III. ASSURER LA PÉRENNITÉ DE LA POLITIQUE PATRIMONIALE
A. QUEL AVENIR POUR LA POLITIQUE DU PATRIMOINE ?
1. Une nécessité : maintenir une capacité d'intervention substantielle de l'Etat
a) Un champ d'action de plus en plus large
•
L'accroissement du champ de l'action patrimoniale de l'Etat...
La loi du 31 décembre 1913 sur les monuments historiques a confié
à l'Etat la charge d'assurer la conservation du patrimoine
protégé. Cette responsabilité n'est plus aujourd'hui de la
même nature qu'au début du siècle. En effet, et il s'agit
là d'une des évolutions majeures auxquelles a été
confrontée la politique culturelle au cours des dernières
années, le champ de l'action patrimoniale de l'Etat s'est
considérablement élargi. Limité à l'origine
à quelques grands monuments prestigieux, il s'étend
désormais à des vestiges de plus en plus variées du
passé.
Cette évolution qui s'explique par une modification de la conception de
l'histoire et de l'art s'est reflétée dans la politique de
classement. Aujourd'hui, 39 600 immeubles sont protégés au
titre des monuments historiques, soit 13 830 immeubles classés et
25 770 immeubles inscrits à l'inventaire des monuments historiques.
Bien que depuis 1995 on assiste à un ralentissement du rythme des
classements, ces chiffres témoignent de l'étendue des
responsabilités de l'Etat.
Par ailleurs, notre dispositif de protection du patrimoine révèle
encore des lacunes. Ainsi, le cadre juridique de la loi du 31 décembre
1913 ne permet pas d'assurer dans des conditions satisfaisantes la protection
des objets mobiliers, notamment en ce qui concerne le mobilier ou les
décors intérieurs des châteaux, trop souvent victimes de
l'appétit financier de repreneurs peu sensibles à leur valeur
esthétique et historique et à la nécessité de les
maintenir dans leur cadre d'origine. A ce titre, votre rapporteur se
félicite de l'annonce par la ministre du dépôt d'un projet
de loi sur ce sujet.
•
... répond à une attente des Français
Parallèlement à cette évolution, s'est fait jour chez nos
concitoyens le sentiment que le patrimoine ne devait pas seulement être
l'objet de respect et de soins mais que, trace de l'activité des
générations passées, il était un témoin
vivant et familier de leur histoire, source d'identité face aux
interrogations du présent. Ce sentiment n'a fait que renforcer la
légitimité de l'intervention de l'Etat dans ce domaine.
b) La nécessité de maintenir une capacité d'intervention substantielle de l'Etat
•
Le bilan de la loi-programme n° 93-1437 du 31 décembre 1993
relative au patrimoine monumental
Le vote de lois de programme ne concerne que quelques secteurs de l'action
gouvernementale. Les lois de programme de 1988 et de 1993 dans le domaine du
patrimoine monumental traduisaient la volonté du gouvernement d'accorder
une priorité particulière aux investissements sur les monuments
historiques.
La loi de programme du 31 décembre 1993, qui portait sur les
années 1994 à 1998, prévoyait d'affecter à la
" conservation du patrimoine monumental d'intérêt
public " un montant de 7.849 millions de francs d'autorisations de
programme (soit 8.014 millions de francs si l'on tient compte de
l'actualisation). Prévoyant une progression régulière des
investissements de 2 % par an, la loi avait fixé cinq tranches
annuelles réparties comme suit :
CINQ TRANCHES ANNUELLES RÉPARTIES COMME SUIT :
Années |
Tranches annuelles (1) |
Montant actualisé (1) |
1994 |
1508 |
- |
1995 |
1538 |
1573,37 |
1996 |
1569 |
1611,36 |
1997 |
1601 |
1644,22 |
1998 |
1633 |
1677,09 |
(1)
en millions de francs.
L'exécution de la loi de programme dans le cadre des lois de finances
est retracée dans le tableau suivant :
(en millions de francs)
Années |
Dotations actualisées prévues par la loi de programme |
Dotations résultant
|
1994 |
1508 |
1524,43 |
1995 |
1573,37 |
1584,86 |
1996 |
1611,36 |
1646,77 |
1997 |
1644,22 |
1159,1 |
1998 |
1677,09 |
1616,52 |
Sur les
cinq années d'exécution de la loi de programme, le montant des
autorisations de programme inscrites en lois de finances initiales n'a
représenté que 93 % des dotations actualisées. Si
l'on raisonne par rapport aux crédits disponibles après
annulations, le ratio est ramené à 91,7 %.
