III. UN ASPECT DE LA POLITIQUE DE L'AUDIOVISUEL : LE SECTEUR PUBLIC ET LA CRÉATION CINÉMATOGRAPHIQUE
Les
relations entre le cinéma et la télévision publique seront
sans doute un des sujets centraux de la discussion du projet de loi sur
l'audiovisuel public présenté dernièrement à
l'Assemblée nationale. Le rôle des chaînes publiques
à l'égard de la production cinématographique est trop
souvent masqué par la prééminence de Canal Plus dans ce
domaine. Or France 2 Cinéma et France 3 Cinéma sont en fait des
acteurs influents de ce marché. Leurs investissements, quelque 250
millions de francs actuellement (les derniers chiffres précis, ceux de
1997, sont indiqués ci-dessous), inférieurs à ceux de
Canal Plus (800 millions de francs), devancent ceux de TF1
(200 millions de francs) et de M6 (50 millions de francs), tandis qu'Arte
effectue de son côté un investissement annuel de quelque 50
millions de francs. Les filiales cinématographiques de France 2 et de
France 3 interviennent ainsi chaque année dans le financement du tiers
de films d'expression originale française. On comprend dans ces
conditions l'attention que les professions du cinéma accordent à
l'évolution potentielle de la contribution de la
télévision publique à la production.
Votre rapporteur considère de son côté que l'une des
missions de la télévision publique est de participer à cet
objectif essentiel de la politique audiovisuelle de l'Etat qu'est à ses
yeux le développement des industries audiovisuelles de la France et la
production de contenus.
Aussi a-t-il choisi d'aborder dans son rapport sur les crédits de 1999,
très brièvement et à titre de première approche, la
question de la contribution du secteur public à la création
cinématographique.
A. QUELLE CONTRIBUTION ? TROIS PISTES
1. Le financement
L'apport
de financements est la contribution la plus évidente du secteur public
à la production cinématographique. Le secteur public ne se
différencie guère en cela des chaînes
généralistes privées en clair, qui sont soumises aux
mêmes obligations réglementaires que lui.
Il convient donc d'ouvrir toute réflexion par le rappel de quelques
chiffres significatifs : en 1997, la part du chiffre d'affaires
consacré à la production cinématographique (que la
réglementation fixe à un minimum de 3 %) a été
de 3 % pour France 2, de 3 % pour France 3, et de 3,01 % pour
TF1. Ceci a représenté un montant de 139, 15 MF pour France 2, de
97 MF pour France 3, et de 197 MF pour TF1. France 2 a ainsi participé
au financement de 26 films, le nombre étant de 15 pour France 3 et de 16
pour TF1.
Une question se pose aujourd'hui. Le projet de réduire à cinq
minutes la durée horaire des écrans publicitaires de France 2 et
de France 3 aura-t-il une incidence sur la capacité de financement du
secteur public ? Le gouvernement s'est engagé en principe à
compenser le manque à gagner de quelque 2 milliards de francs. On a vu
ci-dessus que cet engagement semblait actuellement tenir beaucoup du voeu pieu.
S'il était rempli dans de bonnes conditions, une partie des sommes
versées à ce titre à France Télévision
pourra être investie dans la production de fiction
cinématographique et audiovisuelle, production que pourrait dynamiser
par ailleurs la nécessité de remplir les six cents heures
libérées par la publicité. C'est une bonne perspective,
mais il faut noter l'existence d'une condition préalable :
l'inévitable réarticulation des grilles de programmes devra
être conçue en fonction de la diffusion de films et d'oeuvres
audiovisuelles, et non d'une redistribution des écrans publicitaires sur
l'ensemble de la grille des programmes, qui imposerait des formats
incompatibles avec ceux du cinéma.
Il conviendra donc, si le projet de loi est adopté en l'état, de
surveiller à la fois l'exécution des engagements du gouvernement
en matière de financement des chaînes publiques et
l'évolution de leurs grilles de programmes.
2. L'exposition du cinéma français
La
réglementation de la diffusion des oeuvres cinématographiques, et
spécialement les interdictions de diffuser des films certains jours,
traduit la méfiance du monde du cinéma à l'égard du
petit écran. On a longtemps considéré que la
télévision concurrençait à armes inégales
l'exploitation des oeuvres en salle. Mais il faut aussi tenir compte de
facteurs plus positifs : le succès d'audience d'un film
diffusé à la télévision peut permettre de relancer
l'exploitation commerciale d'un film ayant connu un échec en salle. Cela
sera de plus en plus vrai au fur et à mesure que le développement
du second marché des programmes offrira de nouveaux
débouchés. L'exposition de la production française sur les
écrans de la télévision généraliste
apparaît ainsi comme une seconde contribution possible de la
télévision publique à la production
cinématographique. Ce qui est vrai pour tel ou tel film l'est encore
plus pour la production française dans son ensemble : la diffusion
de films français peut contribuer à former le goût du
public.
