pour éviter certaines dérives en France
même. Le bilan de son application apparaît cependant
mitigé.
1. Le bilan mitigé de l'application de la loi du 4 août 1994 relative à l'emploi de la langue française
a) Le rapport de la délégation générale à la langue française et les observations des associations de défense du français
La
délégation générale à la langue
française (DGLF) souligne en 1998 la nette diminution du nombre de
plaintes dont elle est saisie. Elle émet l'hypothèse pour
expliquer cette évolution d'une meilleure assimilation de la loi par les
différents acteurs concernés, mais aussi d'un moindre
intérêt de nos concitoyens pour l'application de ce texte de loi.
Les constatations faites par l'association " Le droit de comprendre "
tendent malheureusement à accréditer l'idée que la loi
demeure très inégalement appliquée.
Les conclusions du rapport de la DGLF et les observations des associations
seront présentées par grands secteurs d'application de la loi :
protection du consommateur, protection du salarié, domaine scientifique,
économique et technique, et services publics.
La protection du consommateur
L'article 2 de la loi du 4 août 1994 prévoit l'emploi
obligatoire de la langue française dans "
la désignation,
l'offre, la présentation, le mode d'emploi ou d'utilisation, la
description de l'étendue et des garanties d'un bien, d'un produit ou
d'un service, ainsi que dans les factures et quittances "
. On observe
dans ce domaine une forte augmentation des actions de contrôle
menées par la direction générale de la concurrence, de la
consommation et de la répression des fraudes (DGCCRF).
Ainsi, de 1995 à 1997, la DGCCRF a multiplié par trois le nombre
de ses interventions, la part des infractions constatées diminuaient
dans le même temps (17 % en 1996, 14 % en 1997). On note que
les emballages, les étiquettes et dans une moindre mesure les notices
d'emploi, rédigés en anglais ont fait l'objet de la
majorité des procédures contentieuses (64,2 %). De plus, le
suivi judiciaire des dossiers transmis au parquet par la DGCCRF s'est encore
amélioré en 1997, 127 condamnations (56 en 1996) ont
été prononcées comportant 120 amendes. Le pourcentage
des dossiers classés a notablement diminué passant de 50 %
en 1995 à 37,6 % en 1996 et 24,3 % en 1997.
Les actions de contrôle conduites par la direction générale
des douanes et des droits indirects ont augmenté de 1,6 % (562
contrôles en 1997) ; dans le même temps le nombre
d'infractions recensées a progressé de 6,6 % (16 infractions
en 1997). Il faut toutefois noter que, sauf exception, les contrôles
portant sur le respect de la langue française sont
réalisés par les services douaniers, de manière incidente,
dans le cadre des autres missions qu'ils ont en charge.
Le rapport établi par l'association " Le droit de comprendre "
souligne en outre que certaines directives européennes ne faciliteraient
pas l'emploi du français dans le domaine de l'information du
consommateur. Ainsi, la directive européenne sur les cosmétiques
impose que les compositions soient désormais indiquées dans un
sabir à base de latin où, dès que le latin est
démuni, l'anglais est présenté comme la seule langue
recevable.
La protection du salarié
Dans ce domaine, les articles 8 à 10 de la loi du 4 août 1994
prévoient que l'emploi du français est obligatoire, notamment
dans : "
le règlement intérieur et tout document
comportant des obligations pour le salarié, ou des dispositions dont la
connaissance est nécessaire à celui-ci pour l'exécution de
son travail, ainsi que les conventions, accords collectifs de travail et
conventions d'entreprise ou d'établissement
". Les obligations
linguistiques s'imposant aux employeurs sont susceptibles d'être
contrôlées par les services du ministère de l'emploi et de
la solidarité, et en particulier par l'inspection du travail. Il
n'existe cependant aucun contrôle systématique comme ceux
qu'organise la DGCCRF pour la protection des consommateurs.
Seul l'article 9-II de la loi (documents dont la connaissance est
nécessaire au salarié pour l'exécution de son travail) a
fait l'objet d'un contentieux récent, actuellement en appel.