Ces résultats de l'exécution de la loi de programme
résultent essentiellement :
- des mesures d'annulation décidées en 1996 qui ont porté
sur 265 millions de francs ;
- et de la décision prise en 1997 d'étaler sur une année
supplémentaire la loi de programme au même titre que tous les
engagements pluriannuels de l'Etat. Les autorisations de programme inscrites en
loi de finances initiale pour 1997 ne s'élevaient en conséquence
qu'à 70 % des dotations prévues par la loi de programme.
Il convient de souligner que les effets de la diminution des crédits en
1996 et 1997 ont pu être atténués par une meilleure
mobilisation des crédits disponibles, qui a permis de maintenir constant
le volume des engagements. Ainsi, le montant des crédits engagés
a pu s'élever en 1997 à 1 990 millions de francs. Bien
que l'inscription en loi de finances initiale pour 1998 de dotations à
peu près comparables à celles prévues par la loi de
programme ait permis de maintenir en 1998 un volume constant d'engagement, les
réductions de crédits opérées en 1996 et 1997 ont
eu des conséquences tant sur les programmes de travaux sur les monuments
historiques que sur l'activité des professionnels de la restauration.
En effet,
les mesures de régulation budgétaire pour 1996 et
1997 ont contraint l'administration à reporter ou à étaler
l'exécution des travaux de restauration
. Les annulations ou les
modifications de programme ont été déterminées en
fonction des priorités et des urgences dictées par l'état
des édifices concernés. Les opérations déjà
entamées, dont la réalisation s'étalait sur plusieurs
années, ont été poursuivies aussi souvent que possible.
Mais un grand nombre d'opérations nouvelles ont dû être
reportées. En ce qui concerne les travaux effectués sur des
monuments historiques n'appartenant pas à l'Etat, dont le financement
repose sur la participation des propriétaires et de l'Etat, la
réduction des crédits inscrits en loi de finances a fait jouer
à rebours le coefficient multiplicateur représentant le rapport
entre les crédits d'Etat et le montant des travaux effectivement
générés, entraînant une diminution de la
dépense globale consacrée au patrimoine. En effet, on estime pour
ces monuments que 1 million de francs du budget de l'Etat est à
l'origine de 2,8 millions de francs de travaux. Afin d'atténuer
l'effet des réductions des crédits d'Etat, les conservations du
patrimoine ont usé de moyens divers : révision à la
baisse du montant des tranches annuelles afin d'éviter des interruptions
de chantier ; développement de l'appel au concours de fonds
structurels européens par exemple.
Le non-respect de la loi de programme a eu par ailleurs
des
répercussions sur l'activité des professionnels de la
restauration
. En effet, les réductions de crédits en 1996 et
1997 les ont contraint à prévoir un plan de charge réduit
pour 1998 même si l'augmentation significative des crédits
prévue par la loi de finances pour 1998 a permis d'éviter un
ralentissement brutal de l'activité.
Or, le marché des travaux pour la restauration des monuments historiques
se caractérise par un taux de main-d'oeuvre particulièrement
élevé. Sur un million de francs investi, 60 à 85 % va
à l'emploi, ce qui correspond à 3 emplois à plein temps
sur une année entière. Les réductions budgétaires
qui ont entraîné des retards, des reports ou des annulations
d'opérations ont entraîné une raréfaction des
marchés contraignant, dans un contexte de concurrence accru, les
entreprises à baisser leur prix. La baisse des prix et les
difficultés de trésorerie qu'ont rencontré les entreprises
les ont conduit dans bon nombre de cas à licencier ou à ne plus
recruter.
Le Groupement national des entreprises de restauration des monuments
historiques estimait fin 1997 que les pertes d'emplois du secteur pourraient
atteindre 20 % de l'effectif total de fin 1994. Cette situation
apparaît inquiétante dans la mesure où les emplois qui ont
disparu sont souvent ceux des ouvriers les plus anciens dans l'entreprise, donc
les plus qualifiés et les plus expérimentés, ou ceux des
apprentis. Or, dans ce secteur, la formation aux métiers se fait
traditionnellement par transmission du savoir-faire des plus âgés
vers les plus jeunes.