C. LE DISPOSITIF DE RÉGULATION DES DÉPENSES DE MÉDICAMENTS
1. Un encouragement à la diffusion des médicaments génériques
Les
médicaments génériques sont actuellement relativement peu
développés en France. Leur part de marché, en
médecine de ville, est estimée à 4 ou 5 % seulement, alors
qu'elle atteint 12 % aux Etats-Unis, 15 % en Grande-Bretagne et 20 %
en Allemagne.
Jusqu'à présent, l'incitation au développement des
génériques s'est surtout traduit par une diffusion de
l'information auprès des prescripteurs. L'Agence du médicament a
publié le 7 juillet 1998 un répertoire des médicaments
génériques comprenant près de 500
spécialités génériques. Leur prix est
inférieur d'au moins 30 % à celui de la spécialité
de référence.
L'article 23 du projet de loi de financement propose de franchir une
étape supplémentaire, en instaurant un droit de substitution pour
les pharmaciens d'officine.
Actuellement, le pharmacien n'a pas le droit de substituer un médicament
à un autre, sauf accord exprès et préalable du
médecin prescripteur, ou en cas d'urgence.
Il est proposé d'inverser la règle en prévoyant que, sauf
refus exprès du médecin, le pharmacien peut substituer un autre
médicament à celui prescrit. Le médicament
substitué n'est d'ailleurs pas forcément un
générique.
Enfin, l'exercice du droit de substitution serait conditionné au fait
qu'il ne doit pas entraîner une dépense supplémentaire pour
l'assurance maladie. En cas de non respect de cette condition, le pharmacien
devrait reverser à l'assurance maladie la différence.
L'économie potentielle résultant du développement
systématique des médicaments génériques est
estimée à 4 milliards de francs, sur la base d'un moindre
coût de 30 % et compte tenu de la gamme actuelle des
génériques. Elle pourrait être deux fois plus importante,
si la gamme était étendue à tous les médicaments
"génériquables".
Votre rapporteur pour avis est favorable au droit de substitution des
pharmaciens, tout en estimant que le développement des
médicaments génériques repose d'abord sur une
démarche volontaire de la part des médecins
prescripteurs.
2. Une rénovation opportune de la politique conventionnelle
Dans son
rapport au Parlement sur la sécurité sociale de septembre 1998,
la Cour des comptes a dressé un bilan critique de la politique
conventionnelle conduite par le comité économique du
médicament avec les entreprises pharmaceutiques, depuis la signature de
l'accord-cadre du 15 janvier 1994 :
- effet inflationniste des plafonds de chiffre d'affaires ;
- utilisation des prix comme instruments de politique industrielle et
d'aménagement du territoire, voire comme aide au maintien de l'emploi ;
- disparité des sanctions prévues en cas de dépassement ;
- mauvaise articulation entre le comité économique du
médicament et la commission de la transparence chargée
d'évaluer le service médical rendu ;
- absence d'études médico-économiques.
De l'avis de tous les spécialistes, la politique du médicament
n'a pas su éviter, jusqu'à présent, le double
écueil de prix insuffisamment sélectifs, peu
rémunérateurs pour les médicaments réellement
nouveaux, et de l'accroissement médicalement non justifié des
volumes.
L'article 24 du projet de loi de financement de la sécurité
sociale propose les conditions pour une relance opportune de la politique
conventionnelle entre l'Etat et l'industrie pharmaceutique.
D'une part, les pouvoirs du comité économique du
médicament pour fixer les prix des médicaments seront
renforcés. La voie conventionnelle constituera le mode de fixation de
droit commun, les arrêtés interministériels n'intervenant
plus qu'à titre subsidiaire, à défaut d'accord.
Les critères de fixation du prix de chaque médicament sont
légalement précisés. Ils portent notamment sur
l'amélioration du service médical rendu, sur le prix des
médicaments comparables et sur les volumes des ventes.
D'autre part, le champ des conventions entre le comité économique
du médicament et les entreprises pharmaceutiques est mieux
délimité. Ces conventions pourront comporter des engagements sur
l'évolution des prix en fonction du volume des ventes, sur les remises
éventuelles, sur la maîtrise de la politique de promotion.
Enfin, le comité économique du médicament sera
chargé d'assurer un suivi périodique des dépenses de
médicaments en vue de constater leur évolution par rapport
à l'ONDAM. Au vu des résultats des quatre ou huit premiers mois
de l'année, le comité pourra demander aux entreprises
pharmaceutique de modifier leurs prix, afin de rendre l'évolution des
dépenses compatible avec l'objectif. En cas de refus de l'entreprise, le
comité peut résilier la convention.