La DGLF et l'association " Le droit de comprendre " ont relevé
de nombreuses infractions à l'article 10 de la loi du 4 août 1994
qui impose l'usage de la langue française pour la rédaction des
offres d'emplois. Ces infractions n'ont pas fait l'objet de procédures
contentieuses en 1998, les contrevenants s'étant engagés à
respecter à l'avenir l'obligation de rédiger ou de publier les
offres d'emploi en français, et de proposer une traduction des offres
d'emploi rédigées dans d'autres langues.
Le monde scientifique, technique et économique
L'article 6 de la loi de 1994 impose aux organisateurs français de
manifestations, colloques ou congrès trois obligations : tout
participant doit pouvoir s'exprimer en français, les documents de
présentation du programme doivent exister en version française,
les documents distribués aux participants ou publiés après
la réunion (documents préparatoires, textes ou interventions
figurant dans les actes, compte rendus de travaux publiés) doivent
comporter au moins un résumé en français. En outre,
lorsque ce sont des personnes publiques qui ont pris l'initiative de ces
manifestations, un dispositif de traduction doit être mis en place. Cette
disposition correspond à la volonté d'offrir à tous les
participants d'une manifestation organisée en France par une personne
publique la possibilité de s'exprimer dans la langue de leur choix tout
en étant pleinement compris par l'assistance.
La DGLF ne dispose pas d'informations complètes en ce domaine car il
n'existe pas d'instance de contrôle chargé de veiller à
l'application de la loi dans ce domaine. Elle ne peut donc intervenir que
lorsqu'une plainte est déposée. De plus, la mise en oeuvre de la
loi est particulièrement difficile dans les secteurs des sciences
exactes et des sciences de la vie, la participation des meilleurs
spécialistes internationaux implique bien souvent des communications en
anglais et le coût de l'interprétariat et des traductions
écrites induit des dépenses importantes. La DGLF, en concertation
avec les ministères chargés de la recherche et des affaires
étrangères, a donc mis en place en 1996 un soutien à la
traduction simultanée pour les colloques se déroulant en France.
Le montant de cette aide a été porté à
1 million de francs pour 1998.
Le rapport de l'association "Le droit de comprendre" relève bon nombre
d'infractions, à titre d'exemple, 70 congrès médicaux se
sont tenus en anglais seulement. Par ailleurs, il souligne les
difficultés que rencontrent les chercheurs pour publier leurs travaux en
français : les " Annales d'économie et de
statistiques " de l'INSEE ne comportent pratiquement que des articles
rédigés en anglais. Les résumés en français
sont souvent traduits mot à mot de l'anglais, ce qui en altère le
sens. Enfin, il dénonce également les atteintes portées au
français en tant que langue scientifique : la classification des
espèces en botanique et les nomenclatures anatomiques,
traditionnellement exprimées en latin ou en français tendent
à être remplacées par des nomenclatures
rédigées en latin et en anglais, voire en anglais seulement. Ces
évolutions comportent des retombées d'ordre industriel qui
pourraient aggraver la situation du français dans le domaine des
sciences et des techniques, et plus globalement dans tous les secteurs
économiques.
Les services publics
Ce domaine représente 26 % du courrier adressé à la
DGLF, ce qui démontre une vigilance particulière de nos
concitoyens et des associations de défense de la langue française
en ce qui concerne le rôle exemplaire que doivent jouer les services
publics en matière linguistique. La loi du 4 août 1994
fixe, en effet, aux services et aux personnes publiques un certain nombre
d'obligations particulières en matière d'emploi de la langue
française et de promotion du plurilinguisme.
Il convient de remarquer que l'association "Le droit de comprendre" attire
particulièrement l'attention sur les manquements des fonctionnaires de
la haute fonction publique au respect de la loi du 4 août 1994. Ces
manquements sont d'ailleurs caractéristiques du comportement de certains
hauts responsables français.
b) Des dérives inquiétantes
On ne
peut que déplorer l'attitude d'une partie des élites
françaises, administratives ou économiques, qui contrevient
régulièrement à la loi du 4 août 1994. Ces
dirigeants français devraient pourtant être exemplaires en la
matière, puisqu'ils représentent souvent la France à
l'étranger. Ce comportement ne peut qu'être condamné avec
sévérité, les sanctions sont pourtant rares.
