VI. LA RÉGULATION DES DÉPENSES D'ASSURANCE MALADIE : UNE NÉCESSITÉ NON DÉMENTIE
La
nécessité d'un dispositif global de régulation des
dépenses d'assurance maladie n'est désormais plus
contestée. Les hôpitaux publics sont sous budget global depuis
1983. Les cliniques privées et les professions paramédicales sont
entrées dans des dispositifs d'objectifs nationaux quantifiés
(OQN) au début des années 1990.
Sur ce point, l'apport essentiel des ordonnances du 24 avril 1996 a
consisté dans l'extension des dispositifs de régulation au
secteur de la médecine libérale, qui était le dernier
à ne pas être sous enveloppe fermée.
Parallèlement, la création des lois de financement de la
sécurité sociale a fourni un cadre d'ensemble, avec l'objectif
national des dépenses d'assurance maladie (ONDAM) fixé par le
Parlement, réparti par le Gouvernement et retranscrit par les
partenaires conventionnels.
A. L'OBJECTIF NATIONAL DES DÉPENSES D'ASSURANCE MALADIE
1. Les imperfections conceptuelles de l'ONDAM
La
détermination de l'objectif national de dépenses d'assurance
maladie est une disposition obligatoire de la loi de financement de la
sécurité sociale, prévue au 4° de l'article
L.O. 111-3 du code de la sécurité sociale.
Pour les assurés sociaux, l'ONDAM n'a pas de caractère limitatif
et son dépassement éventuel n'a pas pour conséquence de
restreindre leurs droits aux soins. Pour les professionnels de santé,
l'ONDAM a un caractère contraignant et son dépassement
éventuel peut entraîner des reversements.
L'ONDAM est exprimé en dépenses remboursées, et non pas
en dépenses remboursables. Cela implique qu'une augmentation du forfait
hospitalier ou une diminution des taux de remboursement aurait pour effet
mécanique de réduire le montant des dépenses prises en
compte par l'objectif, à consommation de soins inchangée.
L'objectif national de dépenses d'assurance maladie englobe
également la branche accidents du travail. Toutefois, il ne correspond
pas à la somme des dépenses de ces deux branches. Il ne couvre en
effet que les dépenses de soins des risques maladie-maternité et
accidents du travail, ainsi que les prestations en espèces du
risque-maladie et celles du risque accidents du travail pour leur part
liée à l'incapacité temporaire.
Sont donc déduites des dépenses des branches maladie et
accidents du travail :
les rentes d'accidents du travail
;
les indemnités journalières
maternité ;
les dépenses de gestion
administrative ;
les dépenses d'action sanitaire et sociale
;
les dépenses des fonds de prévention ; les
transferts ; les frais financiers.
Le tableau ci-dessous retrace la façon dont s'effectue le passage du
total des dépenses de la branche
maladie-maternité-invalidité et de la branche accidents du
travail à l'objectif national des dépenses d'assurance maladie
pour 1999.
Source : projet de loi de financement
Son montant global ainsi établi, l'ONDAM est ensuite
décliné entre les différents secteurs du système de
soins selon quatre agrégats principaux, eux-mêmes
déclinés en sous-objectifs. La nomenclature est la suivante :
I. Soins de ville
I. 1. Dépenses générées par les médecins
libéraux
I. 1. a. Médecins généralistes
I. 1. b. Médecins spécialistes
I. 2. Autres dépenses de ville (chirurgiens dentistes, sage-femmes,
médecins salariés)
II. Etablissements sanitaires
II. 1. Etablissements sanitaires sous dotation globale
II. 2. Autres établissements sanitaires
II. 3. Honoraires du secteur public
III. Médico-social
III. 1. Enfance inadaptée et adultes handicapés
III. 2. Personnes âgées
IV. Cliniques privées
IV. 1. Cliniques privées sous objectif quantifié national
IV. 2. Cliniques privées anciennement à prix de journée
préfectoral
IV. 3. Cliniques privées hors objectif quantifié national
Ainsi défini, l'ONDAM souffre d'un certain nombre d'imperfections
conceptuelles.
Premièrement, alors que l'ONDAM est fixé pour tous les
régimes d'assurance maladie, le suivi de son exécution en cours
d'année repose actuellement sur les statistiques du seul régime
général. Or, la part de la CNAMTS dans les dépenses de
l'ONDAM n'est pas stable, mais tend à s'accroître sous l'effet de
phénomènes démographiques. Par ailleurs, elle est variable
selon les différentes composantes de l'ONDAM.