Cette constatation incite à rappeler les statistiques de diffusion des
films français sur les chaînes généralistes. En
1997, France 2 et France 3 ont diffusé le maximum de films
autorisés par la réglementation : 192. On notera que TF1 et
M6 n'en ont diffusé que 190 durant la même période. Sur
l'ensemble de la programmation, France 2 a diffusé 47,9 % de films
d'expression originale française (EOF), France 3 : 49 %, alors
que TF1 en diffusait 51,1 %. Sur la tranche 20h30-22h30, France 2 a
diffusé 48,9 % d'EOF, France3 : 51,5 %, et TF1 :
54,9 %. Il ne semble donc pas que la contribution du secteur public
à l'exposition de la production française soit vraiment
déterminante. Il est vrai cependant que France Télévision
se rattrape d'une certaine manière sur les statistiques de diffusion de
films américains : TF1 en a diffusé 75 en 1997, contre 73
pour France 2 et 68 pour France 3. Sur la tranche 20h30-22h30, France 2 a
diffusé 36 films américains contre 37 pour France 3 et 39 pour
TF1. Il n'en demeure pas moins que du point de vue de l'exposition des films
français, les différences entre le secteur public et les
chaînes privées sont tout à fait minimes. Il y a sans doute
un effort à faire de ce côté.
Il peut être intéressant de prendre en compte un autre facteur. Le
rôle de " vitrine " du cinéma français est mieux
assuré par les chaînes généralistes que par les
thématiques, y compris les thématiques culturelles comme Arte. De
ce point de vue, France télévision joue sans doute un rôle
particulièrement utile, dans la mesure où son audience,
orientée vers l'ensemble du public (la part d'audience des
ménagères de moins de 50 ans n'est que de 15 % pour France
télévision, contre 21 % pour le secteur privé) lui
permet de toucher un public assez diversifié. Il faut cependant noter
aussi l'intérêt que présenterait du point de vue de la
fonction de " vitrine " le rajeunissement de l'audience de France
télévision : c'est le public jeune qui fréquente des
salles de cinéma.
Il y a un dernier problème à prendre en compte en ce qui concerne
la fonction d'exposition. Il s'agit des conséquences sur le financement
et donc sur le contenu des oeuvres, des restrictions imposées à
la diffusion d'oeuvres violentes aux heures de grande écoute. On se
rappelle les polémiques déclenchées à ce sujet par
certains metteurs en scène à plusieures occasions, et les
accusations portées contre les chaînes publiques. Il faut rappeler
à cet égard que le législateur a imposée aux
chaînes de télévision l'objectif de protection de l'enfance
et de l'adolescence au nom d'une conception de l'intérêt public
qui dépasse sans doute les seuls intérêts de la production
cinématographique. Le public s'attend assez légitimement à
ce que la télévision publique soit particulièrement
exigeante quand est en cause le respect d'autrui.
3. La création
L'encouragement à la création, au
développement
et au renouvellement du cinéma français est une troisième
modalité de contribution à la création
cinématographique, qui devrait distinguer le secteur public des
chaînes privées. Chacun salue le rôle d'Arte à cet
égard.
En ce qui concerne France télévision, il y a peu de points
saillants à relever. France 2 a utilisé pour la première
fois en 1997 la possibilité ouverte depuis 1994 de diffuser hors quantum
52 films d'art et d'essai : 5 films ont été diffusée
dans ce cadre. France 3 en a diffusé 2.
Il faut naturellement tenir aussi compte de la nécessité pour la
télévision publique de sélectionner en fonction des
besoins de l'antenne les projets soumis aux filiales cinématographiques.
Les seuls films français pratiquement accessibles aux chaînes
publiques sont ceux que leurs filiales coproduisent. Il est donc vital pour
elles de coproduire un certain nombre de films susceptibles d'être
programmés avec succès aux heures de grande écoute. Cette
exigence est partiellement contradictoire avec la préoccupation
d'innover. Mais tous les films ne sont pas destinées aux heures de
grande écoute, et les productions s'inscrivant dans une perspective de
renouvellement du cinéma français doivent trouver leur place dans
une programmation qui doit être diversifiée et doit ambitionner de
rassembler successivement tous les publics.
Il faut enfin rappeler une dernière contribution, coûteuse, des
chaînes publiques à la qualité
cinématographique : l'interdiction de couper la diffusion des films
par des écrans publicitaires.