• Certaines grandes entreprises, à la différence des
PME-PMI, font ouvertement le choix de l'anglais comme langue de travail. Ainsi,
l'association "Le droit de comprendre" a relevé des évolutions
inquiétantes dans le domaine de la protection du salarié. Elle
dénonce en particulier certaines tentatives visant à imposer
l'anglais comme langue unique dans la vie quotidienne des entreprises
françaises, en dehors de tout échange avec des locuteurs
anglophones. Certaines entreprises françaises ne présentent plus
leur organigramme qu'en anglais, telles que Danone ou Bull, ou entendent
régler les conflits sociaux en engageant les négociations avec
les syndicats en anglais, comme Air France lors de la grève des
hôtesses de l'air. Enfin, certaines offres d'emploi sont exclusivement
rédigées en anglais, ou précisent que le poste ne sera
attribué qu'à une personne bilingue en anglais, sans que les
caractéristiques de l'emploi le justifient.
Cette volonté d'imposer l'anglais comme langue de travail dans des
entreprises françaises pénalise les employés et ouvriers
français et nuit à l'image de la France auprès de ses
partenaires économiques francophones. Les services du ministère
de l'emploi et de la solidarité, et plus particulièrement
l'inspection du travail, doivent veiller au respect des obligations
linguistiques s'imposant aux employeurs. Ils n'effectuent pas de contrôle
systématique en la matière, et n'agissent que lorsqu'ils sont
saisis d'une plainte, ce qui n'est pas suffisant au regard des infractions
recensées.
• Le comportement des hauts fonctionnaires n'est pas non plus toujours
exemplaire. Une circulaire du Premier ministre du 12 avril 1994 a pourtant
réaffirmé les règles d'usage, désormais de valeur
constitutionnelle, relatives à l'emploi de la langue française
par les agents publics. Les manquements en la matière sont cependant
nombreux, qu'il s'agisse d'interventions publiques prononcées dans une
autre langue que le français, de l'envoi de courrier
rédigé en anglais...
Ces manquements sont particulièrement graves, étant le fait de
personnes participant à l'exercice de l'autorité publique, et ils
sont par ailleurs extrêmement dommageables pour le statut du
français comme langue internationale. Il est en effet évident que
les actions éventuellement menées par le gouvernement
français pour défendre, avec nos partenaires francophones, la
place du français dans les organisations internationales perdront toute
crédibilité si les hauts fonctionnaires ou diplomates
français s'ingénient à utiliser l'anglais, qu'ils ne
maîtrisent de surcroît pas toujours assez bien pour défendre
efficacement les positions françaises.
Pourtant, la hiérarchie administrative et les autorités
gouvernementales ne semblent pas conscientes des conséquences de tels
agissements.
Votre rapporteur avait ainsi adressé au Premier ministre une question
écrite attirant son attention sur une lettre adressée en anglais
par la direction du Trésor à de nombreux hauts fonctionnaires
européens -dont certains francophones- et lui avait demandé
quelles suites il comptait donner à ce manquement
caractérisé aux règles en vigueur.
Cette question étant restée sans réponse dans le
délai prescrit, il s'est fait un devoir de la poser une deuxième
fois (cf. encadré ci-contre). Cette deuxième question a bien
reçu une réponse, mais qui n'en était pas une puisqu'elle
se bornait à rappeler en termes très généraux,
l'attachement du gouvernement à l'usage du français dans les
institutions européennes et la parution, certes opportune, d'un livret
destiné à être diffusé
" à toutes les
administrations et les départements ministériels "
afin
que ceux-ci le distribuent
" largement ".
Votre rapporteur a donc posé une troisième fois sa question
demeurée sans réponse. Il espère encore n'avoir pas
à la formuler une quatrième fois -ni devoir la traduire en
anglais- pour obtenir les informations demandées.