Deuxièmement, la présentation des dépenses de l'ONDAM par
secteur et par profession ne correspond pas aux informations disponibles de la
CNAMTS. En effet, les statistiques de l'assurance maladie obéissent
à une logique de présentation par acte. Les informations restent
très agrégées en ce qui concerne le statut de
l'exécutant ou du prescripteur de l'acte. Un travail de recomposition
rétrospectif est nécessaire. La CNAMTS travaille à affiner
son système d'information, mais son adaptation prendra encore du temps.
L'article 16 du projet de loi de financement tente d'apporter des corrections
aux deux premières imperfections en créant un système
national d'information interrégimes de l'assurance maladie (SNIIRAM),
ainsi qu'un conseil pour la transparence des statistiques de l'assurance
maladie qui associe des représentants des caisses, des
représentants des professionnels de santé et des experts en
information de santé et en statistique.
Troisièmement, la fragmentation de l'ONDAM en une multiplicité de
sous-enveloppes risque de rigidifier les structures du système de soins,
à moins que les évolutions souhaitables ne soient
délibérément accompagnées par des taux de
progression différenciés. Actuellement, les
phénomènes de transferts de dépenses entre les
différents secteurs, ou "déports", ne peuvent pas être
mesurés. La segmentation de l'ONDAM risque ainsi de faire obstacle au
développement nécessaire des réseaux de soins
ville-hôpital et des coopérations entre établissements
publics et privés.
Quatrièmement, une part notable des dépenses de soins incluses
dans l'ONDAM n'est pas en réalité encadrée : honoraires
des médecins des centres de santé, médicaments prescrits
par des non-libéraux, établissements à tarification
administrative, prestations médico-sociales. Dans son rapport au
Parlement sur la sécurité sociale de septembre 1998, la Cour des
comptes évalue le montant de ces dépenses non encadrées
à 57,8 milliards de francs pour 1997, soit 12 % de l'ONDAM.
L'article 27 du projet de loi de financement apporte une amélioration
notable sur ce point en étendant le dispositif de régulation
applicable aux établissements de santé et au secteur
médico-social financé par l'assurance-maladie. Le Préfet
pourra désormais appuyer ses décisions tarifaires sur un objectif
national décliné en dotations régionales puis
départementales.
2. Le dépassement probable de l'ONDAM en 1998
L'ONDAM
pour 1997 avait été fixé à 600,2 milliards de
francs par la première loi de financement de la sécurité
sociale. Cet objectif correspondait à une progression de 1,7 % par
rapport à 1996.
L'objectif des soins de villes, fixé à 261,7 milliards de francs
pour 1997, a été respecté : les réalisations sur ce
poste se montent à 261,3 milliards de francs, soit une progression de
1,8 % par rapport aux réalisations de 1996.
Les dépenses générées par les médecins
généralistes ont été inférieures de 565
millions de francs à leur objectif prévisionnel, qui
s'élevait à 141 milliards de francs. L'équivalent de
cet écart, soit environ 9.000 francs par médecin, leur a
été reversé au printemps 1998.
Les dépenses générées par les médecins
spécialistes ont été supérieures de 310 millions de
francs à leur objectif prévisionnel, qui s'élevait
à 67,4 milliards de francs. Ce dépassement n'a pas fait l'objet
d'un reversement, mais a été imputé sur leur objectif
prévisionnel pour 1998.
Les établissements sanitaires publics sous dotation globale ont
respecté à 160 millions de francs près leur objectif
prévisionnel de 233,2 milliards de francs. Le dépassement de
600 millions de francs de l'objectif des autres établissements
sanitaires publics, à prix de journée préfectoral,
s'explique par une surestimation initiale de l'effet de champ résultant
de leur basculement progressif dans le régime des établissements
privés conventionnés ou dans le celui des établissements
publics sous dotation globale.
L'objectif prévisionnel des établissements médico-sociaux,
qui avait été fixé à 40,2 milliards de francs, a
été respecté à 200 millions de francs près.
L'Objectif Quantifié National (OQN) des cliniques privées, qui
avait été fixé à 36,8 milliards de francs, a
été dépassé de 1 %. Ce dépassement a
été récupéré sous la forme d'une diminution
tarifaire en 1998. Les effets de champ touchant les cliniques privées
hors OQN expliquent une réalisation globalement inférieure
à l'objectif prévisionnel.