Votre rapporteur pour avis serait favorable à ce dispositif
conventionnel, s'il n'était pas articulé avec une contribution
obligatoire qu'il juge éminemment contestable.
3. La création d'une contribution éminemment contestable
L'article 25 du projet de loi de financement instaure un
mécanisme de contribution automatique de l'industrie pharmaceutique en
cas de progression des dépenses de médicaments plus rapide que le
taux d'augmentation de l'ONDAM.
Dans le texte initial du Gouvernement, seules les entreprises pharmaceutiques
non liées par une convention avec le comité économique du
médicament, pour l'ensemble de leurs spécialités,
étaient redevables de la contribution.
Le montant total de la contribution serait déterminé par
l'application au chiffre d'affaires des entreprises redevables d'un taux
variant entre 0,15 % et 3,3 %, selon l'ampleur de l'écart
entre le rythme de croissance de leur chiffres d'affaires et celui de l'ONDAM.
Le produit de la contribution, ainsi déterminé, serait ensuite
réparti entre les entreprises redevables selon trois assiettes :
- pour 30 %, sur leur chiffre d'affaires ;
- pour 40 %, sur la progression de leur chiffre d'affaires ;
- pour 30 %, sur les dépenses de prospection et de promotion.
Pour chaque entreprise pharmaceutique, le montant dû de la contribution
serait calculé au
prorata
de sa part dans les trois assiettes.
L'Assemblée nationale a bouleversé l'économie de ce
mécanisme de contribution, en supprimant les dispositions qui excluaient
de son champ les entreprises pharmaceutiques liées par une convention
avec le comité économique du médicament.
Votre rapporteur pour avis est parfaitement défavorable à la
contribution proposée, qui lui paraît ignorer la
réalité du marché du médicament et vider la
politique conventionnelle de toute portée.
Fondamentalement, il n'apparaît pas justifié de fixer un taux de
progression des dépenses de médicaments identique à celui
de l'ONDAM. La découverte de nouvelles molécules et
l'évolution des pratiques médicales tendent, structurellement,
à accroître la part du médicament et à
réduire celle de l'hospitalisation.
L'accroissement des dépenses de médicaments peut donc
légitimement être plus rapide que celui de l'ensemble des
dépenses de santé, à condition de profiter aux
médicaments réellements actifs et innovants.
Par construction, les médicaments ne disposent pas d'une enveloppe
spécifique au sein de l'ONDAM. Ils sont soit prescrits par les
médecins libéraux, soit inclus dans les dépenses des
établissements hospitaliers. Leur maîtrise découle donc
déjà des dispositifs de régulation existants.
Or, la contribution proposée serait exigible même dans le cas
où l'ONDAM est respecté globalement, dès lors que les
dépenses de médicaments augmentent plus rapidement.
Par ailleurs, une contribution assise à 40 % sur la progression du
chiffre d'affaires sanctionnerait l'innovation. En effet, tout lancement d'un
nouveau médicament se traduit par un fort accroissement des ventes de
l'entreprise concernée. Seule la politique conventionnelle est apte
à prévoir la mise sur le marché d'une nouvelle
spécialité, et à en contrôler les effets sur
plusieurs années.
En fait, la création d'un mécanisme de contribution automatique,
non plus alternatif mais surajouté à la politique conventionnelle
après l'extension votée par l'Assemblée nationale,
priverait cette politique de son intérêt principal pour les
entreprises pharmaceutiques, qui est de leur offrir une visibilité dans
un cadre pluri-annuel. Les entreprises se trouveraient ainsi taxées, ou
non, en fonction des évolutions respectives des dépenses de
médicaments et de l'ONDAM, qui sont indépendantes de leur
volonté.
La politique conventionnelle peut pourtant être très efficace en
cas de dérapage des dépenses. Ainsi, au terme d'une
négociation avec le comité économique du
médicament, les entreprises pharmaceutique ont consenti à
reverser à l'assurance maladie, sous forme de remises ou de baisses de
prix, les 1,8 milliard de franc prévus par le plan de redressement du 29
juillet 1998.
Cet accord de dernière minute a d'ailleurs conduit le Gouvernement
à retirer l'article 26 du projet de loi de financement, qui
prévoyait l'application dès 1998 à titre exceptionnel
d'une contribution analogue à celle créée par l'article 25.