9492. - 2 juillet 1998. -
M. Jacques Legendre
attire à nouveau l'attention de
M. le Premier ministre
sur les termes de sa question écrite n° 7770, publiée
au
Journal officiel
le 23 avril dernier, par laquelle il lui demande de
lui faire savoir s'il a abrogé la circulaire de son
prédécesseur en date du 12 avril 1994, réaffirmant les
règles d'usage relatives à l'emploi de la langue française
par les agents publics. Cette circulaire souligne en préambule
l'exigence qui s'attache au respect des règles revêtues d'une
valeur constitutionnelle depuis que l'article 2 de la Constitution a
consacré le français comme " langue de la
République ". Elle précise en particulier : " aucune
considération d'utilité, de commodité ou de coût ne
saurait donc, sauf circonstances spéciales, empêcher ou
restreindre l'usage de la langue française ". Elle rappelle aussi
les orientations qui doivent guider les ministres dans les instructions
données à leur département ministériel. Elle
précise en particulier que " dans leurs rapports avec des personnes
ou institutions étrangères, les agents placés sous votre
autorité doivent se conformer scrupuleusement aux règles
relatives à l'emploi de la langue française dans les relations
internationales ". Au cas où il n'aurait pas abrogé la
circulaire du 12 avril 1994, il lui demande si l'esprit et la lettre de
celle-ci sont respectés quand la direction du Trésor du
ministère de l'économie, des finances et de l'industrie
écrit le 8 août 1997 en anglais à de nombreux hauts
fonctionnaires de tous les pays européens -y compris des Français
et des francophones !- en les qualifiant de " dear colleagues " et en
les informant que " The next meeting is to be held in Paris at the
Ministry of economy, finance and industry on tuesday 16 and wednesday 17
september... ". Il lui demande quelles suites il compte donner à de
tels errements.
Réponse
. - L'honorable parlementaire attire l'attention de M. le
Premier ministre sur l'usage du français dans les institutions
européennes. Le Gouvernement est très attaché au respect
du statut juridique du français comme langue officielle et au rôle
joué par notre langue comme langue de travail au sein des institutions
de l'Union depuis leur création. Afin que chacun connaisse le droit et
les usages en la matière, le Gouvernement a pris l'initiative de
publier, en février dernier, un livret intitulé
Le
français dans les institutions européennes
.
Édité à 40 000 exemplaires, ce document rappelle les
principes généraux, les règles pratiques et les
règlements européens relatifs à l'usage du français
en tant que langue officielle et langue de travail au sein des institutions
européennes. Destiné à tous les Français, quelles
que soient leurs fonctions, qui ont à connaître et à
pratiquer des institutions européennes, il a été
diffusé par le service d'information du Gouvernement à toutes les
administrations et les départements ministériels afin que ceux-ci
le distribuent largement.
9813. - 23 juillet 1998. -
M. Jacques Legendre
a pris connaissance avec
intérêt de la réponse, publiée le 16 juillet
dernier, que
M. le Premier ministre
a apportée à la
question qu'il lui avait adressée les 23 avril et 2 juillet 1998 sous
les n°s 7770 et 9492. Il y note avec satisfaction l'initiative, prise
en février par le Gouvernement, de publier un livret consacré au
" français dans les institutions européennes ",
destiné à tous les Français qui ont à
connaître et à pratiquer ces dernières, et qui marque
l'attachement du Gouvernement au respect du statut juridique de notre langue
comme langue officielle et de travail au sein des institutions de l'Union
européenne. Il lui fait toutefois remarquer qu'il avait attiré
son attention sur un grave manquement à ses obligations par l'une des
directions du ministère de l'économie, des finances et de
l'industrie, qui avait écrit en août 1997 en anglais à de
nombreux hauts fonctionnaires de tous les pays européens, y compris des
Français et des francophones, et non sur l'usage du français dans
les institutions européennes. Il lui serait en conséquence
reconnaissant de bien vouloir lui faire connaître les suites qu'il entend
donner aux errements rappelés ci-dessus.
Question restée sans réponse au 23 novembre
1998.
2. Le recul de l'usage du français comme langue internationale
Le
français est la deuxième langue de communication internationale,
après l'anglais. Dans les organisations multilatérales, il a
presque toujours le statut de langue officielle et surtout le statut de langue
de travail accordé à un nombre de langues plus restreint. Or la
place du français est remise en cause par l'usage croissant de l'anglais
dans les organisations internationales comme dans les institutions
communautaires. Pour tenter d'enrayer cette tendance, observée depuis
plusieurs années, une mesure d'urgence de 15 millions de francs a
été allouée au soutien du français dans les
institutions internationales lors du VIIe Sommet des chefs d'Etat et de
gouvernement ayant le français en partage, à Hanoi. Ces moyens
supplémentaires pourront renforcer les crédits destinés
aux traductions et à la formation en français des parlementaires
non francophones. Cependant, la difficulté essentielle ne vient pas tant
d'un manque de moyens que des infractions des organisations internationales, et
plus particulièrement de l'Union européenne, aux règles
linguistiques qui définissent le statut du français dans ces
organismes.