Au total, la réalisation de l'ONDAM, fixé à 600,2
milliards de francs en 1997, est de 599,5 milliards de francs, soit une
progression de 1,5 % seulement par rapport à 1996 au lieu de 1,7 %
initialement prévu.
Votre rapporteur pour avis salue ce résultat remarquable, qui montre
que la rigueur affichée par le précédent Gouvernement a
été couronnée de succès.
La loi de financement de la sécurité sociale pour 1998 a
fixé l'ONDAM à 613 milliards de francs, en progression de
2,3 % par rapport à l'objectif de 1997 et de 2,4 % par rapport
à la réalisation.
En dépit d'un taux de progression moins rigoureux que celui de 1997,
l'ONDAM pour 1998 est en voie d'être dépassé.
Les statistiques publiées mensuellement par la CNAMTS, avec un
décalage de deux mois, sont actuellement le seul moyen de suivre
l'exécution de l'ONDAM. Sur les huis premiers mois de l'année,
les rythmes de progression des dépenses de la plupart des
différents secteurs apparaissent tout à fait incompatibles avec
le respect des objectifs prévisionnels.
Le tableau ci-dessous permet de comparer les taux d'évolution
prévisionnel et les taux d'évolution en glissement sur la
période comparable de l'année précédente (PCAP).
A la fin
du mois d'août, l'ONDAM apparaît ainsi déjà
consommé à près de 70 %, alors qu'il reste encore
quatre mois à courir.
Votre rapporteur pour avis estime que le Gouvernement actuel a une
responsabilité majeure dans le dépassement de l'ONDAM en 1998.
Dans un discours longtemps ambigu à destination des professionnels de
santé, il a pris ses distances avec la réforme Juppé et
dénoncé la "maîtrise comptable" des dépenses, avec
les effets que l'on constate.
Afin de limiter le dérapage des dépenses, le Gouvernement a
présenté le 29 juillet 1998 un plan de redressement qui devrait
permettre des économies d'un montant total de 2,7 milliards de francs :
- diminution du tarif de la lettre-clef en radiologie radiologues
(450 millions de francs) ;
- report de mesures de revalorisations prévues pour les dentistes
(190 millions de francs), les kinésithérapeutes (93 millions
de francs) et les orthophonistes (19 millions de francs) ;
- report de l'augmentation du forfait sécurité pour les
laboratoires d'analyse (75 millions de francs) ;
- révision des tarifs de certaines prothèses (73 millions de
francs) ;
- contribution exceptionnelle des laboratoires pharmaceutiques (1,8 milliard
de francs).
Malgré ces mesures d'économie correctrices, l'ONDAM pour 1998 ne
sera vraisemblablement pas respecté. L'annexe B du projet de loi de
financement prévoit un dépassement des prestations d'assurance
maladie de 6,7 milliards de francs, soit un taux de progression de l'ONDAM de
3,4 %.
3. Un ONDAM pour 1999 peu réaliste
L'article 33 du projet de loi de financement propose de fixer
l'ONDAM à 629,8 milliards de francs pour 1999, soit un montant
supérieur de 16 milliards à celui de 1998, correspondant à
un taux de progression de 2,6 %.
Cette augmentation prend en compte l'effet d'entraînement sur la
consommation de soins de la croissance générale de
l'économie, l'impact sur les budgets hospitaliers de l'accord du 10
février 1998 sur les rémunérations dans la fonction
publique, estimé à 5 milliards de francs, le développement
du secteur médico-social en faveur des personnes âgées et
le coût de la généralisation du dépistage du cancer
du sein et du cancer du col de l'utérus, estimé à 250
millions de francs (auquel s'ajoute, hors ONDAM, la participation du FNPEIS, de
250 millions de francs également).
Le Gouvernement n'a pas cru utile de préciser, à l'appui du
projet de loi de financement, la manière dont il entend décliner
l'ONDAM pour 1999. Toutefois, un premier projet de répartition a
été communiqué à la CNAMTS et rendu public dans la
presse.
Votre rapporteur pour avis observe que, si le dépassement de 6,7 milliards de francs de l'ONDAM en 1998 se confirmait, le taux de progression de l'ONDAM pour 1999 ne serait plus que de 1,5 %. Les objectifs prévisionnels pourraient même être négatifs pour les postes qui dérapent le plus, tels ceux des spécialistes ou des cliniques privées.