Les conclusions du rapport de la DGLF constate le recul de l'usage du
français mais considère que la situation s'est stabilisée
en 1998. Les observations faites par l'association " Le droit de
comprendre " sont plus préoccupantes et mettent en particulier en
exergue l'attitude de la Commission européenne, qui ne favorise pas le
respect des règles linguistiques de l'Union européenne.
a) La place du français dans les organisations internationales
• Le français bénéficie, dans la totalité des organisations internationales auxquelles la France participe, du statut de langue officielle et de langue de travail qui devraient théoriquement le placer à parité avec l'anglais. Dans la pratique cependant, cette parité est rarement respectée : le français se trouve de plus en plus souvent relégué au rang de simple langue de traduction avec parfois des conséquences graves en termes de qualité et de délais. Le tableau ci-après retrace la situation dans les organisations internationales pour lesquelles nous disposons d'informations suffisantes.
ORGANISATION |
LANGUE DE RÉDACTION PRIMAIRE ET CONSÉQUENCES SUR LA TRADUCTION |
Secrétariat des Nations-Unies |
90 % anglais. Viennent ensuite
le français et l'espagnol
avec un volume sensiblement similaire, puis l'arabe et le russe.
|
CNUCED |
-
100 % anglais
|
Organisation pour l'alimentation et l'agriculture |
-
70 % anglais
|
Organisation de l'Unité africaine |
-
60 % anglais
|
OCDE |
-
80 % anglais
|
Organisation mondiale de la santé |
-
90 % anglais
|
OSCE |
-
majorité écrasante pour l'anglais. Les seuls documents
rédigés en d'autres langues sont les interventions des
délégations ou les propositions de textes émanant de
délégations russophones ou francophones
|
Union internationale des télécommunications |
-
90 % anglais
|
UNESCO |
-
proportion favorable à l'anglais
|
Union postale universelle |
- rédaction majoritairement en français |
OIT |
- rédaction majoritairement en français |
Source : délégation générale
à la langue française
A partir de ces quelques exemples, deux groupes d'organisations internationales
peuvent être définis :
- celles où le statut du français est encore respecté,
soit parce qu'il s'agit d'organisations régionales (Organisation de
l'Unité africaine, Organisation des Etats américains), soit en
raison des origines de l'institution (Union postale universelle où le
français est la seule langue officielle et de travail), soit en raison
à la fois d'une tradition et de l'influence du pays siège,
(UNESCO, Conseil de l'Europe et surtout Union européenne, OIT).
- celles, les plus nombreuses, où le monolinguisme, en faveur de
l'anglais est déjà bien établi : organisations
financières telles que l'Institut monétaire européen
(IME), la Banque mondiale ou le FMI, organisations économiques,
scientifiques, techniques, l'OCDE, l'OMS où la situation est très
inquiétante, enfin la plupart des institutions
spécialisées des Nations-Unies ;
Le rapport de l'association " Le droit de comprendre " dénonce
les pratiques constatées à l'Institut monétaire
européen, qui a laissé sa place en juillet 1998 à la
Banque centrale européenne. Bien que n'étant pas stricto sensu
une institution de l'Union européenne, l'association considère
qu'il devrait en appliquer les règles, notamment linguistiques. Or,
l'anglais est la langue généralement employée lors des
réunions et pour la rédaction des offres d'emploi. De même
les acronymes choisis pour certains systèmes sont quasi
systématiquement en anglais.
• Les raisons qui expliquent la prépondérance de l'anglais
sur le français dans les institutions des Nations-Unies comme dans
d'autres organisations internationales sont diverses :
- réduction des effectifs des services de traduction et
d'interprétation,
- rôle majeur de l'anglais comme langue commune dans les instances
vouées aux domaines scientifiques,
- et préférence de nombreux états pour cette langue
de travail, aussi bien en Asie qu'en ex-URSS.
b) Le problème particulier de l'Union européenne
Notre
langue bénéficiait, au début de la construction
européenne, d'une position dominante. Cette situation s'explique par
plusieurs facteurs. Lors de la création de la Communauté,
l'implantation des institutions en terre francophone, le fait que le
français était la seule des quatre langues officielles ayant un
rayonnement international, l'implication très forte de la France comme
pays fondateur, ont contribué à l'emploi du français comme
langue de travail privilégié, voire exclusive dans certaines
activités.
Le recul de l'usage du français au sein de l'Union européenne est
avéré depuis quelques années et s'est
accéléré après l'adhésion de pays
anglophones et du Danemark et avec l'élargissement aux pays scandinaves.
La situation du français devient préoccupante dans de nombreux
secteurs stratégiques. La France a tenté cette année de
renforcer la place du français dans les institutions européennes,
mais ces initiatives restent insuffisantes, elles rencontrent en particulier
peu d'écho auprès de la Commission européenne qui
multiplie les infractions aux règles linguistiques de la
Communauté.
• L'usage du français régresse dans des domaines pourtant
essentiels, tels que les appels d'offre, le recours aux experts
extérieurs et les relations de l'Union avec des pays tiers
Le français est moins utilisé dans les rapports de l'Union
avec les pays tiers
, ce qui est particulièrement défavorable
à l'emploi du français comme langue internationale. L'anglais est
prédominant dans les relations avec les pays d'Europe centrale et
orientale, la Communauté ne tient nullement compte en la matière
de l'usage traditionnel de certaines langues dans ces pays, comme le
français en Roumanie et en Bulgarie. De même, l'anglais est
employé dans les rapports avec les entreprises extérieures
anglophones, mais le français n'est pas systématiquement
employé dans les rapports avec des entreprises extérieures
françaises ou francophones. D'une manière générale,
pour les relations avec les pays tiers ou les entreprises extérieures
où les langues officielles ne sont pas celles de l'Union, la Commission
utilise spontanément et systématiquement l'anglais.
Le français est normalement présent dans les appels d'offres,
mais ceux-ci sont de plus en plus souvent rédigés en anglais.
Ainsi, pour les projets PHARE, TACIS, INFO 2000, etc, l'anglais est
fréquemment imposé comme langue unique de rédaction des
documents et des contrats, et l'introduction d'une seconde langue doit faire
l'objet d'une demande d'autorisation auprès d'un groupe de coordination
placé sous l'autorité du membre de la Commission
compétente pour l'administration. L'obligation d'utiliser l'anglais a
d'ailleurs été spécifiée à plusieurs
reprises dans le Journal officiel des communautés européennes.
Les experts extérieurs appelés à collaborer sur certains
projets de l'Union européenne sont en majorité anglophones. De
nombreux appels à candidature mentionnent d'ailleurs que le rapport de
fin de mission devra être rédigé en anglais, ce qui
entraîne des inégalités entre les pays de l'Union, et
pénalise les experts francophones et plus généralement non
anglophones.
Il convient par ailleurs de nuancer certaines évolutions qui
montreraient une progression ou une stabilisation de l'usage du français
au sein de l'Union européenne :
- le resserrement de l'écart entre l'anglais et le français comme
langue source des documents traduits (la part du français augmente de
1,9 % entre 1996 et 1997) ne doit cependant pas masquer le fait que
l'anglais est devenu la langue source principale des documents traduits ;
- la progression du plurilinguisme sur plusieurs sites communautaires
(70 % de ces sites sont désormais bilingues
français-anglais) est importante, mais des améliorations sont
encore souhaitables, en particulier sur le serveur de la direction
générale (DG) X qui a vocation à diffuser des informations
générales sur les activités des communautés, et sur
le serveur de la DG XII qui propose plus de documents en anglais qu'en toute
autre langue et où les informations de navigation sont exclusivement en
anglais ;
- enfin, la place du français est restée
prépondérante dans certaines directions de la Commission, telle
que la DG X (information, culture communication et environnement). Mais
l'anglais tend à supplanter le français dans plusieurs directions
générales : la DG I (relations extérieures), la DG
III (industrie), la DG V (emploi, relations de travail, affaires sociales,
traditionnellement francophone, cette direction s'écarte de cet usage),
la DG XII (recherche), la DG XIII (télécommunications). Il
croît également au sein des directions générales
chargées de l'environnement, des femmes et du développement.
• Face à cette situation la France agit pour
préserver le français et le plurilinguisme au sein de l'Union
européenne, par la voie de sa représentation nationale et de la
délégation générale à la langue
française.
La représentation permanente a ainsi adressé un courrier
à M. Santer pour déplorer l'absence d'interprétation en
français lors de la première réunion du comité de
coopération entre l'Union européenne et la Russie (22 avril
1998). De même la représentation permanente a protesté
contre la publication dans la version française du Journal officiel des
communautés européennes de documents rédigés en
anglais.
La délégation générale à la langue
française apporte son concours au ministère des affaires
étrangères et au SGCI, par son activité de veille, de
réflexion et de proposition d'action pour mettre en place une politique
imaginative susceptible de promouvoir le français. En 1998, ce concours
est notamment passé par la préparation et la diffusion d'un
" guide du français dans les institutions
européennes ", préfacé par le Premier ministre. Cette
plaquette tirée à 40 000 exemplaires est largement
diffusée auprès de tous les agents publics, mais aussi des
collectivités locales et des organismes associatifs ou privés
travaillant en relation avec les institutions de l'Union européenne,
comme l'a déjà précisé le Premier ministre à
votre rapporteur dans sa " réponse " aux questions que
celui-ci avait posées.
Il serait souhaitable de mener un effort particulier pour développer la
traduction et l'interprétariat afin de remédier à la
sous-représentation des interprètes français à
Bruxelles. De même, la politique de formation à la langue
française doit être améliorée. Le nombre de
bénéficiaires des sessions de formation à la langue
française pour les fonctionnaires européens issus des pays
nouveaux adhérents reste très limité (environ 50 par an).
Le centre européen de langue française (CELF), créé
en 1996, pour les fonctionnaires européens ainsi que pour l'ensemble des
salariés des organisations et des associations présentes à
Bruxelles, n'a accueilli que 150 personnes depuis la rentrée 1996. Le
CELF envisage, en concertation avec d'autres instituts de formation
linguistique, dont le Goethe Institut, de présenter à la
Commission une offre de formation conjointe multilingue.
• Dans cette perspective, la volonté de la Commission de
défendre la place du français serait essentielle. Mais on
constate que de nombreux courriers ou documents émanant de la
Commission, adressés aux administrations françaises, sont
rédigés en anglais. On peut ainsi remarquer que le
ministère français de la coopération a reçu depuis
le début de l'année 1997 plus de 300 documents en anglais
émanant d'une part de la Commission et, d'autre part, des DG VIII et
XII. De même, un courrier rédigé en anglais, du directeur
du programme MLIS a été adressé aux membres du
comité français de pilotage, le MLIS étant le programme
européen sur " la société de l'information
multilingue ".
De plus, les documents de travail diffusés par les institutions
communautaires sont distribués dans un premier temps en anglais, puis
seulement dans un second temps en français, ce qui réduit le
délai d'examen des documents pour les francophones s'ils ne travaillent
pas sur la version anglaise. Certains documents, appelant une validation de
chaque délégation ne font l'objet d'aucune traduction en
français.
On ne peut que déplorer cette attitude de la Commission qui contribue
grandement au recul du français. Afin de remédier à cette
situation, il conviendrait que les fonctionnaires européens
français appliquent les recommandations du guide du français dans
les institutions européennes, c'est-à-dire qu'ils demandent de
surseoir à la discussion d'un point de l'ordre du jour pour lequel les
documents en français n'auront pas été distribués
en temps utile, qu'ils refusent qu'une décision juridique soit prise sur
un texte dont la version définitive en français ne serait pas
disponible, qu'ils s'expriment en français lors des réunions
informelles et que toute circonstance rendant impossible l'emploi du
français fasse l'objet d'une observation au procès verbal et d'un
compte rendu aux autorités françaises.